vendredi 9 août 2024

L'ostrakon

Dans l'Antiquité notamment grecque, un ostracon ou ostrakon (coquille, en grec) et ostraca au pluriel, était une coquille d'huître, "un tesson de poterie ou un éclat de calcaire utilisé comme support d'écriture" temporaire.  Arte rediffusera le 15 août 2024 à 12 h 45, dans le cadre de « Faire l’Histoire par le prisme des objets », « L'ostrakon, un tesson d'argile pour voter l'exil » de Jean-Dominique Ferrucci.


"Les ostraca (au singulier ostracon, du grec « coquille ») sont des tessons de céramique, ou des éclats de pierre, que les scribes utilisaient comme brouillons ou comme simples supports occasionnels d’écriture ou de dessin". Un support non fait pour durer. Calame (roseau taillé en pointe), encre, incision... Tels étaient les modalités d'écriture sur les ostraca.

"Moins coûteux que le papyrus, des débris de vases ou de simples éclats de pierre constituaient des supports d'écriture courants en Égypte. Ces innombrables ostraca (du grec ostrakon, « coquille »), étaient utilisés pour noter des actes de la vie de tous les jours, lettres, documents administratifs, listes et comptes. Les écritures sont cursives : hiératique, puis démotique à partir du 7e siècle avant notre ère. Ce sont là des témoignages privilégiés de la vie quotidienne au temps des pharaons."

"À l'inverse des modèles hittite ou créto-mycénien, qui consacrent la mainmise du pouvoir sur l'écriture, c'est, en Grèce, l'écriture qui prend possession de la cité et en fait un lieu privilégié d'échange, de débat, de déploiement des savoirs. La pratique de l'ostracisme illustre bien le rôle indispensable de l'écriture dans le fonctionnement de la démocratie : chaque citoyen en effet pouvait une fois par an écrire sur un tesson, ou ostracon, le nom d'un personnage qui, d'après lui, prenait trop d'importance dans la vie publique. Si le même nom apparaissait plus de six mille fois, on éloignait d'Athènes pour dix ans l'intéressé. De cette manière, la cité se trouvait garantie par l'écriture du retour de la tyrannie".

"Dans le domaine juridique, l'écriture des lois bouleverse l'exercice traditionnel du droit : il se fait plus précis et moins arbitraire dès lors que les peines correspondant aux délits sont écrites et par là même immuables. Tout citoyen peut consulter décrets et lois, et poursuivre ceux qui ne s'y conforment pas. Devant la loi écrite, tous les citoyens sont égaux en droit."

Des fouilles archéologiques ont permis de découvrir des ostraca hébreux des royaumes de Juda et d'Israël. Des sources d'informations sur l'organisation de la société juive.

