« 1887. La convention de construction »
« Les Archives nationales inscrivent leur programmation dans une démarche résolument participative. Le public a voté pour les documents qu’il souhaite voir exposer dans le cadre du cycle
Les Remarquables : des documents exceptionnels par leur forme, leur contenu, les acteurs et les objets auxquels ils font référence. » « Des documents emblématiques par leur sujet ou étonnants par leur forme que présentent depuis 2023 les Archives nationales », a écrit Bruno Ricard, Directeur des Archives nationales.
Le Commissariat scientifique est assuré par Magalie Bonnet, responsable de fonds au département de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Agriculture, Archives nationales, et Thomas Roche, responsable du département de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et de l’Agriculture, Archives nationales, et le Commissariat technique par Alexandra Hauchecorne et Régis Lapasin, service des expositions, département de l’Action culturelle et éducative, Archives nationales.
« La tour Eiffel, un monument de science et de technique » « Tout le monde la connaît, reconnaît sa silhouette originale et singulière.
Il n’est sans doute pas étonnant que le vote du public pour désigner Les Remarquables, organisé à l’été 2023, se soit porté sur la convention conclue, en 1887, pour la construction de ce que l’on appelait déjà la « tour Eiffel ».
« Le contrat du monument le plus célèbre de France figure ainsi au centre de cette nouvelle exposition au format resserré, accompagné de plans, de photographies et d’autres documents qui éclairent la genèse de la tour, les aspects techniques de sa construction mais aussi les expérimentations scientifiques qui en ont finalement permis la sauvegarde. »
« La tour dans l’histoire des techniques »
« La tour Eiffel est, fondamentalement, un monument de science et de technique. Monument dédié à la science, comme le rappellent les noms des 72 savants inscrits en lettres d’or au pourtour de son premier étage, elle a été construite pour être le « clou » d’une exposition universelle, dont la vocation première est de présenter les avancées industrielles. Quelle est sa place dans l’histoire des sciences et des techniques ? »
« Une innovation ? Pas tout à fait. L’esquisse même du monument fait écho aux piles des ponts métalliques qui se sont multipliés au 19e siècle et dont Eiffel n’est qu’un des plus talentueux ingénieurs. Le matériau retenu, les procédés techniques, sont ceux d’un âge industriel n’entamant qu’à peine sa transition vers l’ère de l’acier et de l’électricité. »
« Un chantier bien mené ? Assurément, l’expérience des ingénieurs, dans la précision des calculs et la préparation des pièces dont seul l’assemblage a lieu sur place, tout comme celle des ouvriers, habitués à des conditions difficiles, a été un atout pour tenir un calendrier serré, avec un nombre d’accidents graves limité, sans toutefois être nul. »
« Symbole de la victoire de l’ingénieur et du métal sur l’architecte et la pierre ? Elle marque plutôt de nouvelles formes de collaboration entre les deux professions : aurait-elle vu le jour sans l’intervention de l’architecte Sauvestre sur les premières esquisses des ingénieurs Koechlin et Nouguier, tout comme le palais des Machines, œuvre conjointe de l’architecte Dutert et de l’ingénieur Contamin ? Plus grande construction métallique de son temps, ce dernier devait rester la trace pérenne de l’Exposition de 1889, mais fut finalement démonté en 1900… »
« Finalement c’est la tour, sauvée par son utilité scientifique, défendue par Eiffel dès la présentation du projet, et portant désormais avec son antenne la marque de l’innovation technologique qu’est la radio, qui s’enracine dans le paysage d’une ville et d’un pays dont elle est devenue le symbole. »
« Deux tours pour un centenaire »
« En France, la première exposition industrielle voit le jour à Paris en 1798 dans le but de revigorer et de protéger l’industrie nationale après les bouleversements révolutionnaires. En 1851, une exposition à laquelle sont admis les industriels du monde entier est organisée à Londres, marquant l’avènement d’une nouvelle ère de manifestations internationales. Le succès londonien inspire le Second Empire qui ouvre en 1855 une grande exposition à Paris. »
« Désormais dite universelle, elle élargit son programme aux productions intellectuelles, notamment aux beaux-arts. »
Dès lors, les expositions universelles se succèdent à un rythme effréné, tous les onze ans environ. Après celles de 1867 et de 1878, l’année 1889 s’impose. »
"Lors de l'exposition de 1878,
Gustave Eiffel conçoit le bâtiment de la Ville de Paris, initialement prévu en maçonnerie avec un revêtement de plâtre. Les contraintes saisonnières conduisent à une modification du projet : une construction entièrement métallique, mieux adaptée aux circonstances. Gustave Eiffel est également chargé de la construction de la grande galerie, qui forme la façade principale de l'exposition et nécessite l'utilisation de 3000 tonnes de métal. C'est lors de cette exposition qu'est dévoilée la tête de la statue de la Liberté, œuvre d'Auguste Bartholdi. Son armature en fer, qui constitue le support de la « peau » en cuivre de la statue, est conçue par Eiffel et ses ingénieurs. La statue, offerte par les Français aux Américains, est financée par des fonds privés, Bartholdi faisant notamment payer les visites des éléments exposés. À Philadelphie, en 1876, le flambeau et une partie du bras sont exposés et, lors de l'exposition de 1878 à Paris, les visiteurs peuvent monter au sommet de la tête grâce à un escalier en fer."
