mardi 19 octobre 2021

À Table ! Le repas, tout un art

Sèvres - Manufacture et Musée nationaux présente l’exposition « À Table ! Le repas, tout un art ». « Une invitation à un voyage de l’Antiquité à nos jours, gourmand et surprenant. De l’assiette aux couverts, de l’utile au futile, la diversité des ustensiles conte l’histoire parfois surprenante des pratiques alimentaires et des modes de vie, de mets emblématiques de la gastronomie française ». 

« Une femme d'exception. Le royaume d’Anna » par Beate Thalberg
Pour l’exposition « À Table ! Le repas, tout un art », Sèvres - Manufacture et Musée nationaux met « les petits plats dans les grands, pour une invitation à un voyage de l’Antiquité à nos jours, gourmand et surprenant. L’occasion de fêter les 10 ans du classement du repas gastronomique des Français par l’UNESCO et les 280 ans de la Manufacture de Sèvres, haut lieu de la création et du patrimoine. »

« La France symbolise aux yeux du monde entier ce pays où les habitants aiment se réunir tout au long de leur vie autour de tables joliment dressées pour pratiquer l’art de la conversation et de la bonne chère. Cette esthétisation du repas ne concerne pas que les classes les plus aisées ou les restaurants étoilés mais fait partie d’un réel art de vivre à la française. C’est ce qu’a souligné le 16 novembre 2010 l’UNESCO en classant le repas gastronomique des Français au patrimoine immatériel de l’humanité ».

« L’exposition « À Table ! Le repas, tout un art » propose de retracer l’histoire de cette pratique afin de montrer comment l’opulence et l’élégance des dîners de l’Ancien Régime se sont diffusées et transmises jusqu’à nos jours, au point de constituer un idéal de bonheur et un rite social majeur de notre pays. »

« Depuis l’Antiquité, venez découvrir comment sont apparus certains mets emblématiques de la gastronomie française et comment les manières de table ont évolué. » 

« De l’assiette aux couverts, de l’utile au futile, la diversité des ustensiles va vous conter l’histoire parfois surprenante des pratiques alimentaires et des modes de vie. »

« L’exposition retrace l’histoire passionnante du repas gastronomique des Français, de l’Antiquité à nos jours. Née d’une idée originale du musée de Pointe-à-Callière de Montréal, elle évoque la préparation des mets et leur consommation, les arts de la table et celui de la conversation. Elle convie le visiteur à un tour de tables mettant en scène près de 1 000 œuvres. Elles proviennent en majorité des riches collections du Musée national de céramique de Sèvres et du Musée national Adrien Dubouché de Limoges. Les prêts prestigieux d’institutions et de grandes maisons françaises comme Christofle ou Saint-Louis complètent le propos. Les exceptionnelles créations de la Manufacture de Sèvres en ponctuent le parcours. »

« L'exposition montre l’évolution d’une pratique partagée par tous ». 

« Elle fait œuvre citoyenne en luttant contre l’uniformisation des goûts et en soutenant la créativité de la culture française. » 

« Elle rappelle l’importance du repas gastronomique qui accompagne en France tous les grands événements de la vie. À travers cette exposition, Sèvres - Manufacture et Musée nationaux célèbre la convivialité, le partage et la transmission. Autour du thème fédérateur de la gastronomie, l’exposition s’adresse au plus grand nombre : familles, jeune public ainsi qu’aux amateurs et connaisseurs de gastronomie, d’histoire et d’arts de la table. »

« Cette exposition met bien sûr à l’honneur les collections de Sèvres – Manufacture et Musée nationaux car la céramique occupe depuis des siècles une place privilégiée sur les tables. C’est également l’occasion de rappeler le rôle majeur joué par la manufacture de Sèvres dont l’année 2020 marque les 280 ans d’existence. »

Le commissariat général de l'exposition est assuré par Charlotte Vignon, directrice du patrimoine et des collections, le commissariat scientifique par Anaïs Boucher et Viviane Mesqui, conservatrices du patrimoine.

Un catalogue est édité avec les éditions Gourcuff-Gradenigo. L’exposition « À Table ! Le repas, tout un art » est « une invitation à découvrir l’histoire de cette pratique devenue emblématique de la culture française. Richement illustré, l’ouvrage qui accompagne cette exposition montre comment l’opulence et l’élégance des dîners de l’Ancien Régime se sont diffusées et transmises jusqu’à nos jours, au point de constituer un idéal de bonheur et un rite social majeur de notre pays.  C’est également l’occasion de souligner le rôle majeur joué par la manufacture de Sèvres dans l’évolution des arts de la table, alors qu’elle célèbre ses 280 ans d’existence. »



« Pour compléter les thèmes abordés par l’exposition et s’interroger sur des questions actuelles liées à la gastronomie, la nutrition, la biodiversité ou les arts de la table, une programmation de rencontres suivies d’un atelier est prévue le troisième dimanche du mois. Concocté par l’agence Alimentation générale, spécialisée dans les expositions et évènements dédiés à la gastronomie, ce programme invite cuisiniers, designers, artisans, historiens et scientifiques. En parallèle, l’établissement organise des visites, des conférences et des ateliers de pratique pour les familles, les scolaires ou les spécialistes. »

« L’exposition est organisée sous le patronage de la Commission nationale française pour l’UNESCO ». 

« Elle sera ensuite présentée au Musée national Adrien Dubouché de Limoges ».


Le banquet en Gaule à l’époque romaine
« Les habitants de la Gaule, à partir du 1er siècle de notre ère, suivent un mode de vie romain et le conservent durant cinq siècles. Les classes sociales les plus aisées adoptent très vite la pratique du banquet. »
« Appelé cena, il s’agit d’un dîner qui commence à 14h30 en hiver, 16h en été. Dans les riches demeures, il se tient dans une salle de réception, le triclinium, où sont généralement installés trois lits disposés en U, sur lesquels s’allongent les convives deux par deux. À l’aide d’une cuillère ou avec leur main droite, les invités se servent dans les plats disposés par des serviteurs sur de petites tables placées devant eux. Des cruches d’eau parfumée leur permettent de se laver régulièrement les mains. »
« Le repas, accompagné de musique et parfois de danses ou de jeux, est divisé en plusieurs services. Aux hors-d’oeuvres (salades, œufs », fruits de mer dont c’est la grande mode) succèdent les viandes mijotées ou rôties (porc, boeuf, mouton et volaille) et les poissons, puis viennent enfin les douceurs (fruits et petits gâteaux). Le vin, coupé d’eau et mélangé à des épices accompagne l’ensemble du festin. »
« Sur les tables gauloises apparaissent miches de pain frais, fruits et légumes nouvellement acclimatés (olives, pêches, cerises, melons, concombres ou asperges) et produits de luxe importés comme les grenades ou les dattes confites. »
Le Sel
« Le sel est un minéral que l’on trouve dans la nature sous forme de roche ou dilué dans l’eau de sources ou dans l’eau de mer. »
« Dès le 5e millénaire avant notre ère, les hommes ont cherché à s’en procurer car il est indispensable à leur survie, comme à celle du bétail. Ses propriétés antibactériennes ont été découvertes très tôt et il a été utilisé pour conserver un certain nombre d’aliments dont il modifiait la texture. Grâce au sel, fromages, charcuteries et salaisons de poissons sont la base de l’alimentation pendant de nombreux siècles. On aimait aussi naturellement en saupoudrer sur les plats pour le simple plaisir gustatif car le sel a le pouvoir de modifier les saveurs, d’atténuer l’amertume, de rehausser le sucré et de tempérer l’acidité. »
« Pour récolter le sel, on exploite des sources salées, dont l’eau est mise à chauffer jusqu’à évaporation pour obtenir des cristaux. »
« À partir du 1er siècle, on utilise l’action conjuguée du vent et du soleil dans les marais salants des côtes maritimes pour concentrer le sel dans des bassins et le faire cristalliser. »
« Jusqu’à la fin du 18e siècle, le sel est resté un produit coûteux car le pouvoir politique a toujours cherché à en contrôler le commerce et à en tirer profit. »

