Le parcours professionnel de Willy Ronis embrasse une période où la photographie était rarement reconnue comme art. Cet avènement date du tournant des années 1970-1980.
Willy Ronis a été longtemps associé à l'aventure de l'agence Rapho. Quand il a décidé de travailler en free lance, il a du chercher des clients, accepter des commandes, trouver preneur pour des séries de clichés, assumer donc les aléas de son indépendance. Ses initiatives ont été promises parfois à un large succès, tels ses reportages sur le quartier parisien et populaire de Belleville. Parmi ses plus célèbres photos : le " Nu provençal, Gordes, 1949 " et " Les Amoureux de la Colonne-Bastille, 1957 ". Cet intarissable conteur se souvenait précisément des circonstances entourant ses nombreux clichés, et les commentait avec faconde, ironie ou émotion.
Willy Ronis a aussi rencontré ses plus grands collègues : Robert Capa, David " Chim " Seymour, Henri Cartier-Bresson, Brassaï, etc. Dont certains sont devenus ses amis.
Willy Ronis a reçu moultes décorations.
Cet homme aux sympathies communistes s'est engagé dans la défense des intérêts des photographes, en particulier le respect des droits d'auteur. S'il a excellé dans tous les genres - portraits d'artistes, mode, paysages, nus, reportages, sujets sociaux ou autoportraits -, il a curieusement pris peu de clichés sur l'actualité politique. Citons cependant ses photographies de la grève chez Citroën-Javel ("Rose Zehner, déléguée syndicale), Citroën-Javel", Paris 1938 "). Outre la France, les autres pays où Willy Ronis a travaillé sont l'Italie, les Pays-Bas, la Tchécoslovaquie, l'Allemagne de l'Est, etc.
Son talent a été reconnu à l'étranger – exposition collective dès 1953 aux Etats-Unis -, avant de l'être en France. Ses photographies allient classicisme simple, sens clair, beauté visuelle, pudeur, respect d'autrui, composition soignée et souci graphique dans l'équilibre des formes. Ses clichés les plus célèbres sont vraisemblablement " Les Amoureux de la Colonne-Bastille, 1957 " et le " Nu provençal, Gordes, 1949 ". Ils sont exposés en France et à l'étranger.
Willy Ronis a transmis son savoir par ses activités d'enseignant.
Il est mort le 11 septembre 2009.
Vous êtes né le 14 août 1910 dans une famille juive…
… et slave. Mon père est originaire d'Odessa (Ukraine), ville qu'il a quittée avec ses frères et sa sœur aînée en 1904, et ma mère de Lituanie. Hormis mon père, tous les autres membres de la famille sont partis à New York. Ce qui fait que j'ai une très nombreuse famille aux Etats-Unis. Orpheline à l'âge de quatre ans, ma mère a été recueillie par une tante avec laquelle elle a vécu une dizaine d'années à Berlin. Ensuite, elles sont venues à Paris.
C'est là que mon père et ma mère se sont rencontrés. Je suppose que ce fut dans une Amicale de Juifs de l'Est. Mes parents n'étaient pas pratiquants. Ma mère était croyante, pas mon père. On faisait la Pâque juive par tradition… et par goût du pittoresque. On la fêtait aussi chez un oncle et une tante d'une branche collatérale de la famille, des personnes qui étaient venues elles-aussi pour fuir les risques de pogroms en Ukraine.
Mon père parlait russe et yiddish, ma mère l'allemand et le français qu'elle avait appris à 13 ans. Mon père avait gardé son accent slave.
Je suis né en 1910 à la Cité Condorcet. J'ai fait mes études au Lycée Decour, anciennement Rollin. J'étais bon en français, dessin et gymnastique.
Votre père était-il déjà photographe à Odessa ?
Oui. C'était un bon opérateur et un bon retoucheur de clichés. C'était un photographe complet. Il avait appris la prise de vues. Et bien sûr, il connaissait d'une manière impeccable tous les travaux du laboratoire. C'était un excellent technicien. Il n'avait pas de culture artistique. Il pratiquait une photo naïve, celle des studios de quartier.
Son magasin était 15, boulevard Voltaire, près de la place de la République (Paris). Ces studios de photographes ont presque tous disparu peu à peu : avec les appareils amateurs, de plus en plus de particuliers ont fait leurs photos de famille eux-mêmes. On est allé de moins en moins chez le photographe, sauf pour commander des séries, par exemple pour le jour du mariage.
Comment êtes-vous devenu photographe ?
