mercredi 23 décembre 2020

« Levie Zadok et Zwarte Piet : deux caricatures »

Le Joods Historisch Museum (Musée historique juif) à Amsterdam présente l’exposition « Levie Zadok en Zwarte Piet: twee karikaturen » (« Levie Zadok et Zwarte Piet : deux caricatures »). Nés de l’imagination de Jan Schenkman (1806-1863), professeur et écrivain pour enfants, ces deux personnages ont suscité des controverses nées de l’antisémitisme véhiculé par la description du Juif Levie Zadok, et du racisme induit par la description de Zwarte Piet (Pierre le Noir), assistant de Sinterklaas (Saint-Nicolas, saint patron des enfants) et accusé depuis une décennie d’illustrer le Blackface (« maquillage en Noir »).


Situé dans le quartier culturel juif (Joods Cultureel Kwartier), le Musée historique juif (Joods Historisch Museum) propose, dans le hall du Museumcafé, l’exposition « Levie Zadok en Zwarte Piet: twee karikaturen » (« Levie Zadok et Zwarte Piet : deux caricatures »).

Levie Zadok et Zwarte Piet (Pierre le Noir) sont deux personnages fictifs controversés, nés de l’imagination de Jan Schenkman (1806-1863), instituteur, poète, parolier de chansons (Sinterklaas) et auteur néerlandais de livres pour enfants.

En 1850, dans son livre pour enfants « Saint-Nicolas et son assistant », Jan Schenkman a introduit le personnage de Zwarte Piet (Pierre le noir). Aide de Sinterklaas (Saint-Nicolas en néerlandais et saint patron des enfants), Zwarte Piet était représenté en un jeune Noir.

Levie Zadok
En 1852-1854, dans son livre « De Belangrijke brief van eenen Amsterdamschen jood, vrijwilliger in het Fransche leger (onder pseudoniem Mozes Levie Zadok) », Jan Schenkman a créé, comme écrivain et dessinateur, Levie Zadok. Afflublé de stéréotypes antisémites - nez énorme et crochu, lâcheté -, Levie Mozes Zadok écrit des lettres à sa « memmele » (yidishe mamme, mère en yiddish) à Amsterdam pour lui expliquer, en un idiome mêlant le « parler juif d’Amsterdam » et le yiddish, « comment il s'est retrouvé soldat pendant la guerre de Crimée. 
 
« Levie a été un succès du XIXe siècle. Environ 50 000 exemplaires du livret avaient été imprimés – « un chiffre qui, au XIXe siècle, était phénoménal et qui témoigne de l’immense popularité des lettres », a expliqué Emile Schrijver, le directeur du Musée historique juif et du Quartier culturel juif d’Amsterdam à Cnaan Liphshiz (JTA , 24 novembre 2020).

Le premier livre a été si populaire que, d’une part Jan Schenkman en a écrit deux autres, et, d’autre part, beaucoup d'autres livres similaires sont apparus rapidement, rédigés par des écrivains rivaux ou lecteurs enthousiastes, et publiés par des éditeurs concurrents. Ces lettres se moquaient notamment des préjugés sur l'esprit mercantile juif ».

« Des poèmes sur Levie avaient suivi (« Alors que les bombes tombent du ciel sous son regard, notre ami Levie se recroqueville plutôt que de se ruer dans la bagarre »), ainsi que des bandes dessinées illustrées. Dans l’une de ces dernières, qui date de 1855, Levie est présenté portant un maquillage qui le fait ressembler à un « broussard » – une référence aux Africains qui, à l’époque, étaient exposés dans les foires en France. Ce dessin a été le premier représentant une personne blanche se prêtant à un blackface dans toute l’histoire de la littérature hollandaise, selon le musée. Dans les années 1860, Levie était devenu si connu que les boulangers hollandais vendaient un pain au gingembre à son effigie, avec un nez énorme, montre l’exposition ».

« Levie Zadok et Zwarte Piet ont tous deux des caractéristiques physiques et des traits de caractère que le public chrétien et blanc trouvait divertissants à l'époque : des stéréotypes qui perdurent encore aujourd'hui ». 

« Bien que la popularité de Zadok ait décliné à la fin du XIXe siècle, la moquerie à l'égard des Juifs est restée populaire pendant des décennies. Après la Deuxième Guerre mondiale, on s'est rendu compte que c'était de mauvais goût, insultant et discriminatoire ».

« Les livrets de Levie ne sont guère connus aujourd’hui, selon Robert Vuisje, un auteur juif qui a étudié en profondeur les relations entre les Juifs et les Noirs dans ses écrits et qui est lui-même un critique fervent de la tradition de « Zwart Piet ».

