Le Palais Galliera a présenté l’exposition Anatomie d’une collection. Une sélection de vêtements et accessoires provenant du fonds Galliera, illustrant la mode du XVIIIe siècle à l'aube du XXIe siècle et rappelant le souvenir de leurs créateurs et des personnalités des mondes politiques ou artistiques les ayant portés. Un savoir-faire d'artisans de luxe au service de la haute couture, dont certains créateurs s'intéressent peu à la beauté et se soucient moins du corps féminin.
Avec une quarantaine de pièces nouvelles, l’exposition « Anatomie d’une collection – 2e partie » (3 novembre 2016 - 12 février 2017) prolonge l’exposition « Anatomie d’une collection » (14 mai - 23 octobre 2016). Dans la salle Carrée, un bel hommage est rendu à Sonia Rykiel.
Qui porte quoi ? « De l’habit de cour au bleu de chauffe, entre anonymes et célébrités, l’exposition réunit une centaine de pièces de vêtements et accessoires issus du fonds Galliera pour revisiter la mode du XVIIIe siècle à nos jours ».
Une sélection « de vêtements incarnés qui reflètent la constitution même des collections en même temps que la complexité d’attribution exigée par chacune des pièces de ce patrimoine. Pour le visiteur, une invitation à découvrir la richesse du fonds Galliera » mise en valeur dans une exposition dont le commissaire est Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera et l’équipe des conservateurs du musée de la Mode de la Ville de Paris. Ainsi, la robe verte de Lucien Lelong, vers 1935, est "emblématique du style fluide et des coupes savantes en vogue à cette époque".
Cette exposition rend aussi hommage à tous ces artisans, en voie de disparition, qui par leur savoir-faire d'excellence ont permis de fabriquer les vêtements imaginés par des fondateurs de la haute-couture. Citons la maison Lesage célèbre pour ses broderies.
Une sélection « de vêtements incarnés qui reflètent la constitution même des collections en même temps que la complexité d’attribution exigée par chacune des pièces de ce patrimoine. Pour le visiteur, une invitation à découvrir la richesse du fonds Galliera » mise en valeur dans une exposition dont le commissaire est Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera et l’équipe des conservateurs du musée de la Mode de la Ville de Paris. Ainsi, la robe verte de Lucien Lelong, vers 1935, est "emblématique du style fluide et des coupes savantes en vogue à cette époque".
Cette exposition rend aussi hommage à tous ces artisans, en voie de disparition, qui par leur savoir-faire d'excellence ont permis de fabriquer les vêtements imaginés par des fondateurs de la haute-couture. Citons la maison Lesage célèbre pour ses broderies.
Ainsi, « parmi tous les corsets des réserves du musée de la Mode de la ville de Paris, Anatomie d’une collection présente celui de Marie-Antoinette et, parmi toutes les blouses, choisit celle d’une infirmière de la Première Guerre mondiale dont l’histoire n’a pas retenu le nom… »
« Habit du Dauphin, gilet de Napoléon, robe de l’impératrice Joséphine, veste d’amazone de Cléo de Mérode, pantalon d’ouvrier, robe de George Sand, collet de Sarah Bernhardt, uniforme de zouave, salomés de Mistinguett, habit de forçat, chapeau-chaussure de Gala, tablier de travail, tailleur d’Audrey Hepburn, manteau d’Elsa Schiaparelli, robe de la duchesse de Windsor, pyjama du soir de Tilda Swinton… une centaine de pièces avec ou sans pedigree identifient ceux qui les ont portées ».