Enfant, adolescent, ma passion était la musique. J'ai fait treize ans de violon. J'ai suivi des cours d'harmonie car je voulais devenir compositeur.
J'ai du abandonner cet espoir car au retour de mon service militaire, en 1932, j'ai appris que mon père, atteint d'un cancer, avait besoin de moi à l'atelier pour le remplacer.
C'était la crise économique, et mon père qui employait déjà un ouvrier photographique, ne pouvait pas en recruter un second.
J'avais déjà des connaissances précises en photographie : mon père m'avait offert un appareil quand j'avais près de 16 ans, je faisais beaucoup de photos pour mon plaisir, je les développais dans le laboratoire paternel, je les tirais moi-même. Donc, j'avais un bagage de technicien.
Je suis cependant entré absolument désolé dans cet atelier où je faisais un travail qui ne me plaisait pas du tout. C'était un genre de photographies que je rejetais car j'avais une certaine culture. Mes parents m'avaient payé le lycée. Pour les gens de ma génération, le lycée était encore payant. J'avais aussi beaucoup fréquenté les musées, dont le Louvre. Je dessinais.
Pendant quatre ans, j'ai donc travaillé dans le magasin photographique paternel que j'ai abandonné aux créanciers en juin 1936, à la mort de mon père. Car celui-ci avait cru, dans sa naïveté, qu'en faisant de gros frais, en m'offrant un studio refait à neuf, il me retiendrait. Mais je me suis sauvé.
A l'époque, il était audacieux de se lancer comme photographe indépendant et d'espérer gagner ainsi sa vie. Mai j'ai tout de suite pu la gagner. Je ne faisais pas alors les textes de mes photos. Je les ai rédigés après la Libération.
Je travaillais pour des hebdomadaires. Je m'étais fait aussi deux clients intéressants : le service publicité de la SNCF – pour des paysages – et le Commissariat au Tourisme à qui je vendais des droits de reproduction de photos de Paris et de province.
Avez-vous été tenté par les photos d'actualité politique ?
Non, pas du tout. C'est-à-dire qu'il y avait des sujets d'actualité qui pouvaient intéresser des magazines. Par exemple, quelque chose a déterminé mon destin professionnel. J'étais dans la rue le 14 juillet 1936, pendant le Front populaire. J'y ai photographié la petite fille sur les épaules de son papa avec le poing et son bonnet phrygien. Une personne que j'ai retrouvée 61 ans plus tard ! Les photos prises ce jour-là ont été mes premières piges photographiques. J'ai du vendre une ou deux photos au quotidien communiste, L'Humanité.
Mais c'est exceptionnel que mes photos paraissent dans les quotidiens. C'est plutôt les magazines qui ont publié mes reportages effectués sur des sujets divers : des personnalités artistiques, des lieux pittoresques ou de villégiature en France. Des sujets pour des magazines de luxe.
En fait, c'est pendant que je travaillais dans le studio de mon père que j'ai vu une photo qui m'a passionné. Elle était présentée dans une exposition annuelle internationale, dans un hôtel particulier de la rue de Clichy (Paris). Cette photographie représentait ce que je voulais faire. C'est ce qui m'a soutenu.
Qu'appréciez-vous dans cette photo ?
C'était une photo de la vie prise par un grand reporter-illustrateur. Ce n'était pas de l'esthétisme pur, formaliste, figé. J'aimais les photographies prises sur le vif, où il y avait un mariage réussi de la forme et du contenu. Cela m'a tout de suite fasciné.
Comme j'étais imprégné par la peinture classique, surtout par les Flamands de l'âge d'or (XVIe-XVIIe siècles), dont Bruegel, je voyais dans les photos exposées des scènes de la vie quotidienne et une composition extraordinaire. Avec cette difficulté spécifique à la photographie : vous avez très peu de temps pour composer quand vous travaillez sur le vif. Mais il faut quand même avoir ce souci.
C'est ce qui me rendait cette photo si chère : ce risque de ratage constant, entre l'émotion ressentie et la capacité à traduire cela sans fausse note.
La peinture m'a appris cela. La photographie est quand même la fille de la peinture.
Trois éléments essentiels doivent y être associés : la composition, l'information et le moment fort, facteur d'émotion. Si une photo me choque sur le plan formel, même si elle a un contenu riche, je ne la tire pas. Elle reste à l'état de friche. Comme les photographies supplémentaires d'une planche-contact où il y a une photo qui vaut le coup d'être tirée.
