vendredi 12 juin 2020

Raymond Aron (1905-1983)


Raymond Aron (1905-1983) est un sociologue, écrivain, professeur au Collège de France (1970-1978), économiste, politologue, historien, journaliste (L’Express, Le Figaro) et philosophe juif français libéral, notamment durant la Guerre Froide. Un parcours intellectuel singulier. Toute l'Histoire diffusera les 16 et 18 juin 2020 « Raymond Aron : le chemin de la liberté », documentaire intéressant de Fabrice Gardel (2018).
Raymond Aron (1905-1983) 
« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation
Hélène Berr (1921-1945) 
« Le procès Céline » d’Antoine de Meaux 
Proust, du Temps perdu au temps retrouvé
Colette (1873-1954) 
Edmond Fleg (1874-1963), chantre Juif et sioniste du judaïsme 
Romain Gary, des « Racines du ciel » à « La Vie devant soi »
« Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme » par Florence Mauro 
« Le manuscrit sauvé du KGB. Vie et destin de Vassili Grossman » par Priscilla Pizzato 
Isidore Isou (1925-2007) 
Les combats de Minuit. Dans la bibliothèque de Jérôme et Annette Lindon
George Orwell (1903-1950) 
Antoine de Saint-Exupéry (1900-1944)

Raymond Claude Ferdinand Aron  grandit à Paris dans une famille juive bourgeoise déjudaïsée, et qui connait un revers de fortune durant la crise économique de 1929. 


En cours, cet élève défend le capitaine Dreyfus.

Cet élève brillant est admis en 1924 à l’Ecole normale supérieure où il a pour « petit camarade » Jean-Paul Sartre et se lie avec Paul Nizan.

Agrégé de philosophie - il est reçu premier de sa promotion -, Raymond Aron étudie à Cologne, puis à Berlin de 1930 à 1933. Il assiste à la montée du nazisme. Quand la mini-série américaine « Holocaust » réalisée par Marvin Chomsky sera diffusé en 1978 par Antenne 2, il déclarera que les personnages Juifs allemands de ce feuilleton ressemblaient à ceux qu’il avait alors fréquentés.

« Je cherchai un sujet de réflexion qui intéressât à la fois le cœur et l’esprit, qui requît la volonté de rigueur scientifique et, en même temps, m’engageât tout entier dans ma recherche. Un jour, sur les bords du Rhin, je décidai de moi-même. Ce que j’avais l’illusion ou la naïveté de découvrir, c’est la condition historique du citoyen ou de l’homme lui-même. Comment français, juif, situé à un moment du devenir, puis-je connaître l’ensemble dont je suis un atome, entre des centaines de millions ? Comment saisir l’ensemble autrement que d’un point de vue, un entre d’autres innombrables ? Jusqu’à quel point suis-je capable de connaître objectivement l’histoire – les nations, les partis, les idées dont les conflits remplissent la chronique des siècles – et mon temps ? (…) Je devinai peu à peu mes tâches : comprendre ou connaître mon époque aussi honnêtement que possible, sans jamais perdre conscience des limites de mon savoir ; me détacher de l’actuel sans pourtant me contenter du rôle de spectateur », écrit-il dans ses Mémoires.

En 1933, Raymond Aron épouse Suzanne Gauchon (1907-1997). Le couple aura trois enfants.

Raymond Aron éprouve de la sympathie pour le Front populaire.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, il rejoint la France Libre le 24 juin 1940 et résiste en intellectuel, en dirigeant une revue d’idées, La France Libre.

Après la Libération, Raymond Aron reprend ses activités d’enseignant et s’oppose par ses analyses et ses écrits au communisme, alors dominant dans les médias et parmi les intellectuels. Avec courage, rigueur et lucidité à l’égard de la réalité, malgré les invectives le visant, ce républicain atlantiste poursuivra son travail pour comprendre les événements – totalitarismes nazi et stalinien, décolonisation, guerre froide et détente, construction de la Communauté économique européenne, mai 68  -, et en bénéficiant aux Etats-Unis de l’estime de ses pairs, notamment de Henry Kissinger.

Cet érudit publie des éditoriaux dans la presse en n’hésitant pas à adopter des positions heurtant ses lecteurs, ses amis et ses employeurs : par exemple, en soutenant l’indépendance de l’Algérie française.

Sensible aux injures le visant, provenant de « l’intelligentsia » membre ou compagnonne de route du Parti communiste.