« Donner à voir le Palais Galliera tel qu’il est dans ses atours restaurés, en harmonie avec l’histoire de ses collections – ce qu’il nous montre et nous invite à regarder. Dès la première salle s’instaure un dialogue entre l’architecture intime du lieu et la scénographie de l’exposition : ici des socles-vitrines qui s’étirent, là des meubles qui s’évadent des boiseries – clin d’œil aux ingénieux et pratiques rangements pour les articles de mercerie. Plus loin dans la grande galerie, des jeux de hauteurs et de profondeurs viennent briser la présentation linéaire tout en renouant avec l’esprit très XIXe de ces anciennes collections privées qui exposaient sculptures, peintures et objets – vocation première du Palais Galliera avant sa reconversion en musée de la Mode ».
« Traditionnellement en pierre, les socles sont, tout au long du parcours, revisités en bois noir, à l’instar des boiseries in-situ ; si la hauteur des socles ne dépasse jamais celle des boiseries, l’esprit classique de « l’accrochage » est subtilement chahuté avec des piétements portant haut les mannequins dont les tiges s’étirent et se déploient dans l’espace ».
« Tout un jeu de distorsions scénographiques invitant le visiteur à parcourir, dans cet écrin du Palais Galliera, une partie de ses collections exceptionnelles ».
Salon d’honneur : les reliques du passé
Les vêtements sont des objets particuliers. « Artefacts singuliers, ils incorporent un peu du vécu de leur propriétaire – cet être par eux vêtu. Par leur forme, le contact étroit entretenu avec l’enveloppe charnelle, ils constituent comme un double de celui qui les a portés. Cette gémellité qui nous trouble et nous émeut ouvre un monde d’objets souvenirs et plus précisément, ici, de vêtements-reliques ».
« Le dogme catholique reconnaît ces « reliques réelles » ou « reliques de contact » désignant tous les objets ayant touché le corps d’un saint ou d’un bienheureux. Ce peuvent être des objets usuels ou des meubles, reste que les vêtements par leur contact prolongé et intime avec l’enveloppe charnelle, se distinguent parmi tous ».
« Luxueux ou anodins, voire usés ou rapiécés, les vêtements-souvenirs nous font toucher à l’être même de la personne qui les a portés, tous ont une égale valeur mémorielle défiant le temps de l’humaine condition ».
Gilet à manches ayant appartenu à Claude-Lamoral II, prince de Ligne et du Saint Empire, vers 1750
« Devant : Gros de Tours liseré broché, soie bleue, fils de soie polychromes, fils d’argent doré ; boutons de bois recouverts de filé et de paillons d’argent doré ; décor tissé à disposition.
Dos et doublure : taffetas de soie bleu et taffetas de soie blanc.
Homme de tempérament et grand amoureux des jardins, Claude-Lamoral II mène une carrière militaire et diplomatique. « Il avait, dit son fils, une grande élévation et était aussi fier en dedans qu’en dehors. Il se croyait un Louis XIV et en était un en jardins et magnificences. »
Corset de la reine Marie-Antoinette, vers 1785
« Taffetas de soie bleu, passementerie de soie bleue, busc de bois Le corset ne se porte que pour des raisons de santé ou des occasions non officielles qui assouplissent l’étiquette du grand corps plus rigide qui se porte, lui, avec la jupe sur grand panier. Avec l’ajout d’une traîne ou d’une queue de jupe, c’est ce que l’on nomme le grand habit porté à la cour. Porté par Marie-Antoinette, ce corset est conservé telle une relique précieuse entre les pages du livre de comptes de madame Eloffe, marchande de modes versaillaise ; de celles qui garnissent les vêtements de dentelles, gazes, plumes et fleurs artificielles… d’où cette constellation de petites piqures sur l’étoffe : des traces d’épingles comme autant d’essais d’ornementation pour séduire la reine ».
Habit, gilet et pantalon ayant appartenu à Louis XVII, Louis Charles de France, duc de Normandie, vers 1792
« Toile de coton rayée, beige, marron. Boutons de bois recouverts de tissu.