Comment enseigne-t-on cela ?
Je rappelais aux étudiants leurs cours d'esthétisme des Beaux-Arts, ce qu'est une image bien construite, avec des exemples de diapositives, d'après des photographies de grands photographes, et des photographies que j'avais prises, en expliquant comment elles avaient été faites et dans quelles circonstances.
Surtout de Capa. Je voyais en eux le photographe que je voulais devenir.
Nous nous sommes rencontrés dans des associations de photographes qu'ils fréquentaient vaguement. J'étais encore au magasin paternel. Chim venait glacer ses photos sur la glaceuse de mon atelier. Il tirait lui-même ses photos avec un petit agrandisseur qu'il avait dans sa chambre d'hôtel. Arrivé de Pologne sans rien, il y vivait pauvrement. Puis, leur situation s'est vite améliorée. Plus rapidement pour Capa.
Tous les deux ont eu énormément de succès avec leurs photos de la guerre d'Espagne. Ils n'ont plus eu les problèmes économiques qui étaient les leurs à leur arrivée à Paris. Je n'ai pas couvert cette guerre, car j'avais charge d'âmes : ma mère et mon frère cadet.
Vous avez photographié les grèves, notamment chez Citroën avant la guerre. Etiez-vous alors communiste ?
Je me sentais déjà communiste. J'ai été membre du Parti communiste après la Seconde Guerre mondiale et jusqu'en 1965. Le Parti a ses exigences et mon emploi du temps était extrêmement heurté. Je ne pouvais pas assurer certaines tâches – distribution de tracts à 5 h du matin aux portes des usines – et je me sentais gêné vis-à-vis de mes camarades. J'étais venu au Parti par le cœur, mais je n'avais pas la tête politique. Mes idées n'ont pas varié.
En 1939, vous êtes mobilisé…
Je n'étais pas en 1939-1940 en zone d'opérations.
Démobilisé en 1940, je suis rentré à Paris que j'ai quitté clandestinement quand j'ai senti les dangers : les décrets anti-juifs, etc. Comme juif, je ne pouvais pas être photographe. Il fallait demander des autorisations aux Allemands pour se servir d'un appareil dehors. Et il n'était pas question de se jeter dans la gueule du loup.
En juin 1941, j'ai rejoint la zone Sud où j'ai vécu de petits boulots sur la Côte d'Azur.
Ma mère, totalement inconsciente, est restée à Paris toute la durée de la guerre. Par chance, elle n'a pas été dénoncée.
Mon frère cadet a rejoint la zone momentanément non occupée. Nous avons ensuite été des clandestins, avec des rapports plus ou moins étroits avec la Résistance. J'ai fait un peu de résistance à travers mon activité de photographe.
A la Libération, tout le monde débordait de joie. Et les juifs doublement, car on se retrouvait citoyens à part entière, alors qu'on était auparavant comme des animaux traqués.
Vous rentrez alors à Paris…
La reprise d'activité était fabuleuse : toute la presse renaissait alors. Nous avions une association professionnelle car les fournitures étaient contingentées. On ne fabriquait pas assez en France. Alors, on recevait des films des Etats-Unis, par exemple. Et on avait chacun un contingent de papiers photographiques, de films et de certains produits car j'avais ma carte de presse.
Peu après, en 1946, un trentenaire comme moi, Raymond Grosset, le patron de l'agence Rapho, m'a demandé d'entrer dans son agence. L'agence avait été créée avant-guerre sous le nom de Rado Photo par un Juif hongrois, Rado. Celui-ci avait fui la France vers 1938-1939 et avait ouvert son agence à New York. Dans l'équipe de Rapho, il y avait Janine Niepce, Sabine Weiss, Robert Doisneau, Brassaï et bien d'autres. On y entrait par cooptation. Grosset avait vu nos signatures dans des hebdos. Les photographes dénichaient les clients et l'agence leur apportait aussi des idées, passait des commandes, car elle visitait tous les périodiques et savait quels sujets étaient dans l'air et donc à traiter.
J'ai quitté Rapho en 1955 et y suis revenu en 1972. Alors, j'ai eu besoin de prendre une certaine distance.
Ma femme, peintre, et moi avons vécu en Provence, notamment dans notre maison à Gordes (Vaucluse) achetée en 1948. J'ai décidé d'y travailler autrement. Deux fois par trimestre, j'allais à Paris pour maintenir les contacts avec Rapho et voir des amis. J'avais de grandes satisfactions en Provence, notamment dans une activité pédagogique. J'assurais des cours une fois par semaine aux Beaux-Arts à Avignon et à la Faculté de Lettres d'Aix-en-Provence.