Les festins du Moyen Âge
« Au Moyen Âge, les repas des élites se caractérisent par l’apparition du service « à la française ». Il consiste en une succession de « services » au cours desquels sont apportés de nombreux plats. Dans un premier temps sont proposés des fruits de saison, des pâtés, boudins ou saucisses. Puis viennent les entrées et potages, qui désignent des aliments cuits dans un pot, souvent des viandes cuisinées avec des légumes. »
« Ensuite, le service des rôts correspond aux viandes rôties, servies uniquement lors des jours « gras », qui alternent avec les jours « maigres » définis par le calendrier liturgique. Les volailles sont les plus appréciées, à côté des grands gibiers ou des animaux d’élevage. » 
« Enfin, le service de la desserte offre des préparations à base de fruits, des tartes ou des rissoles (beignets salés). Chaque service est rythmé par des entremets, composés de plats salés agrémentés de spectacles. »
« La table médiévale apprécie les épices, les saveurs acidulées et sucrées. »
« Les mets sont servis sur une tranche de pain appelée tranchoir. »
« L’ensemble est disposé sur un tailloir, de forme rectangulaire ou circulaire, en métal ou en bois, partagé avec ses voisins de table, tout comme le gobelet. Quelques couteaux constituent les principaux ustensiles mais les convives mangent avec leurs doigts. »
« La salle à manger n’existe pas et les tables sont dressées sur des tréteaux qui disparaissent sous les nappes. Des dressoirs, meubles sur lesquels sont disposés des pièces d’orfèvrerie ou d’autres matériaux luxueux, peuvent former un cadre fastueux. »
Les Épices
« Les épices sont des substances odoriférantes d’origine végétale, fraîches ou sèches, utilisées dans la pharmacopée et dans la cuisine. Si moutarde, aneth ou safran sont cultivées en Europe, la plupart sont d’origine lointaine et ont longtemps été acheminées d’Asie du Sud-est ou d’Extrême-Orient. Il s’agit donc de produits de luxe, très coûteux, à l’image des clous de girofle ou des noix de muscade ou des méconnus macis et maniguette. »
« Dans les recueils culinaires du Moyen Âge et de la Renaissance, on retrouve une cuisine très épicée. On sert aussi les épices à la fin du repas pour faciliter la digestion sous forme d’épices de chambre (confiseries) ou infusées dans du vin. »
« A partir du 17e siècle, la cuisine française abandonne progressivement les épices. Le fameux bouquet garni, composé d’herbes comme le laurier sauce, le thym mais aussi la sauge, l’origan, le romarin, la sarriette ou le persil, va mijoter pendant des siècles. »
« Sans oublier gousses d’ail et beaux oignons ! »
« Ces dernières décennies, mondialisation des goûts et circulation des populations ont entraîné le grand retour des épices exotiques : poivre de Sichuan via la cuisine chinoise, curry et curcuma de la cuisine indienne, wasabi japonais ou ras-el-hanout, mélange d’épices issu du Maghreb, ont désormais leur place sur nos étagères. »

Une Renaissance gastronomique ?
« La Renaissance qui bouleverse le monde artistique n’a pas révolutionné le contenu de l’assiette ou les manières de table en France et en Europe. »
« On connaît assez mal l’art culinaire français du 16e siècle. Des livres de cuisine des années 1540, comme le Livre fort excellent de Cuysine, montrent la permanence des épices et des saveurs aigres-douces ou acidulées. »
« Les élites développent un goût inédit pour le sucre, que l’on retrouve dans des recettes intrigantes comme la « tarte à la moelle de boeuf », et apprécient de plus en plus le beurre. Parallèlement, salades et légumes retrouvent grâce aux yeux des mangeurs aristocratiques. »
« Ces changements, contrairement à une légende tenace, ne sont en rien liés à l’arrivée en France de la reine Catherine de Médicis, originaire de Florence. »
« La découverte du Nouveau Monde introduit de nouvelles denrées originaires des Amériques. Si la poule d’Inde rôtie est très vite admise sur la table, il faut attendre la fin du 18e siècle pour y voir figurer couramment le maïs, la pomme de terre, le potiron ou la tomate. »
« À l’abondance des mets répond le relatif dépouillement de la vaisselle. L’assiette individuelle fait son apparition mais cohabite jusqu’au milieu du 17e siècle avec le tailloir. Quant à la fourchette, plus répandue en Italie, elle demeure très rare au sein de la haute noblesse française jusqu’au 18e siècle. »
Le Sucre
« Le sucre extrait de la canne à sucre arrive en Europe au Moyen-Âge. Considéré comme un remède médicinal, il s’achète auprès des apothicaires. La découverte du Nouveau Monde au 15e siècle marque un tournant : la culture de la canne à sucre est introduite dans les colonies européennes, notamment dans les Antilles françaises et en Amérique du Sud. Le sucre devient une source de revenu majeure et son développement s’inscrit dans l’essor du commerce triangulaire : des armateurs européens acquièrent par échange des hommes originaires d’Afrique, vendus comme esclaves en Amérique, où ils travaillent dans les champs de canne. Les navires reviennent ensuite en Europe avec les récoltes des colonies, dont le sucre. »
« Le sucre est alors un produit coûteux, consommé en morceaux, présentés dans des pots à sucre, ou en poudre, disposé notamment dans des saupoudreuses. On sucre les poissons, les viandes, en particulier à la Renaissance, de même que certains légumes ou fruits. Dès la fin du 17e siècle, la vogue des boissons exotiques (thé, café, chocolat) contribue à l’essor de la consommation du sucre. Il est aussi utilisé pour la réalisation de décors de table non comestibles, avant que ne lui soit préférée la porcelaine. Le sucre est également un conservateur, utilisé pour la confection de confitures, pâtes de fruit ou encore fruits confits. »
« En France, le 19e siècle contribue à la démocratisation du sucre grâce à l’exploitation de la betterave sucrière. Aujourd’hui, le sucre consommé dans le monde provient à 80 % de la canne et à 20 % de la betterave. La France est le dixième producteur mondial de sucre et le premier producteur mondial du sucre de betterave. »