Les lettres de Lakish du VIe siècle constituent un corpus majeur d'inscriptions en hébreu ancien. Au nombre de 22, ces ostraca en alphabet paléohébraïque ont été découverts en Eretz Israël, alors Palestine mandataire, durant des campagnes de fouilles entre 1932 et 1938 par l'archéologue britannique James Leslie Starkey. Ils ont été "déchiffrés et publiés par le professeur Naftali Herz Tur-Sinai. Un ostracon additionnel a été découvert en 1966. Ces ostraca "ont été trouvés dans le niveau archéologique II qui correspond à la dernière phase du gouvernement judéen de la ville de Lakish avant sa destruction par l'armée babylonienne de Nabuchodonosor II en 586 av. J.-C.. Ils apportent d'importants renseignements sur la paléographie, l'orthographe, le vocabulaire et la grammaire de l'hébreu ancien. À l'époque du royaume de Juda, la ville de Lakish était la deuxième ville la plus importante après Jérusalem. Les ostraca de Lakish sont généralement des correspondances militaires qui traitent de problèmes administratifs, militaires et politiques. Ils reflètent l'atmosphère troublée qui règne en Juda à la veille de la campagne babylonienne. On trouve un écho de cette situation dans le livre de Jérémie. Le style des lettres est elliptique car il fait allusion à un contexte supposé connu à la fois par l'auteur des lettres et leurs destinataires mais qu'il est difficile de reconstituer aujourd'hui. Les ostraca 1-15 et 18 proviennent d'une pièce adjacentes à la porte extérieure de la ville. Il s'agissait peut-être d'une salle de garde où arrivaient les messages pour le commandant de la forteresse. À trois reprises, le destinataire des lettres est un certain Yaosh (יאוּש). Compte tenu du contexte, il peut s'agir du commandant de la forteresse. Les lettres donnent un aperçu des formules de salutations en usage telle que ישמַע יהוה את אדֹנִי שמֻעֹת טֹב עָתָ כּיֹם « puisse Yahweh faire entendre à mon maître de bonnes nouvelles maintenant » (ostracon 8) ou des formules épistolaires d'un subordonné s'adressant à son supérieur מי עבדך כּלב כּי (my `bdk klb ky) « qui est ton serviteur (sinon) un chien que ... » (ostracon 6)1. Selon la Bible d'Oxford Annotée, la phraséologie de l'ostracon 6 est similaire à celle du verset 4 de Jérémie 38.

"L'ostracon 3 est une lettre de Hoshaiah à Yaosh. Elle fait allusion à une ambassade menée par le général Coniah fils d'Elnathan en Égypte. Des tractations semblent avoir pour but d'obtenir une aide militaire face à l'invasion babylonienne. Cette lettre fait écho au livre de Jérémie qui indique l'existence d'un parti pro-égyptien à la cour de Juda. Jérémie mentionne aussi un certain « Elnathan fils d'Achbor » en lien avec l’Égypte. Ce dernier y est envoyé par le roi Joaqim pour arrêter le prophète Ouriah. Il est possible que cet Elnathan soit le père de Coniah, même si rien dans l'ostracon ne permet de relier l'ostracon au récit de Jérémie. Un passage obscur fait aussi référence à la mise en garde d'un prophète non nommé mais qui pourrait rendre compte des divisions dans le choix de la politique à mener dans la situation de crise où se trouve le royaume. L'ostracon 4 se situe dans le contexte de la dernière phase de la campagne babylonienne. Il semble faire allusion à l’abandon d'un avant-poste judéen nommé Beth-harapid, et peut-être à la chute d'Azéqa. Selon Jérémie, Lakish et Azéqa sont les principales forteresses de Juda et ce sont les dernières encore aux mains des Judéens à la veille de la chute de Jérusalem."

D'autres ostraca ont été trouvés à Arad (Xe – VIe siècle avant l'ère commune) et de Samarie (VIIIe – VIIe siècle avant l'ère commune). Les inscriptions sont écrites en alphabet paléohébraïque. La forteresse d'Arad est située dans le désert du Néguev, près de Beersheba. "A l'Âge du Fer, la forteresse avait des murs en casemates de 5m d'épaisseur. La structure est protégée par deux tours. Un sanctuaire datant de la période du 7-8e siècle avant l'ère commune a aussi été découvert. Au centre de la cour du sanctuaire, en face du "temple" a été trouvé un autel. Ce sanctuaire de dimension plus petite apparait, pour les chercheurs, similaire à celui du temple de Jérusalem décrit dans la Bible hébraïque.  Le sanctuaire a été détruit durant le 8e siècle avant l'ère commune probablement à cause des réformes religieuses du roi Hezekiah (2 Livre des rois, 18:4, 22). Plus de 100 ostraca inscrites en hébreu ancien ont été trouvées dans la citadelle. Une des ostraca datant du 7e siècle avant l'ère commune mentionne probablement la fonction de ce site secret: "peu importe comment tu m'as commandé: tout va bien dans la maison de Y w H".

