jeudi 2 mars 2017

La « colonisation française » suscite des polémiques récurrentes


Le 23 février 2005, la France a adopté une loi exprimant sa reconnaissance aux auteurs de l’œuvre accomplie outre-mer. L’article 4 de cette loi, reconnaissant « le rôle positif de la présence française outre-mer », a suscité une forte controverse d’associations, de partis politiques et d’historiens. Pour sortir de la polémique, une mission a notamment été confiée à Me Arno Klarsfeld, qui jouit de la double nationalité française et israélienne. Une nomination qui a relancé certaines critiques visant l’Etat d’Israël. Chronologie d’une affaire aux dimensions politiques, juridiques et historiques. En Algérie, Emmanuel Macron a qualifié la colonisation française de « crime contre l’Humanité ». Une association a porté plainte contre lui pour injure. 


L’article 1  de la loi du 23 février 2005 dispose :
« La Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l'œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d'Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française.
Elle reconnaît les souffrances éprouvées et les sacrifices endurés par les rapatriés, les anciens membres des formations supplétives et assimilés, les disparus et les victimes civiles et militaires des événements liés au processus d'indépendance de ces anciens départements et territoires et leur rend, ainsi qu'à leurs familles, solennellement hommage ».
Son article 4 précise : 
« Les programmes de recherche universitaire accordent à l'histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu'elle mérite. Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. La coopération permettant la mise en relation des sources orales et écrites disponibles en France et à l'étranger est encouragée ».
Cette loi ne peut pas contraindre les auteurs et éditeurs de manuels scolaires à écrire une histoire unilatérale et ne prévoit aucune sanction à leur égard.

La présence française a permis à certaines minorités opprimées, tels les Juifs ou les Chrétiens d'Afrique du Nord, de s'émanciper du statut inférieur, cruel et déshumanisant de dhimmis. Elle a aussi apporté aux territoires d'outre-mer des infrastructures, des progrès scientifiques, des valeurs prônées par la République, etc.

Divers partis et associations ont demandé l’abrogation de cet article 4 au motif que la colonisation ne présenterait pas d’effets positifs. 

Le 29 novembre 2004, le Parlement a repoussé un amendement visant à l’abroger. 

Le 9 décembre, le Président Jacques Chirac a demandé à Jean-Louis Debré, président de l’Assemblée nationale, d’évaluer au sein d’une « mission pluraliste l’action du Parlement dans les domaines de la mémoire et de l’histoire ».

Claude Goasguen, député (UMP, Union pour un mouvement populaire) de Paris, expliquait le 18 décembre, lors d’une réunion de l’Institut Jean-Jacques Rousseau (JJRI) que cette loi visait à protéger les Harkis en sanctionnant toute injure ou diffamation commise envers eux (article 5 de cette loi). Il regrettait l’absence d’une bonne communication autour de cette loi pour éviter la polémique.

Le 23 décembre, Nicolas Sarkozy, président de l’UMP, a confié à Me Arno Klarsfeld, « avocat de la mémoire et de la vérité, un travail approfondi sur la loi, l'Histoire et le devoir de mémoire ». Il lui a demandé de se prononcer sur la loi de 2005 et sur les lois sanctionnant le négationnisme – loi Gayssot (1990) – et sur le génocide arménien dont certains historiens réclament l’abrogation.

Le 26 décembre, Mouloud Aounit, alors Secrétaire général du MRAP (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples), a récusé les « compétences » et la « légitimité » de cet avocat « militant actif de la colonisation israélienne, qui après avoir pris la nationalité israélienne, a servi volontairement dans une unité de gardes-frontières de l’armée israélienne et a participé délibérément à l’humiliation et à la répression de la population palestinienne ».

M. Aounit a prôné le boycott des demandes d’audition de Me Klarsfeld.

« Dans les années 80, les manuels scolaires rédigés par des agrégés d'histoire affirmaient que les juifs en France avaient été arrêtés par les seuls Allemands, alors que les trois quarts l'ont été par des policiers de Vichy. Les historiens ne sont pas neutres, ils ont aussi leurs engagements politiques… Mouloud Aounit prétend que je suis pour la colonisation en Palestine. C'est faux, je suis globalement pour le retour aux frontières de 1967 et le partage de Jérusalem. S'il le maintient, c'est qu'il pense que la colonisation juive commence en Israël même, et donc il est sur la position du président iranien », a déclaré Me Klarsfeld à Libération (30 décembre). 

Le 27 décembre, il avait déclaré sur France-Inter : « M. Aounit est peut-être sur la même ligne du président iranien qui estime que les Juifs n’ont rien à faire au Moyen-Orient ».

Me Klarsfeld souhaite notamment comparer les colonisations des Etats européens et que la loi reconnaisse « les bienfaits et les méfaits de la colonisation ».

Le communautarisme selon René Rémond
L’historien René Rémond s’est étonné sur France Info de la nomination d’Arno Klarsfeld : « Je suis favorable à cette mission de réflexion, [mais] il fallait nommer quelqu’un qui soit détaché de toute solidarité communautaire ».

