Citations

« Le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti. » (Albert Camus)
« La lucidité est la blessure la plus rapprochée du Soleil. » (René Char).
« Il faut commencer par le commencement, et le commencement de tout est le courage. » (Vladimir Jankélévitch)
« Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort. Il est de porter la plume dans la plaie. » (Albert Londres)
« Le plus difficile n'est pas de dire ce que l'on voit, mais d'accepter de voir ce que l'on voit. » (Charles Péguy)

vendredi 29 janvier 2021

Les noix


Fruit à coque, la noix offre de multiples usages : gastronomie, peinture, etc. Elle est l'un des fruits consommés lors du Seder de Tou Bichvat (« nouvel an des arbres »)Arte diffusa le numéro de Xenius intitulé Les noix, noisettes et autres fruits à coque sont-ils diététiques ? (Nüsse: Wie gesund sind sie wirklich?) et « Les noix, le trésor du Kirghizstan » (Kirgisisches Gold. Reichtum aus dem Wald), par Carolin Reiter (2015). 

« Le savant, l'imposteur et Staline. Comment nourrir le peuple » par Gulya Mirzoeva
« OGM - Mensonges et vérités » de Frédéric Castaignède 
« Starbucks sans filtre » par Luc Hermann et Gilles Bovon
« Une femme d'exception. Le royaume d’Anna » par Beate Thalberg

« Une noix
Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une noix ?
Qu'est-ce qu'on y voit ? », chantait Charles Trénet.

La noix est le noyau sec de la drupe, fruit du noyer aux feuilles riches en tanin. A l'intérieur de la coque : le cerneau, noyau comestible.

Judaïsme
Il n'existe qu'une seule mention de la noix dans la Bible : « Vers le verger des noyers je suis descendue. » (Cantique des Cantiques VI : 11). La noix « évoque la boîte crânienne, la coque de la noix protégeant un fruit ressemblant au cerveau (cerneau). La noix Egoz a pour valeur numérique 17 qui est égale au mot tov, « bon » en hébreu. Composées de quatre parties, les kabbalistes y décèlent les quatre lettres du nom divin ou Tétragramme, (Zohar II 15 B) ».

Indiqué dans le Talmud, Tou Bichvat, qui signifie «15 (du mois) de chévat », est qualifié de Nouvel An des arbres (Roch Hachana lailanot). Il correspond au moment de la montée de la sève dans l'arbre, avant le printemps »… Tou Bichvat « rappelle aussi le lien indéfectible » du peuple juif « avec la terre d'Israël, lieu de son épanouissement spirituel et terre des promesses divines ». Lors de cette fête, les Juifs mangent toutes sortes de fruits – olives, dattes, raisins, figue, raisins, grenades, pomme, noix, amande, poire - et plantent « des arbres, en récitant des louanges à l’Eternel ».

"Trésor nutritif"
Gastronomie - huile de noix riche en acides gras oméga 3, vin, confiture et gâteaux de noix, plats salés -, menuiserie ou ébénisterie, cosmétiques, peinture - teinture au brou de noix -, santé - fibres, vitamines E, oligo-éléments, magnésium, potassium, protéines, acides gras mono- et polysaturés -... Riche en Oméga 3, la noix offre de multiples usages bénéfiques : réduction du taux de cholestérol, effet positif sur la tension artérielle, sensation de satiété.

Importée du Proche-Orient en Europe par les Romains qui voulaient la cultiver en France, la noix s'est particulièrement bien acclimatée dans deux grandes régions de nuciculture : celle de Grenoble et la Dordogne.

En France, dans leurs noyeraies, les nuciculteurs du Périgord et de Grenoble cultivent des noix AOC (Appellation d'origine contrôlée), notamment la franquette. Pour atténuer l'amertume des noix fraîches, Nicolas Idelon, nuciculteur, conseille de leur ôter la peau. Après avoir été cueillies, les noix sont lavées, séchées pendant 72 heures. Les noix de Grenoble doivent avoir entre 8 et 12% d'humidité. Ce qui permet de les conserver un an.

La moitié de la production de noix françaises (38 000 tonnes/an) est exporté vers l'Allemagne qui n'en produit que 300 tonnes.

La Chine, les Etats-Unis, l'Iran et la Turquie produisent diverses variétés de noix.

"Que trouve-t-on à l'intérieur d'une noix ? Comment la cultiver et la récolter dans les meilleures conditions ? "Xenius" se penche également sur les autres fruits à coque : quels sont leurs bienfaits et les risques liés à leur consommation ? Que trouve-t-on à l'intérieur d'une noix ? Dörthe Eickelberg et Pierre Girard explorent le Grenoblois, terroir séculaire de la fameuse noix de Grenoble, où ils s'initient au séchage et au stockage des noix". Présenté par Dörthe Eickelberg et Pierre Girard, Xenius étudiera la noix, les noisettes et les autres fruits à coques. "Ceux-ci sont sujets à moisissures. Il faut donc bien les contrôler", observe Arne Sierts-Herrmann, de l'Office allemand de protection des consommateurs, qui alerte sur les dangers de l'aflatoxine. Des quotas de contrôle, variant selon le type de produits, ont été fixés par l'Union européenne.

Kirghizistan 
« Depuis des millénaires, le sud du Kirghizistan recèle un trésor précieux : les noix. Voyage au sein d'une région à la longue histoire, mais aux traditions en sursis ».

« Selon la légende, Alexandre le Grand aurait rapporté la noix jusqu’en Grèce, après l’avoir découverte au Kirghizistan lors de l’une de ses campagnes d'Asie centrale ». 

La « plus grande et la plus ancienne forêt de noyers au monde se trouve encore aujourd'hui dans les montagnes du sud du pays ». Les nomades peuplent une grande partie du Kirghizstan, pays généralement montagneux

Ses « arbres centenaires – certains ont plus de 400 ans – s’étendent sur une vaste région de la taille de la Seine-et-Marne ».

Les « fruits récoltés, ainsi que le précieux bois de noyer, font partie des plus importantes ressources du pays, prisées bien au-delà des frontières nationales ». 

« Si cette production assure le revenu de la majorité de la population, très rurale, les arbres sont menacés par la déforestation illégale ». 

« En s'immisçant dans le quotidien d’une famille du village d’Arslanbob, l'on découvre une région à l’histoire et à la culture fascinantes, dont le mode de vie traditionnel se révèle être en sursis ». Pommes de terre, maïs, noix... Les paysans espèrent en une bonne récolte pour survivre dans ce village où les familles nombreuses, issues des mariages d'un Kirghiz, sont fréquentes. Une partie des fruits est vendue au marché, et l'autre partie est conservée en conserves pour l'hiver. Les hommes ne cuisinent que lors de circonstances exceptionnelles.