L'Opium des intellectuels, Dix-huit leçons sur la société industrielle, Démocratie et Totalitarisme, Les Étapes de la pensée sociologique, Paix et guerre entre les nations, Mémoires. 50 ans de réflexion politique… Ces essais témoignent de l’intense travail de Raymond Aron.

Quelques mois après la guerre des Six-jours, lors de la conférence de presse du 27 novembre 1967, le Président de la République Charles de Gaulle déclare : « On pouvait se demander, en effet, et on se demandait même chez beaucoup de juifs, si l’implantation de cette communauté sur des terres qui avaient été acquises dans des conditions plus ou moins justifiables et au milieu de peuples arabes qui lui étaient foncièrement hostiles, n’allait pas entraîner d’innombrables, d’interminables frictions et conflits. Certains même redoutaient que les juifs, jusqu’alors dispersés, qui étaient restés ce qu’ils avaient été de tout temps, un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur, n’en viennent, une fois qu’ils seraient rassemblés, à changer en ambition ardente et conquérante les souhaits très émouvants qu’ils formaient depuis dix-neuf siècles : ‘L’an prochain à Jérusalem’. »

En 1968, Raymond Aron écrit « De Gaulle, Israël et les Juifs ». Extraits : 
« Le général de Gaulle a, sciemment, volontairement, ouvert une nouvelle période de l'histoire juive et peut-être de l'antisémitisme. Tout redevient possible. Tout recommence. Pas question, certes, de persécution : seulement de « malveillance ». Pas le temps du mépris : le temps du soupçon…
Pourquoi le général de Gaulle a-t-il solennellement réhabilité l'antisémitisme ? Afin de se donner le plaisir du scandale ? Pour punir les Israéliens de leur désobéissance et les juifs de leur antigaullisme occasionnel ? Pour interdire solennellement toute velléité de double allégeance ? Pour vendre quelques Mirage de plus aux pays arabes ? Visait-il les États-Unis en frappant les juifs ? Voulait-il soumettre à une nouvelle épreuve l’inconditionnalité de certains de ses fidèles qui ont souffert sous Charles de Gaulle ? Agit-il en descendant de Louis XIV qui ne tolérait pas les protestants ? En héritier des Jacobins qui aimaient tant la liberté qu’ils interdisaient aux citoyens d’éprouver tout autre sentiment ? Je l’ignore...
Le cercle du soupçon se refermera sur les hommes tenus pour responsables des réticences de l'opinion. Cauchemar ou proche avenir, je ne sais. »
Méfiant à l’égard des idéologies, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, puis à l'Ecole pratique des hautes études (EHESS) et au Collège de France (1970-1978), Raymond Aron  y occupe la Chaire de sociologie de la civilisation moderne. En 1963, il devient membre à l'Académie des sciences morales et politiques.

En 1978, Raymond Aron fonde Commentaire, revue trimestrielle dirigée par Jean-Claude Casanova. Buts : « Éclairer ses lecteurs sur toutes les grandes questions qui se posent dans le monde d'aujourd'hui et défendre les principes qui doivent gouverner les sociétés libérales  ».

Dans ses Mémoires, Jean-François Revel relate un déjeuner « de travail » avec Raymond Aron qui paie l’addition sans demander de note de frais : « Donc en 40 ans, Raymond Aron n’a jamais pensé à faire une note de frais, et cela raconte un peu l’époque. Aujourd’hui, tout le monde ne pense qu’à son pognon, qu’à son ego, lui, c’était un homme très intègre. »

En 1983, Raymond Aron décède quelques heures après avoir témoigné devant le Tribunal en faveur du journaliste et politologue Bertrand de Jouvenel, un ami, contre l’historien israélien l'historien Zeev Sternhell. Sortant de l’audience, il déclare à la presse : « Je crois que je suis arrivé à dire l’essentiel...»

« Raymond Aron : le chemin de la liberté  »
« Raymond Aron : le chemin de la liberté » est un documentaire réalisé par Fabrice Gardel. "C’est l’histoire d’un homme seul, un des plus brillants esprits de son temps, diabolisé par une partie des intellectuels français avant que l’Histoire réhabilite sa pensée, d’une frappante modernité. Professeur, philosophe, sociologue, journaliste et politologue influent dans le monde entier, Raymond Aron fut l’un des premiers, dès les années 1930, à ouvrir les yeux face aux totalitarismes nazi et stalinien. Il consacra sa vie à dénoncer toutes les formes de fanatisme, à regarder le monde tel qu’il est et non tel qu’il devrait être. A l’heure où les populismes et les régimes autoritaires reviennent en force, ses analyses sur la fragilité des démocraties, de la paix et des libertés sont plus éclairantes que jamais. « Un professeur d’hygiène intellectuelle".