Vous avez aussi enseigné dans des écoles de formation aux métiers de l'image (I.D.H.E.C., ancienne-Fémis, école de Vaugirard), à la Faculté de Sciences. Comment reconnaît-on un bon photographe ?
Concernant les élèves, il ne faut pas être trop rapide dans son jugement. On n'est pas sûr, sauf si le jeune photographe s'affirme tout de suite dans un genre qu'il cultive. Mais le talent est visible tout de suite. On sent si quelqu'un a un œil. Les besogneux font des photos sages et ils n'iront jamais beaucoup plus loin. Sa photo, c'est le reflet de sa personnalité.
Vous avez été membre du " Groupe des Quinze "…
Oui, pendant une dizaine d'années. J'y ai été convié en 1947, par cooptation. Ce n'était pas une école artistique : nous n'étions pas reliés par un style ou un credo artistique communs. C'était un lien de camaraderie de photographes – Doisneau, M. Amson, J.A. Seeberger, etc. – qui s'estimaient mutuellement et s'entendaient bien. Nous nous réunissions chaque mois et nous présentions une exposition annuelle collective. Ce groupe a disparu avec la mort de l'un des fondateurs : Garban, Emmanuel Sougez et Masclet.
Vous commencez alors un reportage sur Belleville qui donnera un livre au texte de Pierre Mac Orlan et régulièrement réédité…
C'était une idée personnelle. C'est par un ami qui habitait là-haut que j'ai connu ce quartier. J'aime les gens des quartiers populaires : je les photographie d'un œil amical. Même s'il y a de fieffées crapules parmi eux.
Quels appareils avez-vous utilisés ?
J'ai travaillé d'abord avec un Rolleiflex acheté en 1937 à un réfugié juif allemand. Beaucoup de réfugiés allemands quittaient l'Allemagne avec plusieurs appareils qu'ils vendaient dans leurs pays d'accueil ou de transit. Cela leur permettait d'avoir des revenus pour vivre. Jusqu'en 1955, j'ai utilisé le Rolleiflex.
Puis, je suis passé aux petits formats 24 x 36 car j'ai eu besoin d'avoir un appareil plus rapide d'emploi, équipé avec des objectifs interchangeables pour avoir différents angles. Le Rolleiflex n'avait qu'un seul angle. Et l'avantage du petit format, c'est que je pouvais faire 36 vues sans avoir besoin de recharger. Alors qu'une bobine de Rolleiflex n'a que 12 vues. Quand c'est du portrait, cela n'a pas d'importance. Mais quand vous êtes dans le feu d'une action, d'une situation, 12 vues, ça part vite. Et si vous êtes obligé de recharger, il y a des beaux moments que vous loupez.
Vos étudiants ont du vous demander quel appareil utiliser ?
Oui. Et je leur répondais : " Ce qui compte, ce n'est pas l'appareil. C'est le photographe qui fait la photo, avec son intention, sa sensibilité, son regard ". Une photographie, c'est un condensé de ce qu'il y a dans le cerveau et de ce qu'il y a dans le cœur si l'on peut dire. C'est l'émotion et l'intellect. C'est un équilibre. La composition, c'est la réflexion qui doit être très rapide. Mais cela ne se présente pas toujours sous les meilleurs auspices. La difficulté, c'est le risque d'échec constant. Mais elle stimule. Et c'est elle qui m'a rendu ce métier si passionnant. C'est pourquoi j'ai si peu de considération pour le paysage : parce qu'on a le temps. J'en ai fait car je suis très sensible à un beau paysage et que je voulais en garder le souvenir. Mais cela ne me faisait pas vraiment vibrer.
Le hasard, c'est très important. Et cela se mérite. C'est un mystère. Pour certaines photos, il y a des facteurs " déclencheurs ". Il y a tout d'un coup quelque chose qui détermine cette espèce de poussée d'adrénaline. Et c'est maintenant ! Mais la photographie, c'est multiple.
Avez-vous souvent recadré vos photos ?
J'ai pas mal recadré quand je travaillais au Rolleiflex, au 6 x-6. Mais depuis que je travaille aux petits formats, le recadrage est exceptionnel.
Comment expliquez-vous cela ?
