mardi 25 juillet 2023

« Premier de corvée » de Camille Millerand, Emile Costard et Julia Pascual

Arte diffusera le 26 juillet 2023 à 22 h 40 « Premier de corvée », documentaire partial de Camille Millerand, Emile Costard et Julia Pascual. « Malgré deux emplois dans la restauration et la livraison, la vie hors des radars d'un travailleur clandestin malien. Un documentaire qui raconte par l'exemple les luttes des sans-papiers en France, estimés à près de 700 000, pour de meilleures conditions d'existence. »


En 2018, Grasset publiait "La ruée vers l'Europe. La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent" de Stephen Smith. Spécialiste des questions africaines à Libération puis au Monde, où il fut également rédacteur en chef adjoint du Service étranger, Stephen Smith est depuis 2005 journaliste indépendant et enseigne à l’Université de Duke aux Etats-Unis. Il est notamment l’auteur de Négrologie : pourquoi l’Afrique meurt (Calmann-Lévy, 2003/Hachette Pluriel 2004), qui a obtenu le prix France Télévision et suscité une vive polémique." L'auteur prédit une "africanisation" de l'Europe.

"L’Europe vieillit et se dépeuple. L’Afrique déborde de jeunes et de vie. Une migration de masse va se produire. Son ampleur et ses conditions constituent l’un des plus grands défis du XXIe  siècle. L’Union européenne compte aujourd’hui 510 millions d’habitants vieillissants  ; l’Afrique 1,25 milliard, dont quarante pour cent ont moins de quinze ans. En 2050, 450 millions d’Européens feront face à 2,5 milliards d’Africains. D’ici à 2100, trois personnes sur quatre venant au monde naîtront au sud du Sahara. L’Afrique «  émerge  ». En sortant de la pauvreté absolue, elle se met en marche. Dans un premier temps, le développement déracine  : il donne à un plus grand nombre les moyens de partir. Si les Africains suivent l’exemple d’autres parties du monde en développement, l’Europe comptera dans trente ans entre 150 et 200 millions d’Afro-Européens, contre 9 millions à l’heure actuelle. Une pression migratoire de cette ampleur va soumettre l’Europe à une épreuve sans précédent, au risque de consommer la déchirure entre ses élites cosmopolites et ses populistes nativistes. L’État-providence sans frontières est une illusion ruineuse. Vouloir faire de la Méditerranée la douve d’une « forteresse Europe » en érigeant autour du continent de l’opulence et de la sécurité sociale des remparts – des grillages, un mur d’argent, une rançon versée aux États policiers en première ligne pour endiguer le flot – corrompt les valeurs européennes. L’égoïsme nationaliste et l’angélisme humaniste sont uniment dangereux. Guidé par la rationalité des faits, cet essai de géographie humaine assume la nécessité d’arbitrer entre intérêts et idéaux."

Stephen Smith a déclaré à Jeune Afrique (6 mars 2018) :
"Contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les plus pauvres qui migrent. Ne pars pas qui veut. D’ailleurs, sinon, la pression migratoire aurait été la plus forte dans les années 1990, quand le continent était géopolitiquement à l’abandon et dévasté par de multiples guerres civiles.
En fait, outre une certaine connaissance du monde, il faut pouvoir réunir un pactole de départ pour entreprendre un si long voyage. Ce sont donc ceux qui sortent la tête de l’eau qui se mettent en route – « l’Afrique émergente » de la subsistance. Or, le « co-développement », qui vise à fixer les Africains chez eux, contribue à faire passer ce premier cap de prospérité.
C’est un effet aussi involontaire qu’inévitable : dans un premier temps, un léger mieux économique incite au départ parce qu’il est insuffisant pour combler les inégalités entre l’Afrique et l’Europe, tout en donnant les moyens de partir. C’est seulement quand des pays en développement atteignent une prospérité plus conséquente, comme aujourd’hui la Turquie, le Mexique, l’Inde ou le Brésil, que leurs ressortissants restent – sinon retournent – au pays pour saisir les opportunités chez eux.
Les jeunes sont d’abord massivement partis du village pour aller en ville, pas seulement dans l’espoir de vivre mieux mais, aussi, pour échapper à la tutelle des anciens et « attraper leur bout de chance ». Puis, ils se sont installés dans des mégapoles régionales comme Lagos, Abidjan, Nairobi ou Johannesburg.
Demain, ceux qui auront les moyens et le courage feront le grand saut pour quitter le continent. Ce mouvement sera aussi irréversible que l’exode rural et l’urbanisation africaine, dont l’ampleur est sans précédent historique. Ce n’est pas parce qu’ils s’entassent dans des bidonvilles que les jeunes retourneraient au village. Toutes les tentatives de les y reconduire ont échoué. Il en ira de même, demain, de la volonté de les retenir sur leur continent.
L’argent qui est renvoyé au pays, et dont les montants sont désormais souvent supérieurs à l’aide au développement, bénéficie aux parents. Il permet de payer des soins, régler des frais de scolarité, boucler des fins de mois ou construire une maison.
Mais il introduit aussi une nouvelle inégalité dans les villages et les quartiers de ville, entre ceux qui ont un membre de leur famille « dehors » et les autres. C’est une incitation à envoyer son Argonaute chercher la Toison d’or à l’extérieur… Or, l’argent difficilement gagné par le migrant constitue une rente pour les parents aux pays. Ce n’est pas la monnaie d’échange d’une méritocratie ou un investissement productif. Cet argent n’induit pas le développement...
Une fois qu’ils y sont, les médias sociaux leur permettent de vivre une double vie, à la fois en Europe et, virtuellement, toujours en Afrique. Les Européens qui partaient en Amérique au début du XXe siècles coupaient les ponts. Ce n’est pas le cas des migrants d’aujourd’hui, qui s’installent dans un entre-deux, un déchirement durable qui complique leur situation. Ils ne sont pleinement ni ici ni là-bas. C’est surtout un problème pour la deuxième génération, qui n’a pas choisi de quitter un pays d’origine qu’elle ne connaît pas".
« Du 21 juin au 16 août, ARTE ausculte les mutations de nos sociétés à travers une collection documentaire, diffusée chaque mercredi en deuxième et troisième parties de soirée. Un tour du réel en dix-huit films ».