La simplicité de la toile de coton rayée dans laquelle ces habits sont taillés peut s’expliquer par les conditions de vie de la famille royale emprisonnée. Conservés par Jean-Baptiste Cléry, valet de chambre de Louis XVI lors de son séjour à la prison du Temple, cet ensemble suit la mode enfantine aristocratique marquée par l’apparition du pantalon pour les garçonnets – le Dauphin a alors sept ans ».
Habit de membre de l’Institut d’Égypte porté par le général Napoléon Bonaparte, vers 1798
« Velours de soie noir, broderies de fils de soie noirs à motifs d’épis de blé, rameaux de chêne et feuilles de lierre. Doublure en satin de soie noir.
Morceau de papier, cousu à l’encolure, inscrit à l’encre : « Collection de M. le docteur Conneau médecin particulier de Napoléon III. Habit porté par Bonaparte à l’Institut d’Égypte, et conservé par M. J.B. Fourier secrétaire de cette Compagnie et préfet de l’Isère jusqu’en 1812 ».
Héros glorieux des armées révolutionnaires, le général Bonaparte déjà membre de l’Institut national de France profite de la campagne d’Égypte pour fonder au Caire un même établissement ayant pour mission de « recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences », c’est l’Institut d’Égypte dont il est un des premiers membres. Cet habit qui n’est autre qu’un uniforme civil sera bientôt une relique ; elle va passer de main en main depuis les bagages du mathématicien Joseph Fourier, secrétaire de l’Institut d’Égypte, aux malles du célèbre Dr. Conneau fidèle de la famille impériale, médecin de la reine Hortense puis de Napoléon III, puis faire partie de ces souvenirs de l’Empire collectionnés par Mme Moreau, finalement donatrice de l’habit prestigieux à la Ville de Paris ».
Robe parée de l’impératrice Joséphine (Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, dite Joséphine de Beauharnais), vers 1805
« Mousseline de coton, broderies blanches au passé et au point de noeud formant des motifs végétaux : muguets, framboises et feuillages.
Coupée dans un tissu prohibé – d’ordinaire importé d’Inde par les Anglais, éternels ennemis de Napoléon –, mais à la mode, cette robe parée relève du goût de l’Empereur pour les robes blanches. Impératrice coquette, Joséphine brave les interdits de son époux et n’hésite pas à se fournir en étoffes de contrebande – allant jusqu’à mentir à l’Empereur, lui affirmant qu’il s’agit là de tissus français, batiste ou linon… Et comme la mode passe, deux fois par an sa Majesté montait dans ce qu’on appelait ses atours ; elle passait en revue ses robes, ses bonnets et ses chapeaux et en mettait « à la réforme », ses toilettes étaient alors distribuées en lots tirés au sort entre les dames de son entourage ».
Casaque de forçat, vers 1820-1850
Sergé de laine rouge
« Inhabituelle dans la société civile, la teinte écarlate permet de repérer les fuyards tentés de se faire « la belle », de même que les lettres T.F. – pour Travaux Forcés– stigmatisent les condamnés. Qui ne connaît pas les aventures de Vidocq, ancien vrai bagnard devenu chef de la Sûreté, ou le personnage romanesque de Jean Valjean ? Les forçats nourrissent l’imaginaire du XIXe siècle ; condamnés aux travaux forcés, ils vivent enchaînés, astreints aux tâches pénibles dites de « grande fatigue », dans des bagnes portuaires à Brest, à Toulon, à Rochefort qui remplacent alors les anciennes galères voguant sur les mers ».
Vêtements portés par Armand Carrel le jour de son duel fatal contre Émile de Girardin, le 21 juillet 1836 : redingote, gilet, haut de forme et sa boîte.
« Redingote en lainage noir et velours de soie noir ; gilet en soie brochée noire à motifs de palmes cachemire avec dos en toile de coton marron apprêtée ; haut de forme en peluche de soie noire et ruban en gros-grain noir Ancien militaire devenu journaliste célèbre, Carrel fait de son journal Le National l’organe du parti républicain. Trois jours après le duel l’opposant à Girardin, un autre journaliste, sa mort l’érige en martyr et en symbole politique – pas moins de dix mille personnes assistent à ses obsèques.