"Au-delà de ses exploits dans le domaine des ponts, l'entreprise Eiffel laisse également son empreinte dans la construction d'édifices publics et privés, aussi bien en France qu'à l'étranger. Lors des expositions universelles à Paris, Gustave Eiffel se distingue en réalisant divers ouvrages, dont la Galerie des beaux-arts et d'archéologie à l'exposition de 1867. En janvier 1866, il obtient le contrat pour la construction de la partie métallique de la galerie, tandis que les maçonneries et les terrassements sont confiés à d'autres entrepreneurs (Audraud et Jullien). Ce projet imposant, couvrant 500 mètres de long sur 15 mètres de large, nécessite l'utilisation de 30 000 kilogrammes de fer."
"C'est à l'occasion de ces réalisations que
Gustave Eiffel reçoit la Légion d'honneur, le 1er mai 1878. Il est fait officier le 2 avril 1899."
« L’Exposition de 1889 est prévue comme une célébration du centenaire de la Révolution française et, par extension, de la chute de la monarchie ; plusieurs puissances monarchiques refusent alors d’y envoyer une délégation officielle. Elle vise non seulement à mettre en valeur le meilleur de l’industrie et de l’artisanat français, mais elle est aussi l’occasion pour la France de se repositionner en tant que puissance militaire majeure et grand empire colonial. »
« Destinée à être le théâtre d’exploits techniques et de prouesses architecturales, cette Exposition doit marquer les esprits. »
« C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’une tour de trois cents mètres. »
« Ce projet ambitieux n’est pas nouveau. La première initiative est celle de l’ingénieur anglais Richard Trevithick en 1833, suivie de celle de deux ingénieurs américains, Clarke et Reeves, qui imaginent en 1874, pour l’Exposition de 1876 à Philadelphie, une tour de mille pieds (environ 300 mètres). Mais ces projets sont abandonnés. »
« En juin 1884, Maurice Koechlin et Émile Nouguier, tous deux ingénieurs employés d’Eiffel, conçoivent un avant-projet de « pylône de 300 mètres » qu’ils présentent à Gustave Eiffel. D’abord peu convaincu, Eiffel change d’avis lorsque l’architecte Stephen Sauvestre lui apporte des améliorations esthétiques (arcs décoratifs, ajout de salles vitrées aux deux premiers étages pour recevoir du public). »
« Dans le même temps, un autre concept de tour émerge : celui imaginé par l’architecte Jules Bourdais qui propose de construire un phare monumental de 370 mètres de haut, baptisé la Colonne Soleil. »
« Artistes et journalistes prennent rapidement position en faveur de l’un ou l’autre des projets concurrents, présentant parfois le duel entre la tour de pierre et celle de fer comme un combat des architectes contre les ingénieurs – une opposition en fait à nuancer. »
« Eiffel, fermement convaincu de la viabilité de ce projet, se lance pleinement dans l’aventure. En décembre 1884, il procède à l’acquisition des brevets détenus par ses ingénieurs, mobilisant également ses contacts dans les cercles des ingénieurs, du monde financier et du milieu politique pour soutenir son entreprise. »
« En fer contre le vent »
« Le paysage parisien ne serait aujourd’hui pas le même sans la silhouette de la tour Eiffel. Symbole d’une « Belle Époque » industrielle, clou de l’Exposition universelle de 1889, monument dédié à la science autant que de science, quelle est la place de la tour dans l’histoire des savoirs et des techniques ? »
« L’annonce d’une exposition universelle prévue à Paris en 1889 pour célébrer le centenaire de la Révolution suscite de nombreuses initiatives. »
"Le viaduc de Garabit, qui franchit la vallée de la Truyère dans le Cantal à une hauteur vertigineuse de 122 mètres, constitue une autre prouesse de Gustave Eiffel. Inspirée du viaduc Maria Pia à Porto, l'arche principale adopte la forme d'un arc métallique désormais célèbre sous le nom d'arc parabolique (système Eiffel). Avec une portée de 165 mètres, cette arche détient le record de la plus grande portée au monde lors de sa construction entre 1880 et 1884."
« Les ingénieurs Émile Nouguier et Maurice Koechlin, s’inspirant notamment des pylônes du viaduc de Garabit (achevé en 1884), proposent à leur patron Gustave Eiffel un projet de tour en fer de 300 mètres, une hauteur inouïe pour l’époque. Le choix du fer s’impose pour proposer une construction légère mais robuste et limitant la surface au vent, principal risque anticipé pour l’édifice. »
« Retravaillé par l’architecte Stephen Sauvestre, le projet avec les calculs des ingénieurs est présenté publiquement par Eiffel en 1885. S’il suscite quelques réactions outrées dans le milieu des architectes et des artistes, il séduit le ministre du Commerce, Édouard Lockroy, en tant que symbole du progrès technique qu’il entend promouvoir à l’exposition. »
« Le 20 mai 1885, lors d’une réunion à la Société des ingénieurs civils, Eiffel explique que l’idée de construire une tour en fer a émergé des études conjointes menées sur les grandes structures métalliques des viaducs. Il est à noter que l’assemblage de l’arche de Garabit a été achevé un an auparavant, faisant de ce viaduc un véritable « laboratoire » pour les techniques qui vont être utilisées dans la tour. »
« En défendant l’utilisation du fer et en exposant les calculs démontrant la solidité de sa tour, Eiffel remet indirectement en question la crédibilité technique du projet de son rival, Jules Bourdais. »
« En outre, Eiffel réussit à obtenir un entretien privé avec le nouveau ministre du Commerce et de l’Industrie, Édouard Lockroy. Lors de cette rencontre, il affirme pouvoir financer entièrement le projet, en échange d’une concession d’exploitation, et garantit être le seul capable de livrer la tour dans les délais impartis. »
« En 1886, des décisions cruciales sont prises : le 1er mai, le Journal officiel publie le règlement du concours d’architecture. Un article du programme invite les participants à « étudier la possibilité d’élever sur le Champ-de-Mars une tour en fer à base carrée, de 125 mètres de côté à la base et de 300 mètres de hauteur », ce qui fait clairement référence au projet d’Eiffel. »
« La compétition est redoutable, avec 107 propositions soumises. Gustave Eiffel remporte le premier prix ex aequo avec Ferdinand Dutert et Jean Camille Formigé. Dutert se voit confier la construction du palais des Machines, Formigé celle des palais des Beaux-Arts et des Arts libéraux, tandis qu’Eiffel se voit attribuer la tour de 300 mètres. Sa proposition est jugée la seule techniquement viable par la commission d’experts, formée le 12 mai pour examiner les projets. »
La "conception de la tour donne lieu à l'élaboration d'un nombre très important de dessins, notamment plus de 200 dessins d'exécution, transmis à Victor Contamin, ingénieur en chef du contrôle à la direction des travaux, entre mars et septembre 1887. Ces dessins sont soumis à son approbation, conformément aux dispositions de la convention établie le 8 janvier 1887, qui régit la construction et l'exploitation de la tour."