C'est un souci de rigueur. Quand on travaille aux petits formats, on sait qu'il faut agrandir plus – par rapport au 6 x 6 - pour avoir une photographie d'une certaine dimension. Donc, la granulation du film est plus visible. C'était très vrai avant. Cela l'est moins maintenant puisque les films n'ont quasiment plus de grain. Mais quand même, il y a aussi une question de rigueur et de satisfaction esthétique de se dire qu'on a déjà son image complète dans le viseur et c'est comme ça qu'on veut la tirer. On voit le filet noir autour qui indique qu'on a tiré le négatif complet, car le noir, c'est le début de la transparence du film autour de la partie impressionnée. Quelquefois, cela m'arrivait en 6 x 6 aussi, parce qu'il se trouvait que dans le carré, l'image était très bien composée dans son entier.
Préférez-vous le noir et blanc ?
L'essentiel de mon travail a été en noir et blanc.
A mes débuts, on n'imprimait pas en couleurs dans les revues. L'irruption de la couleur dans la presse illustrée, c'est le milieu des années 1950. J'ai fait alors beaucoup de couleurs à la demande des clients. Mais j'ai toujours préféré le noir et blanc car j'y suis rompu. Je vois les choses ainsi. Et mon côté artisanal fait que je développais et tirais moi-même mes photos. Alors que pour la couleur, c'est infiniment plus compliqué. On donne les diapositives ou les photos couleurs, si on travaille en négatifs couleurs, à tirer à des laboratoires spécialisés car les bains de traitement de couleurs, si vous ne vous en servez pas tous les jours, s'abîment très vite.
Avant le retour de ma femme et moi à Paris en 1983, je faisais tout moi-même pour des raisons d'économie : le laboratoire coûte cher. Puis, quand j'ai bénéficié d'une certaine reconnaissance professionnelle, je n'ai plus eu de problèmes de prix de revient. Donc j'ai à peu près tout donné à tirer.
Mais j'ai toujours eu un laboratoire chez moi, car j'assure toujours le développement de mes films. Je fais un tirage de travail que je montre au laboratoire, à qui je donne le négatif. Je lui dis de quelle manière je veux qu'il soit amélioré. Comme c'est toujours le même tireur qui travaille pour moi, il sait ce que je veux. Je n'ai jamais fait d'exposition de photos en couleurs.
Vous avez photographié Paris, ses piétons, ses artisans, etc. Ces reportages sont-ils possibles maintenant ? Les tribunaux sont saisis de demandes et doivent arbitrer entre des principes parfois difficiles à concilier : d'une part, le droit des particuliers à leur image et au respect de leur vie privée, et d'autre part le droit des reporters d'images d'informer et d'exercer leur activité professionnelle. Les jurisprudences en plus varient…
On n'ose plus faire ce genre de reportages. On est dans l'autocensure. C'est très grave. Moi, je n'en fais plus, donc je ne me pose plus ce problème. Mais j'ai le souvenir en 1989, d'un reportage dans le quartier de la Défense.
Il y a des photos que j'ai faites et que je n'ai pas données. Parce qu'il s'agissait des couples et que j'ignorais s'ils étaient réguliers ou non. J'ai fait les photos car j'avais envie de garder ces jolis moments. Mais déjà à cette époque on faisait très attention. C'est devenu plus grave maintenant. Il faut absolument modifier la législation parce que sinon c'est la mort de la mémoire. C'est très difficile. D'autant plus que le photographe ne peut pas aller avec un carnet à souches et demander l'autorisation des personnes qu'il photographie. La première réaction serait : "Non ". Alors que la plupart du temps, quand les gens se voient, ils sont plutôt flattés.
Je n'ai jamais photographié les gens dans des situations les mettant en difficulté ou les ridiculisant. Je respecte mes contemporains.
ADDENDUM
"Willy Ronis, autoportrait d'un photographe"
Histoire diffusa les 13, 15, 21, 26 et 27 octobre ainsi que le 2 novembre 2015 Willy Ronis, autoportrait d'un photographe, documentaire de Michel Toutain (Pyramide Production). "En soixante-seize ans de pratique, Willy Ronis s'est photographié chaque année : premier autoportrait à seize ans, dernier à quatre-vingt-douze. Ces autoportraits rythment la construction de ce film dans lequel Willy Ronis parle de lui, de son art, de sa carrière. Il analyse aussi quelques-unes de ses images les plus célèbres, celles qui l'ont fait entrer dans l'histoire de la photographie".