« Je pense que c’était important de parler de Raymond Aron parce que c’était le grand copain de Sartre, et si tout le monde connaît Sartre, Aron était un peu oublié, et je pense qu’à eux deux, ils font la paire… Sartre était plus marrant : il couchait avec des filles, il avait des blousons… Je pense qu’il faut un peu d’imagination sinon la vie est triste. Mais en même temps, (comme Aron) il faut être un peu rationnel aussi, il faut regarder ce qui se passe, et ne pas dire n’importe quoi... L’intelligence les rapproche. Les deux intellectuels du XXe siècle en restent donc des figures complémentaires », a expliqué le réalisateur Fabrice Gardel, réalisateur du documentaire « Raymond Aron : le chemin de la liberté » (2018), sur Public Sénat.

Et le documentariste de préciser : « On a essayé de faire un film un peu pop, pour justement le démocratiser, parce que sinon il a écrit des gros livres, ce qui n’est pas toujours très marrant. C’est intéressant de prendre ce qu’il y a à prendre dans Aron, et il y a plein de choses qui résonnent avec l’époque, et qui ne sont pas du tout emmerdantes contrairement à ce qu’on pense ».

Le réalisateur a publié un Abécédaire de Raymond Aron car « ce n’est pas un auteur facile à lire ».

Auteur de documentaires sur Aimé Césaire et Jean Yann, Fabrice Gardel considère que ces trois êtres sont « des gens qui mettent en cohérence leur vie privée, leur pensée et leur vie professionnelle, et il n’y en a pas tant que ça. ».

Ce film présente des archives souvent inédites, dont la lettre bouleversante de Romain Gary, et les commentaires de Dominique Schnapper, fille de Raymond Aron, sociologue et politologue, Perrine Simon Nahum, Daniel Cohn-Bendit, ancien eurodéputé, Raphaël Enthoven, philosophe, et Jean Vincent Holeindre, professeur de sciences politiques.

Le film évoque les réflexions de Raymond Aron sur la violence entre les Etats. Ce qui l’amène à relire souvent des oeuvres de Thucydide et Machiavel, et à publier en 1976 « Penser la guerre, Clausewitz ». 

Raymond apparaît en homme sensible et doté d’un humour fin, républicain ayant craint la chute de la Ve République en mai 68. Son honnêteté intellectuelle ressort avec éclat.

Raymond Aron estime avoir gardé le même « système de valeurs typique de l’intellectuel de gauche : la liberté de l’esprit, la rationalité et, dans la mesure tolérée par les sociétés, l’idée égalitaire ». 

Avec tact, Dominique Schnapper souligne combien la « période a été très dure du point de vue professionnel, amical », la solitude de son père blessé par les insultes des « belles âmes », et des douleurs familiales : la mort sa deuxième fille Emmanuelle (1944-1950) à la suite d’une leucémie fulgurante en quatre semaines et la naissance de sa troisième fille, Laurence (1950-2018), handicapée. Raymond Aron « n’aurait pas pu surmonter cette double épreuve sans la fermeté de ma mère, d’ordres politique et personnel », confie Dominique Schnapper.

Pour aborder la relation de Raymond Aron avec l’Etat d’Israël en 1967, le documentaire montre une photographie de lui sur le mont du Temple devant une mosquée.

Contrairement à ce que dit ce reportage, Raymond Aron n’a pas seulement craint en 1967, après la Guerre des Six-jours, « comme ceux qui n’ont jamais oublié la Shoah », une nouvelle vague d’antisémitisme ». Il a eu peur que les Etats arabes détruisent l’Etat d’Israël. Ainsi, le 4 juin 1967, il écrivait : « Si les grandes puissances laissent détruire le petit Etat d’Israël qui n’est pas le mien, ce crime modeste à l’échelle du monde m’enlèverait la force de vivre ».

Il explique ses réactions envers le discours du Président Charles de Gaulle en 1967 : « L’expression m’a profondément blessé… « Sûr de soi et dominateur », il y avait quelque chose de profondément choquant à l’époque, si peu de temps après l’assassinat industriel de six millions de Juifs… Le mot « dominateur » est le mot qui est employé par les antisémites depuis toujours. Bien entendu, je n’accuse pas le général de Gaulle d’être antisémite. Ce serait absurde. Je lui reprochais d’employer le mot des antisémites et de donner une espèce d’autorisation à une sorte de discours ».