Il s’agit alors d’une affaire d’honneur et de femme : « Il a menacé de faire ma biographie et d’y faire figurer une personne dont je ne souffrirai pas que le moindre souffle soulève le voile. Je le tuerai ou il me tuera ! » La tenue portée par Carrel le jour fatal est pieusement conservée par cette « personne » : Émilie Antoine, épouse Boudhors ; c’est son petit neveu qui en fait don, en 1926, à la Ville de Paris. »
Robe de mariée de Blanche Castets, portée pour son mariage avec le Dr Paul Gachet, le 24 septembre 1868
Faille de soie ivoire, bais de satin de soie ivoire
Robe de lendemain de noces de l’épouse du Dr Paul Gachet
« Faille de soie gris-parme, biais de satin de soie parme
Collectionneur, ami des peintres – on connaît son portrait par Van Gogh – le Dr Gachet épouse Blanche Castets qui, atteinte de phtisie, meurt sept années plus tard. Comment ne pas imaginer que c’est par amour que cet homme sensible préserve la garde-robe de sa jeune épouse disparue dont, bien sûr, sa robe de mariée et sa robe de lendemain de noces. Elles sont uniques et presque identiques, ce qui redouble le chagrin – c’est qu’à l’époque tout jeune couple est tenu dans la quinzaine après le mariage de rendre visite en grande cérémonie aux personnes de son entourage ».
Robe de chambre ancienne portée vers 1900 par Maurice Leloir
« Tissu estimé XVIIIe siècle. Cannetillé lancé liseré de soie à motifs floraux Né dans une famille d’artistes – sa mère et sa tante dessinent des croquis de mode –, Maurice Leloir mène une carrière de peintre d’histoire et d’illustrateur empreinte de vérité historique. Pour l’Exposition Universelle de 1900, ce grand collectionneur de mode prête un certain nombre de pièces, dont cette robe de chambre « Louis-Philippe » taillée dans un tissu ancien. Sa prédilection pour cet uniforme de dandy romantique n’étonne pas de la part d’un homme nostalgique des temps passés qui n’a pas de mots trop durs pour fustiger la mode de la Belle Époque. C’est lui qui, en 1907, fonde la Société de l’Histoire du Costume dont les collections du Palais Galliera sont issues ».
Galerie est : artistes de scène et figures de femmes
« Depuis l’avènement de la haute couture, au milieu du XIXe siècle, comédiennes, actrices, cantatrices, aristocrates, mondaines ou demi-mondaines constituent la clientèle privilégiée des couturiers, à la ville comme à la scène. Si la mode met en scène le grand théâtre de la mondanité, le monde du théâtre, lui, emprunte à la mode son vocabulaire en appelant « couturière » la dernière répétition en costumes, celle des ultimes retouches avant la générale puis la première. Trendsetters avant l’heure, ces clientes qui sont des artistes ou des femmes en vue font la pluie et le beau temps, lancent des modes, édifient de très laïques chapelles, alimentent les potins ravissant un public friand des dernières nouveautés et autres toquades saisonnières ».
Collet de Sarah Bernhardt, vers 1896-1898
« Fourrure d’agneau de Mongolie, fourrure d’hermine
Talentueuse, dotée d’une forte personnalité, on ne présente plus Sarah Bernhardt qui a imposé un style vestimentaire singulier. À la ville, les plus grands couturiers l’habillent. « Ses toilettes, écrit Mucha, la marquaient d’originalité. Sarah ne se souciait pas de la mode, elle s’habillait à son goût, les tailleurs et les couturières enfoncés dans leur routine avaient souvent de la peine avec ses caprices ».
Noir et blanc, mousseux, ce collet à col relevé dit « Médicis » inspiré de la Renaissance, illustre le goût de l’actrice pour l’extravagance, le luxe, la fourrure ».