"Willy Ronis, une journée à Oradour"
Le 15 avril 2016, Histoire diffusa Willy Ronis, une journée à Oradour, documentaire de Patrick Seraudie : "Le 12 Juin 1949, à l'initiative de Louis Aragon et Frédéric Joliot-Curie, une caravane d'artistes et d'intellectuels proches du mouvement de la Paix se rend à Oradour-sur-Glane pour une journée commémorative. Quelques 400 créateurs parmi lesquels Elsa Triolet, Pablo Picasso, Fernand Léger et Tristan Tzara ont fait don d'une œuvre d'art ou d'un manuscrit pour constituer un Livre d'Or collectif, offert à la commune. A la demande de Louis Aragon, Willy Ronis accompagne cette délégation d'intellectuels et d'artistes. Il réalise un reportage dont les Lettres Françaises publient quelques images. Lors de cette journée, parallèlement à l'événement immortalisé par la photo d'Aragon brandissant le Livre d'Or au-dessus de la foule, il pose son regard de photographe humaniste sur la population du village. La plupart de ces photos resteront inédites. Elles constituent aujourd'hui l'unique témoignage iconographique de cet événement, mais aussi une trace de la vie des familles dans ces années de reconstruction. 57 ans plus tard, en 2006, Willy Ronis ressort ses négatifs et témoigne de cette journée du 12 Juin 1949. Willy Ronis, une journée à Oradour, un film de 24 minutes pour dévoiler une partie jusqu'alors méconnue de l'œuvre du photographe".
Jeu de Paume
En 2017, le Jeu de Paume présenta "au Château de Tours, une exposition consacrée au photographe français Willy Ronis (1910-2009), réalisée à partir du fonds de la donation qu’il a faite à l’État en 1983. Organisée conjointement avec la Médiathèque de l’Architecture et du Patrimoine, cette exposition rend hommage à cet artiste de renommée internationale, en dévoilant des photographies restées encore méconnues".
Belleville
Arte diffuse sur son site Internet, dans le cadre d'Invitation au voyage (Stadt Land Kunst), "Belleville, le Paris populaire de Willy Ronis" (Belleville, das Paris der kleinen Leute von Willy Ronis). À Paris, Belleville avait très mauvaise réputation après la Seconde Guerre mondiale. Quand il s’y installe, le photographe Willy Ronis découvre un quartier de petits artisans populaire, convivial et multiculturel. L’artiste y trouve un terrain de jeu inépuisable et se laisse guider par les sons, les lumières pour capturer des instants de vie aujourd’hui envolés."
"Le photographe Willy Ronis (1910-2009) a traversé le XXe siècle en capturant les temps forts des luttes sociales et, avec tendresse, les instants de vie quotidienne de ses contemporains. Portrait."
"Du Front populaire à Belleville, en passant par la RDA, le documentaire “Willy Ronis, les combats d'un photographe” dresse le portrait de celui qui fut le grand photographe du petit peuple et un compositeur d’images du quotidien empreintes d’humanisme".
"Un môme hilare qui court baguette sous le bras, une fillette poing levé sur les épaules de son père à la Bastille en 1936, un bistrot mélancolique sous un rideau de pluie mais aussi un nu, façon Bonnard, de sa compagne : Willy Ronis, faux jumeau de Robert Doisneau à l’agence Rapho, a produit nombre d’images emblématiques".
"Né à Paris en 1910 dans le 9e arrondissement, ce fils d’exilés juifs de l’Est grandit dans l’ombre d’un père adulé, photographe retoucheur qu’il rejoint d’abord dans son studio. Violoniste – un sens de la composition qui infusera ses clichés −, le jeune Willy, témoin engagé précoce des luttes ouvrières, documente dès les années trente le monde prolétaire, des usines à l’euphorie des congés payés. Après-guerre, ses clichés empreints d’humanisme s’arrachent dans une presse illustrée à son âge d’or, entre grèves, misère des taudis et légèreté des guinguettes".
"Photographe de l’intime aussi, ce maître de la lumière, ami de Prévert, saisit la poésie du quotidien, dans les rues pentues de Belleville comme en famille. Le cœur à jamais auprès des "exploités et des humiliés", il adhère au Parti communiste, jusqu’à l’aveuglement, à la faveur d’un reportage enthousiaste commandé par la RDA en 1967. Sombrant dans l’oubli, l’artiste est redécouvert dans les années 1980, ses photographies exhumées, trésors de l’école française, s’imposant alors comme des icônes du passé."