La "récolte des noix dure deux mois". "Les familles emménagent provisoirement dans les forêts en emmenant leurs bêtes et leurs enfants qui participent à la récolte". En broutant les jeunes pousses, les bestiaux empêchent la forêt de se renouveler. Il faut trois ans avant qu'un jeune noyer puisse être transplanté. En septembre, les noix sont généralement mûres, sauf intempéries tel le gel. Tous les paysans doivent respecter la date fixée pour le début de la récolte, soit le 1er octobre. Pour la fête du sacrifice, les cueilleurs musulmans  de noix sauvages ont égorgé un mouton avant de débuter le travail. Ils ont prié pour une bonne récolte, que nul ne se blesse, etc. Ces rites renforcent les liens communautaires. Il faut secouer les branches pour faire tomber les fruits. Les noyers peuvent atteindre trente mètres de haut. Enfants et adultes escaladent les noyers. Certains sont tombés et sont demeurés handicapés. Jusqu'à dix kilos de noix récoltés par demi-heure.

"Décortiquées, les noix se vendent jusqu'à trois fois plus au marché", surtout si les cerneaux sont parfaits, non endommagés lors de la casse. Jusqu'à 3 000 tonnes de noix sont récoltées chaque année et vendues en Asie centrale. Les spéculateurs stockent les noix, pour revendre quand les prix sont élevés. Comme les coques des noix, le bois du noyer sert au chauffage.


Les noix, noisettes et autres fruits à coque sont-ils diététiques ?
Allemagne, WDR, 2016, 27 min
Sur Arte le 6 février à 17 h 20 

« Les noix, le trésor du Kirghizstan », par Carolin Reiter
2015, 45 min
Sur Arte les 9 novembre à 15 h 40 et 19 novembre 2016 à 12 h 40

Visuel : DR

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Les citations sont d'Arte. Cet article a été publié le 9 novembre 2016, puis le 8 février 2017.

jeudi 28 janvier 2021

« Le plan Marshall a sauvé l'Amérique » de Bernard George

Le plan Marshall, ou « Programme de rétablissement européen » (European Recovery Program, ou ERP), était un programme américain de prêts accordés, durant la Guerre froide, à des États européens afin de les aider à reconstruire des villes en partie détruites par les bombardements alliés durant la Deuxième Guerre mondiale. Arte diffusera le 29 janvier 2021, dans le cadre de la série « Les coulisses de l’histoire » (Geschehen, neu gesehen. - "Wahre Geschichte"), « Le plan Marshall a sauvé l'Amérique » (Marshallplan. Die USA retten sich selbst) de Bernard George.


« L'Histoire n'est pas une science exacte. Dans cette collection unique, un nouveau regard sur les grands événements du XXe siècle. »

« Avec le temps, les travaux des chercheurs révèlent une réalité souvent plus nuancée que les idées communément admises. De l’imposture militaire d’Hitler aux lourdes contreparties du plan Marshall, des motifs oubliés de la capitulation japonaise, au lendemain des bombardements atomiques d'Hiroshima et Nagasaki, au mythe erroné d’un Mao Zedong artisan de la modernisation de la Chine, cette  passionnante collection documentaire se penche sur de grands personnages et des événements charnières de l’histoire du XXe siècle. Elle en propose une lecture revue et corrigée, portée par un récit limpide tissé de saisissantes archives. »

« De son regard d'historien neutre et distancié, Olivier Wieviorka revient sur quatre grands épisodes historiques pour en rétablir toute la complexité. » 

« De la dénazification de l’Allemagne à la neutralité orientée de la Suisse, de la décolonisation britannique au débarquement du 6 juin 1944, de Jean-Paul II à Ronald Reagan, cette nouvelle série des « Coulisses de l'histoire », passionnante collection documentaire, propose des sujets inédits, se penche sur de grands personnages et des événements charnières de l’histoire du XXe siècle pour en proposer une lecture revue et corrigée»

« Porté par un récit limpide tissé de saisissantes archives, un nouveau regard sur notre passé récent. »

« Le plan Marshall a sauvé l'Amérique »

Arte diffusera le 29 janvier 2021, dans le cadre de la série « Les coulisses de l’histoire » (Geschehen, neu gesehen. - "Wahre Geschichte"), « Le plan Marshall a sauvé l'Amérique » (Marshallplan. Die USA retten sich selbst) de Bernard George.

« Loin d'être une entreprise philanthropique, le plan Marshall a magistralement servi les intérêts politiques et économiques des États-Unis... » 

« Cette passionnante collection documentaire nuance certaines idées ancrées dans la mémoire collective, en les restituant dans toute leur complexité. 

« Généralement perçu comme un acte de générosité pour sauver une Europe dévastée par la Seconde Guerre mondiale, le plan Marshall a magistralement servi les intérêts politiques et économiques des États-Unis ». 

« Le 12 mars 1947, le président Harry S. Truman sonne  l’alerte : le communisme menace, il se propage comme une épidémie, il faut endiguer le fléau, préserver le monde libre de la contamination… Dans la nouvelle guerre qui s’annonce, tous les moyens sont bons pour contrer l’ennemi même les plus inattendus. Il présente au Congrès sa doctrine d’endiguement du communisme ». 

« Moins de trois mois plus tard, le secrétaire d’État George Marshall dévoile à Harvard les grandes lignes de son plan d’aide, qui répond au double objectif d'enrayer la misère sur laquelle prospère l’idéologie ennemie et d’ouvrir un vaste marché pour la florissante production états-unienne ».

Le général George Marshall avait exprimé, durant un discours à l'université Harvard le 5 juin 1947, le souhait de l’administration Truman de contribuer au rétablissement de l'Europe. Il a déclaré :

« Il est logique que les États-Unis fassent tout pour aider à rétablir la santé économique du monde, sans laquelle il ne peut y avoir aucune stabilité politique et aucune paix assurée. »

Lors de la conférence de Paris sont fixées les modalités du plan qui est finalement signé par 16 pays, dont la France, le 20 septembre 1947.

Le 3 avril 1948l le Président Truman signe l'acte octroyant à des Etats européens 6 milliards de dollars, soit 1800 milliards de francs 1948.

Le plan Marshall, ou « Programme de rétablissement européen » (European Recovery Program, ou ERP), était un programme américain de prêts accordés à des États européens afin de les aider à reconstruire des villes en partie détruites par les bombardements alliés durant la Deuxième Guerre mondiale. 

« Sous la pression de Staline, les pays inféodés à Moscou refusent les dollars américains, dessinant ainsi la frontière entre bloc de l’Est et bloc de l’Ouest ». 

Les Etats bénéficiaires de ces prêts - 16,5 milliards de dollars (environ 173 milliards de dollars en 2020) - devaient importer pour un montant équivalent d'équipements et de produits américains.

L’administration américaine du Président démocrate Truman privilégia le Plan Marshall au plan Morgenthau qui souhaitait que l'Allemagne payât, comme après la Première Guerre mondiale, des réparations. 

