jeudi 13 septembre 2018

Murray Perahia, pianiste et chef d’orchestre


Murray Perahia est un pianiste, chef d’orchestre et enseignant américain, né en 1947 dans une famille juive sépharade et surnommé « le poète du piano ». Particulièrement sensible à la musique de Chopin, Bach et Mozart, distingué par des Prix prestigieux, ce concertiste interprète aussi de la musique de chambre. Arte diffusera les 16 et 20 septembre 2018 « Murray Perahia joue Beethoven » (Murray Perahia spielt Beethoven) par Hanne Kaisik.


Le pianiste et maestro américain Murray Perahia est né en 1947 dans le Bronx, quartier de New York, aux États-Unis, dans une famille sépharade. Son père David Perahia a immigré en 1935 de Salonique, « Jérusalem des Balkans », en Grèce, et parlait le judéo-espagnol  ou djudyo. La parentèle demeurée en Grèce sera tuée lors de la Shoah.

Murray Perahia a commencé à étudier le piano dès l’âge de quatre ans, notamment auprès de Jeannette Haien, étudiante d’Arthur Schnabel. 

Mais il s’est passionné pour l’instrument à l’âge de quinze ans.

A 17 ans, il étudie au Mannes College la direction d’orchestre et la composition avec son mentor et professeur le pianiste Mieczysław Horszowski (1892-1993).

L’été, à Marlboro Music School and Festival, il bénéficie de l’enseignement de Rudolf Serkin, Alexander Schneider, and Pablo Casals… Rudolf Serkin le désigne comme son assistant, pendant un an, au Curtis Institute à Philadelphie.

1965. Murray Perahia est distingué par les Young Concert Artists International Auditions et remporte le Kosciusko Chopin Prize.

En 1972, il a été le premier nordaméricain à gagner le premier Prix lors de la Leeds Piano Competition  auquel participaient 87 pianistes prometteurs. Pianiste et directrice artistique de ce concours international, Dame Fanny Waterman  a confié, dans « Piano Competition: The Story of the Leeds » par Wendy Thompson, que Mieczysław Horszowski lui avait téléphoné avant la compétition pour lui annoncer que Murray Perahua en serait le vainqueur. Sur les vifs encouragements de Frank Salomon , agent artistique et directeur de festival. Ce Prix lui offre l’opportunité que sa performance soit évaluée par un jury de douze experts, dont la célèbre enseignante française Nadia Boulanger et une saison d’engagements avec des orchestres de réputation mondiale, tels l’Amsterdam Concertgebouw et l’Israel Philharmonic.

De 1973 à 2010, Murray Perahia a enregistré pour Columbia Masterworks des œuvres de Mozart, Beethoven et Schumann. Il y rejoint des artistes aussi illustres que Vladimir Horowitz, Rudolf Serkin, Glenn Gould et Andre Watts. En 2016, il a signé un contrat avec Deutsche Grammophon.

En 1973, Murray Perahia  a travaillé avec Benjamin Britten et Peter Pears au Aldeburgh Festival, et comme fellow pianist de Radu Lupu. Il a été le co-directeur artistique du Festival (1981-1989).

