lundi 19 août 2024

« En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) »

« À l’occasion des Jeux olympiques et Paralympiques de Paris 2024, les premiers organisés depuis cent ans dans la capitale, le musée Marmottan Monet présente l’exposition « En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) ». Durant la seconde moitié du XIXe siècle, le sport changea de statut social et culturel. Expression d'une modernité qu'ils exploraient, porteur de valeurs - goût de l'effort, respect des règles, sens du collectif, émulation -, médiatisé par la presse illustrée et les affiches, véhicule d'acculturation, favorisé par la conquête du temps libre et une vogue exaltant les corps sains et musclés, élément de sociabilité, il a intéressé les peintres impressionnistes (Édouard Manet, Claude Monet, Alfred Sisley, Edgard Degas ou Gustave Caillebotte) et post-impressionnistes


« Maison des collectionneurs et haut lieu de l’impressionnisme, le musée Marmottan Monet dresse, à travers ses collections, un portrait de la société de la seconde moitié du XIXe siècle qui prend peu à peu plaisir à profiter de son temps libre pour exercer des activités de loisirs sur terre ou sur l’eau et assister à des représentations sportives. Ces nouvelles pratiques dont la plupart ont été initiées sous le Second Empire, tiennent une place centrale dans la production du groupe impressionniste mêlant éléments naturels et modernité. Certaines toiles impressionnistes du musée et certains des carnets de dessins de Monet conservés in-situ témoignent de cet engouement qui se popularise. »

« Louise Abbéma, Pierre Bonnard, Antoine Bourdelle, Gustave Courbet, Honoré Daumier, Robert Delaunay, Maurice Denis, Thomas Eakins, Émile Friant, Théodore Géricault, Max Klinger, Aristide Maillol, Claude Monet, Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Auguste Renoir, Auguste Rodin, Félicien Rops, Paul Signac, Alfred Sisley et Kees Van Dongen sont quelques-uns des maîtres réunis pour célébrer l’intérêt des artistes pour le sujet sportif, sa modernité et ses changements sociétaux. »

« Le sport changea de statut social et culturel au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Il intéressa peintres, sculpteurs et photographes qui y virent l’expression d’une modernité qu’ils exploraient par ailleurs. D’origine aristocratique ou bourgeoise, teinté d’une anglomanie qui constitua la première voie de son acculturation internationale sur le continent européen et jusqu’aux États-Unis, il devint une activité continuant d’intéresser les élites le pratiquant dans l’entre-soi de ses sociabilités et de son temps libre. Hippisme, régates, lawn tennis et escrime furent quelques-uns des sports confondant les figures du sportman et du gentleman, dont les impressionnistes (Édouard Manet, Claude Monet, Alfred Sisley, Edgard Degas ou Gustave Caillebotte) tirèrent les sujets de leurs tableaux. »

« Mais, dans le même temps, la pratique sportive de plus en plus accessible aux masses populaires en quête de loisirs se démocratisa également. Honoré Daumier et Félicien Rops firent de cette découverte du sport par les catégories sociales qui en avaient jusqu’alors été tenues éloignées le prétexte de caricatures aussi drôles que cruelles. »

« Avec la conquête progressive du temps libre gagné sur le temps cadencé du travail et compté de la productivité, par les individus de condition modeste, c’est la société européenne qui, dans son ensemble, accéda au sport individuel (le cyclisme ou l’athlétisme) ou collectif (l’aviron, le football ou le rugby). Grâce au puissant écho public que lui offrirent la spectacularisation et la médiatisation par la photographie, l’affiche et la presse illustrée, le sport s’établit en une culture qui mua les sportsmen en sportifs, pour les consacrer en nouveaux héros modernes fascinant les foules. Au coeur de la période, Pierre de Coubertin inventa les Jeux olympiques dont la première édition se tint à Athènes en 1896 – en hommage à l’olympisme antique – et dont Paris accueillit les éditions de 1900 et 1924. En l’espèce, le sport moderne prit une dimension politique fondée sur une émulation entre les nations et sur la célébration d’un renouveau physique et moral, où la vitalité et la force des sportifs étaient traversées par des enjeux de genres et de races – l’homme blanc l’emportant in fine et pour longtemps sur la femme et sur tous les autres peuples. »