« Les discussions sur les modalités de construction et d’exploitation de la tour se poursuivent laborieusement jusqu’au 8 janvier 1887 et la signature d’une convention, établissant les modalités de financement et d’exploitation de la tour, tout en fixant son emplacement définitif au Champ-de-Mars, entre le ministre Édouard Lockroy, Eugène Poubelle, préfet de la Seine, représentant la Ville de Paris, et Gustave Eiffel. Ce dernier s’engage ainsi à ériger une tour de 300 mètres avant l’ouverture de l’Exposition. En contrepartie, il reçoit une subvention d’un million et demi de francs ainsi que l’autorisation d’exploiter la tour pendant toute la durée de la manifestation et les vingt années suivantes, à compter du 1er janvier 1890. »
« Pour certains architectes, peintres ou encore écrivains, la tour est perçue comme « inutile et monstrueuse ». Le 14 février 1887, une pétition contre la construction de la tour est publiée dans le journal Le Temps. Alerté par le rédacteur du journal, Eiffel apporte une réponse qui paraît le même jour. Dans son argumentaire, il fait valoir que cette protestation est tardive car tous les contrats sont déjà conclus. D’ailleurs, le chantier de la tour a déjà débuté quelques semaines plus tôt, le 28 janvier 1887. »
« Un chantier au défi de la hauteur »
« Le chantier de construction de la « Tour de 300 mètres » n’innove pas : il recourt à des techniques éprouvées depuis le milieu du 19e siècle. Il bénéficie de plus de l’expérience, tant humaine que méthodologique, des précédents chantiers d’Eiffel. »
« Les opérations sont menées du 28 janvier 1887 au 31 mars 1889, malgré deux interruptions en 1888 en raison des revendications salariales des ouvriers et de leurs préoccupations concernant les conditions de sécurité sur le site, et même si des travaux se poursuivent après cette date retenue pour l’inauguration officielle de la tour. » Transcription de la pétition ci-contre des ouvriers demandant l’établissement de filets protecteurs, novembre 1888 : « Les soussignés, considérant les accidents journaliers et quelquefois multiples dans une même journée qui se produisent dans la construction de la tour Eiffel, invitent instamment M. le Préfet de Police à faire respecter l’ordonnance qui prescrit aux entrepreneurs de travaux l’établissement de filets protecteurs. »
« Le chantier de construction de la « tour de 300 mètres » n’innove pas : il recourt à des techniques éprouvées depuis le milieu du 19e siècle. Il bénéficie de plus de l’expérience, tant humaine que méthodologique, des précédents chantiers des établissements Eiffel, appliquée cette fois à un projet qui n’a d’autre ambition que d’être le plus haut du monde... et d’être terminé à temps pour l’ouverture de l’Exposition, le 5 mai 1889. »
« La première difficulté à surmonter est celle des fondations, en fonte et en maçonnerie, élément essentiel pour assurer la stabilité de l’édifice. En effet, l’emplacement finalement retenu pour la tour dans la convention, une partie du Champ-de-Mars appartenant à la Ville de Paris, est en bordure de la Seine. Pour les deux piles les plus proches du fleuve, Eiffel et ses ingénieurs recourent donc à des caissons à air comprimé* pour creuser les fondations des piles les plus proches de la Seine. »
« Le travail est harassant : les efforts faits par les ouvriers en milieu sous pression, puis les effets de la décompression à leur sortie, provoquent le fameux « mal des caissons » qui se caractérise par des malaises. »
« Venu le temps du montage, la caractéristique du chantier est son organisation millimétrée. La tour est en fait une construction « en kit ». Les ingénieurs calculent les dimensions et dessinent au millimètre près les pièces nécessaires. Les éléments de la charpente métallique, en fer puddlé*, sont fabriqués et prémontés aux ateliers d’Eiffel à Levallois-Perret puis transportés jusqu’au Champ-de-Mars. Sur place, des grues mobiles aident à la manutention, d’abord placées au niveau des futurs emplacements des ascenseurs, puis suivant l’élévation de la tour, et les ouvriers procèdent aux derniers assemblages par rivetage*. Plus de 18 000 pièces en fer et 2 millions et demi de rivets sont utilisés lors du chantier, où travaillent environ 250 employés d’Eiffel, permanents ou journaliers. »