Dans les années 1980, il a été invité à travailler avec Vladimir Horowitz. Une rencontre déterminante qui a induit une amitié entre les deux pianistes. Vladimir Horowitz l’a « énormément enrichi. A la fin des années soixante, Horowitz avait souhaité prendre un élève en charge. Rudolf Serkin m’avait recommandé à lui, le producteur Thomas Frost avait été prié de nous mettre en relation, mais je suis resté sans nouvelles jusqu’à ce qu’Horowitz me téléphone en personne. Sur le coup, je n’ai pas réagi, pas même à l’annonce de son nom, tant je n’imaginais pas qu’un tel géant pût décrocher son combiné. J’ai cru que l’inconnu qui demandait à parler à « Monsieur Perahia » ne cherchait à s’adresser qu’à mon père, sûrement pour son travail, et j’étais prêt à lui passer quand il me dit : « Vous ne comprenez pas, j’appelle pour vous. Je suis un ami de M. Serkin ». Ce premier contact avait tout d’une histoire drôle ! J’ai auditionné pour lui le lendemain. Il confirma son intention de me faire travailler, mais exigea certaines garanties, comme par exemple l’engagement que je resterais son élève exclusif pendant une durée de temps déterminée. Il annonça aussi son intention de changer plusieurs choses à ma technique, et je crois que j’ai eu peur, à ce moment-là, d’être happé par lui, d’être écrasé par sa personnalité. Voilà deux ans que je m’étais séparé de mon professeur, que je cheminais seul : j’étais prêt à recevoir les conseils d’un maître, pas à reconsidérer tout ce que j’avais déjà acquis. J’étais déboussolé. Finalement, j’ai choisi de ne pas honorer sa proposition… et je suis devenu l’élève d’Horszowski. Miecyslaw Horszowski (1892-1993) était un poète, un esprit très original au legato fabuleux, qui s’est attaché pendant un an et demi à élargir mon répertoire à raison d’une leçon tous les mois. Par la suite, j’ai fréquemment croisé Horowitz dans les studios d’enregistrement new yorkais. Il m’est arrivé de le saluer dans sa loge à l’issue d’un concert, mais je ne me sentais pas très à l’aise vis-à-vis de lui. Il n’avait pourtant pas pris ombrage de ma décision, ni renoncé à me guider. Au cours des quatre années qui ont précédé sa disparition, je lui ai rendu visite très régulièrement. L’été, je le voyais tous les jours. L’image que je garde de lui n’est pas celle qui lui colle injustement à la peau : Horowitz n’était pas un phénomène de foire, mais un musicien exceptionnellement doué, très sérieux, doté d’une culture sidérante. Je l’ai vu jouer des œuvres auxquelles il n’avait pas touché depuis des années, ivre de musique, littéralement. Cet homme brûlait d’un feu sacré. Je me souviens qu’Horowitz voulait me faire travailler un concerto de Rachmaninov, alors que j’étais tenté davantage par l’étude du 2ème de Brahms, qu’il ne souhaitait pas entendre. J’avais pris l’habitude de lui téléphoner de l’aéroport chaque fois que je revenais à New York, il était tenu au courant de mes déplacements, mais cette fois-ci mon avion s’était posé largement après l’heure prévue et je n’avais pas osé le déranger pour l’informer de mon arrivée tardive. Quand je l’ai eu au bout du fil le matin suivant, il m’apprit que sa femme et lui s’étaient inquiétés de ne pas recevoir d’appel. Il pensait que quelque chose m’était arrivé. J’en étais désolé. Il ne se sentait pas très en forme, mais il était disposé à me recevoir : il avait changé d’avis, il voulait écouter mon Brahms. « Seriez-vous libre samedi ? », demanda-t-il. Je l’étais. « Dimanche ? ». Je l’étais aussi. Je lui dis, et le questionnaire se poursuivit. Horowitz désirait me voir tous les jours de la semaine. Je percevais bien qu’il y avait quelque chose de pressant, mais j’ignorais ce qu’il avait en tête. Quand il me reçut ce samedi de novembre, il ne voulut me parler que d’une chose, en réalité : de Mozart – pour me dire à quel point sa musique, qu’il vénérait, était élevée, incomparable. Il s’assit ensuite au piano, et joua pour moi le prélude [de Liszt sur la Cantate de Bach] Weinen, Klagen, Sorgen, Zagen. Ce fut absolument magnifique… en un sens mystique, extra-musical. Puis il fit une chose que je ne l’avais jamais vu faire en ma présence : il referma le couvercle du piano. C’était très étrange, très émouvant. J’ai pris congé dans la nuit. Je ne devais plus le revoir en vie : il s’est éteint quelques heures plus tard, dans la matinée du lendemain. [Enregistré moins d’une semaine avant sa mort, le dernier disque d’Horowitz parut accompagné d’une préface signée par M. Perahia].