Et le Grand Siècle inventa le repas français
« Entre la fin du 16e siècle et la première moitié du 17e siècle s’élabore en France une nouvelle cuisine aristocratique : les saveurs du bouquet garni l’emportent sur celles des épices lointaines, le beurre règne en maître, le salé tend à être séparé du sucré et une pré-cuisine de bouillons, coulis et fonds de cuisson s’imposent pour élaborer les plats. »
« Le service à la française, apparu au Moyen Âge, se complexifie et se codifie au 17e siècle, notamment à la cour de Versailles. La table est couverte de nombreux plats chauds et froids respectant un plan symétrique rigoureux. En revanche, verres et bouteilles ne sont toujours pas posés sur la table et le convive sollicite un serviteur pour se désaltérer. Tout ceci nécessite une importante domesticité. »
« Les hôtes, selon leur place, n’ont pas accès à l’ensemble des plats et ceux-ci, à peine touchés, sont resservis à d’autres tables, utilisés pour confectionner des farces ou pour nourrir les domestiques. La revente des restes entre dans les gages de ces derniers : ils chargent donc les plats et accélèrent leur rotation à la table des maîtres. »
« Suivant les préceptes de la religion chrétienne, on respecte l’interdiction de consommer de la viande les jours maigres mais les jours de jeûne, on sert, en complément de l’unique repas, une collation de mets sucrés en soirée. Et pour saluer le passage d’un jour maigre à un jour gras, à minuit sonné, le « médianoche », ou « réveillon », propose un repas de viande, divertissement incontournable à la cour ! »
Le Vin
« Les cultures viticoles se développent en France dans les premiers siècles de notre ère. Au Moyen Âge, la plupart des vignobles dépendent de l’Église qui contribue à l’essor de la consommation du vin, élément important de la liturgie. Foulés alors qu’ils sont plus ou moins mûrs, les raisins produisent un jus (moût) acide. Après sa fermentation, le vin nouveau est tout de suite vendu et consommé. »
« Aux 17e et 18e siècles, le vin est une boisson ordinaire consommée toute la journée, coupé avec de l’eau. Il est considéré comme un fortifiant aux vertus antiseptiques et offre un excellent substitut à l’eau dont la qualité laisse à désirer. Des vins de qualité émergent tels que les vins de Champagne et de Bourgogne, très appréciés par les rois de France. » 
« Depuis le 19e siècle, les techniques se modernisent. Le vin rouge supplante le vin blanc, et l’on assiste à une véritable hiérarchisation des vignobles. La crise du phylloxéra détruit à la fin du 19e siècle des milliers d’hectares de vignes et provoque la disparition de cépages ancestraux. »
« Depuis l’Antiquité, vin et cuisine sont liés, qu’il s’agisse de la cuisine du vin (confits, sirops, sauces), de la cuisine au vin (soupes, poissons, volailles, gibiers, etc.) ou de l’accord entre les mets et les vins qui sont indissociables du repas gastronomique. »
« Aujourd’hui la France, qui produit près de 17 % du vin de la planète, demeure le premier pays exportateur mondial de vin en valeur. Elle figure, par ailleurs, au deuxième rang en matière de consommation après les États-Unis. »

