mercredi 31 août 2022

« Quand les immigrés étaient les bienvenus » de Frédéric Laffont

Arte diffusera le 31 août 2022 à 22 h 45 « Quand les immigrés étaient les bienvenus » (Gast-Arbeiter. Die Entwurzelten Marokkos), documentaire de Frédéric Laffont. « À partir d’une enquête d’Ariane Chemin, comment un certain Félix Mora a recruté en masse de jeunes Marocains pour les mines du Nord et de Lorraine. Une autre histoire de la France et de l’immigration, racontée par ses acteurs ».


"Mora veut, Mora a !" Dans les années 1960 et 1970, Félix Mora sillonne en DS le sud du Maroc en quête de muscles à bas coût pour les mines de la France gaullo-pompidolienne ». 

« Dans les vallées du Haut-Atlas, le crieur ou le caïd annonce son arrivée à des cohortes de paysans berbères candidats à l'exil, alignés par numéros des heures durant sous le soleil ».

« Ancien militaire, l’agent recruteur des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais examine et palpe les corps ». 

« Lahcen Tighanimine (ainsi rebaptisé du nom de son village), Hammou Chakouk et les autres attendent avec anxiété son verdict : tampon vert sur les torses nus, l’espoir d’argent pour la famille et la fierté ; rouge, le retour au bled et la honte ». 

« Mora aurait ainsi recruté plus de 80 000 mineurs pour le Nord et la Lorraine ». 

« Après deux jours et trois nuits à fond de cale, dans les entrailles du paquebot Lyautey, le débarquement à Marseille est suivi du transfert, avant la descente dans les galeries de poussière noire, aux côtés d’Italiens, d’Espagnols et de Polonais, mieux payés ». 

« À la fermeture des mines dans les années 1980, les "Mora" découvrent les chaînes des usines automobiles Renault et Peugeot, ouvriers d’une France industrielle déclinant au crépuscule des Trente Glorieuses ». 

« Vient le temps du regroupement familial, des naissances et des cités qui achève de les convaincre de rester… »

Les descendants de ces mineurs sont au nombre de 600 000 actuellement. Le documentaire montre l'efficacité de l'ascenseur social républicain fondé sur le mérite, le travail scolaire : en une génération, c'est l'accession à la bourgeoisie, à la "beurgeoisie" par des études valorisantes.

« À sa fille Mariame, sociologue, qui l’interroge sur la violence de la méthode du "négrier des Houillères", Lahcen Tighanimine répond simplement : "T’es pas contente d’être ici ?"

« Lucides et enjoués, ces retraités racontent sans nostalgie leur épopée industrieuse, loin des arganiers et des palmiers-dattiers de l’Atlas, et le choix d’un destin : "On a pensé à la vie devant nous…" 

« Devenus pères et grands-pères de centaines de milliers de Français, les anciens mineurs, touchants, témoignent avec précision et sans pathos ». 

« À rebours des débats identitaires empoisonnés, leur récit, au présent, dessine tout en nuances une histoire de France et de l’immigration méconnue, entre travail, exploitation, dignité, rêves accomplis et mémoire, et montre combien la traversée de la Méditerranée revêt, aujourd'hui comme hier, une dimension mythologique ».

Le documentaire n'explique pas le choix pour le patronat lorrain ou du nord de la France de l'immigration, et de celle marocaine. Certains anciens mineurs berbères parlaient-ils leur langue ? Pourquoi une fille de ces mineurs, après avoir eu un troisième cycle universitaire, porte-t-elle le voile islamique ? Quels sont les liens avec le Maroc qui favorise, par des bourses généreuses, les études supérieures de ses ressortissants ? L'islam est souvent éludé : apparemment, la première génération ne mangeait pas hallal. Quid des deuxième et troisième générations ? Quid des mosquées et de la pratique religieuse ? Comment s'est déroulée cette grève des mineurs ? Quelle syndicalisation ?