« Le Plan Marshall a ainsi sauvé́ l’Europe de la misère et du chaos légués par la Seconde Guerre mondiale et a contribué au redressement matériel et moral du vieux continent, mais à quel prix ? »

« Dans les États bénéficiaires – dont la future République fédérale d’Allemagne –, les populations retrouvent foi en l’avenir et les industries se relèvent, tandis qu’une redoutable machine de contrôle et de propagande se met en place pour imposer la mondialisation économique et l’American way of life au rang de modèles universels ».

« Avec le temps, les travaux des chercheurs révèlent une réalité souvent plus nuancée que les idées communément admises ».

"Le XXe siècle révisé"

"Avec six nouveaux volets, la collection documentaire Les coulisses de l'histoire continue à questionner les mythologies de notre mémoire collective. Entretien avec son directeur éditorial, l’historien Olivier Wieviorka. Propos recueillis par Raphaël Badache".  

Quel objectif poursuivez-vous avec ces six nouveaux épisodes ? 

Olivier Wieviorka : Il s'agit de continuer à revisiter le XXe siècle en questionnant les idées reçues et les omissions. Par exemple, l'un des documentaires est consacré à Jean-Paul II, que l'on présente comme un ami des libertés. Oui, le pape a incontestablement œuvré pour l'affranchissement des pays de l'Est. Mais l'on connaît moins son inertie face aux dictatures en Amérique latine.  

Avez-vous déniché des archives inédites ? 

Très souvent, et certaines s’avèrent saisissantes, notamment dans l’épisode sur la décolonisation britannique. L'idée communément admise est que si la France a mal décolonisé, le Royaume-Uni, qui n'a connu ni la guerre d'Algérie ni celle d'Indochine, s'en est bien mieux sorti. La réalité se révèle autrement plus complexe. On le découvre à travers l’entreprise de répression des Mau Mau au Kenya ou la folie militariste à Aden, au Yémen, dont nous montrons des images absolument incroyables. 

Le premier volet est consacré à la dénazification. Pourquoi ? 

Nous avons dans l’idée que l’Allemagne a affronté courageusement son passé après 1945. Or le ménage n'a pas été fait. Ni à l'Est, où le parti communiste a accueilli nombre d'anciens nazis, malgré de grands procès ; ni à l'Ouest, où les anciennes élites du IIIe Reich ont composé jusqu'à 77 % des personnels des ministères de la Défense et de l'Économie. En réalité, la dénazification ne pouvait être qu'extrêmement compliquée à mener car le nazisme avait intoxiqué toute une génération – celle, pour aller vite, née au début des années 1920. Il aurait fallu une purge d'une ampleur inimaginable.  

Est-ce que le procès de Nuremberg, finalement, n'a pas été un moyen d'expédier le processus ?

La volonté de créer une justice internationale a été réelle. Mais il est clair également que ce procès a permis aux Allemands ordinaires d'éviter leur examen de conscience. Juger les figures du nazisme, châtier les responsables les plus éminents, c'est aussi une manière d'exonérer les masses, les suiveurs, les subalternes. C’est la génération de leurs enfants, sur fond de 1968, qui est parvenue à faire bouger les lignes, en questionnant les actes de ses aînés.    

Le deuxième documentaire nous plonge dans la Suisse de la Seconde Guerre mondiale. Quel en est le fil directeur ? 

Nous avons souhaité poser la question de la neutralité dans une telle période. La Suisse, officiellement neutre, a en fait favorisé les puissances de l'Axe. En continuant à commercer avec le IIIe Reich, en menant d'importantes opérations financières et bancaires à son profit, elle a soutenu l'effort de guerre allemand. Parallèlement, le pays a joué un rôle majeur dans l'aide humanitaire, notamment pour les prisonniers de guerre, à travers le comité international de la Croix-Rouge. Son président, le Suisse Max Huber, incarnait toute cette ambivalence : il était également un industriel de l'armement.  

On découvre des images ahurissantes d'une Suisse où la vie semble douce… 

Non seulement la Suisse a su tirer profit économiquement de sa neutralité, mais elle a traversé cette guerre tel un paradis au cœur d'une Europe dévastée, comme le montrent des archives du 1er janvier 1942, où les ambassadeurs du monde entier se retrouvent à Berne, ou celles d'un match de football opposant l'équipe helvète à celle d’Allemagne."


« Le plan Marshall a sauvé l'Amérique » de Bernard George 

France, Cinétévé, 2017, 53 min

Sur Arte le 29 janvier 2021 à 11 h 10

Disponible du 01/01/2021 au 05/05/2021

Visuels

© Ateliers des archives
© Périscope

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Les citations sont d'Arte et de Cinétévé.

mercredi 27 janvier 2021

« Pizza à Auschwitz » par Moshe Zimerman


« Pizza à Auschwitz » (Pizza Be'Auschvitz ; Pizza in Auschwitz) est un documentaire réalisé par Moshe Zimerman (2008). Le « voyage tragi-comique à Auschwitz d’un bouillonnant survivant de la Shoah » et de ses deux enfants israéliens : un « psychodrame familial en cinéma direct ». Les traumatismes de survivants de la Shoah et de leurs enfants. France 3 diffusa le 2 avril 2015, à 20 h 50, Shoah, documentaire de Claude Lanzmann (9 h).


« J’ai un BA d’Auschwitz (Bachelor of Auschwitz, Bachelor est un diplôme universitaire obtenu après quatre ans d’études) », résume Danny Chanoch.

Agé de 74 ans, grand, impressionnant, Danny Chanoch est un survivant de ghettos, de plusieurs camps nazis et de la Shoah. Une tragédie qui a mis un terme à son enfance, a bouleversé sa vie, et a anéanti une partie de sa famille. Il « avait 8 ans quand l’armée allemande a envahi son petit bourg de Lituanie, pulvérisant une existence jusque-là protégée et prospère ».

« Toutes les étapes de sa descente aux enfers, des barbelés du ghetto aux marches de la mort via les rampes de sélection d’Auschwitz, il les a décrites par le menu, dès leur plus jeune âge, à ses deux enfants nés en Israël, Miri (38 ans) et Shagi (40 ans) ». Et en parvenant à ne pas pleurer.

« Depuis ma naissance, la Shoah fait partie de ma vie », résume la fille de Danny, qui « tente de résister par l’humour (noir) au perpétuel « exercice de survie » imposé par son paternel – « on ne peut même pas lui en vouloir, il a payé sa dette à la société ».

Danny Chanoch s’est rendu dans des camps de la mort en Pologne, dans le cadre de différentes délégations, mais jamais avec ses enfants, réticents.