Les raffinements du siècle des Lumières
« Le 18e siècle, s’il paraît rejeter la cuisine du siècle précédent, a en réalité poursuivi l’affirmation d’un goût typiquement français : une cuisine simple, raffinée, où coulis, bisques, sauces et bouillons constituent la quintessence de plats qu’ils viennent relever avec légèreté. L’Europe se passionne pour cette cuisine française et les princes des Lumières ne se nourrissent que de plats français aussi fins et inventifs que la révolution philosophique en cours. »
« Si les fastes ne sont pas oubliés pour des repas officiels, on aime également réunir quelques convives lors de petits soupers. Ils se tiennent à l’abri des oreilles et des regards indiscrets car les domestiques ne font qu’apporter les plats avant de se retirer. »
« Sur la table, l’élégance consiste à employer des récipients adaptés aux différents mets ou boissons exotiques. La noblesse passe commande de services de table pouvant compter des centaines d’assiettes, des dizaines de plats, de terrines, de saucières, de raviers, de compotiers, de confituriers, etc. Faïence et porcelaine partent à la conquête des tables et au milieu du siècle, les services en porcelaine de Sèvres rehaussés d’or et peints de délicates couleurs constituent un luxe suprême. »
« Enfin, l’usage de la salle à manger se répand à partir des années 1730 : tel un théâtre où se joue un spectacle, le lieu du repas se dote d’un mobilier et d’un décor spécifiques. »
Cuisine nouvelle … et philosophique
« Au 18e siècle, les cuisiniers Vincent La Chapelle, Menon et d’autres auteurs anonymes prétendent fonder une « cuisine nouvelle », rejetant les complications inutiles de la précédente : elle sera simple et légère grâce aux talents de chimiste des maîtres queue. La cuisine française peut-elle être hissée au rang des beaux-arts ? Selon l’académicien Foncemagne, la « Cuisine moderne » par sa subtilité soutient les talents de l’esprit, des arts et des sciences. « Il n’y a que les Français qui ne savent pas manger, puisqu’il faut un art particulier pour leur rendre les mets mangeables » rétorque le Suisse Jean-Jacques Rousseau. Mais cette critique ne prend pas : l’ensemble de la société se passionne pour la cuisine, du roi Louis XV aux ménagères lectrices de La Cuisinière bourgeoise, les cuisiniers français s’arrachent dans les cours européennes et les plats prisés à Versailles se retrouvent rapidement en vente chez les traiteurs parisiens ! »
Champagne !
« La culture de la vigne en Champagne est introduite par les Romains au 2e siècle. Pendant longtemps, les producteurs veulent éviter l’apparition de bulles, phénomène naturel connu mais peu apprécié. »
« Au 17e siècle, les vins de Champagne et de Bourgogne sont réputés être les meilleurs et dès la fin du siècle les bulles fortuites des vins de Champagne commencent à être recherchées. Dès lors, les Champenois essaient de préserver cette effervescence naturelle en stockant dorénavant le vin en bouteille, et non plus en tonneau. Cette effervescence n’est qu’imparfaitement maîtrisée et les bouteilles, par manque de solidité, explosent fréquemment devant la pression créée par le gaz carbonique, donnant le surnom de « vin du diable » à cette boisson. À partir du 18e siècle, le vin de Champagne pétillant est un produit de luxe qui connaît un grand succès en France. »
« Le 19e siècle se caractérise par l’essor de la production et de la consommation du champagne dans le monde. La protection de ce produit d’exception gagne également du terrain : en 1887 est prononcé un arrêt reconnaissant la propriété du mot champagne exclusivement aux vins issus de ce territoire. »
Alors que le phylloxéra et la Première Guerre mondiale dévastent les vignes, le 20e siècle est marqué par une véritable démocratisation du champagne, dont une grande partie de la production est toujours dédiée à l’exportation. »
Thé, café ou chocolat ?
« Le thé, le café et le chocolat arrivent au 17e siècle en France. Le thé est importé de Chine, le café du Moyen Orient ou du Yémen et le cacao d’Amérique du sud. Les plants de caféier et cacaotier sont également introduits dans les colonies françaises dès cette époque. »
« Ces boissons exotiques deviennent très à la mode au 18e siècle au sein d’une certaine élite sociale qui les apprécie le matin ou lors de collations. Elles sont d’abord dégustées dans des contenants d’origine extrême-orientale et recommandées pour leurs vertus médicinales supposées. Rapidement apparaissent de nouvelles formes de tasses, théières, chocolatières, cafetières, ou encore pots à lait, pot à sucre et gobelets enfoncés. Les déjeuners, rassemblant un certain nombre de ces pièces, font référence au repas pris le matin, alors appelé déjeuner. »
« Ouvert en 1686, le Procope est le premier café ouvert à Paris, et ces établissements se multiplient au 18e siècle, accueillant des intellectuels qui apprécient les propriétés stimulantes de cette boisson. »
« Le café gagne rapidement un public plus large, alors qu’il faudra attendre le 19e siècle pour que la consommation des autres boissons chaudes se démocratise. »
Délices glacés
« Produits de luxe, les glaces sont de plus en plus appréciées au 18e siècle, malgré les obstacles techniques qu’implique leur confection. »
« De la glace était récupérée en hiver sur les lacs gelés, stockée en profondeur dans des puits appelés glacières, avant d’être utilisée pour fabriquer les desserts glacés à l’aide d’une sorbetière. »
« À cette époque, il existe déjà une grande variété de glaces : selon leur composition à base de fruits, parfois aussi de crème, d’oeufs et de sucre, elles sont baptisées fruits glacés, neiges, mousses ou encore fromages glacés. Les parfums sont nombreux, composés avec des fruits (marron, citron, cédrat, pomme, poire, pêche, prune, abricot, fraise, cerise, framboise, ananas...) ou des légumes (artichaut, asperge, rave...) »
« La glace pouvait être consommée au cours du service du fruit, correspondant au dessert dans le service à la française, conservée dans des seaux à glace (ou glacières) puis servie dans des tasses à glace. »
Le rayonnement de Sèvres en Europe
« Les créations de la manufacture de Sèvres sont utilisées par les rois Louis XV et Louis XVI pour réaliser des présents diplomatiques luxueux destinés aux cours européennes, en particulier les services de table. Cette pratique, qui perdure aux siècles suivants, contribue à l’influence majeure exercée par la manufacture de Sèvres en Europe. »
« Dans une moindre mesure, ils favorisent également la diffusion du service à la française. »
« Ces cadeaux diplomatiques et le rayonnement de la Manufacture favorisent également les commandes venues de l’étranger, à l’image de celle passée en 1776 par l’impératrice de Russie, Catherine II. »
Sèvres, une Manufacture d’exception
« La manufacture de Vincennes est fondée en 1740 et déménage en 1756 à Sèvres. Dès 1759, elle devient royale et est restée dans le giron de l’État depuis cette date. »
« Marquée à ses débuts par l’influence d’autres manufactures, elle rivalise rapidement avec ses contemporaines en développant un style propre, grâce à une maîtrise technique ainsi qu’à des artistes et artisans d’exception. Dès les années 1750, apparaissent ainsi des fonds de couleurs d’une grande originalité mais aussi des formes innovantes et élégantes grâce à l’orfèvre Jean-Claude Duplessis (1699-1774). La Manufacture collabore également avec des artistes contemporains majeurs, tels François Boucher (1703-1770), premier peintre du Roi, ou encore le sculpteur Étienne-Maurice Falconet (1716-1791). »
« La Manufacture bénéficie de commanditaires prestigieux à l’instar de la famille royale, des membres de l’aristocratie ou de la bourgeoisie fortunés. Ses créations marquent l’apogée du raffinement des arts décoratifs français au 18e siècle, contribuant à son rayonnement en Europe. »