« Grand reporter au Monde et coautrice du film, Ariane Chemin revient sur l’épopée, des vallées du Haut-Atlas aux noires galeries des houillères en France, d’immigrés marocains surnommés les "Mora", du nom de leur recruteur. Propos recueillis par Sylvie Dauvillier. »

« Comment en êtes-vous venue à vous intéresser au recrutement de ces milliers de Marocains pour les mines françaises ?
Ariane Chemin : En 2018, lors d’une enquête à Trappes, j’ai rencontré le doyen de la Grande Mosquée, qui ne parlait pas bien le français mais m’a expliqué être arrivé en France soixante ans plus tôt, par "Mora". Sur Internet, j’ai appris qu’un certain Félix Mora, un homme du nord de la France, chef de la main-d’œuvre des Houillères, avait embauché entre 80 000 et 120 000 Marocains dans les mines. J’ai commencé à enquêter dans le Pas-de-Calais et en Lorraine. Je me souviens qu’à l’époque, lors de la Semaine de la presse à l’école, j’en avais parlé devant deux classes. Dans chacune d’elles, un élève m’a parlé d’un grand-père venu avec Mora. Il fait partie de ces personnes qui ont fait l’histoire de France mais dont le nom ne circule qu’oralement.

Qui était Félix Mora ?
Ce ch’ti est le plus puissant des "recruteurs" des Trente Glorieuses. Ancien militaire, il est l’homme d’une époque, celle du protectorat français du Maghreb. Il est chargé par les Houillères de trouver de la main-d’œuvre dans le Sud marocain entre 1960 et 1980. Les jeunes des villages du Souss se précipitaient car il offrait la chance de gagner dix fois mieux sa vie. Son protocole d’embauche paraît terrible aujourd’hui. Mora voulait du "muscle". Il inspectait oreilles et dents, puis apposait un tampon sur la poitrine : vert pour les élus, rouge pour les recalés. Il sélectionnait des hommes le plus souvent analphabètes – un risque de syndicalisation en moins. Certains l’ont traité de négrier, ce qu’il n’était pas : même mal payés et en contrats précaires, ces travailleurs marocains étaient salariés.

Entre les vallées du Haut-Atlas et les mines du Nord, des hommes encore gamins franchissaient avec lui une mer, un monde, un siècle. Ils partaient pour l’inconnu avec un courage extraordinaire, passant brutalement de la lumière à l’obscurité des mines de charbon. La traversée de la Méditerranée sur le Lyautey constitue un des moments puissants du film, renvoyant chacun à son imaginaire, ses représentations des migrants et des rites d’initiation.

Le film montre qu’ils choisissent leur destin en toute conscience…
La parole de ces anciens mineurs est précieuse, car leur récit dépasse la simple biographie de Mora, dont le réalisateur, Frédéric Laffont, a choisi de ne faire qu’une ombre, un fantôme. Les travailleurs marocains racontent l’histoire de l’immigration française. Une génération part en célibataire dans l’idée de passer deux-trois ans en France. Puis viennent les femmes qui rêvent aussi de repartir. Des enfants naissent, grandissent, vont à l’école, et arriment définitivement leurs parents à la France…

Frédéric Laffont n’a fait aucun "casting" des intervenants pour ce film. Il a gardé dans le montage final tous les témoignages recueillis. Chacun raconte à sa manière, sans rancœur mais sans naïveté non plus. La voix de Mariame, la fille de Lahcen Tighanimine, qui "guide" ce film, porte, elle, les questions de la seconde génération. C’est aussi elle qui traduit les paroles recueillies dans le documentaire : le français de ces témoins reste souvent difficile, car les cours d’alphabétisation n’étaient pas suivis. Les "Marocains de Mora" étaient là pour fermer les mines puis rentrer chez eux après 1988.

Ces témoins avaient-ils le désir de témoigner ?
C’est un schéma classique connu des sociologues comme Mariame et des journalistes : quand on est pauvre, on est convaincu que sa vie n’a pas d’intérêt, même lorsqu’elle est rocambolesque, dangereuse, audacieuse et palpitante. Une projection a été organisée en juin avec des acteurs du film et leurs enfants, et il me semble que tout le monde était heureux que cette histoire, qui concerne désormais quelque 600 000 personnes en France (toutes générations confondues), acquière une "visibilité".

Qu’est-ce qui vous a marquée lors de vos entretiens ?
La mémoire vive – Victor Hugo disait que l’exil est une longue insomnie, et c’est vrai. Une mémoire de chair, concrète et physique. Je me souviens d’Hammou Chakouk, qui pour m’expliquer que Mora cherchait des gens capables de se faufiler dans une galerie d’un mètre de hauteur, a glissé sous la table à thé… Ou de ces fins traits noirs encore visibles dans les plis des bras et les doigts des anciens mineurs. Avec Mariame, nous avons accompagné monsieur Tighanimine de sa maison de Mantes jusqu’à Lens : pour ce premier retour près de cinquante ans après, il s’était habillé comme un prince. Non sans mal, on a retrouvé l’endroit où il descendait chaque matin, la fosse 13. Il n’en restait qu’une plaque, comme une plaque d’égout, en pleine forêt. Sa fille et moi redoutions sa tristesse devant cette forme d’effacement. Mais non, il a éclaté de rire. À notre retour, il a dit : "C’est le plus beau jour de ma vie."