« Le fer puddlé (de l’anglais to puddle, brasser) est issu de l’affinage de la fonte (alliage de fer et de carbone), qui permet d’en réduire la quantité de carbone, selon un procédé mis au point en Grande-Bretagne à la fin du 18e siècle. Il est moins fragile et plus robuste que la fonte ; il est aussi moins cher et plus lourd que l’acier, même s’il est moins résistant. Son usage caractérise l’industrie métallurgique du 19e siècle, car sa préparation ne nécessite que de la houille (et non plus du charbon de bois) et il est très adapté au rivetage. Il s’efface progressivement face à l’acier à partir de la fin du siècle. Le fer qui a servi pour la tour vient de Lorraine. »
« Le rivetage est l’assemblage de deux pièces grâce à un rivet, un élément métallique en forme de tige cylindrique, dotée d’une tête, passant par un trou fait dans chacune d’entre elles. Le procédé est largement répandu au 19e siècle avant la diffusion de la soudure. Sa pose fait intervenir plusieurs types d’ouvriers : le « chauffeur » chauffe le rivet sur une forge portative ; le « teneur de tas » et le « teneur de bourderolle » le maintiennent avec des outils spécifiques, chacun d’un côté, après l’avoir introduit dans le trou d’assemblage ; le « riveur » vient frapper l’extrémité chauffée du rivet afin de constituer une seconde tête, fixant ainsi l’assemblage. Deux millions et demi de rivets ont ainsi été posés, par tous les temps, lors du chantier de la tour. »
« Pour permettre le creusement des fondations des piles les plus proches de la Seine, Gustave Eiffel recourt à une technique mise au point au milieu du 19e siècle et qu’il a lui-même expérimentée, dès le début de sa carrière, sur le chantier du pont de Bordeaux. Le caisson à air comprimé est une enceinte étanche, dans laquelle l’eau est pompée et l’air maintenu sous pression, qui permet aux ouvriers de travailler au sec, y compris, comme au Champ-de-Mars, lorsqu’ils creusent un sol sablonneux sous le niveau du fleuve. »
« Un moment délicat du chantier est la jonction des quatre piles au niveau du premier étage. Des vérins placés sous les pieds de la tour permettent d’assurer au millimètre près l’ajustage des poutrelles métalliques. »
« Les ouvriers expérimentés, souvent des anciens des chantiers de Porto et de Garabit, travaillent au-dessus du vide, sur des structures métalliques en porte-à-faux, pour une durée de travail calée sur les heures de soleil et sous des températures très chaudes l’été (1888 est caniculaire) et glaciales l’hiver. Si les accidents graves sont rares sur le chantier, les blessures légères liées au maniement des marteaux, aux incidents de rivetage ou à la chute d’outils, sont fréquentes : un tous les quatre jours en moyenne, malgré les précautions réelles prises par Eiffel et ses chefs d’équipe. Eiffel assure aussi à ses hommes des augmentations, en fonction du calendrier tenu, et des avantages, comme une cantine au premier étage de la tour, ce qui lui permet de mettre rapidement fin aux deux grèves qui sont lancées en 1888, au nom des revendications salariales et des préoccupations concernant la sécurité du chantier. »
« Contrairement à ce qui est souvent répété, les archives du service médical de l’Exposition montrent que plusieurs ouvriers ont trouvé la mort sur le chantier : Émile Desjardins, un jeune « chauffeur » de 15 ans tombé le 7 mars 1888 ; Emmanuel Barré, décédé des suites de ses blessures le 14 août 1888 après une lourde chute ; Lucien Béchlage (28 mars 1889) et Eugène Giron (1er avril 1889), deux sous-traitants ; Ange Scagliotti, pris dans une chaîne d’ascenseur le 24 m ai 1889, alors que les travaux se poursuivent après l’inauguration. »
« Le récit du décès d’un ouvrier ayant chuté en faisant visiter le chantier de la tour à sa fiancée semble être tout droit sorti de l’imagination de la presse de l’époque, à propos de l’accident de Scagliotti (et largement repris par la suite sans être vérifié…). Plusieurs ouvriers sont également victimes de fractures multiples, par exemple Félix Granjard, le premier ouvrier à s’être grièvement blessé en tombant de la tour le 10 août 1887, qui survit à sa chute et reprend le travail après son rétablissement. »
« Le dernier défi, le plus épineux en tout cas, est celui de l’installation des ascenseurs, prévus pour assurer l’accès du public d’étage en étage jusqu’au troisième étage dans les meilleures conditions. Leur mise en service s’avère délicate : ils ne sont pas encore en place le jour de l’inauguration ! »
"La construction, achevée en deux ans, deux mois et cinq jours, comprend un appartement au troisième étage réservé à Gustave Eiffel, avec un salon-salle à manger, une cuisine, une salle de bain. Cet espace, bien que principalement dédié aux installations techniques (ascenseur et escalier), sert également de laboratoires où Eiffel mène des recherches scientifiques avant-gardistes."