« L’inflexible Danny, a convaincu Miri et Shagi de réaliser son « rêve », qui est aussi une « mission » : l’accompagner sur les lieux de son enfance brisée, de sa ville natale aux camps d’Auschwitz, Mauthausen et Dachau, en compagnie du réalisateur Moshe Zimerman, lui-même fils de rescapé ».

En six jours, ils traversent l’Europe, et arrivent à Birkenau, camp d’extermination du complexe concentrationnaire d’Auschwitz.

Danny veut y concrétiser un souhait : passer la nuit dans sa vieille baraque, dans son propre vieux châlit en bois, avec ses enfants. Il lui faut convaincre la direction du camp-musée.

Dans ce camp, la famille rencontre un groupe de jeunes Allemands venus faire leur propre pèlerinage vers le passé de l’Allemagne. Autour d’une tranche de pizza, le dialogue s’amorce…

« Narratrice fataliste de l’entreprise, qu’elle décrit comme “une émission de télé-réalité sur la Shoah”, Miri commente toutes les étapes de cet éprouvant road movie en minibus à travers la Lituanie et la Pologne ».

« Entre rire grinçant et larmes bienfaisantes, cette tragi-comédie fait vivre au téléspectateur, de l’intérieur et en accéléré, tous les aspects de cet impossible héritage ».

Ce film émouvant a été primé dans différents festivals, notamment en Allemagne, aux Pays-Bas, en Finlande, Croatie, Italie…


Pizza à Auschwitz, de Moshe Zimerman
Israël, 2008, 1h05mn
Production : Trabelsi Productions
Sur Arte, les 29 janvier à 1 h 10 et 29 janvier 2013, en avril 2015

Visuels : © Trabelsi Productions

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Cet article a été publié le 27 janvier 2013, puis le 1er avril 2015.

mardi 26 janvier 2021

« Moshe. Victime et meurtrier », par Natalie Assouline Terebilo


« Moshe. Victime et meurtrier » (Tödliche Rache. Vom Holocaust-Opfer zum Mörder, Dark Side) est un documentaire réalisé par Natalie Assouline Terebilo. « Après la Seconde Guerre mondiale, Moshé Knebel a retrouvé et tué les nazis qui ont assassiné sa famille. En compagnie de ses enfants, il refait le voyage vers la Pologne, plus de soixante ans après, pour renouer avec sa douloureuse histoire. Un questionnement vertigineux sur le sens de la justice ».


« Je ne me souviens pas du premier homme que j’ai tué… Je me rappelle seulement de ses chaussures car elles ont fait mal à mes pieds pendant des mois. Je me souviens que si je ne l’avais pas tué, c’est lui qui m’aurait tué... Depuis ce jour, j’ai su que je devais tuer pour vivre », a confié Moshé Knebel, Juif israélien octogénaire d’origine polonaise - il est né et a grandi à Krasnobród - et survivant de la Shoah. Sa voix off ponctue le film.

« Si à première vue Moshé Knebel, 85 ans, a l’air d’un grand-père comme les autres, le vieil homme israélien d’origine polonaise cache un sombre secret ».

"Pologne gorgée de sang juif"
Âgé de 13 ans, après l'assassinat de son père qui vendait des chevaux, Moshé Knebel erre dans la forêt pendant environ un an et demi. A l’affût de bruits inhabituels. Il mange des baies, des myrtilles et parfois des noisettes.

Dans des buissons, il aperçoit des cadavres de jeunes filles nues.

« A tout moment, des collaborateurs polonais pouvaient surgir et me tirer dessus. J’ai tout fait pour survivre », se souvient tout.

Il apprend que tous les Juifs de Krasnobród, dont sa mère et son petit frère, ont été brûlés dans la boulangerie. Il pleure pendant trois jours. « A 14 ans, j’étais seul, je n’avais plus personne ».

Des partisans russes lui proposent de les rejoindre. Il accepte et reste avec eux. Il apprend à se défendre, le courage de ne pas fuir, de rester et de se battre. Il devient russe. Âgé de 15 ans, il avait « oublié la bénédiction du père lors du chabbat », il « voulait fuir son identité juive ». « Ce qui comptait était que je n’étais plus seul ».

Moshé devient un « vrai soldat russe » : « On tuait tous ceux qui avaient collaboré avec les Allemands. On ne pouvait pas garder de prisonniers. Il fallait les tuer. C’était comme çà, à chaque bataille. Où aurions-nous trouvé de la nourriture ? L’ordre de Moscou était « Pas de prisonnier ». Un jour, l'Armée rouge a projeté un film où des Allemands jettent enfants contre des troncs d'arbres jusqu’à ce qu’il meurent ».

Dans l’Armée rouge, Moshé se porte volontaire pour combattre les Allemands sur le front. C’est à pied qu’il parvient à Berlin au terme d’un trajet de 2000 km, sans suivre de chemin bien tracé.

« Pour la plupart des Juifs polonais, la guerre s’est terminée en 1945. Pour moi, ce n’était qu’un début ». Moshé est fier d’avoir vaincu pour son pays, la Pologne. Il a 18 ans et revient à Krasnobród.

« Tout le monde savait que si quelqu’un rentrait chez lui après guerre, il serait assassiné. J’espérais que quelqu’un de ma famille aurait survécu. Je ne savais pas que j’allais revoir nos voisins portant les robes de ma mère et le manteau qui réchauffait mon père ».

1946, démobilisé, Moshé est content de revoir ses amis d’enfance, mais « la guerre les avait changés, eux aussi ». Après une soirée au bistrot avec trois amis polonais, Moshé part en voiture avec eux. Ces « amis » tentent de le tuer en pleine nuit, l’hiver : ils le frappent à la tête, sur tout le corps. Moshé parvient à fuir et se cache dans un arbre, puis il se réfugie au monastère. Il est aussi nourri et hébergé par la police secrète.

Pour combattre les opposants au communisme, le commandant de la police secrète « cherche des Juifs ayant tout perdu, qui n’ont pas peur de la vengeance ». Le QG de cette police est celui occupé auparavant par la Gestapo. Là, ont lieu les interrogatoires et les tortures des Polonais interpellés et gardés pendant trois mois.

« Ancien partisan, Moshé  a échappé à la déportation ; puis membre de la police secrète polonaise, il a mené à bien, après la Seconde Guerre mondiale et en secret, une terrible vengeance ».

« Officiellement censé débusquer les ennemis du communisme » au sein de l’UB, il « s’est personnellement chargé d'exécuter les anciens nazis responsables de l’assassinat de ses parents et d’une bonne partie de sa famille, mais aussi les collaborateurs polonais qui ont dénoncé les siens ».

Moshé déterre les ossements de son père et de son frère, et les enterre dans le cimetière juif de sa ville.

A partir de 1948, son activité dans la police secrète prend fin. Moshé a alors voulu commencer une nouvelle vie, oublier le passé. Il achète un taxi, emménage dans une lointaine ville. S’y marie, a un fils prénommé Mordechai comme son père.