Comment expliquez-vous le silence sur cette histoire ?
Peut-être par la volonté de ne pas se faire remarquer, par l’envie de cacher à ses enfants des souvenirs douloureux. Le manque de récits de première main explique aussi cet effacement. Les mineurs marocains ne sont pas allés à l’école et cette histoire ne s’est guère transmise qu'oralement. À part un numéro de lampe, une carte de salarié de la mine, une médaille parfois, ou quelques radios de visites médicales pour détecter la silicose, il existe peu de traces écrites de ce passé. De manière générale, on connaît mal l’histoire de l’immigration maghrébine. Elle est le fruit, jusqu’au second choc pétrolier, en 1978, d’un projet d’État. Paris encourageait ces recrutements dans le cadre d’une politique d’immigration voulue et choisie, qui a contribué au boom des Trente glorieuses. Il n’est pas inutile de le rappeler… »


« Quand les immigrés étaient les bienvenus » de Frédéric Laffont
France, 2021, 54 mn
Auteurs : Ariane Chemin, Frédéric Laffont, en collaboration avec Mariame Tighanimine 
Coproduction : ARTE France, Bellota Films
Sur Arte le 31 août 2022 à 22 h 45
Sur arte.tv du 24/08/2022 au 29/10/2022
Visuels :
Ce documentaire de Ariane Chemin et Frédéric Laffont s' attache aux pas de ces dizaine de milliers de travailleurs immigrés et à celui qui les a " recrutés"
© Bellota Films

Les Allemands des Sudètes

La « région des Sudètes » est située dans la partie tchèque de l'ex-Tchécoslovaquie, longeant les frontières allemande et autrichienne, en Bohême, Moravie et Silésie - : au nom du "droit des nations", le 
führer Adolf Hitler a obtenu lors de la conférence de Munich (29 septembre 1938) le rattachement au IIIe Reich des "Sudètes" prétendument "opprimés" par les autorités tchécoslovaques. Les Juifs vivant dans cette région ont été persécutés et décimés par la Shoah. Durant et après la Deuxième Guerre mondiale, la quasi-totalité des Allemands chrétiens ont quitté les Sudètes. 
En 2023, les éditions Marie B ont publié "Un exode allemand. Chronique d'une famille Volksdeutsche", roman de Jacques Salès.

« Le procès du siècle. Les chroniqueurs célèbres de Nuremberg » de Peter Hartl
Les Allemands des Sudètes

En Europe centrale et orientale, ont vécu pendant des siècles des populations germanophones. En Slovaquie, dès le début du XXe siècle, elles étaient appelées « Allemands des Carpates ». Dans l'actuelle Roumanie, elles étaient dénommées "Saxons de Transylvanie" -, des Allemands originaires de Saxe ont œuvré pour la chancellerie hongroise, etc. 
Les plus célèbres sont vraisemblablement les "Allemands des Sudètes" - la « région des Sudètes » est située dans la partie tchèque de l'ex-Tchécoslovaquie, longeant les frontières allemande et autrichienne, en Bohême, Moravie et Silésie. 

L'Histoire avait déterminé leur implantation. L'
Ostsiedlung désigne l'expansion migratoire de populations germanophones, durant le Moyen-âge, vers l'est de l'Europe, au-delà des confins du Saint-Empire Romain Germanique. La zone d'implantation englobe la Slovénie, la Styrie et la Carinthie, les Pays baltes, l'Estonie, la Lettonie et la Transylvanie, ce qui correspond aux modernes Pologne, Bohême, Slovénie, Hongrie et Transylvanie. La zone colonisée correspond à  une partie du territoire de l'antique Germania magna.

Ainsi, dès le XIIe siècle et jusqu'à la fin du XIIIe siècle, le roi Géza II de Hongrie (1141-1162), suzerain des voïvodes (gouverneurs militaires) transylvains, avait décidé de la colonisation par des populations germanophones de la Transylvanie afin d'assurer la défense de la frontière sud-est du royaume de Hongrie contre les incursions des Tatars, puis des Turcs, mus par le djihad.

