RMC Découverte diffusera le 28 juillet 2017 à 23 h 45 « Amour et sexe sous l’Occupation », documentaire gênant de Daniel Costelle, Isabelle Clarke et Camille Levavasseur. Des Françaises entre ordre moral voulu par Vichy, intransigeances de la Résistance et sexualité libérée de l’autorité parentale, voire débridée, avec l’Occupant nazi. Ce film distille un profond malaise par son traitement biaisé, émaillé d’erreurs historiques et d’omissions, concernant notamment les Juifs.
Patrick Buisson a signé les deux volumes d’Années érotiques 1940-1945 (Albin Michel), encensés par des médias : Vichy ou les infortunes de la vertu (2008) et De la grande prostituée à la revanche des mâles (2009).
La société CC&C a adapté ce livre en une série documentaire télévisée en deux volets - « L’Occupation intime », dont le texte est lu par Alain Delon et Anouchka Delon, et « Amour et sexe sous l’Occupation » - réalisés par Daniel Costelle, Isabelle Clarke et Camille Levavasseur (2010).
« Collaboration horizontale »
Amour et sexe sous l'Occupation « interroge le mystère brûlant des relations intimes, hétérosexuelles et homosexuelles, en temps de guerre ; et explore ces années de chaos où la proximité avec la mort a renforcé l'aspiration au bonheur individuel, au plaisir et à la transgression ». Mais en accordant une grande place aux relations impliquant des Allemands nazis.
« Juillet 1940 : les Allemands s'installent en maîtres dans la France vaincue. Les soldats allemands impressionnent avec leur puissance et leur aura de vainqueur. L'opération séduction bat son plein ».
Patrick Buisson souligne « l’image masculine [française] dépréciée ». Métaphore ? « Le vainqueur a les traits du mâle, le vaincu ceux de la femme ».
Les « Occupants aident les Français à remettre le pays en marche ». Ou à l’exploiter au profit de IIIe Reich en spoliant les Juifs ?
« Soucieux d'encadrer les débordements, l'état-major de la Wehrmacht réquisitionne les maisons-closes » et est motivé par des préoccupations sanitaires, d’hygiène, afin d’éviter les maladies vénériennes. Le gouvernement de Vichy « reconnait ces bordels et crée un service public du sexe ».
Les « bordels les plus chics deviennent des officines du marché noir gérées par les profiteurs de guerre ».
Des SS filment leurs ébats avec des prostituées.
Patrick Buisson insiste sur « la surprise par rapport à 1870 et 1914. Les ordres sont stricts : les viols sont punis de peines de forteresses ».
C'est « la cohue dans les cabarets et les boîtes de nuit ». Et la joie chez Maxim’s et à la Tour d’Argent.
Selon Patrick Buisson, « l’instinct de vie » est aiguisé car la « vie est menacée ». Le sexe comme « révélateur des mentalités ».
Les « conquêtes allemandes ne sont pas seulement féminines : dans le Paris de l'Occupation, de Genêt à Cocteau, des homosexuels sont attirés par l'idéal masculin hyper-viril des Nazis, pactisent avec l'occupant ».
« Arletty, Florence Gould, Mireille Balin, Coco Chanel, Corinne Luchaire s'affichent avec des officiers allemands, par défi, véritable amour, intérêt professionnel, ou affinités de classe ». Ginette Leclerc « obtient l’autorisation d’ouvrir un cabaret avec son amant. Un lieu de rendez-vous pour les gestapistes ».
Certes Arletty a vécu une histoire d’amour avec Hans-Jurgen Soehring (1908-1960), magistrat nazi, officier allemand alors assesseur au conseil de guerre de la Luftwaffe à Paris. Mais elle a aussi obtenu la libération de Tristan Bernard, célèbre écrivain français juif septuagénaire interné au camp de Drancy.
Les « femmes de prisonniers de guerre perçoivent des allocations misérables ». Environ 800 000 prisonniers sont mariés. Nombre d’entre eux s’interrogent sur la fidélité de leurs conjointes.
La détresse amène des femmes à la prostitution clandestine.
Des « attentats visent les aspirants ayant des liaisons avec des femmes françaises ».
Et « près de 200 000 naissances seraient le fruit d'amours illicites avec l'ennemi ». De quelle année à quelle année ? En 1943, on recense 589 301 naissances vivantes.
Mais « aimer un Allemand, c'est forcément être une mauvaise Française ».
A « l'été 1944, l'euphorie de la Libération tourne parfois au règlement de comptes : le sort des tondues est la punition de la France qui s'est couchée et qui a couché avec l'ennemi ».