De l’Empire à la Belle Époque, un siècle gastronomique
« Le service à la française, trop lourd à mettre en oeuvre, est progressivement abandonné au cours du 19e siècle. Il est remplacé par le service dit à la russe : les mets sont apportés les uns après les autres, et non plus tous en même temps. Les convives savourent le même plat au même moment. L’enrichissement décoratif des tables de la haute société demeure spectaculaire. Les verres ont définitivement gagné leur place sur la table, plus nombreux et luxueusement ornés. »
« Les couverts sont de plus en plus sophistiqués et les plats sont dressés comme de véritables architectures. »
« Le 19e siècle voit la diffusion plus large de certains mets. Les évolutions en matière de conservation des aliments ou encore les progrès de l’agriculture et des transports rendent certains fruits et légumes plus accessibles. De même, grâce aux nouvelles techniques industrielles, l’argenterie devient abordable tout comme les services de table en faïence ou en porcelaine. Dans le cadre privé, la salle à manger se systématise alors qu’elle était encore rare au 18e siècle. »
« La décoration et l’ameublement y sont souvent ostentatoires et la table, qui rassemble la cellule familiale, en est la pièce maîtresse. »
« Dans ce contexte de bouleversements, les restaurants parisiens connaissent un essor sans précédent, le repas pris hors du foyer devenant une pratique plus courante. Apparus dans les années 1760, ils se multiplient et contribuent au rayonnement gastronomique de Paris. Ils accompagnent également les changements d’horaires des repas, décalant le déjeuner à midi et le dîner vers la fin de l’après-midi. »
La table et le pouvoir sous Napoléon Ier
« Réputé peu attaché à la bonne chère et passant peu de temps à table, Napoléon Bonaparte, sacré Empereur en 1804, n’en renoue pas moins avec les fastes de l’Ancien régime. »
« Si ses goûts culinaires sont simples, d’autant plus qu’il passe de nombreux mois en campagnes militaires, l’Empereur est conscient que les banquets officiels accompagnant événements dynastiques ou alliances diplomatiques sont l’occasion d’exprimer la puissance de l’Empire. Le luxe inouï des arts de la table contribue à cette mise en scène du pouvoir. Les services en porcelaine produits à la manufacture impériale de Sèvres occupent une place centrale dans cette stratégie politique. L’Empereur commande plusieurs services pour les résidences impériales mais également pour des occasions spécifiques, comme les banquets de noces de la famille impériale. Ces services constituent également des cadeaux de prédilection, offerts aussi bien au tsar Alexandre Ier de Russie qu’aux membres de la Cour. »
La table royale sous Louis-Philippe
« Sous le règne de Louis-Philippe (1830-1848), le cérémonial du grand couvert disparaît. La table royale, tendant vers plus de simplicité, adopte désormais trois formats : les grands galas, qui correspondent aux repas officiels les plus fastueux ; les repas officiels ou semi-officiels ; et enfin, les repas privés, plus intimes. Le service à la française reste utilisé, alors que se développe le service à la russe. »
« Les résidences du souverain (Tuileries, Compiègne, Fontainebleau, Saint-Cloud, Trianon, Neuilly…) reçoivent différents services en porcelaine de la manufacture de Sèvres dont l’importance varie selon leur destinataire. Le service de la table du roi est le plus richement orné (plusieurs exemples sont ici exposés). Puis viennent le service des Princes, le service des Officiers et enfin le service d’Office, présentant tous un décor plus simple. Pour l’argenterie, la maison Christofle fondée en 1832 devient le fournisseur de la table royale tandis que la cristallerie est livrée par Baccarat. »
« La manufacture de Sèvres réalise de nombreux services sous le règne de Louis-Philippe, notamment à l’initiative d’Alexandre Brongniart, directeur de la Manufacture de 1800 à 1847. » 
« Si la table royale constitue une destination privilégiée, elle n’est pas la seule. La technique du calibrage mise au point en 1842 contribue à accroître le rythme de production des assiettes. Les services les plus prestigieux reçoivent des décors peints thématiques : service des Pêches, des Petites Vues de France, des Fleuves ou encore des Départements célèbrent le patrimoine naturel de la France. »
Le siècle des cuisiniers et des gastronomes
« Au 19e siècle, sur le modèle d’Antonin Carême, le cuisinier se hisse au rang d’artiste et accède au statut de chef, parfois doté d’une renommée internationale. Avec lui débute la série des grands chefs de la cuisine française, de Jules Gouffé, son disciple, à Auguste Escoffier en passant par Urbain Dubois. Si Carême est à l’origine d’un style grandiose avec des architectures culinaires très élaborées, celles-ci tendent à disparaitre chez ses successeurs avec le service à la russe, au cours duquel les plats arrivent sur la table découpés à l’avance. Car il ne suffit pas de séduire l’oeil, il faut combler les palais des gourmets. »
« Ces changements sont en partie induits par l’apparition de ceux que l’on appelle les gastronomes et qui magnifient les arts de la table et la gastronomie française. Pour ces amateurs de bonne chère paraissent des guides qui indiquent les endroits à la mode, les bonnes adresses où s’approvisionner en denrées et en porcelaine ou encore ce qu’il convient de dire à table. Grimod de La Reynière et Brillat-Savarin sont ainsi les pères de la critique gastronomique. Ils associent dans leurs livres leurs connaissances techniques de la cuisine à l’expression littéraire et abordent aussi bien la philosophie que les plaisirs de la table et des sens, tout en livrant conseils hygiénistes et anecdotes sur les aliments. »
Au menu ou à la carte
« À l’origine simple outil de travail pour les cuisiniers, le menu en tant qu’objet s’impose au 19e siècle avec le « service à la russe ». »
« Dans les années 1840-1850, la diminution du nombre de plats pour un dîner permet de les inscrire sur de petites cartes que les convives trouvent à leur place. Le programme du festin leur permet de réserver leur appétit et de savourer pleinement chaque service. »
« Souvent décoré, le menu symbolise les grands événements dont il conserve le souvenir : familiaux comme les mariages, institutionnels comme les repas d’associations et de confréries ou encore officiels comme les repas présidentiels. »
« Dans les restaurants, dès la fin du 18e siècle, on trouve sur la carte une composition de plats constituant un menu à prix fixe ou une liste de mets tarifés. Le client confectionne son propre menu en choisissant les plats et les boissons qu’il souhaite consommer. Cette carte devient en même temps un outil de communication : de grandes marques y font leur publicité et les chefs prêtent attention à sa rédaction en donnant des noms élaborés aux plats de leur invention. » 