« L’exposition interroge les modalités culturelles et esthétiques du regard moderne que portèrent les artistes sur les sports archaïques ou modernes, dans l’attention qu’ils portèrent à leurs règles et leurs espaces (le plein-air des lutteurs, le stade des joueurs de ballon, le ring des boxeurs ou le vélodrome des coureurs cyclistes), aux sociabilités changeantes qui en furent le théâtre, aux champions, à leurs performances et l’expressivité de leurs corps préparés à la compétition. Là où la gymnastique n’était qu’une grammaire de mouvements gradués et normatifs excluant la rivalité, dont l’apprentissage se pratiquait essentiellement dans le cadre scolaire et militaire, le sport devenait une pratique de l’effort, de l’affrontement et du record, que sanctionnent les artistes à travers leurs œuvres inscrites dans l’iconosphère médiatique moderne. »

« Enfin, au-delà du développement du sport dans les sociétés occidentales à la flexion des XIXe et XXe siècles, la récurrence des sujets sportifs dans les arts des décennies 1870-1930 invite à s’interroger sur la signification de l’identification des artistes à la figure du sportif. Qu’ils en aient été des spectateurs passionnés (Henri de Toulouse-Lautrec) ou des praticiens aguerris (Paul Signac), ceux-ci ont sans doute reconnu comme leurs les qualités de détermination et d’endurance des sportifs aptes à se dépasser. Le lutteur, le boxeur et l’escrimeur ou le régatier ne peuvent-ils être considérés comme des autoportraits métaphoriques des artistes livrant des combats chargés de promesses de victoire et de reconnaissance ? »

« Plus de 160 œuvres et documents significatifs proviennent de collections privées et publiques d’Europe et des États-Unis (Peggy Guggenheim de Venise, Yale University Art Gallery de New Haven, Philadelphia Museum of Art, musée Fabre de Montpellier, Centre Pompidou, musée Bourdelle à Paris, musée d’Ordrupgaard au Danemark, Staatsgalerie de Stuttgart…).

« Cet événement a bénéficié de la participation exceptionnelle et plus que généreuse des institutions suivantes : le musée national du Sport de Nice qui prête à cette occasion 31 oeuvres, de l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance), du musée d’Orsay et des Beaux-Arts de Paris, du musée d’art et d’histoire Paul Éluard de Saint-Denis et de la National Gallery of Art de Washington. »

Le commissariat est assuré par Érik Desmazières, directeur du musée Marmottan Monet, associé de Bertrand Tillier, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, co-directeur du Centre d’histoire du XIXe siècle et directeur des Éditions de la Sorbonne, et d’Aurélie Gavoille, attachée de conservation du musée Marmottan Monet L’exposition « En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) » a reçu de la part du Comité d’organisation de Paris 2024, le label de l’« Olympiade culturelle ». L’Olympiade culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie jusqu’en septembre 2024 sur tout le territoire français.


PARCOURS DE L’EXPOSITION

« Passionné d’aviron qu’il pratiqua lui-même en amateur, Ferdinand Gueldry peignit à de nombreuses reprises, comme Thomas Eakins, les courses de rowing qui connaissaient alors une grande popularité sociale, comme le montre la foule des spectateurs qu’il n’omit pas de représenter. Son tableau montre la victoire, sanctionnée par l’arbitre, de l’équipe de la Société nautique de la Marne sur le Rowing club sur son adversaire britannique, lors d’une compétition organisée en 1882 sur la Seine, entre Boulogne et Suresnes. »

Des Jeux Antiques Au Sport Moderne
« Depuis l’Angleterre, le sport se diffusa tout au long du XIXe siècle sur le continent européen et jusqu’aux États-Unis, en traversant les frontières, les espaces sociaux et les appartenances culturelles. S’il s’agissait encore, à l’aube de la décennie 1840, d’une pratique élitaire, principalement aristocratique et bourgeoise, teintée d’une anglomanie qui contribua à son expansion internationale, le sport se démocratisa  durant la deuxième moitié du siècle. Qu’on s’y adonne par goût de l’effort ou qu’on le regarde en spectacle, il intéressa les masses en quête de loisirs et de temps libre conquis sur le travail cadencé et la productivité comptée. »