L'Histoire a aussi influé sur leur sort durant et après la Deuxième Guerre mondiale : instrumentalisation par les Nazis - a
u nom du "droit des nations", le führer Adolf Hitler a obtenu lors de la conférence de Munich (29-30 septembre 1938) le rattachement à l'Allemagne nazie des "Sudètes" prétendument "opprimés" par les autorités tchécoslovaques ; ce qui a généré la fuite notamment de Juifs des Sudètes -, enrôlement dans la Wehrmacht, expulsions - trois millions d'Allemands ont du quitter les Sudètes - la conférence de Potsdam (2 août 1945) a entériné les migrations d'Allemands d'Europe centrale et orientale - et spoliations, persécutions par des régimes communistes, récupération parfois de leurs droits civiques...

Environ 24 505 Juifs vivaient dans le Reichsgau Sudetenland, région administrative créée par le IIIe Reich à partir de la zone tchécoslovaque annexée après les accords de Munich. La crise des Sudètes a induit une flambée d'antisémitisme, notamment en France.

La Revue d’Histoire de la Shoah (2013/2, n° 199, pages 411 à 443) a publié "La destruction des communautés juives des Sudètes. L’exemple de Teplitz-Schönau" de Paul Lowy, professeur émérite d'histoire-géographie. "Teplitz-Schönau - aujourd’hui Teplice -, ville thermale du nord de la Bohême, était déjà largement connue sous l'Empire autrichien. Pendant l'entre-deux-guerres, elle est devenue un centre culturel important en Tchécoslovaquie et abritait notamment le principal théâtre de la république en dehors de Prague. La ville, située dans la région germanophone des Sudètes, est devenue une zone stratégique pour les nazis, comme l'ensemble de la région vers la fin des années 1930. Teplice abritait la plus grande population juive - 5 000 âmes sur 30 000 Teplitzois - en dehors de la capitale. Parmi les Juifs chassés d’Allemagne qui se réfugièrent en République tchécoslovaque, Teplitz accueillit de nombreux acteurs, metteurs en scène ou musiciens qui trouvèrent à s’employer dans son grand théâtre germanophone. Sur les 231 plus grandes entreprises de Teplitz-Schönau, 89 appartenaient à des citoyens se déclarant de religion israélite. Les citoyens juifs prenaient aussi et peut-être surtout une part très active à la vie culturelle et politique. Beaucoup contribuaient à la vie du théâtre, à celle de la presse locale, aux activités associatives et quelques-uns siégeaient au conseil municipal. Lorsque la ville est tombée aux mains du Sudeten-deutsche Partei (SdP) pro-nazi en mai 1938, les Juifs ont commencé à partir. À l'approche de la date de la conférence de Munich, la violence à l'encontre des Juifs ne cesse d'augmenter et de plus en plus de personnes se joignent à l'exode. Après l'annexion de la région par l'Allemagne, la persécution des Juifs âgés restés à Teplice s'est intensifiée et, en 1942, ils ont été déportés à Theresienstadt [situé au nord ouest de Prague, Ndlr]. Les quelques Juifs et membres de l'opposition de Teplice qui étaient encore en vie en 1945 et qui ont essayé de rentrer chez eux n'ont pas été bien accueillis. Ils ont été expulsés plus tard, tout comme les autres germanophones (selon les décrets Beneš). La correspondance familiale décrit les événements de cette période. Les lettres d'Olga Keller et de Rudi Wiechel détaillent les circonstances de l'exode de Teplice vers Prague au cours de l'été 1938. Une lettre écrite par Ilse Löwy explique comment certains habitants de Teplice ont réussi à fuir Prague à temps en 1939. La correspondance de Viktor Saxl et Moritz Löwy raconte ce qui leur est arrivé, deux Juifs encore en vie en 1945. Enfin, une lettre de Karl Kern, exilé en Suède, décrit l'expulsion de 1946 à travers l'histoire de son ami Schorsch Trapp."

"Moins d’un mois après la signature des accords de Munich, Hitler expulse vers la Tchécoslovaquie plusieurs milliers de Juifs qui vivent dans la région des Sudètes. Les Tchécoslovaques refusant de les laisser entrer, ces Juifs tentent de se réfugier en Hongrie. Mais ils sont renvoyés en Allemagne par les autorités hongroises, puis à nouveau dirigés vers la Tchécoslovaquie par les autorités nazies. Ils sont finalement conduits de force vers des camps de toile improvisés dans le no man’s land séparant la Hongrie et la Tchécoslovaquie".