« Au tout début du 20e siècle, la tendance au menu court se confirme car « la vie trop active ne nous permet pas d’accorder aux plaisirs de la table les longues heures que nos pères avaient coutume d’y consacrer », explique Auguste Escoffier. »
L’hôtellerie de luxe et la haute cuisine française
« Grâce au chemin de fer, le tourisme d’une riche clientèle française et étrangère se développe au 19e siècle dans les stations balnéaires, les villes d’eaux et dans les capitales européennes. Aristocrates et grands bourgeois souhaitent retrouver le luxe de leurs demeures dans les hôtels où ils séjournent parfois plusieurs mois, comme Le Meurice. César Ritz, entrepreneur suisse, et Auguste Escoffier, un cuisinier français, comprenant le rôle essentiel de la gastronomie dans ces palaces s’associent et, après avoir travaillé ensemble notamment au Savoy et au Carlton de Londres, ouvrent en 1898 à Paris le premier hôtel Ritz. Escoffier invente de nouvelles recettes pour une clientèle cosmopolite et les compile dans Le Guide Culinaire, véritable manuel du restaurant gastronomique du début du 20e siècle. Il révolutionne la cuisine de ce type d’établissements en créant une brigade au sein de laquelle les tâches sont réparties, en modernisant les fourneaux et en veillant à l’image de marque du cuisinier. Actif dans de nombreux palaces et personnage influent, il contribue à diffuser la haute cuisine française dans le monde entier. »
L’heure de gloire des restaurants
« Les premiers restaurants ont vu le jour à Paris vers 1760, les traiteurs proposent alors des bouillons « restaurans » la santé, consommables à toute heure. Peu à peu, les restaurants mettent à leur carte des mets plus consistants. Des établissements raffinés voient le jour, notamment autour du Palais Royal : Véry, Beauvilliers, Les Frères provençaux, Méot qui devient ensuite Le Boeuf à la mode. Au début du 19e siècle, le journaliste Eugène Briffault n’hésite pas à dire que les restaurants parisiens ont rendu la cuisine française universelle. En effet, les touristes du monde entier s’y pressent et le modèle s’exporte en province et à l’étranger. »
« On y apprécie les plats mais aussi l’élégance de la table, du service et du décor. Ce sont les nouveaux lieux où voir et être vu. »
« Mais le succès des restaurants tient aussi au fait que l’offre étant variée et la gamme de prix large, ils touchent une large frange de la société. Ils ont largement contribué à la diffusion du repas gastronomique. »
L’Art nouveau métamorphose les arts de la table
« L’Art nouveau se développe dès les début des années 1890 en France et jusqu’au début du 20e siècle. Il marque une véritable rupture avec les styles historiques antérieurs, et vise à repenser le cadre de vie jusque dans les moindres détails, dans un contexte marqué par de nombreux progrès scientifiques et techniques. »
« Ce courant artistique se caractérise par son inspiration naturaliste, l’ornementation végétale contribuant à transformer les objets, forme et décor fusionnant grâce aux courbes organiques. »
« La gamme chromatique mise en oeuvre est également un hommage à la nature, où triomphe le vert, associé aux autres couleurs du vivant. »
Extravagantes ménagères
« Les rituels de la table sont de plus en plus sophistiqués dans la seconde moitié du 19e siècle. Le nombre de couverts contenus dans une ménagère explose et les ustensiles spécifiques se multiplient. »
« Cette évolution s’inscrit dans une période marquée par une obsession pour l’hygiène, interdisant de toucher les aliments de la main, ainsi que par un souci de précision de la gestuelle de la table. »
« Cet essor est également lié à l’élargissement de la clientèle des orfèvres, grâce aux évolutions techniques et à l’essor de l’industrialisation. »
« Christofle développe dès les années 1840 la galvanoplastie et l’argenture électrolytique, qui réduisent les coûts de production. »
« Elles permettent de remplacer les couverts en argent par des pièces en métal modeste (comme le cuivre) couvertes d’une couche d’argent. »
La diffusion des services de table
« Au cour du 19e siècle, et plus encore dans la seconde moitié du siècle, les arts de la table connaissent un essor considérable : céramique, cristallerie, verrerie et argenterie gagnent les tables d’une clientèle bourgeoise toujours plus large. Le développement industriel et l’introduction de nouvelles techniques céramiques telle que la faïence fine jouent un rôle clé dans cette démocratisation des services de table. »
La consécration de la porcelaine de Limoges
« Depuis la fin du 18e siècle, Limoges est un centre porcelainier majeur. Les manufactures qui s’y développent contribuent à la diffusion auprès d’une large clientèle de services de table d’un grand raffinement. »
« La manufacture Pouyat, dont l’activité débute avec l’extraction de kaolin au 18e siècle, contribue au milieu des années 1830 à la renommée des porcelaines de Limoges en dehors de ses frontières. »
« Certaines de ses créations sont de véritables prouesses techniques et témoignent de l’excellence de savoir-faire d’exception. »
« Lors de l’Exposition universelle de 1855, la présentation du service Cérès riche, réalisé d’après des modèles du sculpteur Paul Comoléra, vaut à l’entreprise une médaille de 1ère classe : par le choix exclusif du blanc, qui met en valeur la translucidité de la porcelaine, la manufacture Pouyat contribue à la réputation des « Blancs de Limoges ».
« Le service emprunte son nom à Cérès, déesse romaine de l’agriculture et de la fécondité, et son décor rend hommage aux fruits de la Terre. Il est mis en valeur par le contraste créé entre l’aspect mat du biscuit (non émaillé) et l’éclat brillant des parties émaillées. »
« La production d’un tel service était particulièrement coûteuse et un second service, appelé Cérès Uni, fut édité dans une version simplifiée à des fins commerciales. »
La Pâtisserie
« Beignets antiques ou spécialités médiévales, telles les échaudés et les oublies (sortes de gaufres), les premières pâtisseries étaient simples et souvent salées. On se régale notamment de tourtes à la viande et de tartes au fromage. Il faut attendre la Renaissance pour que tartes « à la franchipanne » ou popelins en « pâte à chaud » (pâte à choux) envahissent les tables. »
« Aux 17e et 18e siècles, les plaisirs sucrés sont principalement dégustés lors du dessert ou des collations. Brioches, feuilletés, madeleines, kougelhopf, meringues, macarons et biscuits au chocolat réalisés sous la direction d’officiers de bouche dans les riches demeures, sont également vendus dans des pâtisseries. »
« Ces boutiques se développent au 19e siècle et évoluent en salons de thé où l’on peut déguster un Saint-Honoré ou une duchesse, l’ancêtre de l’éclair, et repartir avec un « gâteau de voyage », comme un cake ou un Beauvilliers. Pour les grandes occasions, les décors architecturaux en pâte non comestible disparaissent au profit de pièces montées garnies de crème, confiture, nougat et mousse de fruit. À l’image d’Antonin Carême et de son disciple Jules Gouffé, le pâtissier est devenu un véritable artiste. »