En 1967, ce Polonais juif immigre en Israël avec sa famille et devient Moshe. Son fils est mobilisé et tombe malade, puis décède. Dans sa douleur, Moshé dit à ses parents décédés que son fils est mort de maladie, et non de balles allemandes.

Longtemps, Moshé a caché à ses enfants qu’il était un survivant de la Shoah, qu’il s’était caché dans les bois avec des partisans polonais.

Ses "enfants l’ont entendu crier quand il faisait ses cauchemars la nuit. Cela a marqué leur vie, même s’il n’en parlait pas au réveil".

« En compagnie de son fils David et de ses filles Hannah et Batya, Mosche refait le voyage vers la Pologne, plus de soixante ans après, pour renouer avec une histoire aussi douloureuse que romanesque ».

« Un plongeon dans un passé dramatique, dont ses enfants n’avaient jamais entendu que des bribes… »

« Comment accepter de voir son père non seulement comme un survivant de l'Holocauste, mais aussi comme un meurtrier ? »

Pour Batya, sa fille : « Nous pouvons essayer de comprendre. Qu’est-ce qui l’a motivé ? Je ne le sais pas. Il n’avait plus rien à perdre ».

Son fils David considère que « le besoin de vengeance vient de l’absence de réponse à la question : Pourquoi ont-ils fait ça ?

« La vengeance ne m’a pas rendu ce qu’elle m’a pris. Elle n’a pas apaisé mes nuits. J’ai eu le sentiment de rendre justice à ma famille », conclut Moshé Knebel qui « a rendu des coups, œil pour œil, dent pour dent ».

Documentariste israélienne, Natalie Assouline Terebilo avait réalisé Shahida – Brides of Allah  (Les épouses d’Allah, 2008, 76 min). Un documentaire sur des djihadistes palestiniennes ayant commis des attentats terroristes en Israël, et leurs motivations : « restaurer l’honneur familial », naïveté ou faiblesse consistant à se laisser instrumentaliser, etc.


Dans « Moshe. Victime et meurtrier », elle mêle de « poignantes scènes animées en noir et blanc » créées par Yoni Goodman (Valse avec Bachir). Elle offre un questionnement vertigineux sur le bien et le mal, le sens de la justice et l’histoire familiale ».

Pourquoi Arte n’utilise-t-elle pas le mot « juif » dans son communiqué !?

Pourquoi Arte a-t-elle diffusé de nouveau ce film émouvant après minuit ?


« Moshe. Victime et meurtrier », par Natalie Assouline Terebilo
Suisse, 2015, 51 min
Sur Arte dans le cadre d’une soirée spéciale consacrée à la libération des camps nazis, le 25 janvier 2017 à 0 h 55, le 31 janvier 2018 à 0 h 10 

Visuels : © First Hand Films/Uri Ackerman
Moshé et sa famille dans la forêt en Pologne où il s’est caché à l’époque des Nazis
Moshe et sa femme Ilana sur la tombe de leurs premiers enfants en Israël
Moshe retourne dans sa ville natale de Krasnobrod en Pologne 
Animation : Moshe raconte comment les partisans russes ont pendu un nazi à un tank
Animation du film : Moshe observe comme un enfant comment des nazis assassinent un homme
Moshe et son fils David dans la forêt en Pologne où il s’est caché à l’époque des Nazis

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Les citations sont extraite du site d'Arte. L'article a été publié le 24 janvier 2017, puis le 30 janvier 2018.

« Art nouveau, la Révolution décorative » et « Tamara de Lempicka, la Reine de l’Art déco »

Des années 1890 à 1920, l’Art nouveau, mouvement narratif international rompant avec le classicisme et revendiquant une liberté totale, affectionne l’arabesque et les volutes, et se réfère à la sensualité et à l’érotisme. Malgré sa popularité, il est dénigré. Vers 1920, l’Art Déco, qui prise des formes plus géométriques, lui succède. La Cité de l'Architecture et du Patrimoine a présenté l'exposition 1925, quand l'Art Déco séduit le monde. Dans ses deux sites parisiens, la Pinacothèque  de Paris a présenté la « première rétrospective de l'Art nouveau français à Paris depuis 1960 et son évolution en mouvement Art déco par l'intermédiaire d'une de ses icônes, Tamara de Lempicka » (1898-1980). La Pinacothèque de Paris présenta l'exposition Au Temps de Klimt. La Sécession à Vienne sur un aspect de l'Art nouveau au début du XXe siècle. Arte diffusera les 31 janvier et 7 février 2021 "Les années 20 ou la décennie des femmes", série documentaire en deux volets d'André Meier qui évoque Tamara de Lempicka.


Dans la France de la IIIe République connaissant une deuxième révolution industrielle, l’Art nouveau apparaît en cette dernière décennie du XIXe siècle. Il rompt avec l'académisme qui prévalait depuis plus de trois siècles : il « n'impose aucune obligation à l'artiste. Conçu comme l'art de la liberté, il se dégage des convenances qui entravaient jusque-là la création. Les formes codifiées qui sont la caractéristique de l'académisme volent en éclats comme pour faire de l'Art nouveau un art transgressif au cœur duquel l'érotisme devient une donnée incontournable ».

Dès 1895, et pendant environ deux décennies, l’Art nouveau joue un rôle déterminant et controversé.

Gallé, Daum, Mucha, Majorelle, Horta, Van de Velde, Gaudí, Guimard, Lalique, Grasset, Steinlein, Ruskin, Klimt ou Bugatti... De la fin du XIXe à l’avant-Première Guerre mondiale, de Bruxelles à Paris, de Nancy à Londres, de Barcelone à Vienne, de Prague à Tunis, ces célèbres créateurs de l'Art nouveau « bouleversent les schémas de la vie et transforment son esthétique pour la rendre agréable et décorative ». Exeunt l’austérité et les règles ! Les thématiques de l’Art nouveau entrelacent la nature, la femme, les plantes.
Peinture, mobilier, bijou, architecture, verrerie… Art total et international, l'Art nouveau se décline dans les disciplines artistiques et artisanales, en Europe et en Amérique du nord, et connaît son apogée de 1890 à 1905.

Il triomphe lors de l'Exposition universelle de 1900.

Essoufflement artistique ? Effets des critiques méprisantes à son égard ? Juste avant la Première Guerre mondiale, l'Art nouveau évolue vers un style moins sophistiqué et plus géométrique : l’Art déco qui s’impose dès 1920.

Grâce à plus de deux cents objets – lampes de table, affiches publicitaires, vases, pendules, bronzes, céramiques, tables à thé ou à plateaux, bougeoirs, appliques, boucles de peinture, aquarelles, lithographies - des principaux fondateurs et créateurs de l’Art nouveau, cette exposition révèle ces bouleversements des arts, de l’esthétique et de la pensée induits par l’Art nouveau notamment dans la peinture et l’ameublement, mais n’aborde pas l’architecture.