« Après le succès de la tour lors de l’Exposition de 1889, Gustave Eiffel doit démontrer son utilité. En effet, à l’expiration de sa concession en 1910, la tour pourrait être détruite, comme le sont la plupart des structures érigées pour les expositions. »
« La tour est un monument dédié à la science : au premier étage, Eiffel a fait inscrire en lettres d’or les noms de 72 savants français, d’Arago à Vicat en passant par Gay-Lussac ou Le Verrier. »
« Afin de justifier sa préservation à long terme, Eiffel la transforme en un véritable laboratoire scientifique. Il offre gracieusement son accès aux chercheurs pour leurs expérimentations et y effectue lui-même des recherches dans les domaines de la météorologie, de l’aérodynamique et de la radiotélégraphie. »
« Gustave Eiffel a défendu, dès la présentation du projet, l’utilité que pourrait présenter un édifice d’une telle hauteur pour de nouvelles expériences scientifiques. L’appartement qu’il a fait installer au troisième étage de la tour comporte ainsi plusieurs laboratoires. Un observatoire météorologique y est implanté pendant l’Exposition de 1889. Eiffel lui-même y procède à des expériences sur la chute libre et l’aérodynamisme, avant de déplacer son laboratoire à Auteuil. »
« Dès la fin de la construction de la tour, l’une des premières initiatives de Gustave Eiffel est de collaborer avec le physicien Éleuthère Mascart pour placer une station d’observation météorologique au sommet. De 1906 à 1912, il en publie les relevés à ses frais. Cette contribution a favorisé les progrès de la météorologie naissante en démontrant l’importance de collecter des données sur de longues périodes. »
« Eiffel s’intéresse également aux effets du vent sur les structures. En 1903, il installe un câble vertical entre le deuxième étage de la tour et le sol pour étudier la chute libre d’objets. Cette expérience permet d’évaluer la résistance de l’air pendant leur descente. En 1909, il construit une soufflerie au pied de la tour pour simuler le vent autour de formes fixes, facilitant les mesures et offrant la possibilité de contrôler la vitesse du vent. La tour et son laboratoire ont ainsi contribué aux progrès de l’aérostation (ballons et dirigeables) et de l’aviation émergente. En 1912, la soufflerie est déplacée dans un bâtiment permanent à Auteuil, où elle est toujours opérationnelle ».
« Des essais de signalisation lumineuse sont réalisés par l’armée : la lumière de la tour est alors visible jusqu’à Bar-sur-Aube, à plus de 200 km de Paris. Mais c’est le succès des expériences de transmission par ondes radio, initiées par Eugène Ducretet et Ernest Roger et poursuivies, pour leurs applications militaires, par le capitaine Ferrié qui confirme le potentiel stratégique de la tour… et la protège définitivement de la destruction. »
« La télégraphie sans fil (TSF) a joué un rôle décisif dans l’histoire de la tour Eiffel en assurant sa sauvegarde. En 1898, les scientifiques Eugène Ducretet et Ernest Roger réussissent à établir une première liaison par TSF entre la tour et le Panthéon. En 1903, Gustave Eiffel met la tour à la disposition du capitaine Ferrié pour étudier les applications militaires de la TSF. Les efforts de Gustave Ferrié permettent d’établir des liaisons réussies avec l’Est de la France en 1906, puis les côtes algériennes en 1908. Dès lors, la tour gagne une importance stratégique et Eiffel obtient une prolongation de sa concession. »
« Après le succès de la TSF dans le domaine militaire, son usage est étendu à des fins civiles. La tour est également équipée dans l’entre-deux-guerres d’antennes pour la radio puis la télédiffusion à destination du grand public. À partir de 1921, Ferrié mène des expérimentations dans le domaine de la radiodiffusion. Ces premières tentatives fructueuses conduisent à l'inauguration officielle de Radio Tour Eiffel en 1922, proposant chaque jour un bulletin d’information, des prévisions météorologiques et un concert. La radio étoffe progressivement ses programmes pour offrir une gamme variée d'émissions, au point que les organismes utilisant le poste de la tour Eiffel doivent harmoniser les priorités et les horaires de diffusion. »
« Après-guerre, sa vocation touristique s’affirme. Pour autant, c’est toujours la convention de 1887, plusieurs fois prolongée, qui assure le cadre juridique et économique de son exploitation jusqu’en 1980. »
« Que retenir ? »
« Synthèse de conceptions, de procédés et de techniques éprouvés de son temps, la tour Eiffel n’en représente pas moins une prouesse industrielle majeure. Destinée à n’être que l’attraction éphémère de l’Exposition universelle du centenaire, elle est restée le monument le plus élevé du monde pendant quarante-deux ans avec ses 312 mètres.
»
« Outre son utilisation dans diverses expériences scientifiques, la tour a joué un rôle stratégique pendant la Première Guerre mondiale et a offert aux Français des divertissements culturels sans précédent. Elle est surtout devenue le symbole de Paris et de la France. »
« Bien que son exploitation n’ait initialement été concédée à Eiffel, et à la société qu’il met en place à cet effet, que pour une durée de vingt ans, la tour n’a pas été démolie. De renouvellement en prolongation pour compenser les réquisitions des périodes de guerre, la convention signée le 8 janvier 1887 est restée en vigueur jusqu’en 1980, date à laquelle l’exploitation est reprise par la Ville de Paris, par le truchement de plusieurs sociétés d’économie mixte. »
Autour de l'exposition
« Pour prolonger l’exposition, un cycle de conférences s’est tenu de septembre à décembre 2024, aux Archives nationales, à l’Hôtel de Soubise.
• Samedi 21 septembre 2024, 11 h
Le premier chantier de Gustave Eiffel : le pont de Bordeaux
par Myriam Larnaudie-Eiffel
• Samedi 30 novembre 2024, 14h30
Gustave Eiffel : avant la Tour, les ponts !
par Claire Guitton et François Blanchetière
• Samedi 23 novembre 2024, 14h30
Gustave Eiffel, l’aérodynamicien
par Martin Peter
• Samedi 7 décembre 2024, 14h30
Radio et télévision. Comment la tour Eiffel est redevenue moderne et populaire (1920-1937)
par Agnès D'Angio-Barros »
« Eiffel, la guerre des tours »
Arte diffusa le 18 novembre 2023 à 20 h 50 «
Eiffel, la guerre des tours », documentaire français de Mathieu Schwartz et Savin Yeatman-Eiffel.