Une nouvelle ère pour le repas gastronomique français
« La pratique du repas gastronomique s’est largement diffusée dans la société française au cours des 20e et 21e siècles : grandes occasions ou rencontres amicales sont célébrées au cours de repas qui sortent de l’ordinaire aussi bien par les produits consommés que par l’ordonnancement de la table. »
« Si dans les années 1920 le renouveau culinaire est venu de la redécouverte de la cuisine régionale, les années 1970 sont celles de la « Nouvelle cuisine », plus légère et plus créative. Cuisine moléculaire, cuisine végétale, bio et locale, cuisine fusion etc., chaque chef exprime aujourd’hui sa personnalité et la cuisine française évolue en intégrant les innovations technologiques et les produits venus d’ailleurs. »
« Alors que la salle à manger disparaît progressivement des habitats depuis les années 1950, les arts de la table tendent vers une plus grande sobriété, limitant les objets superflus. Formes et décors ont suivi les tendances artistiques laissant s’exprimer une plus grande liberté créative. Dans les restaurants aussi, le service s’est simplifié : le service à l’assiette s’est imposé dans les années 1960 et les menus ont abouti à la trilogie entrée, plat, dessert. » 
« Gastronomie et arts de la table, symboles de notre pays, ont été mis en avant par les compagnies maritimes et aériennes françaises afin de séduire les touristes étrangers et les passagers les plus aisés. Le repas gastronomique est de ce fait toujours au service de la diplomatie : la diversité des terroirs, la richesse des productions et l’excellence des artisans de France sont proposés aux chefs d’État du monde entier, sublimés par d’exceptionnels services en porcelaine de Sèvres. »
Des repas de luxe au milieu de l’océan
« Offrir des repas à bord des paquebots a été une nécessité. Les séjours sont longs sur les lignes desservant la Méditerranée, l’Océanie ou l’Extrême-Orient au début du 20e siècle et le trajet Le Havre-New York dure encore 5 jours dans les années 1970. »
« Six repas par jour sont en général proposés, le petit-déjeuner, le bouillon à 11h, le déjeuner à 12h, le thé et son accompagnement à 16h, le dîner à 18h et une collation à 23h : ils structurent la journée du voyageur. Afin de séduire les passagers français et étrangers, les compagnies françaises investissent dans de plus grands espaces consacrés à la restauration : des salles à manger de 1ère classe gigantesques, véritables théâtres gastronomiques pour voir et être vu, et des cuisines équipées d’énormes glacières et de fours de plus de 10 mètres de long. À bord, jusque dans les années 1970 est servie une cuisine à base de produits nobles qu’Auguste Escoffier n’aurait pas reniée. Le service est soigné et les arts de la table au monogramme des compagnies sont réalisés spécifiquement par de grandes maisons françaises. »
Gastronomie en altitude
« Lors des longs voyages aériens, les repas sont des moments importants qui rythment les traversées. À partir des années 1940, Air France parvient à remplacer le sandwich et le repas proposé sur la terre ferme dans ses escales pour offrir en 1ère classe un véritable repas gastronomique à bord. Les contraintes sont pourtant importantes car le poids et l’encombrement de la vaisselle ont un coût : plus de kérosène, moins de passagers ou de fret emporté. Et il faut également, dans des espaces réduits, stocker et réchauffer les plats préparés à l’avance. »
« Mais les arts de la table comme la haute cuisine proposée à bord de ses appareils sont l’image de marque de la compagnie : elle se dote dès 1949 à Orly d’un service hôtelier, une cuisine centrale où oeuvrent les meilleurs chefs, approvisionnés par le tout proche marché de Rungis et où sont formés stewards et hôtesses. En 1979 est créée à Roissy la filiale Servair, préparant en collaboration avec de grands chefs des repas gourmands aptes à subir la pressurisation d’un vol aéronautique. »
La table Art déco
« Les prémices du style Art déco voient le jour dès le début du 20e siècle, pour émerger véritablement dans les années Vingt et triompher à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925 organisée à Paris. Accompagnant une société en plein bouleversement technologique, économique et social, l’Art déco transforme les arts de la table. Les formes comme les décors privilégient les contours simplifiés, voire géométriques et stylisés. Raffinement et élégance caractérisant ces nouveaux objets. Motifs végétaux et géométriques sont omniprésents, mis en valeur par des couleurs chatoyantes ou des tonalités noires favorisant les contrastes avec la porcelaine blanche. »
« Des effets de matières sont également recherchés, les traitements de surface alternant zones mates et brillantes pour des effets décoratifs subtils. »
Les bonnes tables du Guide Michelin
« La Manufacture française des pneumatiques Michelin crée en 1900 un guide indiquant les bons itinéraires, les mécaniciens, les hôtels confortables et les curiosités touristiques à visiter. À partir de 1923 germe l’idée de recommander des restaurants dans le Guide alors que les clubs de gastronomes, tel le Club des Cent, gardent leurs annuaires confidentiels. Dans les années Trente sont inventées les catégories une étoile (« vaut l’étape »), deux étoiles (« vaut le détour ») et trois étoiles (« vaut le voyage ») et Bibendum, la mascotte pneumatique de Michelin, s’adresse à tous les gourmets.
Parmi les premiers à recevoir trois étoiles, on retient Eugénie Brazier à Lyon, Marie Bourgeois à Priay ou Fernand Point à Vienne. »
« Les inspecteurs du Guide sillonnent la France, dénichent des talents hors de la Capitale et font découvrir les cuisines régionales autant que la haute cuisine française. Le Guide devient par la suite une référence. »
« À partir de 1972, il rivalise avec le Gault et Millau, défenseur de la Nouvelle cuisine. À l’heure où les réseaux sociaux fourmillent d’avis parfois douteux, le Guide Michelin demeure un repère digne de confiance pour les apprentis gastronomes. »
Former à la cuisine
« La formation des cuisinières et des cuisiniers s’effectue au début du 20e siècle principalement par l’apprentissage dans un restaurant ou dans le cercle familial. L’instruction publique généralisée et l’enseignement ménager proposé aux jeunes filles offrent des cours de cuisine et d’économie domestique mais le but est alors de former les futures maîtresses de maison pour le bien-être de leur foyer, afin de régénérer l’ordre social républicain. Les cuisiniers réservent la haute cuisine aux hommes. L’école du Cordon Bleu, créée par la journaliste Marthe Distel, change la donne en s’adressant aux femmes et demeure aujourd’hui une école de formation reconnue qui accueille 25 000 étudiants, originaires de 15 pays. Dans les années 1930, la chambre de commerce de Paris crée une école destinée aux apprentis qui devient dans les années 1950 l’école supérieure de cuisine française Ferrandi, l’une des plus renommées de France. Il faut attendre les années 1960-1970 pour que l’État crée des lycées hôteliers sur l’ensemble du territoire avec des parcours cohérents. »
Livres, revues, émissions : la cuisine une passion française !
« Sur les étagères des Français se trouvent de nombreux livres de cuisine. Pour les gourmets, c’est la manière la plus simple d’ajouter de nouvelles recettes à celles transmises par leurs parents et grands-parents. »
« Des manuels, des dictionnaires, des encyclopédies guident les novices, comme la Bonne cuisine de Madame Saint-Ange. À partir des années 1930, la redécouverte de la cuisine régionale a entraîné une multitude de publications sur le sujet. La « Nouvelle cuisine » des années 1970, lance la mode des livres de chefs comme La Grande Cuisine minceur de Michel Guérard ou Les recettes originales de Jean et Pierre Troisgros, cuisiniers à Roanne et leur célèbre escalope de saumon à l’oseille. Chaque chef publie désormais son livre avec sa vision de la cuisine ou de la pâtisserie. Ces ouvrages à l’esthétique de plus en plus raffinée, véritables livres-objets pour certains, sont destinés aussi bien à des professionnels qu’a des amateurs passionnés. »
« Ils participent à la diffusion de la haute cuisine dans notre pays mais également à l’étranger où ils sont traduits. Enfin, les émissions à la télévision, depuis celles de Raymond Oliver, chef du Grand Véfour dans les années 1950, jusqu’à Top chef, permettent de toucher un vaste public et ont ravivé le goût de cuisiner. »
Les dix commandements de la Nouvelle cuisine selon Christian Millau et Henri Gault
« Tu ne cuiras pas trop.
Tu utiliseras des produits frais et de qualité.