« Ce mouvement de transformation sociale du statut du sport qui vit se muer les sportsmen en sportifs croisa l’attention des artistes – en premier lieu les peintres et les graveurs, mais aussi les sculpteurs, puis les photographes enrôlés dans l’expansion de la presse illustrée –, qui portèrent leur regard curieux sur cet univers et ses règles, sur ses mutations et ses figures aux corps expressifs en lesquels ils identifièrent de nouveaux héros, emblématiques de l’ère du chronomètre. À l’heure du naturalisme et de l’impressionnisme, ils en tirèrent des sujets relevant de la vie moderne pour une poétique de la société contemporaine. Les avant-gardes du début du XXe siècle – fauvisme, cubisme et futurisme – poursuivirent l’exploration de ce pan de la modernité, dont les enjeux esthétiques croisaient désormais ceux, résolument politiques, d’un art de la compétition et de la prouesse, dont Pierre de Coubertin se saisit en 1896 pour fonder les Jeux olympiques en réinventant la tradition des olympiades antiques. »

« La fréquence des sujets sportifs dans l’art des décennies 1870 à 1930 mérite d’être interrogée pour ce qu’elle dit des valeurs attachées à ces pratiques individuelles ou collectives dans l’imaginaire des artistes qui, parfois, sont des sportifs aguerris. Alors qu’ils se trouvent eux-mêmes confrontés à des tensions ou des résistances pour que leur art soit accepté et finisse par s’imposer, ils doivent redoubler d’efforts, combattre et vaincre jusqu’à remporter la victoire. Sans doute une part de leur curiosité et de leur fascination pour le sport réside-t-elle dans cette identification aux qualités de détermination, d’endurance et de résistance des sportifs, qui font non seulement du lutteur, du boxeur ou de l’athlète, mais aussi du régatier, du rameur et du coureur autant d’autoportraits métaphoriques du peintre ou du sculpteur et de leurs combats où affleure une forme d’héroïsme. »

Sports anglais, loisirs français
« Dans la première moitié du XIXe siècle, les sports se pratiquaient dans des milieux sociaux où ils participaient d’une appartenance à l’aristocratie ou à la grande bourgeoisie, avec lesquelles contraste l’ironie des lithographies de Daumier et Rops. L’aisance matérielle et la libre jouissance de son temps étaient propices à ces activités de loisirs et d’agrément, pratiquées dans le plaisir de l’entre-soi social et culturel. Le sportman était donc un gentleman, passionné d’équitation, féru de régates ou d’aviron. Les impressionnistes, eux-mêmes souvent amateurs de canotage à la rame pratiqué dans les environs de Paris ou Namur et de régates à la voile courues sur les côtes normandes ou anglaises, furent des acteurs et des témoins privilégiés de ces sports nautiques. Leur attention témoigne aussi d’un moment où ces sociabilités sportives sélectes évoluaient vers des structures fédératives plus ouvertes et donc plus populaires organisant les grandes unions nationales qui, à compter des années 1880, furent chargées d’encadrer les entraînements et de réglementer les compétitions. »

« Dans ses tableaux, Thomas Eakins témoigne de sa fine connaissance du rowing qu’il pratiquait lui-même. Les postures identiques des deux athlètes – les frères John et Barney Biglin – et la similitude de leurs vêtements contribuent à suggérer la régularité parfaitement coordonnée des efforts cadencés qui leur assurèrent la victoire lors de la course des cinq miles organisée sur la rivière Schuylkill, à Philadelphie, le 20 mai 1872. La présence de leurs concurrents, Harry Coulter et Lewis Cavitt, est suggérée au premier plan par la coque effilée de leur embarcation. »

« Alfred Sisley exécuta ce tableau entre juillet et octobre 1874, durant un séjour en Angleterre, où il s’était rendu grâce au soutien financier du collectionneur, le baryton Jean-Baptiste Faure. La toile représente la Moseley Regatta, une compétition d’aviron fondée l’année précédente, qui se déroulait sur la Tamise, près de Hampton Court, dans le Surrey, en amont de l’écluse de Molesey. Les impressionnistes s’intéressèrent aux régates qu’ils représentèrent souvent, car ce sport de plein air, particulièrement spectaculaire, leur permit de renouveler le genre du paysage, en y intégrant les jeux de l’eau, de la lumière et des drapeaux claquant au vent, dans une atmosphère festive. Le tableau fut acquis par Gustave Caillebotte qui le légua à l’État en 1894, avec sa collection d’oeuvres impressionnistes. »