Raymond Aron est réhabilité tardivement parallèlement au déclin du communisme : en 1979, il rencontre Jean-Paul Sartre pour contribuer à sauver et accueillir en France des Vietnamiens fuyant le régime communiste, les boat-people. Les deux anciens condisciples et amis ne peuvent reprendre leur dialogue tant le dramaturge est affaibli.


Trois jours avant de se suicider, le membre des Forces aériennes de la France Libre (FAFL), écrivain et diplomate Romain Gary écrivait à Raymond Aron : «Votre clarté d'esprit souligne si bien ces temps obscurs que l'on en vient parfois, vous lisant, à croire à la possibilité d'en sortir et à l'existence d'un chemin… Bonne continuation ».

Le film est suivi d’un débat présenté par Jérôme Chapuis avec Cynthia Salloum, politiste aronienne, Jean-Claude Casanova, membre de l’Institut, Nicolas Baverez, économiste et biographe, et Jean Birnbaum, responsable du Monde des Livres. Un débat décevant. 

« Ce qui est frappant c’est que la liberté politique va être de nouveau le grand enjeu du XXIe siècle mais qui va se poser différemment : au XIXe c’était la montée du suffrage universel et la société industrielle, au XXe, la période d’Aron, a été celle des nations contre les empires, les démocraties contre le totalitarisme, et l’enjeu du XXIe siècle va être celui de la démocratie contre les démocratures, et la démocratie libérale contre la démocratie illibérale. Donc en fait, la problématique centrale d’Aron reste au cœur de ce que nous vivons, même si la configuration a complètement changé », conclut Nicolas Baverez. Quid de l’islamisme ?


CITATIONS


« Mon système de valeurs spontané, celui qui m'avait conduit vers le parti socialiste dans la naïveté, est resté le même. Simplement le monde avait changé et mes opinions se sont adaptées à la réalité... »
« Personne n'est enthousiaste pour la démocratie parlementaire en tant que telle. Il n'y a qu'un seul argument, mais il est très fort (…) : c'est le pire de tous les régimes, sauf tous les autres ».

« Jamais les hommes n'ont eu autant de motifs de ne plus s'entre-tuer (…) Je n'en conclus pas que l'âge de l'histoire universelle sera pacifique. Nous le savons, l'homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ? » (1960)

« Le drame des hommes, c’est qu’ils ne savent pas que l’Histoire est tragique ».

« Le choix en politique n'est pas entre le bien et le mal, mais entre le préférable et le détestable ». (Les étapes de la pensée sociologique)

« J'ai été saisi d'une espèce de fureur en voyant combien tant d'intellectuels de bonne volonté tombaient à nouveau dans le piège du totalitarisme Est-il si difficile pour de grands intellectuels d'accepter que deux et deux font quatre et que le Goulag, ça n'est pas la démocratie ? » (L’Opium des intellectuels)

« L’histoire va dans le sens de la liberté », à propos de la révolution hongroise, la première « révolution antitotalitaire ». (Le Figaro, 1956)

"C'est ainsi que j'ai eu tendance souvent à penser que l'ignorance et la bêtise sont des facteurs considérables de l'Histoire. Et souvent je dis que le dernier livre que je voudrais écrire vers la fin porterait sur le rôle de la bêtise dans l'Histoire." (Le spectateur engagé : Entretiens avec Jean-Louis Missika et Dominique Wolton)


"La conscience du passé est constitutive de l'existence historique. L'homme n'a vraiment un passé que s'il a conscience d'en avoir un, car seule cette conscience introduit la possibilité du dialogue et du choix. Autrement, les individus et les sociétés portent en eux un passé qu'ils ignorent, qu'ils subissent passivement… Tant qu'ils n'ont pas conscience de ce qu'ils sont et de ce qu'ils furent, ils n'accèdent pas à la dimension propre de l'histoire... Connaître le passé est une manière de s'en libérer". (Dimensions de la conscience historique)


"Ce sont les hommes qui écrivent l'histoire, mais ils ne savent pas l'histoire qu'ils écrivent."



« Raymond Aron : le chemin de la liberté » par Fabrice Gardel

France, Plaj Productions & Public Sénat avec la participation de Toute l'Histoire, 2018, 55 minutes
Sur LCP Public Sénat  les 18 août 2019 à 10 h 49, 19 août 2019 à 22 h 01, 31 août 2019 à 22 h ,
Sur Toute l'Histoire les 16 juin 2020 à 15 h 28 et 18 juin 2020 à 13 h 34

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Les citations sur le film proviennent du site de Public Sénat. Cet article a été publié le 16 août 2019.

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