« Comme chaque été, la collection “La vie en face” éclaire les grands enjeux de société en prenant le temps du documentaire. Cette année, pas moins de dix-huit films posent des regards singuliers sur : les mécanismes de l'emprise sectaire (Adeptes, de l'emprise à la déprise) ; une championne de natation accusée de trafic de migrants (Sara Mardini – Nager pour l'humanité) ; la vie de forçat d'un travailleur sans papiers (Premier de corvée) ; une communauté de bénédictines (Sœurs) ; le blues de jeunes chercheurs (Profs de fac, la vocation à l’épreuve) ; le revirement d’un partisan de l’extrême droite (Une jeunesse polonaise) ; l’édifiante enquête d’une veuve du Doubs sur une célèbre firme (Sophie Rollet contre Goodyear) ; les morts suspectes en prison (Mitard, l’angle mort) ; l’euthanasie (Les mots de la fin) ; l’abstinence (No Sex) ; la congélation des ovocytes (35 ans, les choix d’une femme) ; de jeunes cow-girls qui ruent dans les brancards (Rodeo Girls) ; l’esclavage moderne (Fatima – Mourir à 14 ans) ; ou le parcours d’un homme sorti du coma (44 heures entre la vie et la mort). »

« Sur les terres du Rodéo américain, à travers le quotidien d'un travailleur clandestin malien ou derrière les barreaux d'une prison en France, les documentaires de « La vie en face » sont de retour pour faire vibrer votre été.  Une ode à l'intime où les existences les plus ordinaires dévoilent un visage hors du commun. Une collection de documentaires disponible jusqu'au 16 août 2023 » en partenariat avec Brut et Libération.

« Premier de corvée », titre du documentaire de Camille Millerand, Emile Costard et Julia Pascual, est un double clin d'œil à une expression énoncée par deux personnalités aux idées politiques souvent opposées. 

Le 16 octobre 2017, durant sa première interview télévisuelle, le Président de la République Emmanuel Macron avait recouru à une métaphore pour expliquer sa politique : « Si l'on commence à jeter des cailloux sur les premiers de cordée, c'est toute la cordée qui dégringole ». Le 17 juillet 2018, à l'Elysée, il a explicité son propos  : « Ce n’est pas le premier de cordée qui tire les autres sur la corde. Chacun doit aller, aspérité après aspérité, prendre sa propre prise. Mais quelqu’un a ouvert la voie. Par contre, généralement, il y en a toujours un qui assure dans une cordée. Et ce n’est pas le premier qui assure. Je le dis parce qu’une société qui n’a pas ses premiers de cordée, qui n’a pas des gens qui arrivent à ouvrir la voie dans un secteur économique, social, dans l’innovation, ne monte pas la paroi. Mais quand il n’y a personne qui assure, le jour où ça tombe, ça tombe complètement. »

Interviewé sur France Info durant le premier confinement lié à la pandémie de coronavirus, Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) aux élections présidentielles de 2002 et 2007, ancien porte-parole du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), déclarait le 1er mai 2020 : « En réalité, nos vies aujourd’hui elles dépendent de qui ? Elles ne dépendent pas des premiers de cordée. Elles dépendent des premiers de corvée. Des éboueurs, de ceux qui nous mettent l’électricité, de ceux évidemment qui sont dans les hôpitaux, dans les Ehpad, c’est à dire en fait à des prolétaires qui s’ignorent et j’espère qu’on s’en souviendra. »

« Depuis son arrivée en France en 2018, Makan cumule deux boulots : plongeur dans une brasserie chic près des Champs-Élysées et livreur à vélo ». Comment est-il arrivé à Paris ? 