"À l’occasion du centenaire de la mort de Gustave Eiffel (1832-1923) dont ils revisitent la carrière, le film de Mathieu Schwartz et Savin Yeatman-Eiffel, un descendant du célèbre ingénieur, explore cette période charnière au travers d'un matériau foisonnant : scènes de reconstitution, archives, animations graphiques et entretiens avec des spécialistes (historiens, architecte, ingénieure, biographes…)"
« Disparu il y a cent ans, Gustave Eiffel a livré bataille pour imposer sa fameuse tour, la plus haute du monde en son temps. Ce documentaire passionnant replace cette lutte dans le contexte de transformation radicale de l’époque, en revisitant la carrière de l’ingénieur visionnaire. »
"Pour imposer sa tour, devenue le symbole de Paris, l’ingénieur Gustave Eiffel a ferraillé avec l’architecte Jules Bourdais et son projet de colonne en pierre".
"Au-delà des ego, cette « guerre des tours », qui s’inscrit dans une course mondiale au gigantisme, cristallise le conflit entre industrie et beaux-arts, entre partisans du progrès et tenants de la tradition."
« En mai 1884, le Tout-Paris des bâtisseurs est en émoi : le gouvernement vient d’annoncer la tenue d’une Exposition universelle dans la capitale en 1889, à l’occasion du centenaire de la révolution. »
« Alors que le pays organisateur se doit de dévoiler un édifice d’exception pour cette fête du progrès, l’idée d’ériger une tour de mille pieds (300 mètres) s’impose dans les esprits. »
« Deux hommes vont alors s’affronter : Jules Bourdais, le célèbre architecte du palais du Trocadéro – détruit en 1937 –, et l’ingénieur Gustave Eiffel, auquel on doit déjà le viaduc de Garabit ou la gare de Budapest. »
« Le premier veut bâtir un gigantesque phare en pierre pour éclairer Paris, le second a imaginé une audacieuse tour en fer – un matériau inédit pour un bâtiment de prestige. »
« Début 1886, leur duel, d’abord médiatique, se déplace sur le terrain politique. Si Bourdais a le soutien du président du Conseil Charles de Freycinet, Gustave Eiffel trouve l’argument imparable pour convaincre Édouard Lockroy, le nouveau ministre de l’Économie, de choisir son projet : il s'engage à prendre en charge les frais de construction en échange d’une concession de dix ans. »
« Fin mai 1886, le concours biaisé qui le couronne provoque un tollé dans la presse. Mais malgré les difficultés techniques (le terrain est gorgé d’eau) et les attaques répétées des opposants au projet (emmenés par l’architecte Charles Garnier), l’ingénieur remporte son pari : le 31 mars 1889, la tour Eiffel est inaugurée en temps et en heure, et attire deux millions de visiteurs en six mois. »
« Ce succès n’empêche pas le monument d’être menacé de destruction à l’issue de la concession, finalement de vingt ans. »
« C’est son usage militaire, via la télégraphie sans fil, qui le sauvera définitivement. »
« Pour élever et préserver sa tour, devenue un emblème national, Gustave Eiffel a dû ferrailler. »
« Au-delà des ego, son duel avec Bourdais, qui s’inscrit dans une course mondiale au gigantisme, cristallisa le conflit entre industrie et beaux-arts, entre partisans du progrès et tenants de la tradition. »
LES PROTAGONISTES
Édouard Lockroy (1838-1913)
« secrétaire d’Ernest Renan, compagnon d’armes de Garibaldi, défenseur des Communards, est élu député en 1871. À partir de 1886, il participe régulièrement au gouvernement, souvent comme ministre de la Marine. Mais c’est lors de son bref passage au ministère du Commerce qu’il apporte un soutien décisif à Eiffel, en organisant un concours qui le favorise très largement. »
Eugène Poubelle (1813-1907)
« est préfet de la Seine de 1883 à 1896 et dirige l’administration de la Ville de Paris. On retient de son mandat les réglementations en matière de gestion des ordures – avec l’obligation de déposer les déchets dans une boîte fermée, que les Parisiens baptisent de son nom – et du tout-à-l’égout. Mais il est aussi le premier à autoriser les femmes à s’inscrire au concours de l’internat de médecine. »
Maurice Koechlin (1856-1946)
« rejoint l’entreprise d’Eiffel en 1879 en tant que chef du bureau des études. Ayant participé au projet du viaduc de Garabit, il dessine l’ossature métallique de la statue de la Liberté de Bartholdi. Il dresse la première ébauche de la « tour de 300 mètres » en fer en juin 1884, qu’il affine avec l’aide de Nouguier puis de Sauvestre. Il prend la tête de la Société de construction de Levallois-Perret après le départ de Gustave Eiffel en 1893. »
Émile Nouguier (1840-1897)
« entre au service de Gustave Eiffel en 1876 et s’illustre dans plusieurs de ses plus fameux chantiers, tels le viaduc de Garabit ou le pont sur le Douro à Porto. Mais son oeuvre la plus célèbre demeure la « tour de 300 mètres », qu’il conçoit avec Koechlin et Sauvestre. Il quitte les établissements Eiffel en 1893 pour fonder son propre bureau d’études. »
Eugène Ducretet (1844-1915)
« conçoit des instruments de précision à destination des établissements scientifiques et industriels. Il recrute en 1887 l’ingénieur Ernest Roger (1864-1943). Travaillant tour à tour à l’application des rayons X ou aux usages de l’électricité, ils mettent au point un équipement de télégraphie sans fil en 1898, qu’ils testent par une première transmission entre la tour Eiffel et le Panthéon. »
Stephen Sauvestre (1847-1919)
« architecte, donne au projet imaginé par Koechlin et Nouguier la silhouette qu’on lui connaît, en incurvant ses courbes, en prévoyant des plateformes à plusieurs niveaux et en ornant ses piles d’un arc. Il conçoit aussi pour l’Exposition plusieurs pavillons dont le palais des Colonies et le pavillon du Nicaragua. »
Gustave Ferrié (1863-1932)
« officier du génie, est missionné en 1900 par le ministre de la Guerre Freycinet pour développer un système de télégraphie sans fil (TSF) à l’usage de l’armée. Il propose alors l’installation d’une antenne sur la tour, une idée soutenue par Eiffel lui-même. La valeur stratégique de cette installation ayant été démontrée lors de la guerre de 1914-1918, Ferrié étend dans les années 1920 ses expérimentations à la radiodiffusion. »
« Que dit la convention ? »
« Entre M. Édouard Lockroy, ministre du Commerce et de l’Industrie, commissaire général de l’Exposition universelle de 1889, agissant au nom de l’État ; M. Eugène Poubelle, préfet de la Seine, agissant au nom de la Ville de Paris […], d’une part ; Et M. Eiffel, ingénieur-constructeur […], agissant en son nom personnel, d’autre part ;
Ont été faites les conventions suivantes :
ARTICLE PREMIER
M. Eiffel s’engage […] à construire […] au Champ de Mars, la Tour en fer de 300 mètres de hauteur faisant partie des constructions de l’Exposition, dont le dessin et le devis sont annexées à la présente convention. Cette Tour devra être achevée et mise en exploitation à l’ouverture de l’Exposition de 1889.