Tu allégeras ta carte.
Tu ne seras pas systématiquement moderniste.
Tu rechercheras cependant ce que t’apportent les nouvelles techniques. 
Tu éviteras marinades, faisandages, fermentations, etc.
Tu élimineras les sauces riches.
Tu n’ignoreras pas la diététique.
Tu ne truqueras pas tes présentations.
Tu seras inventif. »
Les produits du terroir, un patrimoine culinaire à préserver
« Un territoire, des savoir-faire, une culture et voici que naissent des produits spécifiques, issus directement de la culture ou de l’élevage, ou transformé par des artisans locaux qui connaissent des recettes ancestrales ou y puisent pour en inventer de nouvelles. Les appellations d’origine, à travers un corpus réglementaire et légal sont là pour préserver certains produits régionaux ou traditionnels : la localisation mais également les modes de fabrication. Vins comme le Champagne, fromages comme le Roquefort, lentilles du Puy ont bénéficié dès le début du 20e siècle d’une appellation d’origine contrôlée (AOC). »
« À l’échelle européenne, ce modèle français a inspiré les appellations d’origine protégées (AOP) en 1992 que le consommateur a tendance à confondre. »
Influences croisées
« Au gré des migrations, des plats d’origine étrangère se sont invités dans la cuisine de l’Hexagone : des charcuteries et pâtisseries polonaises au couscous oriental, en passant par les nems vietnamiens, les currys indiens ou les yassas sénégalais ou maliens. Peu à peu, ils ont été consommés et modifiés par ceux qui ne les connaissaient pas et ont intégré la carte de restaurants qui n’ont rien d’exotiques. »
« D’un autre côté, les populations d’origine étrangère revisitent les classiques de la cuisine française, se les approprient à domicile et dans les restaurants qu’ils ouvrent. Des saveurs nouvelles sont également apparues en raison de la mondialisation qui fait voyager les chefs au Japon, au Moyen-Orient ou en Amérique. La cuisine « française » s’enrichit de ces influences et se réinvente, elle transmet des techniques et en découvre de nouvelles. De la fête des voisins aux chefs réfugiés des « Cuistots migrateurs », le repas joue un rôle social et permet d’accueillir et d’apprendre à connaître l’autre. »
La gastrodiplomatie, la table comme ambassade
« Le terme de gastrodiplomatie est apparu en 2002 pour désigner une pratique en réalité pluriséculaire et mondiale. Elle consiste à mettre à profit un repas à des fins politiques, faisant de la gastronomie un outil du soft power, au service de la diplomatie. »
« En effet, un repas peut favoriser les échanges et créer des conditions favorables aux pourparlers. Ainsi, à la chute de Napoléon Ier, le diplomate Talleyrand a été en première ligne des négociations lors du congrès de Vienne (1814-1815) orchestrant les conditions de la paix retrouvée en Europe. Accompagné de cuisiniers d’exception, il a organisé de nombreux festins, convaincu du rôle diplomatique de la table. »
« La France, en raison de la réputation internationale de sa gastronomie comme de ses arts de la table, exerce une place particulière dans le paysage de la gastrodiplomatie. Les repas officiels organisés par la Présidence de la République, première table de France, joue un rôle stratégique en valorisant aussi bien des patrimoines artistiques, industriels que gastronomiques français auprès des chefs d’État du monde entier. »
« Les créations de la manufacture nationale de Sèvres s’inscrivent pleinement dans cette dynamique, accompagnant les repas officiels comme les repas privés, de la Présidence de la République, de ministères, ou encore des ambassades de France dans le monde. Ses productions, réalisées pour répondre aux besoins protocolaires des administrations, sont le reflet aussi bien des évolutions artistiques que des changements des usages de la table. Si des services créés au 19e siècle sont toujours utilisés, des créations contemporaines contribuent à renouveler l’image du paysage artistique français et témoignent de l’excellence des savoir-faire de la Manufacture. »
Un vent de liberté souffle sur la table
« Au cours du 20e siècle, et en particulier dès les années 1960, un véritable renouveau marque les arts de la table, animé par les artistes et designers curieux de proposer de nouvelles formes et d’autres décors. Même si une volonté de préserver les pratiques traditionnelles demeure, une véritable rupture dans les arts de la table met à profit les innovations techniques et une soif de liberté plus grande. »
« De nouvelles formes apparaissent, octogonales ou carrées qui remplacent les formes circulaires antérieures. Formes et décors audacieux transforment les objets utilitaires en oeuvres d’art décoratif. »
« Les collaborations entre artistes, designers et manufactures contribuent à cette petite révolution, qui accompagne les changements de modes de vie. »
La pérennité des surtouts à Sèvres
« Depuis le 18e siècle, la manufacture de Sèvres produit des surtouts en porcelaine qui ont vocation à orner le centre de la table et favoriser par leur décor les discussions entre convives. »
« La Manufacture poursuit cette tradition tout en la renouvelant, en faisant appel à des artistes et designers qui proposent chacun des interprétations très différentes de cet objet, avec une dimension sculpturale souvent spectaculaire. »
Objets détournés
« Les arts de la table, témoins de nos pratiques culinaires, révélateurs de nos modes de vie et de leurs évolutions, sont un véritable matériel d’étude pour de nombreux artistes. Par la diversité des matériaux et des formes qu’ils convient, ils sont un support de réflexion, à l’origine de la transformation d’objets initialement utilitaires et parfois banals en de véritables oeuvres d’art, qui vont jusqu’à perdre leur fonction et devenir de purs objets de délectation. »
« Ces objets sont déroutants aussi bien dans leur forme que dans leur décor. Les effets de matière mettent en oeuvre des techniques complexes suscitant l’interrogation du spectateur. »
Le service Bleu Elysée
« En 2017, Evariste Richer est choisi par un comité de sélection organisé par la manufacture de Sèvres afin de réaliser le décor d’un service de table résolument contemporain destiné aux repas officiels donnés par la Présidence de la République. Né en 1969 à Montpellier, Evariste Richer est diplômé de l’École nationale des Beaux-arts de Grenoble et de l’École nationale supérieure d’arts de Cergy-Pontoise. »
« Il vit et travaille à Paris. Son oeuvre s’inscrit dans une tentative de mesure et de compréhension du monde physique, à l’aide d’outils scientifiques. Evariste Richer convoque aussi bien la géologie, la météorologie ou l’astronomie pour interroger de manière scientifique et décalée nos conventions et systèmes de mesures et partant, notre perception du monde. Prévu pour 300 convives, à l’occasion des grandes réceptions d’État, le service Bleu Élysée est composé de 1200 assiettes du modèle Diane et de 300 assiettes à pain, soit 1500 assiettes au total. Pour cette oeuvre, Evariste Richer s’est inspiré d’un plan du rez-de-chaussée du palais de l’Élysée issu de l’hebdomadaire l’Illustration du 7 juin 1913, qu’il a fragmenté en 300 assiettes. Chaque détail architectural du décor déconstruit joue avec l’histoire de l’abstraction. La sélection des 92 assiettes ici exposées figure la cour centrale du palais de l’Élysée, avec les marches du perron bien reconnaissables. L’assiette à pain graduée posée à proximité donne l’échelle générale du plan. Le tracé en bleu est un clin d’oeil au célèbre bleu de Sèvres réalisé avec du cobalt pur, couleur signature de la Manufacture, ainsi qu’aux « bleus » d’architectes, ou diazographies, procédé de reproduction de plans d’architecture. »
« C’est la première fois qu’un service de table présidentiel est réalisé uniquement avec le bleu de Sèvres, sans utilisation de l’or. Le service Bleu Élysée intègre la collection de la Manufacture puis est mis en dépôt au Palais de l’Élysée dès 2019, où des services d’inspiration plus classique et d’époques plus anciennes étaient jusqu’à présent utilisés pour recevoir les hôtes de la République française. »



Anaïs Boucher et Viviane Mesqui (sous la direction de), À Table ! Le repas, tout un art. Éditions Gourcuff Gradenigo/Sévres/Musée national Dubouché, 2020. 255 pages. 170 illustrations. ISBN-13 ‏: ‎ 978-2353403257. Illustration de la couverture et de la 4e de couverture : Nicolas Buffe

Du 18 novembre 2020 au 24 octobre 2021
2, place de la Manufacture. 92310 Sèvres
Tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 13 h et de 14 h à 18 h

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