Révolutions industrielle et scientifiques
En cette dernière décennie du XIXe siècle, « en une seule génération, les rapports humains furent transformés par l’évolution des réseaux de communication et de transport et l’apparition du télégraphe, de l’automobile, du téléphone, des gratte-ciel, des journaux et magazines de masse, des grands magasins, des paquebots et des avions ».

L’essor urbain se développe à grande vitesse, en Europe et en Amérique du Nord.

Edison, Einstein, Poe, Bram Stoker… Tous influent de manière déterminante les sciences et la littérature, créant ainsi un contexte particulier, terreau fertile de l’Art nouveau.

« Depuis 1840, la nature était devenue une sorte d’archétype moderne pour les courants progressistes ». Publiée en 1859, L’Origine des espèces de Charles Darwin bouleverse la science par sa théorie de l’évolution. Un bouleversement accentué par la publication de La Descendance de l’homme, de Darwin (1871), qui lança le darwinisme social « fondé sur une notion plutôt simple : si l’homme faisait réellement partie de l’ordre naturel des choses, alors la civilisation était soumise à l’évolution comme n’importe quel autre phénomène. L’humanité faisait désormais partie intégrante du monde naturel, un univers actif, dynamique, agressif, amoral et fondamentalement nihiliste, engagé dans une lutte constante pour la survie ».

Les implications esthétiques ? « Si l’homme n’était plus séparé de la nature, les formes naturelles et les formes humaines n’étaient pas distinctes, et ces dernières ne détenaient pas une place privilégiée dans l’organisation du monde. Les caprices, les désirs, les formes et les contours qui existaient chez l’homme n’étaient pas différents de ceux qui définissaient la faune et la flore. Les volumes et les lignes de l’Art nouveau pouvaient ainsi mêler les formes humaines, animales et végétales dans la reconnaissance d’une nouvelle synonymie. [Cependant] le naturalisme de l’Art nouveau pouvait être agressif, sombre, effrayant, érotique ou mélancolique ».

L’Art nouveau, la Révolution décorative
Dès la fin du XVIIIe siècle, artistes et théoriciens de l’art recherchent un « art nouveau, au sens d’une nouvelle forme artistique ». Une préoccupation partagée par ceux du siècle suivant, notamment Charles Garnier et Claude Nicolas Ledoux. Précurseur, Füssli « introduit des formes nouvelles, prémisses de cet usage intensif de la ligne courbe, de l’arabesque et de ce qui deviendra » rapidement le « style nouille ». 

L’Art nouveau « se veut issu des théories romantiques du XIXe siècle de l’Art total (Gesamtkunstwerk, dont Richard Wagner  sera le plus prestigieux représentant) qui impliquent que l’art est partout, présent dans chaque moment de la vie et dans l’ensemble des éléments qui la compose ».

Influencé par la littérature et de la poésie - « L’Art nouveau est issu du symbolisme, et ses sources sont aussi diverses et déroutantes que celles du courant qui lui a donné naissance » (Maurice Rheims) -, l’Art nouveau est caractérisé par une « trame narrative » et théorisé en Angleterre.

Il s’affirme vite dans le monde, spécifiquement dans les villes : Tiffany aux États-Unis, Jugenstil en Allemagne, Sezessionist en Autriche, Nieuwe Kunst aux Pays-Bas, Stile Liberty en Italie, Modernismo en Espagne…

Première application de l’Art nouveau : conçu par Victor Horta, l’Hôtel Tassel est construit à Bruxelles en 1893.

Et c’est à la France que l’Art nouveau est identifié dès 1895. Des immeubles Art nouveau sont édifiés à Lille, à Marseille, à Nice et dans d’autres agglomérations. Deux cités jouent un rôle prépondérant dans ce mouvement artistique : Paris et Nancy.

En 1895, la capitale française attire les artistes – peintres, sculpteurs, etc. - du monde entier, et abrite les industries du luxe. Là, dialoguent beaux-arts et arts décoratifs, et prospère le marché de l’art réunissant galeries, salons, marchands... En 1895 Siegfried Bing  (1838-1905), marchand et entrepreneur, appelle sa galerie parisienne Maison de l’Art nouveau. Il y présente les œuvres d’artistes et de décorateurs originaires d’Europe et d’Amérique du Nord. A son instar, d’autres galeristes et des salons artistiques exposent ces illustrateurs de l’Art nouveau qui influe sur l’aménagement des grands magasins parisiens.

« Capitale régionale de la Lorraine, dans l’Est de la France, Nancy disposait de capacités industrielles solides et revendiquait une identité culturelle farouche, encore renforcée par sa proximité avec l’Allemagne et la tension existant entre les deux pays ». Sous l’impulsion d’entrepreneurs ouverts à l’avant-garde artistique, Nancy s’émancipe des styles des rois Louis pour adopter l’Art nouveau.

Populaire, mais décrié
Les décorateurs pensent « que les arts décoratifs étaient un langage capable d’exprimer toute la palette des émotions humaines ». Ce qui explique « l’intérêt constant suscité par l’Art nouveau auprès d’un large public » et les controverses. « Par son exubérance et sa vitalité, l’Art nouveau est, sans aucun doute, le style de l’amour et de la colère ».

Revendiquant une liberté créative totale, ces artistes prisent la forme arabesque et la référence à la sensualité et à l’érotisme.

Ils travaillent les supports classiques et usent de techniques les plus variées : le bois, la pierre précieuse, le fer et le verre, la peinture, la lithographie, la peinture à la colle, les couvertures de livre, les illustrations de revue, les affiches publicitaires, l’émail, l’opale, le diamant… Ils « bouleversent les schémas de la vie et transforment son esthétique pour la rendre agréable et décorative ».

L’apogée de l’Art nouveau ? De 1890 à 1905. « Vite devenu un mouvement à la mode, ses créateurs sont dépassés par l’engouement » suscité. L’Art nouveau « devient rapidement le support d’une production foisonnante qui triomphe à partir de l’Exposition universelle de 1900 et que commencent à dénoncer les « inventeurs » du mouvement ». Siegfried Bing  et Henry Van de Velde  (1863-1957), architecte et décorateur d’intérieur, « se démarquent rapidement du développement incontrôlé de ce qu’ils ont créé ».

L’Art nouveau « avait inspiré plusieurs pavillons privés [de l’exposition universelle de 1900], dont la galerie de Bing, le théâtre Loïe Fuller dessiné par Henri Sauvage, le restaurant du Pavillon bleu de Gustave Serrurier Bovy et les stations de métro conçues par l’architecte Hector Guimard (1867-1942). Dans nombre de bâtiments, y compris des pavillons étrangers, l’Art nouveau s’affichait comme le nouveau modernisme ». Et acquiert une immense popularité.

