vendredi 14 janvier 2022

« L'Algérie sous Vichy » de Stéphane Benhamou

Arte diffusera le 18 janvier 2022 « L'Algérie sous Vichy » (Algerien 1943. Der Betrug an den Juden), documentaire partial de Stéphane Benhamou, 
inspiré par L’année des dupes – Alger 1943 (Fayard, 2019) de Jacques Attali et avec l'interview notamment de l'historien Benjamin Stora. « En archives et avec l’éclairage d’historiens, une traversée de l’Algérie coloniale sous Vichy, où persécutions des juifs et discriminations systémiques envers la majorité musulmane encouragent la lutte pour l’indépendance ».


En 2019, Fayard a publié « L’année des dupes – Alger 1943 » Jacques Attali. « Nul ne se souvient aujourd’hui du sort des juifs en Algérie lors de la Seconde Guerre mondiale, des camps de concentration ouverts en l’absence de tout Allemand par Vichy et leur maintien après un débarquement américain honteux. Le récit de cette période trouble nous dit beaucoup de l’identité de la France et de l’Algérie actuelles. »

« Voici le récit d’un épisode incroyable, trop souvent censuré, de l’histoire de France, de l’histoire de l’Algérie et de celle de la Seconde Guerre mondiale. 1943. Une extraordinaire année de dupes, qui éclaire d’un jour nouveau la situation géopolitique mondiale d’aujourd’hui. C’est d’abord l’histoire des Juifs d’Algérie qui reçurent, en 1870, la citoyenneté française et qui subirent ensuite des discriminations plus intenses encore que partout ailleurs en France, trouvant leur apogée dans les trois années de domination pétainiste en Algérie », a écrit Jacques Attali. Qui a censuré cette Histoire ? Quid de l'occupation nazie de la Tunisie ?

Et il a poursuivi : « Des Juifs à qui deux gouvernements français successifs retirèrent leur citoyenneté : un gouvernement collaborant avec les nazis ; puis un autre, dont on ne parle jamais, collaborant avec les Américains. Des Juifs à qui des dirigeants français, hors de toute présence allemande, se préparaient à faire porter des étoiles jaunes et qu’ils s’apprêtaient à enfermer dans des camps de concentration sahariens ».

« C’est aussi l’histoire du premier débarquement de troupes anglo-américaines en terre de France pendant la Seconde Guerre mondiale ; un débarquement qu’on ne commémore pas, parce que des troupes françaises y combattirent des troupes américaines. Cet épisode incroyable met en scène des vichystes proaméricains, des Américains pétainistes, des résistants maréchalistes, se battant les uns contre les autres », a-t-il continué. Quid du rôle essentiel des résistants juifs, comme José Aboulker, dans ce débarquement des Alliés en Algérie, tout en réduisant le nombre de morts ?
 
« C’est enfin une histoire bien plus vaste, parce qu’en fait les dirigeants français craignaient que permettre aux Juifs d’être français n’ouvre le même avenir à tous les Algériens. Cela concerne aussi tous ceux qui réfléchissent aujourd’hui, où que ce soit dans le monde, à ce qu’est une citoyenneté, une nation, une identité. Pour construire un monde enfin libre et heureux », a-t-il conclu. Bla bla bla...

« Juin 1940 : après la débâcle, suivie par l’exode en métropole, l’Algérie française, épargnée par les bombardements et l’Occupation, ne s’en rallie pas moins avec ferveur, de l’été 1940 à 1943, à la révolution nationale du maréchal Pétain. Renforcement de l'ordre colonial et de la puissance de l’Église, exaltation de l'Empire et mise au pas des populations "indigènes"… : les Européens plébiscitent les orientations politiques de Vichy ». 

« Animés d'un profond antisémitisme, nombre d’entre eux approuvent l’abrogation du décret Crémieux qui, en 1870, avait accordé aux juifs d'Algérie la citoyenneté française, contribuant alors à diviser juifs et musulmans "pour mieux régner".

« Ce zèle à anticiper les injonctions allemandes vise aussi à signifier aux 7 millions de musulmans (90 % de la population) qu’ils ne doivent en rien espérer cette citoyenneté ». La voulaient-ils ? Ou préféraient-ils garder leur statut personnel régi par le Coran ?

« Dénoncée par des leaders comme Ferhat Abbas ou Messali Hadj, cette "égalité par le bas" entraîne, à rebours des attentes de l’autorité coloniale, un mouvement de solidarité entre deux communautés désormais unies dans la misère ». Quid des effets de la propagande nazie en "terre d'islam" ?

« Exclus du jour au lendemain de la fonction publique et de l’école, humiliés et spoliés de leurs biens, les juifs seront aussi internés dans des camps ». Quid de l'indemnisation par la France de ces internés juifs ? Quid de l'administrateur judiciaire musulman qui a collaboré à cette spoliation ?

« À l’automne 1942, les persécutions vont se poursuivre, malgré le débarquement en Afrique du Nord. Car l’amiral Darlan puis, après son assassinat le 24 décembre, son successeur le général Giraud, professent en leitmotiv : "Les juifs à l’échoppe, les musulmans à la charrue."

« En archives, dont certaines en couleur, ce passionnant documentaire, inspiré par le livre de Jacques Attali L’année des dupes – Alger 1943 (éd. Fayard, 2019), éclaire, avec des historiens dont Benjamin Stora − lequel y évoque le passé douloureux de sa famille −, un pan méconnu de l’Algérie française pendant la Seconde Guerre mondiale ». 

« Un sombre épisode qui, au passage, bat en brèche toute tentative fallacieuse de distinction entre juifs français et étrangers sous Vichy ». 
 
« Convoquant Albert Camus ou encore Jacques Derrida, qui portera les stigmates de cette période après son exclusion de l’école française à l’âge de 10 ans, le film montre aussi combien la violence des persécutions contre les juifs a anéanti la promesse coloniale de "civilisation" en Algérie et attisé le feu naissant de la lutte nationaliste vers l’indépendance. » 

« Dès le 10 février 1943, Ferhat Abbas publiait ainsi le Manifeste du peuple algérien, réclamant l’abolition de la colonisation et la liberté et l’égalité pour tous les habitants." Quid du djihad ? Quid des relations entre Algériens en métropole et en Algérie ?

Nuançons le tableau des "Indigènes" sous le régime de Vichy présenté par ce film. C’est dans le catalogue de l'exposition "La Collaboration 1940-1945que l’on trouve une seule mention incomplète sur la collaboration de musulmans dans la page « 5 juillet 1943 Er-Rachid, le « messager » d’une indépendance sous protection allemande » : « Er-Rachid, « le Messager », fondé en janvier 1943, journal du Comité musulman de l’Afrique du Nord, doit tout à l’activité de Mohamed El Maadi. Cet Algérien, né en 1902, fut très tôt un opposant à la colonisation française. Avant-guerre, il est lié à la Cagoule. Décoré de la Légion d’honneur pour son engagement en 1939-1940, il adhère au MSR puis au RNP, avant de créer son propre comité pour mieux servir la cause indépendantiste, dont il espère la réussite grâce à la victoire allemande. Mais, début juillet 1943, si la couverture du n° 8 rappelle que le « cadenas » d’une Europe nazie semble encore bien fermé, l’Afrique du Nord est aux mains des Alliés. Une raison supplémentaire pour que la propagande d’Er-Rachid imprègne peu la communauté nord-africaine de métropole. Ce n’est que grâce au soutien financier et au réseau d’Henri Lafont, le patron de la Gestapo française de la rue Lauriston, qu’El Maadi réussit à sauver son journal pro-allemand et antisémite. Il le remerciera en l’aidant en 1944 à recruter des hommes pour sa Brigade nord-africaine ». Bref, la collaboration de musulman est réduite au journal Er-Rachid, « le Messager », et à Mohamed El Maadi. Sans expliquer ce que fut cette Brigade nord-africaine.

La Légion nord-africaine (LNA), dénommée aussi Brigade nord-africaine (BNA) et Phalange nord-africaine a été fondée en janvier 1944 par Henri Chamberlin dit Henri Lafont (1902-1944), un chef de la Gestapo française de la rue Lauriston (75016), et par Mohamed el-Maadi (1902-1954 ou 1957), dont le père était le Caïd Mahfuz al-Ma'adi, Bachagha, commandeur de la Légion d'honneur, et la mère française : en janvier 1943, cet ex-officier français et militant pour l'indépendance algérienne fonde le bimensuel « Er Rachid » grâce à l'argent de l'Abwehr et au tirage, remarquable en période de pénurie, de 80 000 exemplaires. Cette Légion nord-africaine a pour supérieur hiérarchique le colonel SS Helmut Knochen. Elle sert l’armée allemande occupante. Elle compte dans ses rangs des musulmans originaires d'Afrique du Nord et habitant en Ile-de-France. Non seulement elle lutte contre la résistance intérieure française, dans les maquis de Corrèze, en Dordogne et en Franche-Comté, mais en plus elle commet des massacres à Brantôme (26 mars 1944), Sainte-Marie-de-Chignac (27 mars 1944), Saint-Martin-de-Fressengeas, Mussidan (52 fusillés), Saint-Germain-du-Salembre et des Piles à Cornille. Après sa dissolution en août 1944, une partie de ses membres accompagnent en Allemagne Mohamed el-Maadi. Celui-ci y est accueilli par le Grand Mufti de Jérusalem Amin al-Husseini, puis s'installe au Caire (Egypte). 

Citons un autre musulman allié des Nazis : Saïd Mohammedi, dont le nom de guerre était Si Nacer (1912- 1994), kabyle aspirant de l'armée française, s'engage dans la Waffen-SS et la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme), lutte sur le front russe, séjourne à Berlin, est décoré par la croix de fer, en mission de renseignement et sabotage en Algérie à la demande de l'Abwehr, fin 1944, avec 5 compagnons d'armes, arrêté, condamné aux travaux forcés et à l'emprisonnement à perpétuité, libéré après des remises de peine en 1952, il lutte pour l'indépendance de l'Algérie en portant son Stahlhelm casque allemand et sa mitraillette de cette période de collaboration, colonel de l'Armée de libération nationale (ALN) en Wilaya III, député (1962), ministre des Anciens combattants et victimes de la guerre (moudjahidines), et finit sympathisant du FIS, etc. 



« En abrogeant le décret Crémieux, en 1940, Vichy retire leur citoyenneté française aux juifs d'Algérie et organise leur mise à l'écart de la société coloniale. Entretien avec Benjamin Stora, historien et intervenant dans ce documentaire, dont la famille fut directement victime de cette décision. Propos recueillis par Raphaël Badache ».

« Dans quel contexte s'inscrit l'abrogation du décret Crémieux ?
Benjamin Stora : En 1870, ce décret avait offert la citoyenneté française à ceux qu'on appelait les "Israélites indigènes". Proches ou membres de l'extrême droite, de nombreux Européens d'Algérie n'avaient cessé de batailler contre le texte. En octobre 1940, le régime de Vichy les comble : les juifs redeviennent des "indigènes". Ils perdent la nationalité française, sont chassés de la fonction publique, spoliés de leurs biens, et leurs enfants n'ont plus le droit d'aller à l'école… 

Pourquoi ces Européens d'Algérie ont-ils tant lutté contre ce décret ?
D'abord, en raison d'un antisémitisme viscéral. Ils reprochaient aussi aux juifs d'Algérie de soutenir les républicains, soit la gauche de l'époque. Enfin, ils voyaient dans le décret Crémieux la possibilité pour les autres "indigènes", en l'occurrence la majorité musulmane, de devenir à leur tour des citoyens français de plein droit. Du fait de la démographie en Algérie, les Européens auraient alors couru le danger, par exemple, de perdre les élections, notamment municipales. Impensable.

En s'attaquant aux juifs, les autorités pétainistes espéraient-elles rallier les leaders musulmans ?  
Elles prétendent rétablir l'égalité entre juifs et musulmans, mais il s'agit d'une égalité par le bas. Contre leurs attentes, l'abrogation du décret renforce les aspirations à l'indépendance nées dans les années 1920. Pour Messali Hadj, le leader du courant indépendantiste, l'attitude de la France coloniale envers les juifs est une preuve supplémentaire que celle-ci n'accordera jamais de nouveaux droits aux musulmans. Quant à Ferhat Abbas, qui a longtemps incarné un courant assimilationniste en se battant pour une forme d'extension du décret Crémieux aux musulmans, il a cette phrase célèbre : "La France peut reprendre d'une main ce qu'elle a donné de l'autre."

Y a-t-il eu des marques de solidarité des musulmans envers les juifs ? 
Celle-ci s’est exprimée de façon très simple : alors qu'une loi autorise désormais la spoliation des biens juifs, la plupart des musulmans refusent de profiter de cette situation, qu'ils ont eux-mêmes subie lors de l'arrivée des Français en Algérie.

Malgré le débarquement américain, le décret Crémieux n'est pas rétabli, et De Gaulle mettra plusieurs mois à l'imposer. Pourquoi ?  
Les autorités françaises craignent un supposé ressentiment des musulmans si les juifs retrouvent leurs droits. Par ailleurs, l'antisémitisme reste une composante forte des cercles dirigeants. Le général Henri Giraud, le nouvel homme fort d'Alger, soutenu par les États-Unis, n'imagine pas une seule seconde redonner la citoyenneté aux juifs. Charles de Gaulle, qui l'écarte, montre une réelle volonté de rétablir le décret, mais se heurte à la résistance puissante de l'appareil administratif européen. La mobilisation de la communauté juive et de la gauche républicaine l'aide finalement à y parvenir, en octobre 1943.

Dans le documentaire, on découvre l'histoire de votre grand-père, mort « pratiquement de chagrin » en 1945… 
Comme tous les juifs d'Algérie, il a été spolié de tout ce qu'il possédait, notamment d'un cinéma. Un Européen s'en est emparé en 1941 et a refusé de le lui restituer, alléguant qu'il l’avait acquis légalement. Mon grand-père est mort sans avoir pu récupérer une partie de ses biens, mais notre famille y est parvenue par la suite. »


« L'Algérie sous Vichy » de Stéphane Benhamou
France, 2020, 52 mn
Auteurs : Stéphane Benhamou et Jacques Attali
Coproduction : ARTE France, Siècle Productions 
Sur Arte le 18 janvier 2022 à 22 h 30


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