Internationalisation et démocratisation
« Au tournant des XIXe et XXe siècles, alors que s’internationalisaient définitivement les sports collectifs en atténuant leurs origines nationales – le football et le rugby anglais se pratiquaient désormais en France, en Allemagne ou en Italie –, coexistaient des sports élitaires (l’équitation, le lawn tennis ou l’escrime) avec des sports populaires voire ouvriers (les jeux de ballon, le cyclisme, la boxe). Dans une société de plus en plus urbaine, soumise à une industrialisation croissante, où le temps individuel était régi par le rythme et la division du travail, le temps du sport était assimilé à celui du loisir, du culte de l’effort et du dépassement de soi. Les élites paternalistes instrumentalisaient les pratiques sportives, en les encourageant pour ne pas abandonner les masses ouvrières à l’oisiveté ou à l’agressivité sociale qu’elles préféraient voir canalisées. Ce processus de démocratisation modifiait le statut du sport qui entra ainsi dans l’ère de sa massification. Comme le montrent les portraits de sportifs, chacun pouvait désormais être un sportif et prétendre à des performances. »

« Ce tableau appartient à une série d’oeuvres où le peintre cubiste André Lhote donna sa perception du rugby, au moment où ce sport se démocratise et s’acculture en France. Le peintre se montra sensible au jeu des formes décomposées par l’action et des couleurs chamarrées des tenues assimilant les joueurs à des Arlequins, s’entrechoquant dans une composition pyramidale, que couronne le ballon ovale brandi en l’air comme un astre. A l’écart de ce groupe, à droite, un rugbyman se repositionne, tandis qu’à gauche, le mot « Event » renvoie aux origines anglaises du sport. »

Lieux du sport
« Si les artistes des XIXe et XXe siècles furent très intéressés par le sport, c’est parce que ses praticiens s’y adonnaient à la fois en plein air – la lutte, le patinage ou le ski trouvaient leur terrain dans le paysage qui constituait alors le genre majeur de la peinture – et dans des espaces aménagés à cet effet. Après la cour de l’école républicaine ou celle de la caserne militaire, où les jeunes gens étaient initiés à la gymnastique et sa grammaire du mouvement gradué et normatif, les sports modernes trouvèrent leur lieu de prédilection sur les vélodromes, les hippodromes ou les rings ou encore dans les arènes des stades de la ville contemporaine accueillant les matchs de rugby et de football. Ces lieux, qui étaient agencés pour accueillir des spectateurs, offrirent aux artistes autant de configurations visuelles et formelles, à partir desquelles les enjeux de la modernité artistique purent être interrogés sous un nouveau jour. »

« Proche du Front populaire, Gromaire s’intéressa beaucoup, en particulier au début des années 1930, aux sports dont la pratique lui paraissait pouvoir rassembler l’humanité au-delà des distinctions de classes sociales. Les rugbymen, footballeurs, cyclistes et autres joueurs de tennis, aux corps sculpturaux, aux formes dynamiques tracées à l’encre de chine et rehaussées d’aquarelle aux couleurs vives étaient particulièrement propices à sa sensibilité expressionniste, son sens de la modernité et sa passion du mouvement. »

Entraînement et performances
« La pratique sportive consiste en une dépense d’énergie accomplie durant un temps dédié à l’effort régulier, l’enregistrement de prouesses ou de performances et la surenchère de records. Les démonstrations de force ou de vitesse, les aptitudes à l’habileté et l’endurance, le respect des règles et le sens de l’improvisation ou de l’adaptation président au sport, en transcendant les corps individuels. Mais ceux-ci favorisent également l’émergence de corps collectifs, par la constitution d’équipes qu’agrègent des valeurs psychologiques, des dynamiques partagées et des jeux de relations interindividuelles. Qu’il soit un individu singulier ou le membre d’une équipe, le sportif est constitué d’un corps musclé doublé d’un état d’esprit – mens sana in corpore sano –, dont le style et la beauté s’apparentent à ceux d’une machine qu’il faut entraîner, entretenir et perfectionner. La curiosité des artistes pour les sportifs et leurs conditions de jeu procède pour partie de cet imaginaire. »