« L’Art nouveau distille une ambiance respectable avec un parfum de scandale ». Méprisé par les critiques et historiens d’art, dénigré par les adeptes du classicisme, il est critiqué par ceux voulant poursuivre cette démarche artistique en explorant d’autres voies. « Rapidement surgissent les dénonciations de ses formes en arabesques. Qualifiant avec mépris l’Art nouveau de style « nouille » ou « ténia », ses opposants suggèrent une idée de mollesse dans les images strictement ornementales et décoratives qu’il voulait imposer ». Cet Art nouveau est pourfendu par « les mouvements réactionnaires mais également marxistes. Les milieux nationalistes, nourris par un climat antisémite et xénophobe, l’attaquent avec virulence ». Les réactions les plus acerbes se focalisent sur Hector Guimard.

L’Art déco
L’Art nouveau et l’Art déco, qui lui succède vers 1920, sont deux mouvements antagonistes : l’Art déco s’est constitué en réaction et en opposition à l’Art nouveau. Aux volutes et arabesques de l’Art nouveau dédaigné, l’Art déco préfère les formes plus géométriques à des fins décoratives.

Ce mouvement artistique tire son nom de l'Exposition internationale des Arts Décoratifs et industriels modernes à Paris en 1925.

A l’ère du fauvisme et du cubisme, l’Art déco connaît un succès bref, mondial - principalement la France, la Belgique, tous les pays anglo-saxons, les Indes et la Chine -, et concerne « de nombreux domaines des arts décoratifs - architecture, design, mode et costume -, sans atteindre l’étendue de l’Art nouveau.

Avec l’avènement de l’Art déco, la représentation de la figure féminine évolue : la sensualité et l'érotisme laissent place à « une sexualité transgressive beaucoup plus poussée ».
Tamara de Lempicka, la Reine de l’Art déco
Tamara de Lempicka est l’icône incontestée de l'Art déco.

Mondaine, libre et théâtrale, elle « développe durant les Années folles un style audacieux, qui lui confère une place tout à fait à part dans l’art moderne ».

De l’Art déco, émerge la figure de la « garçonne » correspondant à une période de souhait d’émancipation des femmes. Egérie et illustre représentante de l’Art déco et des Années folles, Tamara de Lempicka joue un rôle majeur dans ce mouvement. Son langage contient toutes les caractéristiques de l’Art déco : car il est « décoratif », accrocheur et immédiatement reconnaissable, « international », « moderne » car « il s’inspire des langages les plus novateurs du XXe siècle : la photographie, le graphisme, le cinéma et la mode ». Icône de l'élégance, elle est représentée par les photographes de mode les plus importants de l’époque : D'Ora, Joffé, puis Maywald. Ses œuvres sont louées par les journaux européens et américains.

Bisexuelle - mariée deux fois, elle exprime son homosexualité -, elle crée ses plus belles œuvres de 1925 à 1935. Inclassable, ambiguë, elle incarne un mode de vie mondain, une liberté de penser et de créer.

Ce « rapport à la transgression et aux idées progressistes en fait sans doute le personnage le plus troublant du début du XXe siècle. Jouant sans état d'âme sur les attitudes érotiques des femmes, ou tout au moins leur sensualité, elle les place néanmoins dans un univers néo-cubiste et profondément Art déco ».

Polyglotte, Tamara se définit comme une femme « sans patrie ». D'origine polonaise, elle est la fille de Boris Gorski, un Juif russe, et d'une mère polonaise. Elle grandit dans un milieu aisé. En 1916, elle épouse Tadeusz Lempicki (1888-1951), jeune avocat polonais. Elle a vécu en Russie jusqu'aux premiers mois de 1918, puis a émigré à Paris. Là, elle se forme notamment à l’Académie de la Grande Chaumière.

Dès 1925, elle expose à Milan, et rencontre Gabriele d’Annunzio, écrivain représentant du décadentisme italien et héros de la Première Guerre mondiale. Par sa vie mondaine et son activité artistique, elle côtoie André Gide, Suzy Solidor, des entrepreneurs aisés, des princes russes exilés, etc.

En 1928, elle ouvre sa maison-atelier, conçue par l’architecte Robert Mallet-Stevens, au n°7 de la rue Méchain à Paris. Dans son atelier, Tamara de Lempicka « a posé sur une table une série d’ouvrages qui attirent leur attention : les traductions françaises de livres de D’Annunzio (1863-1938), tous assortis de dédicaces passionnées « à la grande artiste ».

Elle élabore « un langage artistique autonome qui combine les études sur l’art classique avec le nouveau vocabulaire issu de la vie moderne, dans un rythme fait d'électricité cinglante, de cinéma, d'acier et de vitesse, intégrant les nouvelles formes des « médias » : le monde sophistiqué de la mode illustré par les revues Femina, L'Illustration des modes et L'Officiel de la Couture et de la Mode de Paris ; les mondes en noir et blanc des photographies de Kertész, Laure Albin-Guillot, Berenice Abbott, Tina Modotti et Dora Maar ; le monde du graphisme publicitaire qui montre la femme de l'avenir, une déesse moderne qui fume, participe à des courses d’automobiles, gère les affaires, agit sans scrupules ; le monde du cinéma fait de gestes silencieux et exacerbés, des grands yeux levés aux ciel de Maria Falconetti et de célébrités telles que Marlene Dietrich, Greta Garbo et Louise Brooks, des coiffures blond platine ou à la garçonne et des premières interprètes de scènes lesbiennes. Tamara touche à tous ces domaines et impose définitivement sa présence comme la reine de l’Art déco ». Tamara de Lempicka « donnait d’elle-même une image de femme fatale, tout en réalisant quelques tableaux qui sont parmi les emblèmes saphiques les plus célèbres du siècle ».

À Paris, école du monde, Tamara de Lempicka s’affirme par la « modernolâtrie », mot inventé par Boccioni. Son « idolâtrie de la modernité se greffe en réalité sur une étude constante de l’art ancien, de la statuaire classique à Ingres, par ailleurs affirmée et soulignée par Lempicka elle-même durant sa période américaine. La coexistence de ces inspirations donne naissance à ce que Marguerite Dayot définit en 1935 comme « un curieux mélange d’extrême modernisme et de pureté classique ». Ce qui rend Tamara de Lempicka représentative de son époque, c’est sa capacité à transposer dans ses tableaux l’esprit de son temps.

Son succès l’amène aux Etats-Unis en 1929, et poursuit sa carrière en Europe.

Exilée dès 1939, elle devient citoyenne américaine. A Hollywood, elle démontre ses qualités de communicante, émaillant d’oublis et d’informations erronées sa biographie, façonnant son image de modèle en élégance et beauté et artiste peintre.

Elle meurt au Mexique.