Les Juifs vivant dans cette région ont été persécutés durant la Nuit de Cristal (nuit du 9 au 10 novembre 1938). "Depuis 6 semaines alors, les Sudètes faisaient partie du Reich, conformément aux Accords de Munich. Au cours du pogrom, la plupart des synagogues considérées comme le symbole de la présence et du succès de la minorité juive ont été incendiées. La liste des citoyens d’origine juive était la clé de l’accomplissement du pogrom, souligne Helena Krejčová de l’Institut d’histoire moderne : « Dans les Sudètes, les nazis se sont tout d’abord emparés des registres de l’état civil qui faisaient partie des synagogues et seulement après ils les ont incendiées. Cela a continué encore dans la nuit de la Saint-Sylvestre au Jour de l’An. »

"Margita Maršálková a vécu le pogrom dans les Sudètes à l’âge de 9 ans. Un cri horrible l’a réveillé : « Sous nos fenêtres, une foule d’hommes a crié : Juifs dehors, Juifs à la potence… » Le père de Margita Maršálková a été déporté vers le camp de concentration d’Auschwitz, la mère a essayé de protéger au maximum ses filles. Finalement elle a succombé aux énormes pressions psychiques : « Elle a pensé que c’est elle, le plus grand obstacle, qu’elle doit se retirer… et elle s’est suicidée… »

"Une quarantaine de synagogues ont été brûlées dans les Sudètes. Sur tout le territoire du Reich, plus de 260 synagogues ont été détruites, 7 500 commerces et entreprises exploités par des Juifs saccagés; 91 Juifs ont été assassinés, des centaines d’autres se sont suicidés ou sont morts suite à leurs blessures et près de 30 000 ont été déportés vers les camps de concentration."

Rappelons l'action du Britannique d'origine juive Nicholas Winton, Juste parmi les Nations, qui a sauvé environ 669 enfants juifs tchécoslovaques grâce aux Kindertransports
En décembre 1938, "Martin Blake, ami de Winton lui a demandé "de renoncer à ses vacances de ski et de lui rendre visite en Tchécoslovaquie, où il s'était rendu en sa qualité de membre du Comité britannique pour les réfugiés de Tchécoslovaquie. Ce comité avait été créé en octobre 1938 pour fournir une aide à ceux devenus réfugiés à la suite de l' annexion allemande de la région des Sudètes aux termes des accords de Munich. Persuadé qu'une guerre européenne était imminente, Nicholas Winton a décidé de se rendre à Prague, où Martin Blake l'a présenté à sa collègue, Doreen Warriner, et s'est arrangé pour que Nicholas Winton visite des camps de réfugiés Juifs et opposants politiques originaires des Sudètes.

"Environ "90 % des Juifs avaient quitté la région des Sudètes à la mi-1939". Ceux qui étaient restés ont subi des spoliations, des aryanisations, le port de l'étoile jaune et ont été déportés vers les camps nazis. Durant la Deuxième Guerre mondiale, "des dizaines de milliers de Juifs et de non-Juifs sont livrés au travail forcé dans un réseau de camps de concentration implantés dans la région". La Shoah a réduit tragiquement le nombre des Juifs.

Plus de 11 millions d'Allemands ont été expulsés ou ont fui, par crainte de l'Armée rouge, l'Europe centrale et orientale, deux millions sont décédés dans cet exil et 2,6 millions sont demeurés dans ces territoires de peuplement allemand.

Après la Libération, les communautés juives de l'ancien Sudetenland ont été discriminées, car germanophones, par le gouvernement tchécoslovaque qui nationalisa leurs biens, ce qui a induit leur paupérisation. Des Juifs de la Ruthénie subcarpatique (actuellement en Ukraine) les ont rejoints.

En 2001, les éditions Lharmattan ont publié "L'Expulsion des Allemands de Hongrie (1944-1948). Politique internationale et destin méconnu d'une minorité". "En 1944, la Hongrie compte encore une importante minorité germanique. Arrivés pour la plupart au XVIIIe siècle, ces Allemands sont ceux, avec la population juive, qui ont le plus contribué à l'émergence de la bourgeoisie urbaine hongroise. Pourtant, entre 1944 et 1948, la Hongrie perdit plus de la moitié de sa minorité allemande, déportations vers l'URSS, expulsion programmée vers l'Allemagne occupée… Comment la Hongrie, alliée de l'Allemagne pendant la guerre, en est-elle arrivée à prendre cette décision ?"