« Qu’en termes fort bien choisis ces choses là sont dites. René Rémond est académicien. Il sait utiliser la langue française pour exprimer  avec élégance des idées assez détestables. Cette mise en cause des « solidarités communautaires » ne manque pas de surprendre de la part de M. Rémond, historien [qui] fut avant guerre et pendant l’Occupation un militant catholique actif et responsable de plusieurs associations chrétiennes. En 1989, M. Rémond fut nommé par Mgr de Courtray à la tête de la commission d’historiens chargée d’enquêter sur la responsabilité de l’Eglise dans la cavale du milicien Paul Touvier. Les conclusions de cette commission furent très modérées. La hiérarchie catholique très satisfaite. Et personne à l’époque ne songea ni à mettre en cause l’impartialité de M. Rémond ni à le suspecter de la moindre ’’solidarité communautaire », a relevé Clément Weil-Raynal dans la newsletter du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France).

Rappelons qu’un différend a opposé Me Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France (AFFDJF) et père d’Arno, à M. Rémond sur l’affaire du « fichier juif ». En septembre 1993, cet avocat et historien avait découvert un fichier dans les archives du Secrétariat aux Anciens combattants et estimé qu’il s’agissait du fichier dit de la Préfecture de police de la Seine. En 1996, le rapport de la Commission d’historiens présidée par M. Rémond concluant que ledit fichier n’était pas celui de la Préfecture de police, détruit quasi-entièrement en 1948-1949.

« Quatre lois mémorielles » contestées
Sur cette polémique politicienne, s’est greffée une première pétition d’historiens, de philosophes et d’écrivains visant des articles de « quatre lois mémorielles : la loi Gayssot de 1990, celle de janvier 2001 reconnaissant le génocide arménien de 1915, la loi Taubira du 21 mai 2001 qualifiant l'esclavage de crime contre l'humanité, et celle du 23 février 2005 ». Or, Jean-Claude Gayssot a toujours récusé l’expression de « loi mémorielle » à l’égard de cette loi portant son nom : il a toujours expliqué que le négationnisme était une forme d’antisémitisme.

Ces articles étaient accusés d’avoir « restreint la liberté de l'historien, [de lui avoir] dit, sous peine de sanctions, ce qu'il doit chercher et ce qu'il doit trouver, [de leur avoir] ont prescrit des méthodes et posé des limites ». Publiée dans Libération (13 décembre), cette pétition a demandé l’abrogation « de ces dispositions indignes d’un régime démocratique », mais omet de préciser lesquelles. Ses signataires affirmaient : « Dans un Etat libre, il n'appartient ni au Parlement, ni à l'autorité judiciaire de définir la vérité historique ».

« Voulant refuser le jugement moral et le droit de regard de la loi sur l’histoire contenu dans l’article concerné comme dans la loi Taubira, [les historiens pétitionnaires] en arrivent à refuser la reconnaissance par la loi française d’un crime collectif comme crime contre l’humanité, nécessitant de ce fait un traitement judiciaire particulier, permettant à des individus (Juifs, Arméniens ou autres) de se reconstruire en étant reconnus comme victimes en même temps que de les protéger contre la diffamation et les accusations de mensonge », écrit Anne Lifshitz-Krams dans la newsletter du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) du 16 décembre 2005.

Quant à Dieudonné M'Bala M'Bala, qui souhaite se présenter aux élections présidentielles en 2007, il a « propos » de restaurer la liberté d'expression, par l'abrogation des lois racisantes du 13 juillet 1990 dite loi Gayssot, du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien, du 21 mai 2001 dite loi Taubira, du 22 décembre 2004 et celle du 23 février 2005 ».

Le 30 décembre, Dominique Strauss-Kahn, alors député socialiste, a transmis au président Jacques Chirac, la liste des 43 523 signataires de la 2e pétition demandant l’abrogation de l’article 4 de la loi de février 2005.

Le 3 janvier, la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) se  déclarait « choquée par la position de certains intellectuels qui, au prétexte, justifié, de demander d’abrogation de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, remettent en cause les dispositifs législatifs sur le génocide arménien, l’esclavage, les traites négrières et le négationnisme de la Shoah. Ce mélange des genres est infamant et inacceptable, les victimes des génocides et crimes contre l’humanité concernés sont réelles. Le politique a tort de s’engager dans cette voie sauf à contribuer sciemment à la confusion des genres et au pourrissement de notre société à la grande joie des extrémistes de tous bords qui depuis toujours demandaient l’abrogation de ces textes ».

Quelle que soit la décision ultime prise par le pouvoir exécutif, force est de constater que, certains titulaires dudit pouvoir exécutif, des dirigeants de partis politiques et d’associations ont ainsi contribué à affaiblir et discréditer le Parlement. Car ce sont des élus de la Nation, de la majorité comme de l’opposition, et notamment des édiles socialistes, qui ont adopté ce texte controversé. 

Enfin, il devient délicat d'inviter des citoyens d’origine étrangère à aimer et défendre un pays dont le passé serait si sombre et sans nuances.


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