Après des décennies d’oubli, elle bénéficie d’un regain d’intérêt induit par la redécouverte de l’Art déco dans les années 1970.

Evolution cyclique
Au XXe siècle, alternent des périodes de regain d’intérêt pour l’Art nouveau – dès les années 1930, les surréalistes œuvrent à la réhabilitation de l’Art nouveau (dans un article publié par Minotaure, Dalí rend hommage à cet art) ; années 1960 - des marchands et des collectionneurs exhument l’Art nouveau et le valorisent dans le monde. L’Art nouveau influe alors la culture de masse - et 1980, début du XXIe siècle - et de périodes de discrédit.

Sans appui dans les mouvements politique, de gauche comme de droite, l’Art nouveau n’est pas non plus soutenu dans les cercles institutionnels : « les urbanistes démolissaient ses œuvres ; les conservateurs de musée négligeaient d’en acquérir ou s’en débarrassaient lorsqu’ils en découvraient dans leurs collections ; les historiens de l’art bannirent ce courant de leur discipline ou le taxèrent d’irrationalité instable ; les professeurs démontraient à leurs élèves son impéritie esthétique ; quant aux philosophes, ils le présentaient comme un révélateur de l’effondrement de la civilisation. De grands noms du monde artistique, tels qu’Adolf Loos, Le Corbusier, Walter Benjamin, J. M. Richards et Nikolas Pevsner, le décrivirent chacun à leur façon comme l’œuvre réactionnaire de marginaux morbides, décadents et névrosés ». Cette « délectation de la courbe, de la spirale, du méandre, ces effets de vignes entrelacées, de serpents, de ressorts hélicoïdaux à la fois souples et tendus – de tels plaisirs ne signent-ils pas le déclin, si ce n’est la fin, d’une civilisation dont la première guerre mondiale sonna le glas ? »

Mais le public a conservé son enthousiasme pour l’Art nouveau.


 La Biennale Art Nouveau-Art Déco a eu lieu en octobre 2013 en Belgique.
Jusqu’au 8 septembre 2013
A la Pinacothèque 1
  et à la Pinacothèque 2
28, place de la Madeleine. 75008 Paris
Tél : 01 42 68 02 01
Tous les jours de 10 h 30 à 18 h 30. Nocturnes tous les mercredis et vendredis jusqu’à 21h
Visuels :
Affiche
Eugène Grasset, Affiche pour le Salon des Cent
1894, pochoir, 64,2 x 50,2 cm
Collection privée
© Arwas Archives
Photo Pierluigi Siena
Tamara de Lempicka, L'Écharpe bleue
Mai 1930, huile sur bois, 56,5 x 48 cm
Collection privée
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Georges Clairin
Sarah Bernhardt sur son divan
1876
Eau-forte et aquatinte
46,6 x 38 cm
Collection privée
© Arwas Archives Photo Pierluigi Siena

Eugène Grasset
L'Éventail
1897
Lithographie en couleur 126 x 82 cm
Collection privée, Londres
© Arwas Archives

Émile Gallé
Table Libellule
c. 1900
Bois
75 x 81 x 57,8 cm
Collection Robert Zehil, Monte Carlo, Monaco
© Robert Zehil, Monte Carlo, Monaco

Lucien Hirtz, pour Frédéric Boucheron
Large bol avec trois portraits d'après Lucien Lévy-Dhurmer
c. 1895
Argent forgé et émaillé
12,5 x 24 x 23 cm
Collection privée
© Arwas Archives

Daum Frères
Aubépines en fleurs
c. 1905
Vase Verre
h. 28,8 cm
Collection Robert Zehil, Monte-Carlo, Monaco
© Robert Zehil, Monte-Carlo, Monaco

Hector Guimard
Vase
c. 1900
Grès
h. 27,5 cm
Collection Robert Zehil, Monte-Carlo, Monaco
© Robert Zehil, Monte-Carlo, Monaco

Émile Gallé
Armoire murale
c. 1890
Bois sculpté et marqueterie
89 x 67 x 26 cm
Collection Victor et Gretha Arwas
© Arwas Archives Photo Pierluigi Siena

René Paul-Hermann
Affiche pour le Salon des Cent 1895
Lithographie en couleur
64,7 x 47,7 cm
Collection Victor et Gretha Arwas
© Arwas Archives Photo Pierluigi Siena

Bernard Hoetger
Loïe Fuller
1901
Bronze à patine brune
27 x 34 x 27 cm
Collection privée, Londres
© Arwas Archives Photo Pierluigi Siena

Paul Berthon
Mandore
1898
Lithographie en couleur
48,9 x 64,1 cm
Collection privée, Londres
© Arwas Archives

René Lalique
Boucle de ceinture
c. 1900
Argent, or et émail
Collection Robert Zehil, Monte-Carlo, Monaco
© Robert Zehil, Monte-Carlo, Monaco

Daum Frères
Mince vase sur pied
c. 1905
Verre
h. 33 cm
Collection Robert Zehil, Monte Carlo, Monaco
© Robert Zehil, Monte Carlo, Monaco

Tamara de Lempicka
Portrait d'Arlette Boucard
Avril 1928
Huile sur toile
70 x 130 cm
Collection privée
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Tamara de Lempicka
Deux Fillettes aux rubans
1925
Huile sur toile
100 x 73 cm
Collection Dr George et Vivian Dean
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Tamara de Lempicka
La Bohémienne
c. 1923
Huile sur toile
73 x 60 cm
Collection M. et Mme Nezhet Tayeb
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Tamara de Lempicka
Arlette Boucard aux arums
1931
Huile sur bois
91 x 55,5 cm
Collection privée
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Tamara de Lempicka
Nu aux buildings
1930
Huile sur toile
92 x 73 cm
Propriété de la collectionneuse Caroline Hirsch
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Tamara de Lempicka
La Tunique rose
Avril 1927
Huile sur toile
73 x 116 cm
Propriété de la collectionneuse Caroline Hirsch
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013

Tamara de Lempicka
Portrait de Mme P. ou Sa Tristesse
1923
 Huile sur toile
116 x 73 cm
Collection privée
© Tamara Art Heritage / Licensed by Museum Masters International NYC / ADAGP, Paris 2013


Les citations proviennent du dossier de presse, notamment de Marc Restellini, des catalogues, de Paul GREENHALGH, « Le style de l’amour et de la colère : l’Art nouveau hier et aujourd’hui », in L’Art nouveau, la révolution décorative, Skira, Milan, 2013, p.9-29. et de Gioia MORI, “Tamara de Lempicka, Internationale, moderne, décorative », in Tamara de Lempicka, la reine de l’Art déco, , Skira, Milan, 2013, p. 13-91.

 A lire sur ce blog :
 
Cet article a été publié les 2 septembre et 15 octobre 2013, 3 mars 2014 et 18 février 2015.