"Le premier trimestre 2002 a vu resurgir la "question sudète" dans le cadre du débat sur l'élargissement de l'Union européenne. La polémique qui s'est développée entre la République tchèque d'une part, et l'Autriche, la Hongrie et l'Allemagne d'autre part, était de savoir si la non-abrogation des décrets Beneš organisant le déplacement des populations allemandes et hongroises de Tchécoslovaquie en 1945 constituait un obstacle politico-juridique à l'entrée de la République tchèque dans l'Union européenne".

En ce début de XXIe siècle, les enjeux se résument principalement à quelques  questions : comment leur histoire est-elle intégrée dans l'Histoire de l'Allemagne réunifiée et de leurs pays ? Tous les différends - mémoriels, financiers, diplomatiques, etc. - ont-ils été apurés ? Comment l'identité des ces minorités germanophones perdure-t-elle dans leurs pays ?

En février 2016, "le Sudetendeutsche Landsmannschaft (SL), une organisation représentant les Allemands qui ont été expulsés de l'ex-Tchécoslovaquie après la Seconde Guerre mondiale a voté en faveur du retrait de leurs revendications territoriales lors d’une réunion à Munich".

"L'association des Allemands des Sudètes a décidé d’enlever de ses statuts la demande de restitution des biens saisis par la Tchécoslovaquie après l’expulsion de trois millions de citoyens de nationalité allemande de son territoire à la fin de la Deuxième Guerre mondiale". Elle a déclaré "qu'elle allait supprimer le "droit à la patrie et le droit lié à l'autodétermination du groupe national" de leur constitution, ainsi que les demandes d'indemnisation financière demandées au gouvernement tchèque".

Elle "reconnaît également sa part de responsabilité dans la "persécution et l’assassinat des Allemands et des Tchèques des Sudètes qui étaient haïs par le régime nazi, ainsi que pour l'Holocauste des Juifs en Bohême, Moravie et Silésie". Les Allemands des Sudètes, qui vivaient principalement dans les provinces de Bohême et de Moravie à partir du 14ème siècle, ont été rendus responsables par les Tchèques de l'agression d'avant-guerre contre le pays par les nazis, un prétexte utilisé par Hitler pour annexer une première partie de l'ex-Tchécoslovaquie puis tout le pays en 1938."

"Le changement a été approuvé par 72 des cent représentants. Si la SL avait essayé d’adopter ces modifications déjà l’année dernière, celle-ci avaient été refusées par le tribunal" ayant considéré que "l’association n’avait pas laissé le temps suffisant pour régler de possibles contestations."

"La décision a été accueillie favorablement par le ministre tchèque des Affaires étrangères Lubomir Zaoralek, qui a été cité par la télévision CT déclarant que cette décision "est l'une des conditions pour une amélioration des relations (entre Tchèques et Allemands, ndlr)".

"A la fin de la Seconde Guerre mondiale, la région des Sudètes avait été réintégrée à la Tchécoslovaquie. Sur 3,2 millions d'Allemands des Sudètes, plus de 3 millions avaient été déportés. En 1945, les décrets Beneš avaient privé les Allemands des Sudètes de leur nationalité tchécoslovaque et avaient conduit à la confiscation de tous leurs biens."

Le 12 octobre 2020, a été inauguré, à Munich (Allemagne), et après deux ans de retard, le musée allemand des Sudètes. Il relate l’histoire de 3 millions de Sudètes, ayant "perdu leur patrie" à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

"La culture sudète est exposée sur 1200 mètre carrés, retraçant l’histoire des Sudètes depuis le Moyen Âge jusqu’à leur destin tragique. Les langues utilisées dans le musée sont l’allemand, le tchèque et l’anglais. La cérémonie d’ouverture devrait avoir lieu en petit comité avec notamment le porte-parole des Allemands des Sudètes Bernd Posselt. La ministre des Affaires Sociales Carolina Trautner a déclaré qu'une plus grande cérémonie d’inauguration sera organisée lorsque la situation sanitaire se sera calmée. Le musée est situé au numéro 8 de la Hochstrasse". 

En 2021, à Berlin (Allemagne), le musée "consacré à l’expulsion de douze millions d’Allemands des territoires de l’est de l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale" a ouvert ses portes après plus de vingt ans de controverses".