ARTICLE 2
La Tour sera édifiée dans une partie du Champ de Mars mise à cet effet à la disposition du Ministre du Commerce et de l’Industrie par la Ville de Paris […].
ARTICLE 4
L’entreprise comprendra les fondations en sous-sol, les soubassements en maçonnerie, l’ossature métallique complète, la construction et l’aménagement intérieur des salles des étages […].
La Tour sera construite conformément aux avant-projets qui ont été soumis à la commission spéciale nommée par M. le Ministre du Commerce et de l’Industrie […]. Le projet sera d’ailleurs complété au point de vue de l’électricité atmosphérique […].
ARTICLE 6
Dans ces conditions M. Eiffel sera chargé des études définitives et de l’exécution complète de la Tour [… et] devra faire approuver tous les projets de détail et notamment ceux des ascenseurs à employer dans l’intérieur de la Tour […].
Pour prix de ces travaux […]
il est accordé en paiement à M. Eiffel une somme de 1.500.000 francs sur les crédits alloués à l’Exposition […]. Pendant toute la durée de l’Exposition, M. Eiffel exploitera à son profit et à ses risques et périls ladite construction de la manière qu’il jugera la plus conforme à ses intérêts, tant comme ascension du public que comme installation de restaurants, cafés, etc. Il restera notamment maître de la fixation des tarifs à appliquer […].
ARTICLE 8
Dans le but de faciliter les expériences scientifiques ou militaires, M. Eiffel réservera à chaque étage une salle spéciale qui restera gratuitement à disposition des personnes désignées par le ministre commissaire général […].
Après l’Exposition […], la Ville deviendra propriétaire de la Tour […], mais M. Eiffel, en complément du prix des travaux, en conservera la jouissance jusqu’à l’expiration des 20 années qui compteront à dater du 1er janvier 1890 […].
La remise de la Tour sera faite […] en bon état d’usage et d’entretien […].
ARTICLE 12
Pendant toute la durée de son exploitation, M. Eiffel […] aura à payer à la Ville de Paris une redevance de 100 francs par an […].
ARTICLE 13
En cas de guerre ou de déclaration d’état de siège, l’État sera de plein droit substitué, activement et passivement, à M. Eiffel dans la jouissance de la Tour. […]
ARTICLE 14
M. Eiffel aura, à tout moment, le droit de former une société, soit pour la construction, soit pour l’exploitation de la Tour […].
Les présentes conventions faites en triples originaux à Paris, le 8 janvier 1887. »
26 janvier 1887 Démarrage du chantier et des fondations
1er juillet 1887 Début du montage des piles
1er avril 1888 Achèvement du premier étage
14 août 1888 Achèvement du deuxième étage
31 mars 1889 Achèvement du sommet et de la construction
LES CHIFFRES CLÉS
« • 2 ans, 2 mois et 5 jours (durée du chantier)
• 312 mètres de haut
• Plus de 18 000 pièces en fer
• 2 millions et demi de rivets utilisés
• 250 employés permanents et journaliers »
« Au cours du XIXe siècle, la barre des 300 mètres de haut devient l’objet d’une compétition entre grandes puissances, remportée par la France de Gustave Eiffel. Zoom sur cinq projets de tours avortés. Par Manon Dampierre. »
« En 1832, à Londres, Richard Trevithick, inventeur de la locomotive à vapeur, imagine une tour de 1 000 pieds composée de modules de fonte ajourés et assemblés par des boulons. La structure abrite en son centre ce qu’on appellera bientôt un ascenseur, propulsé à l’aide de vapeur sous pression. Mais ses plans à peine achevés, l’ingénieur succombe à une pneumonie… »
« Glass Tower
Fin 1851, le Crystal Palace, éblouissant édifice de verre et de métal bâti à Londres pour la première Exposition universelle, doit être démonté. L’architecte Charles Burton propose de réutiliser les matériaux pour ériger une gigantesque tour, qui s’affine en s’élevant. Le projet, précurseur des gratte-ciel de verre, ne convainc pas les promoteurs. Le Crystal Palace est transféré et agrandi ailleurs. »
Centennial Tower
« À l’occasion de l’Exposition universelle de Philadelphie en 1876, qui marque le centenaire de l’indépendance des États-Unis, les ingénieurs américains Clarke et Reeves, producteurs de fer et constructeurs de ponts métalliques, dévoilent un projet valorisant leur savoir-faire : un pylône cylindrique constitué de tubes de métal, renfermant une colonne centrale équipée d’ascenseurs. La tour ne verra jamais le jour, l’entreprise échouant à réunir le million de dollars nécessaire à sa construction. »
« Colonne-Soleil