A l’initiative de Murray Perahia, ont été édités sous la forme d’un coffret discographique des Cours d’interprétation professés par Alfred Cortot à l’Ecole Normale dans la seconde moitié des années 1950. Murray Perahia a retracé  la genèse de cette publication : « Un jour, alors que nous déjeunions ensemble à Paris, le peintre Jean Cortot me révéla l’existence des bandes qu’un élève de son père avait enregistrées pour son propre usage, plusieurs années consécutives, au cours de ces leçons. Il y avait là des heures entières de remarques formulées par Cortot, toutes ponctuées d’exemples au piano, souvent à propos d’œuvres dont celui-ci n’a laissé aucun témoignage commercial. Il m’est aussitôt apparu indispensable de divulguer cet héritage inédit. Plus personne ne joue comme Cortot, dont l’art touche d’abord par l’amour fervent de la musique qu’il manifeste. Pablo Casals me parlait souvent, à Marlboro, du trio qu’il avait formé autrefois avec lui et Thibaud (« Il jouait si magnifiquement, vous savez », disait-il toujours, sourire aux lèvres, au sujet du dernier). Casals m’invitait régulièrement chez lui à Porto Rico. Je crois qu’il m’aimait beaucoup. Je l’admirais profondément et je ressens encore l’influence qu’il a exercée sur moi. Je suis personnellement convaincu qu’Alfred Cortot se voyait lui-même comme un pianiste de doigts. Ce sont ces aspects seuls qu’il expose dans sa méthode et recommande de travailler. Pour cette raison, je désapprouve ses Principes rationnels au point de vue technique, bien qu’il faille croire que ces exercices rébarbatifs fonctionnaient dans son cas. Etonnamment, Cortot aura été capable de combiner souplesse et souci de l’articulation purement digitale, mais sans doute son métier de chef d’orchestre lui avait-il inconsciemment permis de se libérer, de parvenir à la détente au niveau corporel : sa sonorité était superbe. En lui, je loue l’interprète qui demeure une source d’inspiration essentielle pour les pianistes actuels », s’est souvenu  Murray Perahia.

Sur le jeu parfois sans âme d’étudiants de Conservatoires, Murray Perahia avance des explications : « On ne joue plus de la même façon qu’au moment où j’ai entrepris ma formation, c’est une évidence. L’interprétation de la musique pour piano a changé. Est-ce affaire d’évolution du goût, de carences dans l’enseignement musical ? Faut-il incriminer le disque, le rétrécissement du globe, les concours internationaux ? Je crois qu’il y a autre chose : la musique populaire ne se confond plus avec la musique classique, comme tel fut le cas jusqu’aux années trente. Bach, Mozart, Brahms, Schubert, Bartók – poursuivez jusqu’à Richard Strauss, Gershwin, Cole Porter – tous ont écrit de la musique populaire, de la musique folklorique, de la musique « légère » ou de danse, mais sous la forme d’une musique savante. De nos jours, notre musique populaire est devenue si désespérément pauvre qu’elle martèle inlassablement les mêmes rythmes sous la grille misérable de ses maigres accords, cependant que la musique classique s’est coupée de ses racines et semble réservée à une minorité d’éclairés. La musique classique a perdu son ancrage dans la terre, et la musique ambiante sa sophistication, si bien que l’interprète contemporain a du mal à se dépêtrer des valses et des mazurkas, dont les marques et les pulsations ne font plus partie de son patrimoine, de sa nourriture quotidienne, de son sang, de son environnement. Nous en souffrons tous, moi y compris. La respiration, la vibration du monde ne sont plus les mêmes, elles non plus. Les jeunes ne sont pas responsables de cette standardisation du jeu dont il font parfois la démonstration : il s’agit d’un fait de société. L’idée folle, pour remédier à cette uniformisation, consisterait à produire une musique populaire de meilleure qualité et à initier la population aux mystères de la grande musique ».

En 1990, Murray Perahia  a souffert sur son pouce droit d’une légère coupure devenue infectieuse et douloureuse. Sa santé a été ensuite altérée par un problème osseux dans sa main induisant une inflammation. Ce qui l’a maintenu plusieurs années loin du piano, l’a contraint à annuler des concerts, a généré des opérations chirurgicales et a écourté les périodes pendant lesquelles les médecins l’autorisaient à reprendre sa carrière professionnelle.

« A l’époque j’ai décidé de remplir mes journées de musique. Je ne pouvais pas faire autrement : ma vie en est faite, elle lui est consacrée. J’avais besoin de musique, et je me suis retrouvé dans la pièce où nous sommes, assis sur cette chaise, non plus à en jouer mais à en écouter, et surtout à en lire. Bach m’a procuré un but autant qu’un réconfort immense. Je me suis plongé dans son œuvre, en tirant tout le bénéfice de l’analyse schenkérienne », a confié Murray Perahia à Jejouedupiano.com .