"Baptisé « Centre de documentation – Fuite, expulsion, réconciliation », cet espace de 6 000 mètres carrés proche de la Potsdamer Platz, qui a accueilli ses premiers visiteurs mercredi 23 juin, ne raconte pas seulement un chapitre mal connu de l’histoire du XXe siècle. Les controverses qui ont accompagné sa genèse chaotique témoignent également de la place ambivalente qu’occupent ces millions d’expulsés dans la mémoire de la seconde guerre mondiale."

"L’idée de créer un tel musée remonte à 1999. On la doit à Erika Steinbach, alors députée chrétienne-démocrate (CDU) et présidente de la Fédération des expulsés (BdV), créée en 1958 pour défendre la mémoire et les intérêts des Allemands ayant dû quitter leurs foyers situés dans les territoires orientaux du Reich, en Tchécoslovaquie, en Hongrie et dans les Balkans à la fin de la guerre."

"Dès le début, le projet fait polémique. Connue pour s’être opposée, après la réunification de 1990, à la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse comme frontière définitive entre l’Allemagne et la Pologne, l’élue conservatrice est accusée de vouloir faire passer au second plan la responsabilité de l’Allemagne dans les crimes de la Seconde Guerre mondiale en mettant en avant les souffrances de ses ressortissants expulsés d’Europe centrale et orientale lors de la défaite du IIIe Reich."

"Malgré la présence à ses côtés de Peter Klotz, ancien secrétaire général du Parti social-démocrate (SPD) et lui-même originaire des Sudètes, région de Tchécoslovaquie annexée par l’Allemagne nazie en 1938, Erika Steinbach n’obtient pas le soutien du chancelier Gerhard Schröder (SPD), qui ne veut pas d’un tel lieu de mémoire à Berlin".

"La suite de sa carrière convaincra ses détracteurs de l’époque qu’ils eurent raison de se méfier : après s’être vigoureusement opposée à la politique d’accueil d’Angela Merkel lors de la crise des réfugiés de 2015, la députée finira par quitter la CDU et le Bundestag en 2017. Depuis, elle préside la Fondation Desiderius-Erasmus, proche du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD)".

"L’élection d’Angela Merkel, fin 2005, change la donne. Quelques mois après l’inauguration du Mémorial aux juifs assassinés d’Europe entre la porte de Brandebourg et la Potsdamer Platz, la nouvelle chancelière se dit favorable à ce qu’un « signe visible » soit trouvé à Berlin pour rappeler le destin des populations déplacées à la fin de la guerre. Elle fait toutefois en sorte que cette tâche n’incombe pas exclusivement à la Fédération des expulsés et à sa présidente contestée."

« Un billet de train dans les Sudètes »
Arte diffuse sur son site Internet « Un billet de train dans les Sudètes » (Mit dem Zug zwischen Iser- und Riesengebirge) de Kirsten Ruppel.

« De la République tchèque à la Pologne, voyage sur des voies ferroviaires qui portent les stigmates de la Seconde Guerre mondiale. »

« En 2010, la ligne de chemin de fer reliant la région tchèque de Bohème du Nord à la voïvodie (province) de Basse-Silésie en Pologne reprend du service pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale ». 

« Les voies, qui longent des paysages transfrontaliers empreints d’une histoire tourmentée, gravissent la crête des Sudètes et serpentent entre la chaîne de montagnes Jizerské et les monts des Géants ». 
« Le voyage débute à Liberec, dont les villas surannées révèlent un passé austro-hongrois ».

« Au fil du périple, qui s’achève à Jelenia Góra en Pologne, défilent une ville réputée pour ses bijoux de verre, d’enchanteurs villages de montagne et d’impressionnants châteaux, transformés aujourd’hui en hôtels. »

« L'expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie »
« L'expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie » (Vertreibung Odsun - Das Sudetenland), série documentaire en deux parties de Matthias Schmidt et Vit Poláček, s’intéresse à l'histoire des Allemands des Sudètes.

« Retour sur un chapitre douloureux de l’histoire germano-tchèque, qui fait aujourd’hui l’objet d’un travail de mémoire et de réconciliation. »

« Pendant des siècles, les Allemands de la région des Sudètes ont cohabité pacifiquement avec leurs voisins tchèques, jusqu’à l’entre-deux-guerres et la création de la Tchécoslovaquie ».

« Mais les atrocités commises par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale conduiront, en réaction, à l’expulsion par les Tchécoslovaques de l’essentiel de cette minorité germanophone, qui vivait là depuis le Moyen Âge ». 