"Au fil de ses images, célèbres ou moins familières, et d’entretiens, un portrait touchant de ce "grand photographe du petit peuple", idéaliste romantique, sérieux et délicieux, en même temps qu’une plongée dans les combats du siècle qu’il a traversé jusqu’à sa disparition en 2009, à 99 ans.
"Willy Ronis, génie de l’instant"
"Coup de projecteur sur trois clichés iconiques de Willy Ronis, grande figure de la photographie humaniste, auquel le réalisateur Vladimir Vasak consacre un beau portrait. Par Hélène Porret."
“Rose Zehner”
"25 mars 1938. Alors que les acquis du Front populaire sont menacés, 150 000 ouvriers de l’automobile se mettent en grève. Jeune photoreporter indépendant, Willy Ronis couvre l’événement pour le magazine Regards. Entré aux usines parisiennes Citroën de Javel grâce à la CGT, le photographe surprend une syndicaliste en plein discours dans l’atelier de sellerie. Bras tendu, Rose Zehner harangue ses camarades ouvrières.
Dans la foule, Ronis immortalise la scène.
Trop sombre, l’image nécessite d’être tirée sur un papier “super contraste”. Faute de temps, le cliché n’est pas publié.
Retrouvée à l’occasion de la parution de son livre Sur le fil du hasard en 1980, cette photographie est devenue un symbole des luttes sociales, que cet artiste engagé a chroniquées sans relâche."
“Le nu provençal”
"Été 1949. Comme sortie d’une toile impressionniste, la silhouette d’une femme nue, caressée par la lumière chaude d’un après-midi ensoleillé, apparaît. En vacances à Gordes dans la maison qu’il restaure, Ronis prend en photo sa femme Marie-Anne, tout juste réveillée de sa sieste. Cette image pure, simple, pleine de poésie, révèle le talent du photographe pour capter l’émotion d’une scène de vie intime. Emblématique de son oeuvre d’après-guerre, Le nu provençal témoigne d’une liberté retrouvée dans le sud de la France, où il s’était exilé en juin 1941. Contraint de quitter Paris pour ne pas porter l’étoile jaune, Willy Ronis avait rejoint, à Tourrettes-sur-Loup, une bande d’amis réunis autour de Jacques Prévert, en préparation des Enfants du paradis."
“Le Café de France”
"L’Isle-sur-la-Sorgue, août 1979. Une femme émerge d’un café à la devanture ancienne. Sur la terrasse, les clients attablés discutent, rient, pendant qu’une passante les balaie furtivement du regard. Une scène de vie quotidienne prise sur le vif, un matin. Alors qu’une camionnette stationne en face du Café de France, l’artiste grimpe sur le marchepied du véhicule et attend qu’un personnage surgisse du cadre. Frontale, cette image illustre la force des compositions du photographe, qui aime placer l’humain au coeur de son travail. Ses clichés sont comme des récits qu’il construit sur un temps court. Un “exercice d’insécurité” qui lui aura procuré “une jouissance immense” tout au long de sa carrière."
QUELQUES REPÈRES BIOGRAPHIQUES
1910 : Naissance à Paris (9e arrondissement). Lycée, un an de droit. Dessin, violon, harmonie.
1926 : Premier appareil. Photographies de vacances et de Paris.
1932 : Entre à l'atelier photographique de son père.
1936 : Mort de son père. Devient reporter-illustrateur indépendant.
Premières parutions dans Regards sur divers sujets et les mouvements sociaux. Rencontre le photographe Chim.
Exposition à la Gare de l'Est (Paris) : " Neige dans les Vosges ".
1937 : Photos sur Paris, les Vosges et les Alpes.
Achat du premier Rolleiflex.
Amitié avec Capa et David " Chim " Seymour.
Premier reportage pour Plaisir de France.
Exposition à la Gare de l'Est (Paris) : " Paris la nuit ".
1938-39 : Reportages sociaux (grève chez Citroën).
Voyages en Yousgoslavie, Albanie et Grèce.
Pour le Commissariat au Tourisme, photographie Paris et la France.
1941-44 : Régisseur d'une troupe ambulante en zone non occupée, aide décorateur de cinéma aux studios de la Victorine (Nice), assistant dans un studio de portrait (Toulon), peintre sur bijoux avec Marie-Anne – qui deviendra son épouse en 1946 -, et enseignant polyvalent dans un centre de formation professionnelle.
1945-50 : Photographe pour la presse illustrée : Point de vue, L'Ecran français, L'Illustration, Le Monde illustré.