Et d’expliciter : « Le théoricien Heinrich Schenker [1868-1935] s’est penché sur la structure interne des œuvres musicales, non pas seulement sur leurs cadres formels, dont il rejetait la catégorisation. Il s’est intéressé à la façon dont les compositeurs de musique tonale ont manié le contrepoint et l’harmonie. Pour lui, l’œuvre musicale est une entité dont les éléments sont liés entre eux de façon « organique ». Contrairement aux analystes qui le précèdent, Schenker ne se contente pas de chiffrer un accord, d’en décrire la constitution verticale, de souligner les liens que celui-ci entretient avec la tonalité principale : sa technique vise à dégager la signification même de l’accord, à identifier sa fonction dans la hiérarchie d’ensemble, et en définitive à dégager la signification de tous les constituants harmoniques et mélodiques d’une pièce en étudiant le système de relations complexes qui les relie entre eux. Ma quête personnelle est celle de l’essence d’une composition. Je cherche à percer le secret d’un morceau, de sorte que je puisse assurer sa traduction sonore sans me contenter d’une restitution de ses événements de surface. Je cherche à savoir pourquoi chacune de ses notes est indispensable à la cohérence de son ensemble, à savoir pourquoi elle est inévitable alors même qu’elle semble être une surprise, à savoir comment elle procède d’une autre et mène à une suivante – or Schenker fournit des réponses à ces interrogations fondamentales : il ouvre à l’interprète des perspectives de compréhension fabuleuses… Les études [de Wilhelm Furtwängler] sous la direction de Schenker ont duré 30 ans et leurs discussions passionnantes s’étalent dans une correspondance de plus d’une centaine de lettres. L’influence de Schenker aura été considérable : elle s’est étendue loin au-dehors de la sphère universitaire ».

Comment Murray Perahia a-t-il connu Schenker ? « Mon professeur de direction d’orchestre, Carl Bamberger, avait été l’élève de Schenker, l’un des plus doués d’entre eux. Bamberger était un homme merveilleux, très musicien par nature, très intelligent, qui pratiquait la photographie avec autant de talent que la musique. Il est probablement l’un des premiers qui m’ait introduit aux méthodes schenkériennes, mais vous savez, à l’époque, le Mannes College de New York était un vrai havre de schenkériens. Tous avaient fui les persécutions nazies. Mon professeur Felix Salzer [1904-1986], apparenté à Wittgenstein, avait succédé là au poste de son maître Hans Weisse, qui était lui-même un disciple direct de Schenker (par chance, ce dernier était mort à Vienne avant qu’Hitler n’annexe l’Autriche). Il y avait aussi Oswald Jonas, et Carl Schachter avec lequel je travaille encore étroitement, qui est aujourd’hui considéré comme le plus grand successeur en activité de Schenker. Leur enseignement m’impressionna fortement, mais la composition, la direction d’orchestre et la musique de chambre m’occupaient alors trop pour que je l’approfondisse autant qu’il l’eût fallu. Je ne me suis sérieusement tourné de nouveau vers l’analyse schenkérienne qu’au moment où cette blessure m’a obligé à renoncer à l’estrade. J’en récolte pleinement les fruits aujourd’hui : ce fut une bénédiction, a posteriori. »

Comment Murray Perahia conçoit-il le jeu d’un pianiste ? « Certes, un musicien doit naturellement suivre son instinct et jouer « comme il le ressent », mais je ne me reconnais pas dans cette « génération moi-je » qui se passionne avant tout pour la subjectivité de l’expression individuelle. Elsner a transmis cette image, à son élève Chopin : « Au contraire de l’artisan qui construit sa maison en disposant ses briques l’une après l’autre et n’aperçoit l’édifice dans sa forme achevée qu’une fois seulement qu’il les a toutes empilées, l’artiste perçoit d’abord nettement la maison qu’il projette de bâtir avant même que d’en monter les murs ». J’estime que l’on doit assimiler la substance d’un texte musical, c’est-à-dire maîtriser la partition jusque dans ses moindres détails, mais posséder simultanément d’elle une vision globale qui permette de situer chacun de ses éléments dans sa relation à l’ensemble. Je perçois mieux la musique aujourd’hui dans la plénitude de sa dimension contrapuntique, de point contre point (contrepoint n’étant pas synonyme de fugue). Je ne suis plus attentif aux lignes mélodiques seules, comme je l’étais sans doute, enfant, lorsque mon père me conduisait au Metropolitan Opera pour entendre des ouvrages véristes. Je comprends comme la polyphonie façonne véritablement la mélodie : mon jeu se ressent désormais tout entier de ces années employées à lire Bach, dans mon traitement des notes de passage, des retards, des appogiatures, des fondamentales, dans ma manière de phraser, de propulser des figures d’accompagnement, de prolonger des harmonies, d’accentuer…