Femmes spectatrices et sportives
« Au XIXe siècle, le sport fut principalement une activité masculine, tant il permit de célébrer la puissance physique de l’homme, entre héroïsme et virilisme, dans des pratiques souvent agressives – tels le rugby ou la boxe – qui marginalisaient les femmes réputées fragiles ou passives. Cantonnées à leur rôle de procréatrices, elles se trouvèrent longtemps assignées à une place de spectatrices des prouesses masculines. »

« Si les femmes firent une timide apparition aux Jeux olympiques de 1900, Coubertin se montra réticent face à leurs capacités sportives, affirmant que leur rôle serait de « couronner les vainqueurs ». Comme pour contrarier cette assertion, des disciplines sportives s’ouvrirent aux femmes – le hockey sur gazon, le golf, le lawn tennis… –, qui se regroupèrent en sociétés féminines spécifiques. Celles-ci donnèrent bientôt les premières figures de championnes modernes. Les représentations de sportives par les peintres demeurent ambiguës, par les poses dansantes qu’ils en donnent, l’érotisme des corps ou l’élégance vestimentaire qu’ils y associent. »

« À Trouville où il séjourna longuement en 1865, Courbet vit « une dame qui allait sur la  mer avec une barque qu’on nomme podoscaphe, c’est deux boîtes grandes comme des cercueils étroits et reliés ensemble ». Il souhaita aussitôt en tirer le sujet d’un tableau destiné au Salon, mais qu’il n’acheva pas. Également intitulée « L’Amphitrite moderne », par raillerie des nus féminins mythologiques très en vogue sous le Second Empire, cette oeuvre n’était-elle pas une manière d’ironiser sur l’incongruité de certains sports et loisirs balnéaires, tout en réinterrogeant la peinture de marine ? »

Culture du corps
« Les chronophotographies d’Etienne-Jules Marey et de Georges Demenÿ, les sculptures et photographies pédagogiques de Paul Richer pour ses enseignements de physiologie artistique prodigués à l’École des Beaux-Arts et jusqu’aux photographies de Jules Beau destinées à la presse sportive de la Belle Époque furent toutes animées d’une unique fascination pour les effets du sport sur les anatomies et la mécanique des corps, dès lors que ceux-ci se trouvaient confrontés à l’effort et aux mouvements que l’image cherchait à enregistrer et figer, afin de mieux pouvoir la décomposer. Cette iconographie des corps sportifs reposait sur le culte d’une expressivité sculptant les muscles et leurs volumes, pour ciseler des mouvements et dynamiser des silhouettes suspendues comme si elles avaient été électrisées. Ces représentations aux allures d’instantanés arrachés au rythme de la vie moderne qu’elles semblaient rejouer et cristalliser eurent une audience considérable chez les artistes qui en perçurent la dimension spectaculaire. »

« Pierre Gatier fut l’un des acteurs du renouveau de la gravure dite originale à la Belle Époque, où il privilégia les techniques de l’eau-forte et de l’aquatinte en couleurs. Il se caractérisa par sa vive curiosité pour la vie mondaine et élégante de son temps – celle du Boulevard parisien, des Champs-Élysées, de la rue de la Paix et de Longchamp –, pour ses lieux, moments et figures. Son oeuvre gravé fut collectionné par le couturier Jacques Doucet, qui le vit comme une sorte de nouveau Constantin Guys. C’est dans cet esprit que, quittant momentanément les salons des modistes et les rayons des grands magasins, Gatier s’intéressa aux pratiques sportives de la bonne société qui assistait aux courses hippiques de Chantilly, skiait dans les Alpes ou patinait au Bois de Boulogne. »

Sports et spectacularisation
« Devant des foules passionnées rassemblées dans le périmètre dédié des salles, des stades ou des hippodromes qui sont les lointains héritiers des arènes antiques, sous le jeu des lumières, dans l’entrechoc des corps et des tenues aux couleurs éclatantes, le sport devint moderne non seulement par sa spectacularisation, mais aussi par sa représentation. À leur conjonction, sa médiatisation s’opéra dans la grande presse et dans les périodiques spécialisés qui, dès la Belle Époque, furent de puissants agents de sa popularisation et de la démocratisation de sa pratique, dans une culture occidentale de la reproduction des conduites. »

