jeudi 23 mai 2024

« Dépouiller en toute légalité. L'aryanisation économique des biens juifs en Algérie par le régime de Vichy (1941-1942) » par Jean Laloum

Les 
Éditions de la Maison des sciences de l'homme ont publié « Dépouiller en toute légalité. L'aryanisation économique des biens juifs en Algérie par le régime de Vichy (1941-1942) », ouvrage pionné de Jean Laloum. « S'appuyant sur de nombreuses sources jusqu'ici inédites, Dépouiller en toute légalité met en lumière de manière détaillée le fonctionnement du processus d’aryanisation des biens juifs en Algérie, entre 1941 et 1942. » Dans le cadre d'un projet de recherche, cet historien recherche des juifs français d'Algérie dont les ascendants ont été victimes durant le régime de Vichy, en Algérie, de mesures de mises sous séquestre (aryanisation économique).


Certains historiens considèrent l’Algérie comme ayant été la « terre d’élection » du régime de Vichy.

Alors composée de trois départements français et des Territoires du Sud, l’Algérie a été caractérisée par un antisémitisme chrétien et politique. À la fin des années 1890, Max Régis, qui partageait les idées d'Édouard Drumont, a été élu à l’âge de 25 ans maire d'Alger, à la tête d'une « liste antijuive ». Il fut rapidement révoqué de ses fonctions. Et des maires successifs d’Oran – Menudier, Lambert élu en 1934 – ont été antisémites. En outre, une presse distille sa haine : "L'Antijuif algérien" (1897-1904) à Alger, "L'Eclair algérien", sous-titré "organe national-socialiste d'union française contre la domination juive" d'Henri Lautier, "La Libre parole d'Alger, hebdomadaire antijuif d'action latine" d'Henry Coston...

Le décret Crémieux (1870), ayant conféré la citoyenneté française aux juifs nés en Algérie, contrevenait à la sharia, et à la dhimmitude. « Pogrom au nom du djihad » (Shmuel Trigano) - 27 victimes Juives, enfants et adultes, le pogrom, précédé le 3 août 1934 de violents incidents dans le Constantinois, du 5 août 1934, à Constantine (Algérie) s’est déroulé sans intervention de l’Armée française.

A la veille de la Deuxième Guerre mondiale, vivaient en Algérie 110 000 Juifs français - le décret Crémieux a été aboli par la loi du 7 octobre 1940.

Les statuts des Juifs de 1940 et 1941 ont été appliqués en Algérie, avec leur lot de discriminations - enfants et enseignants juifs français interdits dans les établissements scolaires publics, interdictions professionnelles -, persécutions, etc. Parmi elles : "l'aryanisation" (Arisierung), la spoliation économique en confiant la gestion temporaire, avant la vente, d'entreprises à des administrateurs au nombre d'environ 500, essentiellement européens (trois administrateurs musulmans) - Jean Laloum recense plus de 6000 candidatures en moins d'un an de décembre 1941 à novembre 1942 (putsch du 8 novembre 1942 à Alger, débarquement des Alliés en Algérie). Le produit de la vente était déposé à la Caisse des dépôts et consignations. D'éventuelles indemnités, au montant dérisoire, allouées aux propriétaires spoliés sont laissées à l'appréciation des commissaires-gérants. Aux différentes étapes de ce processus de dépossession, apparaissent des "auxiliaires" : commissaire aux comptes, commissaire-priseur, commissaire de police, agents immobiliers, serruriers, architectes experts, etc.

"Je suis un antisémite d'Etat, mais non un antisémite passionnel", a déclaré Xavier Vallat, alors Commissaire général aux questions juives, au grand rabbin Maurice Eisenbeth, le 17 août 1941, lors de son voyage dans les protectorats et départements français d'Afrique du Nord.

L'"antisémitisme algérien" est désigné par le terme "antijudaïsme" en Algérie.

"Eliminer toute influence juive"
« Longtemps méconnue ou tout simplement ignorée, l’aryanisation économique, autrement dit la volonté d’élimination de toute influence juive de l’économie, constitue pourtant l’un des rouages importants de la politique antisémite du régime de Vichy. S’appuyant sur de nombreuses sources jusqu’ici inédites, Dépouiller en toute légalité décrit avec une minutie remarquable le processus d’aryanisation des biens juifs dans l’espace colonial algérien entre 1941 et 1942. » Dans sa thèse Les Juifs dans la région parisienne des années 20 aux années 50, Jean Laloum avait examiné, "par le biais de monographies communales de l'Est parisien, l'élimination économique des représentants du monde des sans-grade et des plus démunis, à savoir les petits commerçants, forains et brocanteurs".