Chopin ? « Ce « classique-romantique » m’a toujours été cher entre tous. Chacune de ses notes possède une histoire, un destin : chez lui tout est unifié, tout se tient. Aucun compositeur n’est plus proche que lui de Mozart et de Bach. Sa musique est éminemment contrapuntique : regardez la 4ème Ballade. Au point de vue structurel, il est frappant, d’ailleurs, de voir que cette œuvre n’a qu’un seul précédent : le dernier mouvement de la symphonie Héroïque de Beethoven. Quoiqu’il ait pu en dire, Chopin a été grandement influencé par Beethoven : il admirait Fidelio, nous le savons par ses élèves. Je fais partie ce ceux qui pensent que la Fantaisie-Impromptue n’est jamais parue de son vivant en raison des similarités évidentes qu’elle présente avec la sonate Au Clair de lune : ce sont les mêmes arpèges, la même course effrénée ! Chopin était sûrement lié à Beethoven par une relation d’amour / haine. On pourrait multiplier les exemples : Chopin faisait travailler la Sonate op. 26, et il n’est pas impossible que sa marche funèbre ait influencé l’écriture de la sienne. »

Bach. « Lorsque j’étais étudiant, à Manhattan, de nombreux pianistes (non des moindres, je pense à Claudio Arrau) estimaient que le piano n’était pas un medium bien adapté à la traduction de Bach. Je me suis essayé au clavecin, je me suis intéressé autant que je l’ai pu à la science des clavecinistes (articulation, ornementation, métrique)… Mon sentiment est qu’il est idiot de vouloir imiter la sonorité du clavecin lorsque l’on joue Bach au piano. Mais si la gradation du toucher, les variations de dynamique, l’utilisation parcimonieuse de la pédale forte vous permettent d’éclairer les aspects de son œuvre (les méandres du parcours tonal, une modulation, la polyphonie), et permettent surtout à l’auditeur de saisir ce qui est à l’œuvre dans l’œuvre, alors vous ne devez pas vous priver d’y avoir recours, sachant qu’il serait tout aussi idiot d’appliquer à Bach un rubatoemprunté aux Romantiques allemands du XIXème siècle. »

Le piano idéal ? « J’accorde peu de temps aux questions de réglages et d’accord. Je n’aime pas les pianos dont la sonorité est trop brillante, ni ceux dont l’enfoncement des touches est trop difficile. Vladimir Horowitz possédait à l’inverse un piano très léger que j’ai utilisé un jour à Carnegie Hall, non sans gêne, mais la réponse de son clavier était très rapide, et la pression pouvait y être dosée au gramme près. Les vieux Bechsteins, les Erards, les Pleyels sont certainement les plus beaux pianos dont vous puissiez profiter dans l’intimité, mais pour la salle de concerts il me faut toute la longueur de corde des Steinways modernes ».

Quand il a recouvré sa santé, il a enregistré à la fin des années 1990 des œuvres pour piano de Bach, dont les Variations Goldberg.