« La lutte, la boxe, les courses en tous genres, accentuées par le caractère national ou international des rencontres, devinrent des événements qui nourrirent l’actualité, en formulant les questions politiques du genre, de la race et de la nation – l’homme blanc l’emportant in fine sur la femme et sur les autres peuples. À l’intention d’un public de plus en plus averti, la relation minutieuse de cette actualité sportive par les journalistes et les reporters photographes l’assimila à des aventures modernes haletantes, où tout semblait remis en jeu à chaque match jusqu’au terme de toute compétition. »

« Ce tableau de Van Dongen, d’une conception très marquée par le fauvisme qui exalte les couleurs par une touche expressive et déforme les sujets pour en traduire la dynamique des chevaux et des jockeys, s’inscrit délibérément dans la tradition des sujets hippiques initiée par Degas, Manet et Toulouse-Lautrec. L’antinaturalisme presque caricatural des anatomies étirées dans la largeur du format, entend traduire l’effort des montures lancées dans la course et forcées par les jockeys, pour offrir au spectateur la possibilité d’éprouver les sensations du galop. »

« Entre 1907 à 1909, George Bellows peignit des matchs de boxe à trois reprises. « Je ne connais rien à la boxe. Je ne fais que peindre deux hommes qui essaient de s’entretuer », rétorquait-il aux critiques qui lui  reprochaient son défaut de connaissance de ce sport alors controversé aux États-Unis. En 1900, la pratique de la boxe avait été légalement interdite dans l’État de New York, en raison de sa brutalité. Mais la loi fut aisément contournée et des combats furent organisés dans des clubs d’athlétisme privés, notamment dans celui de l’ancien champion Tom Sharkey, que fréquentait Bellows. L’attitude du peintre face à ce sport est ambivalente, comme le montrent l’effet nocturne et l’éclairage cru modelant l’anatomie des boxeurs, empruntés à Goya, et le traitement satirique des mines réjouis des spectateurs rappelant les caricatures de Daumier. »

Érik Desmazières, Membre de l’Institut, Directeur du musée Marmottan Monet

« En cette année 2024, le musée Marmottan Monet a décidé de participer aux célébrations olympiques et paralympiques, en proposant une exposition consacrée au sport à la période impressionniste et post-impressionniste : « En jeu ! Les artistes et le sport (1870-1930) ». Il se fait ainsi le témoin privilégié de la manière dont celui-ci a été acculturé par notre société en quelques décennies. Les artistes, en fins observateurs de leur temps, ont souligné l’importance de cette mutation, offrant au regard une gestuelle des corps en mouvement plus moderne et plus libre, en particulier Gustave Caillebotte, Thomas Eakins, Gustave Courbet, Henri de Toulouse-Lautrec, Jean Metzinger ou encore Robert Delaunay…
C’est grâce au temps libre gagné de haute lutte sur le temps travaillé que le sport a pu se développer tant chez les amateurs que chez les professionnels. La pratique sportive s’est peu à peu structurée et démocratisée en Europe, sur le modèle anglais, passant ainsi d’une activité réservée aux élites à une pratique pouvant être exercée par toutes les classes sociales et tous les âges. Le sport devient en cela un enjeu politique et sociétal qui ne cessera de croître : il contribue à la « bonne santé des populations », physique, mais aussi morale, développant le respect de l’autre, le goût de l’effort, de l’abnégation, du mérite, de l’esprit d’équipe et du fair-play. Ces vertus sont d’autant plus importantes pour les politiques que le monde connaît dans l’intervalle deux conflits majeurs. Mais le sport c’est aussi un spectacle rassemblant des foules de plus en plus nombreuses, comme le montrent les toiles d’Alexandre Falguière et de George Bellows.
« Si Pierre de Coubertin réduisait le rôle des femmes à « couronner les vainqueurs », les pratiques sportives connaissent en réalité une véritable révolution qui voit l’émancipation progressive de celles-ci, de leurs corps, de leurs mouvements et de leur façon de s’habiller. C’est grâce à des figures comme Alice Milliat que les femmes vont accéder à certaines disciplines. Cette athlète de haut niveau ne cessera d’œuvrer en faveur du développement du sport féminin, participant entre autres à la création de la Fédération des sociétés féminines sportives de France en 1917. C’est aussi grâce à des sportives accomplies comme la championne de tennis Suzanne Lenglen que le sport a cessé d’être l’apanage des hommes.
Cette exposition s’inscrit dans la programmation du label de l’Olympiade Culturelle Paris 2024, créé par le Comité international olympique. Par sa situation au cœur d’un pôle artistique, culturel et sportif inédit – entre Roland-Garros et le Trocadéro, le stade Tour Eiffel et le Parc de Princes – le musée Marmottan Monet prend part à cet événement exceptionnel que sont les Jeux Paris 2024 avec une manifestation qui, retraçant les liens entre art et sport, artistes et sportifs, comptera comme un des temps forts de cette Olympiade.
Nos remerciements vont au Comité international olympique et à la direction de la Culture de Paris 2024. Notre profonde gratitude va assurément aux prêteurs publics et privés qui nous ont accordé leur confiance et tout particulièrement au musée national du Sport, à l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, l’INSEP, au musée provincial Félicien Rops de Namur, au musée d’Orsay et à la National Gallery of Art de Washington pour leur soutien exceptionnel, permettant de donner à cette manifestation l’envergure qu’elle mérite. Nous remercions également notre co-commissaire et directeur de ce présent ouvrage Bertrand Tillier, Aurélie Gavoille, commissaire associée et coordinatrice de cet événement, et l’ensemble des équipes du musée Marmottan Monet sans qui ce projet n’aurait pu voir le jour, ainsi que l’ensemble des contributeurs du catalogue qui offrent à cette publication un indispensable complément à l’exposition ».