Un débat concerne l'ostracon de Khirbet Qeiyafa (Xe siècle) : s'agit-il d'épigraphie hébraïque ou cananéenne ? 

"Y avait-il des écoles dans l'ancien Israël ? Diverses découvertes épigraphiques ont mis en valeur un genre littéraire d'inscriptions relativement nouveau en épigraphie paléohébraïque : celui des "exercices scolaires". Ces découvertes renouvellent la problématique quant à l'existence et au fonctionnement des écoles dans l'ancien Israël…  Ici, des ostraca (un ostracon -au pluriel ostraca- est, dans l’Antiquité, un tesson de poterie ou un éclat de calcaire utilisé comme support d'écriture). L'ostracon no. 99 de Arad (dessin du haut) est considéré comme un exercices d'écolier : le nom de la ville d'Arad a été incisé plusieurs fois après cuisson sur une assiette du VIIIème siècle avant notre ère. Le nom est écrit tantôt de droite à gauche et tantôt de gauche à droite; les formes des lettres sont très grossières. Ces caractéristiques sont révélatrices de l'œuvre d'un débutant qui a encore du mal à identifier les formes des lettres. L'ostracon de Lachish (en bas) est daté de la même période : bien que l'interprétation de ces incisions soit moins assurée, on est tenté d'y voir aussi des exercices d'écolier."

"Les ostraca sont des textes écrits sur des fragments de poterie, qui étaient utilisés lorsque le parchemin n'était pas disponible ou trop cher. À Épiphane, un grand nombre d'ostraca ont été découverts dans le monastère, y compris dans ses tas d'ordures ; ils contiennent des versets bibliques, des documents juridiques, des sermons, des comptes financiers, des textes scolaires et des lettres de demande d'aide et de prières. Certains révèlent que, même à la frontière la plus méridionale de l'Empire, les gens étaient toujours au courant des événements dans la capitale, Constantinople. Il s'agit de l'un des plus grands ostraca coptes connus. Il contient deux sections de la Bible : la majeure partie de la plaidoirie finale de Job pour le retour à sa vie antérieure et meilleure (Job 29,1-30,7) et la description de la maladie et de la guérison d'Ézéchias (Isaïe 38,1-20), deux événements survenus par la grâce de Dieu."

« L'ostrakon, un tesson d'argile pour voter l'exil »
« Proposé par Patrick Boucheron, « Faire l'histoire (Geschichte schreiben) - Par le prisme des objets », rendez-vous d'histoire, aborde l'histoire par le prisme des objets. » 

« Chaque semaine, des historiennes et des historiens nous racontent la destinée d'un objet, associant récit et analyse. Tout peut « faire l'histoire » : objets en série, génériques, objets uniques, fétiches, matériaux et documents. »

Arte rediffusera le 15 août 2024 à 12 h 45, dans le cadre de « Faire l’Histoire par le prisme des objets », « L'ostrakon, un tesson d'argile pour voter l'exil » de Jean-Dominique Ferrucci.

« Ostracisme, voilà un terme bien savant et pourtant d’usage encore courant dans notre vocabulaire politique contemporain et qui désigne l’exclusion ». 

« Spécialiste de l’anthropologie politique de la Grèce ancienne, Paulin Ismard retrace la généalogie d’un rituel qui fonde la démocratie athénienne. »


« L'ostrakon, un tesson d'argile pour voter l'exil » de Jean-Dominique Ferrucci
France, 2020, 18 min
Coproduction : ARTE France, Les Films d’Ici
Réalisation : Tamara Erde, Jean-Dominique Ferrucci, Adrien Genoudet 
Magazine présenté par Patrick Boucheron et conçu avec Yann Potin, en collaboration avec Adrien Genoudet et Clément Fabre 
Sur Arte les 25/09/2021, 15 août 2024 à 12 h 45
Sur arte.tv du 12/05/2021 au 16/11/2024
Visuels : © Les Films d'Ici


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