Architecte renommé, Jules Bourdais concourt pour l’Exposition universelle de 1889 avec un phare en maçonnerie de 370 mètres de haut : sur un soubassement se dresse une tour ornée de colonnades, surmontée d’une plate-forme pouvant accueillir mille personnes et d’un système d’éclairage. Avec ce colosse de pierre, le rival d’Eiffel promet d’apporter la lumière dans les rues de Paris et même dans les appartements, grâce à des réflecteurs. Malgré ses relations, Bourdais perd son combat face au génie du fer. »
« Tour de Watkin
Piqués au vif par le succès de la France, Américains et Britanniques entendent la surpasser. L’homme d’affaires anglais Edward Watkin, qui a fait fortune dans les chemins de fer, décide d’installer une tour dans le nord de Londres. Après avoir sollicité en vain… Gustave Eiffel, il lance un concours dont le vainqueur propose une copie quasi conforme de la dame de fer parisienne. Alors que les travaux s’enlisent, Watkin ouvre le premier étage au public en 1894 afin de renflouer ses caisses. Mais l’édifice d’à peine 50 mètres se met à pencher, au point d’être abandonné… Il faudra attendre 1930 et le Chrysler Building pour que la tour Eiffel soit détrônée. »
Du 18 septembre 2024-6 janvier 2025 Hôtel de Soubise
60, rue des Francs-Bourgeois. 75003 Paris
Du lundi au vendredi : 10 h - 17 h 30
Samedi et dimanche : 14 h - 19 h
Visuels :
Affiche de la tour Eiffel (1889), F/12/3896
© Archives nationales de France
Convention relative à la tour Eiffel, 8 janvier 1887, F/12/3770
Archives nationales/Christelle Bordesoules
Rapport de l’inspecteur au contrôle des constructions métalliques sur la vérification de la verticalité de la tour, 4 janv. 1889, F/12/3896
Archives nationales/Rémi Champseit
Commissariat général de l’Exposition universelle de 1889. Décret du 8 novembre 1884 relatif à l’ouverture de l’Exposition universelle de 1889, F/12/3790/B
Archives nationales/Rémi Champseit
Le Figaro, édition spéciale imprimée à la tour Eiffel, 9 septembre 1889, F/12/3932/A
Archives nationales/Rémi Champseit
Élévation du viaduc de Garabit, dressée par M. Boyer, de concert avec G. Eiffel, 3 février 1880, F/12/3908
Archives nationales/Christelle Bordesoules
Mémoire de présentation du projet de tour de 300 mètres lu par Gustave Eiffel à la Société des ingénieurs civils le 20 mars 1885, F/12/3970
Archives nationales/Rémi Champseit
Mémoire de présentation du projet de tour de 300 mètres lu par Gustave Eiffel à la Société des ingénieurs civils le 20 mars 1885, F/12/3970
Archives nationales/Rémi Champseit
Commissariat général de l’Exposition universelle de 1889. Vue perspective du Champ de Mars, CP/F/12/4055/B/1P1
Archives nationales/Rémi Champseit
Pétition adressée au préfet de Police en novembre 1888 au sujet des accidents qui se produiraient sur le chantier de construction de la tour Eiffel et des mesures qu’il y aurait lieu de prendre pour éviter ces accidents, F/12/3896
Archives nationales/Rémi Champseit
Rapport de l’inspecteur au contrôle des constructions métalliques sur la vérification de la verticalité de la tour, 4 janv. 1889, F/12/3896
Archives nationales/Rémi Champseit
Tour Eiffel, diagramme de montage des ascenseurs, état d’avancement des travaux au 8 janvier 1888, F/12/3871
Archives nationales/Rémi Champseit
Commissariat général de l’Exposition universelle de 1889. Affiche de la tour Eiffel, F/12/3896
Archives nationales/Rémi Champseit
Convention relative à la tour Eiffel, 8 janvier 1887, F/12/3770
Archives nationales/Christelle Bordesoules
Charles Chambon - Pont de Bordeaux, vue perspective
© RMN (Musée d’Orsay) / Jean Schormans
Le pont Maria-Pia sur le Douro à Porto (Portugal), montage de l’arc
© RMN (Musée d’Orsay) / © Hervé Lewandowski
Le montage de la statue de la Liberté aux trois quarts du corps, dans les ateliers Gaget, Gauthier et Cie, à Paris, 1883
© Musée Bartholdi - Colmar. Reproduction Christian Kempf
Robert Delaunay - La tour Eiffel, 1926
© L & M services B.V. The Hague 20090103 / © Photo CNAC/MNAM, Dist. RMN. / © Droits réservés
V. Langonnet - Coupe de la soufflerie du laboratoire aérodynamique Eiffel rue Boileau
© Laboratoire aérodynamique Eiffel / CSTB /© Jean-Michel Seguin
A lire sur ce blog :
Cet article a été publié en une version plus concise dans le n° 612 (mai 2009) de
L’Arche et le 22 octobre 2009 sur ce blog. Il a été republié les 2 octobre 2013, et
- 23 décembre 2013, à l'approche de la diffusion de
La vraie raison de la Tour Eiffel, dans le cadre de
Brèves d'histoire, sur la chaîne Histoire, les 25 décembre 2013 et 13 janvier 2014, 13 décembre 2015 ;
- 10 mai et 5 août 2017, 16 décembre 2019, 15 novembre 2023.
Les citations proviennent d'Arte et des dossiers de presse des expositions.