Du 4 avril au 1er septembre 2024
2, rue Louis-Boilly. 75016 Paris
Tél. : +33 (0)1 44 96 50 33
Ouvert du mardi au dimanche de 10 h à 18 h
Nocturne le jeudi jusqu’à 21 h
Fermé le lundi
Visuels :
Robert Delaunay (1885-1941)
Les Coureurs
vers 1924-1926
Huile sur toile
24 x 33 cm
Stuttgart, Staatsgalerie
Photo © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image Staatsgalerie Stuttgart

Clémentine-Hélène Dufau (1869-1937)
Partie de pelote basque
1903
Impression sur papier
161 x 110 cm
Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris, 1-AFF-002456

Ferdinand Gueldry (1858-1945)
Match annuel entre la Société Nautique de la Marne et le Rowing Club
1883
Huile sur toile
60 x 100 cm
Nogent-sur-Marne, musée intercommunal
© musée intercommunal de Nogent-sur-Marne

Thomas Eakins (1844-1916)
The Biglin Brothers Racing
1872
Huile sur toile
61,2 x 91,6 cm
Washington, National Gallery of Art, don de Monsieur et Madame Cornelius Vanderbilt Whitney 
© Washington, National Gallery of Art 

Alfred Sisley (1839-1899)
Les régates à Molesey
1874
Huile sur toile
66 x 91,5 cm
Paris, musée d’Orsay
Photo (C) RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski

André Lhote (1885-1962)
Partie de rugby ou les Foot-Ballers
1re moitié du XXe siècle, peut-être en (1937 ?)  
Huile sur toile
103 × 129,5 cm
Saint-Quentin, musée des Beaux-Arts Antoine Lécuyer © musée Antoine Lecuyer, Saint-Quentin 
© ADAGP, Paris 2024 

Marcel Gromaire (1892-1971)
Le Joueur de tennis
1932
Aquarelle
43 x 31,5 cm
Paris, collection particulière
© Galerie de la Présidence – Paris 
© ADAGP, Paris 2024 

Gustave COURBET (1819-1877)
La Femme au podoscaphe
1865
Huile sur toile
173 x 210 cm
Collection particulière

Pierre GATIER (1878-1944)
Le Palais de Glace, 1909
Eau-forte et aquatinte en
couleurs, 44,5 x 62,5 cm
Paris, Pierre-Antoine Gatier, Jérôme Gatier et Nathalie Levesque

Kees VAN DONGEN (1877-1968)
La Course, 1904
huile sur toile, 32 x 39 cm
Toulouse, Fondation Bemberg.
Photo © RMN-Grand Palais / Mathieu Rabeau
© ADAGP, Paris, 2024

George BELLOWS (1882-1925)
Club night, 1907
Huile sur toile, 109,2 x 135 cm
Washington, National Gallery of Art,
collection John Hay Whitney

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