L’exposition s’inspire et est assortie du livre d’Ewoud Sanders intitulé « Lachen om Levie: Komisch bedoeld antisemitisme (1830-1930) » (« Rire de Levie : antisémitisme comique (1830-1930) » et publié par Walburg Pers (2020). Journaliste et historien, l’auteur relate l’histoire du cireur de chaussures Zadok Levie, « un personnage fictif qui a fait l'objet d'écrits « comiques » dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous forme de lettres entre Zadok Levie et sa mère dans le quartier juif d'Amsterdam. Ces écrits étaient très populaires, mais ils étaient aussi emplis de préjugés sur les Juifs, entre autres ». C’est le « tout premier ouvrage à examiner « Zwart Piet » sous l’angle de l’antisémitisme de Schenkman ».

Zwarte Piet
A la fin du IIIe siècle, Saint Nicolas (Sinterklaas, en néerlandais) a été l’évêque de Myre, ville commerçante d'Asie Mineure (Turquie). Il est le saint patron des enfants sages.

Durant l’Avent, Sinterklaasavond (soirée de Saint Nicolas) a lieu la veille du 5 décembre aux Pays-Bas, au Suriname, à Aruba et à Curaçao. En Belgique, la fête se déroule le 6 décembre, jour de la Saint Nicolas. 

Dans les deux semaines précédant Sinterklaasavond, sont organisés des évènements sur et avec Zwarte Piet, par exemple un défilé pour accueillir Saint Nicolas arrivant par bateau à vapeur (stoomboot) dénommé Pakjesboot (Bateau des petits paquets) depuis Madrid (Espagne). Il est accompagné d’assistants, pas toujours très adroits, et dont le nom est « Zwarte Piet » (Pierre le Noir). Selon certains, cette couleur noire est liée à la suie des conduits de cheminées empruntés par Saint Nicolas pour amener ses cadeaux, selon d'autres, elle rappelle les maures). Incarné par un acteur, Zwarte Piet porte des vêtements remontant au Moyen-âge, et aux couleurs contrastées : rouge vif, vert et bleu sombres.

Le rôle de Zwarte Piet ou Zwarte Pieten ? Offrir des cadeaux et bonbons - kruidnoten et pepernoten (confiseries ressemblant à des gâteaux), strooigoed (bonbons spéciaux sur le thème de Sinterklaas) - aux enfants venus à la rencontre de Saint Nicolas, notamment dans les écoles et boutiques, les amuser…

Zwarte Piet est généralement joué par un homme blanc maquillé en noir (Blackface).

En 1850, dans son livre pour enfants « Saint-Nicolas et son assistant », Jan Schenkman a introduit le personnage de Zwarte Piet (Pierre le noir). Aide de Sinterklaas, Zwarte Piet était représenté sous les traits d’un jeune Noir marchant près du cheval sur lequel se tenait Saint Nicolas. « Les premiers portraits de « Zwart Piet » ne montrent aucune des caractéristiques qui ont été ultérieurement ajoutées au personnage – peut-être par les publicitaires – avec une exagération du contour de ses lèvres rouges, des boucles d’oreilles et des costumes grotesques. Les partisans de « Zwart Piet » utilisent cet argument comme preuve que le personnage n’est pas intrinsèquement raciste ».

« Pour Zwarte Piet, cette prise de conscience [des préjugés] a tardé. Ce n’est que depuis une dizaine d'années que de plus en plus de Néerlandais s'offusquent de cette caricature ». D’autres s'indignent de ces critiques en considérant que cette coutume « non seulement ne ridiculise pas les personnes à la peau noire mais les célèbre dans le contexte d’une société néerlandaise connue pour sa tolérance  ». 

« La décision de s’attaquer au sujet est particulièrement sensible au niveau politique, et le directeur du musée a établi clairement que son institution était opposée à la coutume… Quatre personnes ont été récemment arrêtées à Venlo, une ville de l’est du pays, après des affrontements avec les manifestants opposés à la coutume. L’année dernière, des activistes anti-« Zwart Piet » avaient été bloqués par des contre-manifestants dans l’enceinte d’une école et les attaquants avaient brisé des vitres et fait exploser des pétards ».

D’autres s’offusquent de ces critiques en considérant que cette coutume « non seulement ne ridiculise pas les personnes à la peau noire mais les célèbre dans le contexte d’une société néerlandaise connue pour sa tolérance  ». 

« Mais la principale contribution apportée au débat par l’exposition est de montrer que, contrairement à ce qu’affirment de nombreux partisans de ‘Zwart Piet’, ce n’est pas une tradition ancienne mais c’est une tradition née au 19e siècle, dans le cadre d’un contexte plus large dans lequel les populations ne voyaient aucun mal à offenser des groupes entiers d’individus », a expliqué le directeur du musée à Cnaan Liphshiz (JTA , 24 novembre 2020).

En 2013, la polémique avait surgi alors que les Pays-Bas marquaient le 150e anniversaire de l’abolition de l’esclavage : des centaines de manifestants avaient parcouru les rues d’Amsterdam, et plus de deux millions de néerlandais avaient signé une pétition pour le maintien de la tradition.


Du 30 octobre 2020 au 3 janvier 2021
Nieuwe Amstelstraat 1. 1011 PL Amsterdam. Pays-Bas 

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