Murray Perahia  s’est fixé en Grande-Bretagne : « Je n’habite pas au cœur de la City, mais dans un faubourg légèrement excentré, desservi par le tube. Lorsque je me suis installé en Angleterre, l’intensité de la vie musicale locale était extraordinaire. Il y avait là Shura Cherkassky, Yehudi Menuhin, le Quatuor Amadeus, Clifford Curzon, dont j’ai été très proche, toute une colonie schnabélienne, sans parler des solistes invités. La BBC était une force vitale : nous attendions chaque fois avec davantage d’impatience la nouvelle production de Benjamin Britten, que j’avais déjà rencontré aux Etats-Unis. C’était un merveilleux pianiste, surtout comme accompagnateur (dans les cycles de Schubert, les Dichterliebe) : l’atmosphère qu’il créait, l’imagination dont il faisait preuve… quel musicien ! J’ai joué toutes ses mélodies avec Peter Pears, et lui ai même présenté le Concerto de Schumann. Son point de vue était toujours fascinant, parce qu’en lui le créateur dominait l’interprète. J’ai également assisté ici aux sessions d’enregistrement de Leopold Stokowski. La ville est peut-être moins palpitante aujourd’hui, mais j’aime toujours y vivre avec ma famille. Dans mon quartier, les gens sont amicaux sans être envahissants. L’endroit est merveilleux pour se ressourcer, méditer, travailler. Bach, Mozart, Beethoven, Chopin… c’est assez pour une seule existence ».

En 2005, les problèmes de sa main sont réapparus, et sur les conseils de médecins, Murray Perahia a annulé certains de ses concerts.

En plus de sa carrière de concertiste, il accorde du temps à la musique de chambre et a joué avec le quartet Guarneri et le Budapest String Quartet. Il est aussi le principal Chef d’orchestre invité à l’Academy of Saint Martin in the Fields avec lequel il enregistre ses disques et effectue des tournées aux Etats-Unis, en Europe, au Japon et en Asie du sud-est.

Depuis son retour aux Proms 2008, Murray Perahia  a repris un programme de concerts.

Ainsi, il a joué le concerto pour piano n° 20 en ré mineur, K 466 de Mozar avec l’Academy of St Martin in the Fields dirigé par Marriner lors du concert pour le 90e anniversaire de Sir Neville Marriner.

En 2009, il a été nommé président du Jerusalem Music Center fondé par le violoniste Isaac Stern. Il a déclaré au quotidien israélien Haaretz : “La musique représente un monde idéal où toutes les dissonances sont résolues, où toutes les modulations – qui sont des voyages – retournent chez elles, et où la surprise et la stabilité coexistent”.

Murray Perahia « cumule les superlatifs : interprète virtuose et méticuleux, couronné de nombreux prix internationaux et fait chevalier par la reine d’Angleterre, il officie en outre comme chef invité de l’orchestre de chambre Academy of St Martin in the Fields, l’un des plus renommés de Grande-Bretagne ».

« C’est accompagné de cette formation qu’il interprète le Concerto pour piano n° 5 dit "L'Empereur" de Beethoven, œuvre phare du classicisme viennois, depuis la belle salle de concert de la ville thermale de Wiesbaden ».
Une « soirée d’exception, enregistrée en juillet 2014 dans le cadre du festival de musique classique du Rheingau ».


Citations de Murray Perahia

The Jewish Chronicle, 8 février 2008
“I sat reading in these chairs and felt somehow, in an abstract rather than a religious way, that suffering shapes you. Not only my own religious thought, but that of my ancestors, affected me in some way. The thing we have as Jews is that it’s a wonderfully abstract religion. Images are not allowed, so it’s welcome to abstract thought”.
“I wouldn’t play it in public — you need different muscles, you can’t use the upper arm, just the fingers. But the sound has a glow, because the strings aren’t damped, as on a piano. I wanted to visit Bach’s sound world, then apply those ideas to the piano”.
“In the Bronx, we had three synagogues on one block at 161st Street. My father was Orthodox and we went to the Sephardione. Further along was the Conservative, the biggest. In between was the Ashkenazi shul. And guess who was their shabbos goy? Colin Powell!”
“I’m deeply grateful to be Jewish. I feel it’s enriched my life and I feel very strongly about Jewishness.”

WWD  [Women's Wear Daily], 2 octobre 2007
that "Playing music isn't just a job for me. It's a language I speak, and without it, it's like having my tongue cut out and being unable to communicate."


« Murray Perahia joue Beethoven » par Hanne Kaisik
Allemagne, 2014, 42 min
Acteur : Murray Perahia
Direction musicale : Murray Perahia
Orchestre : Academy of St. Martin in the Fields
Sur Arte les 16 septembre 2018 à 18 h 30 et 20 septembre 2018 à 5 h
Visuels :
Le pianiste américain Murray Perahia
© Felix Bröde

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