« La France dévoyée a subi le charme vénéneux de l’Occupant… La France de la ceinture serrée demande des comptes à la France de la jouissance… Le Maquis fait acte d’autorité sur les femmes et leur sexualité. Leur corps appartient à la Nation, aux hommes. C’est la victoire posthume de Vichy. Les hommes veulent purifier. Des femme sont tondues et lavées à grande eau, plongées dans le bassin municipal. Deux mille femmes sont tuées pour fait de collaboration », résume Patrick Buisson.
Arrêtée, Arletty déclara : « Si mon cœur est français, mon cul, lui, est international ! » A ses juges, elle répliqua : « Si vous ne vouliez pas que je couche avec les Allemands, fallait pas les laisser entrer ». En 1946, le comité d'épuration l’a sanctionnée par un blâme. Interdiction lui a été aussi imposée de travailler pendant trois ans.
En « contant ces temps troublés où les autorités traditionnelles étaient remises en cause, Anouchka Delon transporte notamment les femmes françaises, témoins privilégiés de l'Occupation, dans leur passé ».
La « romancière Benoîte Groult, la résistante Gisèle Guillemot ou encore la comédienne Yvette Lebon livrent ici leurs souvenirs ».
Ce documentaire présente une large gamme de choix de femmes françaises sous l’Occupation : de la Résistante refusant toute relation avec l’Occupant allemand nazi à l’opportuniste, via l’inconsciente. On est ému par les images de femmes tondues à la Libération, le viol dont fut victime l’actrice Mireille Balin et les blessures psychologiques du chanteur Gérard Lenorman, né de l’union d’une adolescente française de seize ans et d’un violoniste volage membre des forces d’occupation allemandes. Une histoire évoquée dans sa chanson Warum mein Vater (« Pourquoi mon père »).
Mais ce documentaire gêne par sa ligne directrice – « On s’amuse à Paris », « Les jeunes se libèrent de l’autorité parentale et découvrent une nouvelle vie » tel le futur dramaturge Pierre Barillet, les « adolescents affirment leur autonomie », etc. -, ses libertés avec l’Histoire – prétendu attrait généralisé des Françaises pour l’Occupant nazi -, ses partis pris – discours évinçant généralement les Juifs, paraissant parfois complaisant -, etc.
Comme si les auteurs du documentaire étaient si fascinés par leur sujet qu’ils en perdaient toute nuance, toute perspective historique, tout regard critique.
Tous les homosexuels ne furent pas attirés par les Nazis. Né Roger Worms, le communiste homosexuel Roger Stéphane s’est engagé dans la résistance.
Quid des départements d’outre-mer et protectorats français ? Dans « Screaming Silence », documentaire de Ronnie Sarnat (2015), un Israélien relatait le viol dont il fut victime, à l’âge de 13 ans, en Tunisie, sous l’Occupation nazie, par un soldat allemand, et ses questionnements sur son identité sexuelle durant toute sa vie d’adulte.
Pourquoi avoir évoqué le ferrailleur juif Joseph Joanovici ?
Quid des couples juifs séparés : maris engagés volontaires, ayant tenté, avec succès ou non, de franchir la ligne de démarcation, ayant été déportés, etc. ?
Quid des femmes juives enceintes, raflées et détenues au Vel d’Hiv, et dont certaines, ont provoqué leur avortement avec des aiguilles à tricoter ?
Quid de l’histoire d’amour entre Hélène Berr (1921-1945), cette brillante française juive agrégative française d’anglais, et Jean Morawiecki, engagé en novembre 1942 dans les Forces françaises libres ?
On éprouvait cette même gêne en visionnant « L’Occupation intime » qui stigmatisait Maurice Chevalier, alors que celui-ci avait protégé sa compagne juive, l'artiste Nita Raya, ainsi que la famille de cette chanteuse, danseuse et actrice; et à la Libération le compositeur Norbert Glanzberg témoignera en sa faveur.
« Amour et sexe sous l’Occupation », documentaire de Daniel Costelle, Isabelle Clarke et Camille Levavasseur
CC&C, 2010, 72 minCommentaire dit par Anouchka Delon
Sur Histoire les 26 mars à 20 h 40, 31 mars à 8 h 40, 2 avril à 14 h 45, 8 avril à 14 h 45 et 19 avril 2017 à 18 h 30
Sur RMC Découverte le 28 juillet 2017 à 23 h 45
Les citations proviennent du documentaire et du communiqué de presse.
Cet article a été publié le 31 mars 2017.