Reportages : le retour des Prisonniers, le 8 mai 1945 (Jour V), la reconstruction en Normandie, les guinguettes de la Marne, l'Opéra de Paris, la Comédie-Française, Air France, le Congrès de la Paix (Varsovie), etc.
Travaille aussi pour la publicité, la mode et l'industrie.
Membre du " Groupe des Quinze ".
Entre à l'agence Rapho.
Dès 1947, photographies de Belleville et Ménilmontant. Prix Kodak (1947).
1950-60 : Collaboration à Vogue (mode).
Participation aux annuaires mondiaux : U.S. Camera, Photography Year Book (Londres), Photography of the World (Japon), etc.
Photo Reportage et chasse aux images (Montel, 1951), édité aussi par Quinti : Il manuale del perfetto fotoreporter (1953).
Exposition au Musée d'Art Moderne (New York) avec Brassaï, Doisneau et Izis (1953).
Belleville-Ménilmontant, préface de Pierre Mac Orlan (Arthaud, 1954).
Médaille d'or de la Biennale de Venise (1957)
.
1960-80 : Illustrations pour des publications, des éditeurs et des administrations, pour le musée et la fondation Vasarely.
Exposition avec Doisneau, Frasnay, Lattès, Pic et Janine Niepce au Musée des Arts Décoratifs à Paris (1965) : " Six photographes et Paris ".
Reportages à Alger sur le premier Festival panafricain, à Berlin-Est, Prague, Moscou.
Dès 1967, professeur à l'I.D.H.E.C. (devenue la FEMIS), Vaugirard et Estienne.
En 1972, installation dans le Midi. Cours aux Beaux-Arts d'Avignon, à la Faculté de Lettres d'Aix-en-Provence et à la Faculté des Sciences de Marseille.
Nombreux titres et décorations : Président d'honneur de l'Association nationale des photographes reporters illustrateurs, après Brassaï (1975), Grand Prix National des Arts et Lettres pour la photographie (1979).
Dirige un atelier à Lannion (Côtes du Nord).
Mission sur le Patrimoine pour le Ministère de la Culture.
De 1980 à sa mort : Expositions à New York (1981), Moscou, Bologne, Tokyo, Paris, Los Angeles, Washington, en Argentine, au Chili (1997), à Kiev, Cologne, Kyoto (2000), etc. Rétrospective officielle au Palais de Tokyo (1985, Paris) et au Musée d'Art moderne d'Oxford (1995-1996)
Prix Nadar pour son album Sur le fil du hasard (Ed. Contrejour, 1980).
Retour à Paris et reprise de la collaboration avec l'agence Rapho (1983).
Marie-Anne, Vincent et moi (Ed. Filigranes, 1999) et Derrière l'objectif, photos et propos (Ed. Hoëbeke, 2001).
Direction d'un atelier à Venise (1981).
Donation de ses archives à l'Etat avec effet post mortem.
Album Mon Paris (Denoël, 1985). 3e édition de Belleville-Ménilmontant. Nombreux documentaires et monographies.
Commandeur dans l'Ordre des Arts et Lettres (1985), Chevalier de la Légion d'Honneur, Officier de l'Ordre national du Mérite. Nommé membre de la Royal Photographic Society (Grande-Bretagne).
"Willy Ronis, les combats d'un photographe" de Vladimir Vasak
France, 2019, 54 min
Auteurs : Vladimir Vasak, Gabrielle de la Selle
Coproduction : ARTE France, Day For Night Productions
Avec le soutien de la Région Ile-de-France et de la Procirep
Sur Arte les 5 juillet 2020 à 18 h 05, 31 juillet 2022 à 17 h 20
Disponible du 28/06/2020 au 02/09/2020 Sur arte.tv du 24/07/2022 au 28/09/2022
Visuels :
Le petit Parisien
Les amoureux de la Bastille, Paris
Mineur silicosé, près de Lens
Rose Zehner, déléguée syndicale pendant une grève chez Citroën-Javel, Paris
Le nu provençal, Gordes
Le Café de France, L' Isle-sur-la-Sorgue
Articles
sur ce blog concernant :
Cet article a été publié par Guysen et sur ce blog le 18 octobre 2010 et republié à l'occasion de l'exposition Ce jour-là à la Maison d’art Bernard-Anthonioz, puis le
- 14 août 2013 car Willy Ronis est né un 14 août ;
- 13 octobre 2015, 14 avril 20, 29 octobre 2017, 1er juillet 2020.