« Solitaire et sacrifiée, la vie de ce Malien de 35 ans est tout entière dédiée au travail, qui lui permet de subvenir aux besoins de sa famille restée au pays, une femme et des enfants qu'il n'a pas vus depuis bientôt quatre ans. » Et ce, alors que des soldats français ont combattu au Mali le terrorisme islamiste, et certains y ont été tués.

« On n'est pas venu ici pour prendre des photos de la tour Eiffel. On est venu ici pour bosser. Ta famille est dans la merde, toi aussi t'es dans la merde", confie-t-il. » Comme beaucoup de Français.

« Comme des centaines de milliers d'autres personnes en France, cantonnées aux marges de la société alors qu'ils font tourner des pans entiers de l'économie, Makan est sans-papiers ». Et aspire à la régularisation de sa situation. Et le pourcentage d'exécution d'une OQTF est très faible. Ce documentaire ne répond pas à la question : comment peut-on souhaiter la régularisation juridique d'un Etat dont on a bafoué les lois ?

Présenté comme instituteur dans son pays d'origine, « il espère sortir de la clandestinité et, en attendant, "reste dans [son] coin", effectuant avec courage ces métiers ingrats que seule une main-d’œuvre précaire accepte désormais ». Cette allégation est-elle vraie ? Si oui, comment expliquer le surchômage des immigrés ? "Le taux de chômage pour l’ensemble de la population active s’élève à 8%, il s’élève à 12,9% pour l’ensemble des immigrés, mais se répartit différemment en fonction de l’origine : immigrés UE (6 %), immigré hors UE (15,1%), étrangers hors UE (18,4%) (Insee, Enquêtes emploi 2020)." "En 2021, 6 % des immigrés venus d'Europe du Sud étaient au chômage, contre 11 % des immigrés en provenance d'Asie et 16 % des immigrés en provenance du Maghreb. De même, le taux de chômage des descendants d'immigrés d'origine européenne est deux fois plus faible que celui des descendants d'immigrés d'origine africaine (8 % contre 16 %)."

"Si les immigrés ne se présentaient pas, je ne sais pas qui prendrait leur place", reconnaît sans ciller sa cheffe de cuisine. » Quid d'une baisse des charges sociales pour proposer des salaires décents ? Recourir à l'immigration, c'est refuser toutes les autres politiques favorables à la natalité, à la hausse du pouvoir d'achat, etc. Et maintenir durablement un chômage de masse, les salaires à la baisse. Ne nous leurrons pas : si Makan obtenait sa régularisation, et sollicitait le droit au regroupement familial, il demanderait à son employeur une revalorisation de son salaire afin de pouvoir subvenir à ses nouveaux besoins. Ce que son employeur refusera, car il sait pouvoir le remplacer par un nouveau sans-papier.

« En attendant, Makan se demande pourquoi sa vie reste si difficile en France, "le pays des droits"... Il a enfreint le droit français en entrant et vivant illégalement en France, et il fustige son pays d'accueil !? Quid de ses devoirs ? La France a le droit de choisir qui elle accepte à l'intérieur de ses frontières, quand et selon quelles procédures.

« Entre spleen et courage, le documentaire suit le quotidien d'un travailleur sans-papiers dans sa quête de régularisation, précieux sésame qui lui permettrait de se rendre dans son pays natal pour revoir ses proches qui subsistent grâce à son sacrifice. » C'est le registre émotionnel. On pourrait attendre plus de réflexions et d'analyses d'un documentaire.

« Aidé notamment par des militants syndicaux de la CGT, Makan, qui tente de sortir de l'ornière administrative où il s'est enlisé, a rejoint la lutte de ceux qui se mettent en grève pour obtenir de meilleures conditions de travail. » Pourquoi la CGT a-t-elle adopté ce combat ? Pour maintenir sa part de représentativité syndicale ?


« Mettant en lumière ces "premiers de corvées" condamnés à mener des existences invisibles (ils seraient près de 700 000 en France), ce film révèle sans misérabilisme le vécu intime de l'exil, de la clandestinité et de l'abnégation. » Combien coûterait l'intégration ou l'assimilation de ces 700 000 personnes, et de leurs familles venues dans le cadre du regroupement familial ? La France très endettée en a-t-elle les moyens financiers ?

Quid du business des ONG (Organisations non-gouvernementales), mais en fait des mafias de passeurs et des associations à qui l'Etat a délégué la prise en charge sur son territoire de ces immigrés illégaux et qui, en échange, leur alloue des aides financières très élevées ?


« Premier de corvée » de Camille Millerand, Emile Costard et Julia Pascual
France, 2023, 52 min
Coproduction : ARTE France, 416 Prod
Sur Arte le 26 juillet 2023 à 22 h 40
Disponible du 07/06/2023 au 05/12/2023
Visuels :
Le documentaire Premier de corvée (2023) réalisé par Camille Millerand, Emile Costard et Julia Pascual.
© Camille Millerand

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