En Algérie, les juifs visés par la politique de spoliations étaient influents dans le commerce céréalier (12%) et meunier (27%), la fabrication des pâtes alimentaires (17%). D'origine tunisienne, la famille Douïeb détenait "un important parc immobilier et foncier" qui a aiguisé les appétits de soumissionnaires chrétiens et musulmans.

Circuits cinématographiques, restaurants, casinos, commerces en tous genres (garages, bonneterie)... Aucune activité économique n'a échappé à la politique spoliatrice.

« Pour mieux nous donner à voir ce qui se joue alors, Jean Laloum, historien de formation, chercheur habilité à diriger des recherches (HDR) au Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GSRL CNRS EPHE-PSL) (en 2023), se penche également sur le contexte social et politique de l’entre-deux-guerres en Algérie, indissociable de la mise en œuvre de ces mesures antisémites promulguées par l’État français. L’ampleur et la richesse de cette recherche lui permettent ainsi d’interroger à nouveaux frais l’évolution des relations complexes entre les communautés juives, chrétiennes et musulmanes. »

« Par-delà le texte, l’ouvrage a la particularité de réunir un corpus iconographique sans précédent, composé de photographies de famille et de reproductions de documents officiels et commerciaux, attestant, à hauteur d’homme, de la dure réalité de l’aryanisation en Algérie coloniale », dans ses aspects économiques, sociaux et psychologiques. Le livre est illustré par de nombreuses photographies des victimes des spoliations et d'extraits d'arrêtés de nominations d'administrateurs provisoires.

En dix mois, "plus de 2500 biens entreprises et valeurs furent transférés ou sur le point de l'être -"du patrimoine juif dans un patrimoine aryen, par voie d'aryanisation complète et effective".

Mais le débarquement des Alliés en novembre 1942 n'a pas mis un terme aux Statuts des Juifs maintenus sous le général Giraud et le gouverneur général Marcel Peyrouton, ancien ministre de l'Intérieur du régime de Vichy. A partir de mars-avril 1943, des textes frappent de nullité les mesures discriminatoires adoptées après l'armistice de 1940 et précisent les modalités de restitution des biens spoliés. L'ordonnance du 12 novembre 1943 du Comité national français réaffirme la légalité républicaine. Mais des administrateurs et nouveaux propriétaires ayant profité des spoliations manifestent des réticences. En 1997, la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS) procède à l'indemnisation de propriétaires juifs. Mais tardivement, lentement, et avec des montants dérisoires...

Pionnier dans un thème peu étudié concernant l'Afrique du nord, ce livre bénéficie du soutien de la Fondation Rothschild, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, la Fondation du Judaïsme français, le Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (GDRL) du CNRS.

« SOMMAIRE
Introduction 
I.- Éliminer « toute influence juive » 
Les premières lois et outils réglementaires « antijuifs » 
L'antisémitisme ambiant en Algérie 
II.- Organiser la spoliation 
L'arsenal juridique et réglementaire 
La mise en œuvre institutionnelle 
III.- Administrés et administrateurs 
Les hommes derrière l'appareil administratif de Vichy 
Une immixtion redoutée par les administrés 
Une gestion « en bon père de famille » ? 
IV.- Une dépossession à grande échelle 
La place des Juifs dans l'économie algérienne 
Le regard des autres : réactions et attitudes 
V.- Le débarquement allié et ses conséquences 
Des outils législatifs encadrant le processus de restitution 
La Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS) et les biens en Algérie »  


L'auteur a dédicacé son livre lors du 26e Salon des écrivains du B’nai B’rith 
Le dimanche 19 novembre 2023 de 14 h à 18 h 30
71, avenue Henri Martin, 75116 Paris

Jean Laloum, « Dépouiller en toute légalité. L'aryanisation économique des biens juifs en Algérie par le régime de Vichy (1941-1942) ». Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, coll. « 54 », 2023. 446 pages. ISBN-13 : 978-2-7351-2943-0. 26 €

A lire sur ce blog :
Articles in English
Les citations proviennent du livre. Cet article a été publié le 17 novembre 2023.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire