Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme (mahJ) présente l’exposition « Chagall, Modigliani, Soutine... Paris pour école, 1905-1940 » assorti d’un catalogue intéressant. « A travers plus de 130 œuvres, un hommage aux artistes qui, de l'aube du XXe siècle à la Deuxième Guerre mondiale, ont contribué à "une effervescence artistique sans précédent" à Paris. Des artistes anonymes ou célèbres, méconnus ou oubliés, rescapés de la Shoah ou exilés, spoliés ou aux œuvres disparues voire détruites.
« Nous étions toute une génération, des enfants du héder, jusqu’aux étudiants talmudistes, épuisés par tant d’années à la seule analyse des textes. Nous emparant de crayons et de pinceaux, nous avons commencé à disséquer la nature, mais aussi à nous disséquer.
Qui étions-nous ?
Quelle était notre place parmi les nations ?
Qu’en était-il de notre culture ?
A quoi devait ressembler notre art ?
Tout cela s’ébaucha dans quelques villes de Lituanie, de Russie blanche et d’Ukraine pour se prolonger a Paris. »
El Lissitsky, Rimon-Milgroim n° 3, Berlin, 1923
« Peut-on considérer comme indésirable l’artiste pour qui Paris est la Terre promise, la terre bénie des peintres et des sculpteurs ? » C’est ainsi que le critique d’art André Warnod (1885-1960) défendait en 1925 les artistes, marginalisés parce qu’étrangers, au sein du salon des Indépendants. »
« De cette critique de la xénophobie du milieu de l’art parisien est née l’appellation « Ecole de Paris ». Depuis, la formule désigne paradoxalement la scène constituée dès le début du XXe siècle et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale par des artistes venus de toute l’Europe, mais aussi d’Amérique, d’Asie et d’Afrique. Ce cosmopolitisme, qui agite les cafés de Montparnasse et anime les ateliers de la Ruche ou de la cité Falguière, est sans précédent dans l’histoire de l’art. »
« Parmi ces hommes et ces femmes, nombreux sont les juifs, issus des métropoles européennes, mais aussi des bourgades juives de l’Empire russe, venus renforcer les rangs des académies de la capitale. Tous sont en quête d’émancipation politique, sociale, religieuse... L’accès aux disciplines artistiques étant souvent limite dans leurs pays d’origine, ils espèrent à Paris se confronter à la modernité et devenir en toute liberté des créateurs à part entière.
Certains sont aujourd’hui célèbres comme Marc Chagall, Chaïm Soutine ou Amedeo Modigliani, d’autres sont moins notoires comme Michel Kikoïne, Jules Pascin, Jacques Lipchitz, Louis Marcoussis, Chana Orloff, Moise Kisling, Ossip Zadkine, d’autres enfin sont largement oubliés comme Walter Bondy, Henri Epstein, Adolphe Feder, Alice Halicka, Henri Hayden, Leon Indenbaum, Georges Kars, Léopold Lévy, Mela Muter, Simon Mondzain ou Léon Weissberg ».
« A travers plus de 130 œuvres et de nombreux documents inédits, l’exposition « Paris pour école » entend renouveler le regard sur cette génération d’artistes juifs arrivés à Paris entre 1900 et 1914. Leur soudaine apparition, dans un monde où critiques et marchands d’origine juive étaient déjà nombreux, a pu faire croire à l’existence d’une « Ecole juive », et a suscité un antisémitisme virulent dans les années 1920. Mais au-delà d’un même désir de s’affranchir des cadres de la vie juive, de maitriser leur art et de gagner une certaine reconnaissance, tous se retrouvent dans un refus des systèmes et la volonté de mener l’itinéraire singulier que leur récent statut autorise enfin. Ces personnalités d’exception ne sont en réalité d’aucune « Ecole », mais sont liées par une histoire commune, par un idéal et, pour certaines, par un destin tragique ».
L’exposition « est accompagnée d’un catalogue coédité avec la RMN, de rencontres, de lectures, d’un colloque, de visites guidées, de promenades hors les murs et d’activités pour le jeune public ».
Sous la direction de Pascale Samuel, conservatrice de la collection d’art moderne et contemporain du mahJ, le catalogue reprend l’ensemble des œuvres et leurs cartels, de courts textes didactiques, la chronologie, les cartes : l’intégralité de ce que vous allez voir, de ce vous avez vu, votre visite à l’identique, enrichi de biographies, de citations, de photographies et de documents d’époque".
Le mahJ « publie parallèlement avec les éditions Hazan Nos artistes martyrs, traduction de l'ouvrage de Hersh Fenster sur les artistes juifs assassinés ou morts dans le dénuement pendant l'Occupation, et présente une évocation du livre dans le foyer intitulée « Hersh Fenster et le shtetl perdu de Montparnasse ».
Le Commissariat est assuré par Pascale Samuel, conservatrice de la collection moderne et contemporaine du mahJ ; la coordination et recherches ont été effectuées par Dorota Sniezek, assistée d’Emma Levy.
L’exposition bénéficie du soutien de la fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la direction régionale des Affaires culturelles d'Ile-de-France – ministère de la Culture, de la fondation Feldstein, sous l'égide de la fondation du Judaïsme français, de la Délégation interministérielle a la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT, et de la fondation Pro mahJ.
Elle « est rendue possible par les prêts exceptionnels du Centre Pompidou – Musée national d’art moderne. »
Repères chronologiques
« 1900 Picasso arrive à Paris.
1902 Inauguration de la Ruche au 2, passage Dantzig a Paris dans le 15e arrondissement.
1903 Premier salon d’Automne ; Gertrude Stein arrive à Paris ; vague de pogroms anti-juifs dans l'Empire russe ; Walter Bondy, Rudolf Levy, et Louis Marcoussis arrivent à Paris, suivis de Bela Czobel l’année suivante.
1905 Les fauves exposent ensemble au salon d’Automne ; Sonia Delaunay et Jules Pascin arrivent à Paris.
1906 Réhabilitation d'Alfred Dreyfus par un arrêt de la Cour de cassation ; émigration massive des juifs russes, consécutive au pogroms en Russie ; Oscar Miestchaninoff et Amedeo Modigliani arrivent à Paris.
1908 L’académie Matisse ouvre ses portes en janvier avec le soutien, notamment, de Sarah et Leo Stein, Rudolf Levy et Hans Purrmann ; cette école d'art connait un succès rapide et compte plus de soixante-dix élèves de toutes les nationalités.
1909 Première exposition cubiste majeure au salon d’Automne et au salon des Indépendants.
1910 Marc Chagall, Adolphe Feder, Moise Kisling, et Chana Orloff arrivent à Paris ; Chagall et Zadkine s’installent à la Ruche ; Sonia Terk Uhde épouse Robert Delaunay ; Pascin présente sa première exposition personnelle à la galerie Berthe Weill ; nouvelle vague de pogroms anti-juifs dans l'Empire russe.
1911 Léon Idenbaum arrive à Paris ; Mondzain visite Paris une seconde fois.
1912 Arrivée à Paris d'Isaac Dobrinsky, Henri Epstein, Morice Lipsi, Marevna, Michel Kikoine, Pinchus Kremegne et Chaim Soutine ; Simon Mondzain rejoint son ami Kisling ; Lipchitz rencontre Picasso ; exposition cubiste ≪ La Section d’Or ≫ à la Galerie de la Boétie, avec notamment Marcel Duchamp, Francis Kupka, Albert Gleizes et Louis Marcoussis.
1913 Alice Halicka et Mane-Katz arrivent à Paris ; Levy, Miestchaninoff, Pascin et Zak envoient leurs oeuvres à l’Armory Show de New York.
1914 Début de la Première Guerre mondiale ; Kikoine, Kisling, Marcoussis, Mondzain et Zadkine s’engagent dans l’armée française ; Dobrinsky est refusé pour des raisons de santé ; Rudolf Levy rejoint l’armée allemande et Leopold Gottlieb l’armée polonaise ; Chagall et Mane-Katz retournent en Russie ; Georges Kars retourne à Prague ; Czobel part en Hollande ;
les Delaunay partent en Espagne et au Portugal ; Lipchitz reste en Espagne pendant un an ; Zak part dans le sud de la France ; Pascin émigre aux Etats-Unis.
1918 L'armistice du 11 novembre marque la fin de la Première Guerre mondiale.
1919 Nouvelle vague de pogroms antisémites en Russie ; Kars quitte Prague et revient à Paris ; Kisling organise sa première exposition temporaire à la Galerie Druet.
1920 Mane-Katz revient de Kharkov ; Pascin devient citoyen américain et revient à Paris ; mort de Modigliani.
1922 Kars organise sa première exposition personnelle parisienne à la galerie de la Licorne et Orloff à la galerie Povolozsky ; une annexe du musée du Luxembourg est installée dans le musée du Jeu de Paume pour présenter les œuvres d’artistes étrangers.
1923 Décision du comite du salon des Indépendants d’exposer les œuvres en fonction de la nationalité des artistes ; Chagall revient de Russie, via Berlin ; le collectionneur Albert C. Barnes achète un grand nombre de peintures de Soutine, asseyant sa réputation.
1925 Hitler publie Mein Kampf ; Czobel revient de Berlin ; Zadkine travaille sur la sculpture Pergola de la douce France, présentée en 1925 à l’exposition des Arts Décoratifs de Paris.
1926 Gottlieb quitte la Pologne et revient à Paris ; Orloff fait construire une maison par Auguste Perret a la villa Seurat ; décès d'Eugene Zak ; une rétrospective de son œuvre est présentée a la galerie Bing.
1927 Soutine organise sa première exposition personnelle à la galerie Bing ; premières publications de la série de monographies « Les artistes juifs » aux éditions Le Triangle (Paris).
1928 Les partis de gauche remportent les élections françaises et allemandes.
1929 Exposition des collections du marchand d’art Paul Guillaume à la Galerie Bernheim-Jeune, qui comprend dix-huit œuvres de Modigliani et six de Soutine ; Adolphe Basler inaugure la Galerie de Sèvres au 13, rue de Sèvres ; la veuve d’Eugene Zak inaugure la Galerie Zak au 16, rue de l’Abbaye ; le krach boursier a Wall Street marque le début d’une crise économique mondiale.
1930 Les troupes françaises achèvent leur évacuation du Rhin ; restriction des quotas d’immigration aux Etats-Unis ; Pascin se suicide dans son studio à Paris.
1931 Vague de xénophobie contre les artistes étrangers ; Waldemar-George publie l’article « Ecole Française ou Ecole de Paris » dans la revue Formes.
1933 Hitler est nommé chancelier du Reich ; début du boycott des juifs, qui sont persécutés en Allemagne ; vague d’immigration juive d’Allemagne ; les œuvres de Chagall sont brulées publiquement à Mannheim, sur les ordres de Goebbels.
1935 L’Allemagne commence à se réarmer ; les lois de Nuremberg révoquent les droits des juifs.
1937 Exposition internationale de Paris sous le Front Populaire ; Guernica de Picasso est exposé dans le pavillon espagnol ; l’exposition « Les maitres de l’Art Independant 1895-1937 » au Petit Palais comprend les œuvres de Chagall, Kisling, Lipchitz, Marcoussis, Modigliani, Orloff, Pascin, Soutine, Zadkine, ainsi que de Braque, Ernst, Gris, Matisse, Picasso et Renoir ; Lipchitz, Lipsi et Miestchaninoff remportent des Prix pour leurs sculptures ; l’exposition « Art dégénéré », organisée par les nazis à Munich, présente entre autres les œuvres de Chagall et de Grosz ; un camp de concentration est établi à Buchenwald ; chute du gouvernement Léon Blum.
1938 L’Allemagne envahit les Sudètes et annexe l’Autriche (Anschluss) ; Nuit de Cristal ; promulgation de lois anti-juives en Italie.
1939 Alliance entre l’Allemagne et l’Italie ; l’Allemagne occupe la République Tchèque ; la Pologne est envahie et divisée entre l’Allemagne et l'Union soviétique ; la France et l’Angleterre déclarent la guerre a l’Allemagne ; Chagall, les Delaunay, Dobrinsky, Kars et Zack s’enfuient en province ; Mondzain émigre en Algérie ; Kikoïne et Kisling s'engagent dans l’armée française ; Mane-Katz est emprisonné par les Allemands.
1940 Apres la mise en place du gouvernement de Vichy, les artistes étrangers ne sont plus autorisés à exposer en France ; Breton, Mondrian, Duchamp, Leger, Dali et bien d’autres partent aux Etats-Unis ; Chagall, Halicka, Krémàgne, Lipchitz, Lipsi, Marcoussis et Soutine s’enfuient en province ; Bondy meurt de diabète ; l’Allemagne envahit le Danemark, la Norvège, la Hollande, la Belgique et le Luxembourg ; un camp de concentration nazi est établi à Auschwitz ; en juin, les troupes allemandes occupent Paris ; capitulation de l’Armée française ; depuis Londres, Charles de Gaulle crée les Forces françaises libres ; promulgation par Vichy du Statut des Juifs ; internement des juifs en Zone libre. »
Hôtel de Saint-Aignan
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