Le Parlement tchécoslovaque étant dissous, les principaux décrets Beneš - Edvard Beneš était alors président du gouvernement tchécoslovaque en exil -, concernent en 1945 « l'administration nationale des biens des Allemands, Hongrois [Magyars, Ndlr] et traîtres » (19 mai), « la punition des criminels nazis et collaborateurs » (juin), « la privation des Allemands et des Hongrois de la citoyenneté tchécoslovaque » (2 août) et « la confiscation des biens ennemis » (25 octobre)".

Aux municipalités (národní výbor) incombent l'identification des citoyens tchécoslovaques de nationalité allemande et hongroise qui sont rassemblés dans des camps, puis expulsés en direction de l'Allemagne de 1945 à 1947 - , de l'Autriche et de la Hongrie. Entre le cinquième et le quart de la population de la Tchécoslovaquie quittent l'Allemagne et l'Autriche. 

« Certains lieux abandonnés, à l’image de Königsmühle dans les monts Métallifères, portent les stigmates de cette histoire douloureuse : ses 53 habitants ont tous été chassés ». 

« Le 31 mai 1945, quelque 27 000 habitants allemands ont été regroupés puis chassés de la ville tchèque de Brno.

« Il est aujourd’hui encore difficile d’évaluer combien d’entre eux ont survécu à ce périple éprouvant de plus de 50 kilomètres, relaté par la romancière tchèque Katerina Tucková dans son roman "L’expulsion de Gerta Schnirch "(2009). 

« Rosemarie Ernst raconte avec émotion cette odyssée de plusieurs mois en direction de l’Allemagne ».

« Leo Zahel se souvient avec exactitude de cette “marche de la mort”. Il rappelle qu’en 2015, la ville de Brno a présenté des excuses publiques aux victimes de ce déplacement de population ». 

« Désormais, les jeunesses tchèque et allemande se sont rapprochées pour préserver Königsmühle et en faire un lieu de célébration commun ».

« Mais peut-on pour autant considérer que l’affaire est close ? »

"Un exode allemand"
En 2023, les éditions Marie B ont publié "Un exode allemand. Chronique d'une famille Volksdeutsche" de Jacques Salès, avocat. "Les Timmerman sont des Volksdeutsche, c'est-à-dire des germanophones implantés dans une contrée slave de l'Europe. Propriétaires fonciers, ils sont installés de longue date sur le sol polonais mais la Seconde Guerre mondiale bouleverse leur existence. Deux d'entre eux meurent sur le front de l'Est et les survivants fuient vers l'Allemagne après la chute du troisième Reich."

L'auteur "retrace ici sur plusieurs générations l'histoire d'une authentique famille d'agriculteurs Volksdeutsche, dont l'origine se situe aux confins de la Pologne, de la Lituanie et de l'URSS. Leurs ancêtres allemands ethniques avaient fait souche en Pologne. Après les péripéties du début du XXème siècle lors de la seconde guerre mondiale on assiste alors à l'éclatement de cette famille dont les frères aînés sont enrôlés « malgré eux » dans la Wehrmacht sur le front russe. Le reste de la famille a dû, pour fuir l'Armée rouge, quitter la Pologne et se réfugier dans une Allemagne dévastée en 1945 dans des conditions apocalyptiques, en abandonnant tout ce que leurs ancêtres avaient construit au cours des siècles".


Jacques Salès, "Un exode allemand. Chronique d'une famille Volksdeutsche". Editions Marie B, 2023. 180 pages. 19,90 €. ISBN-13 : 9782492763205


« Un billet de train dans les Sudètes » de Kirsten Ruppel
Allemagne, 2021, 44 min
Production : SWR/ARTE
Sur Arte le le 31 août 2022 à 6h 20
Disponible du 22/08/2022 au 20/09/2022
Visuels : © SWR, DR

« L'expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie » de Matthias Schmidt et Vit Poláček

Allemagne, 2020, 2 x 45 min

Sur Arte :

1ère partie : le 17 novembre 2020 à 23 h 20

2e partie  : le 18 novembre 2020 à 00 h 05

Disponible du 17/11/2020 au 16/12/2020

Visuels :

© CTK Photobank/Süddeutsche Zeitung Photo

© LOOKSfilm

© ICRC Archives

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Les citations sont d'Arte. Cet article a été publié le 13 novembre 2020.