H.J. Nicoll – Londres et Paris, jaquette d’amazone de Cléo de Mérode, vers 1896-1898
« Sergé de laine noir
Fille illégitime, née dans la haute société viennoise, devenue danseuse à l’Opéra de Paris, Cléo de Mérode est une des égéries de la Belle Époque. Cette jaquette d’amazone est liée à son premier amour. Ensemble, ils montent au Bois de Boulogne : « Le matin, écrit-elle, après ma leçon de danse, je faisais du cheval.
Je portais une amazone moulante et un tricorne posé crânement. Cela ne m’allait pas mal. L’écuyer du manège m’accompagnait au Bois où je retrouvais Charles dans les allées cavalières. Quelquefois nous montions aussi l’aprèsmidi, aux heures chics. » Après sa disparition, c’est Mme Fairweather, sa dernière dame de compagnie, qui en fait don au musée du Costume ».
Tea-gown, robe d’intérieur, de Réjane, vers 1898
« Voile de coton blanc, entre-deux de dentelle mécanique, broderies blanches à motifs de fleurs – des roses
Au tournant du siècle dernier, la femme élégante vêtue d’une tea-gown aussi évanescente que confortable reçoit chez elle, en fin d’après-midi, un cercle restreint d’amis. Portée par la coquette et spirituelle Réjane, une des comédiennes les plus renommées de la Belle Époque, cette robe dont la griffe a aujourd’hui disparu aurait été signée Doucet. Car le grand couturier habille Réjane à la ville comme à la scène, supervise lui-même ses essayages ; c’est non seulement un traitement de faveur mais plus encore une rencontre.
Égale à elle-même, Réjane exige de Doucet une relation exclusive, allant jusqu’à lui interdire d’habiller une concurrente ! »
Grande galerie : de la cliente charismatique à la parfaite inconnue
« À la fin du XIXe siècle, alors que Charles Frederick Worth habille les têtes couronnées, Jacques Doucet fait de la comédienne Réjane son ambassadrice. Depuis lors, les clientes de la haute couture, femmes du monde, du demi-monde ou de la scène élisent chacune leur grand couturier avec l’assurance d’éblouir dans leurs beaux atours réalisés sur-mesure, à la main, dans les ateliers des maisons de couture les plus courues. Mise à part quelques clientes tenant à leur anonymat, se distinguent des personnalités incarnant à elles seules l’image d’une maison.
Certaines sont l’esprit du temps, imposent une allure voire une silhouette. D’autres, fortes de leur complicité avec un couturier, créent un style qui, aujourd’hui encore, porte leur nom et fait référence en matière d’élégance. Chacune, de Daisy Fellowes à Audrey Hepburn en passant par la duchesse de Windsor ou Catherine Deneuve, personnifie l’éphémère intemporel, cet oxymore qui est la quintessence de la mode. Toutes à travers leur garde-robe dessinent un portrait de femme, de cliente fidèle, de modèle ou d’égérie ; toutes marquent de leur empreinte l’évolution des modes et de la haute couture parisienne ».
Hiekel et Lebel-Stritter, chapeau melon d’équitation porté par la princesse Murat, vers 1910
Paille blonde et noire, gros-grain noir, élastique, satin de soie et tulle crème, monocle en verre sur monture en écaille
Un goût certain pour les activités physiques et sportives apparaît à travers les accessoires composant l’importante garde-robe de la princesse Murat, arrièrepetite-fille du maréchal d’Empire Ney et épouse de l’arrière-arrière-petit fils de Joachim Murat – maréchal de France et époux de Caroline Bonaparte. Outre les casquettes d’automobiliste, on ne compte pas moins de onze chapeaux d’équitation ou de chasse révélant ses qualités de cavalière ; ne prend-elle pas part au rallye Chambly en forêt de Chantilly dont le maître d’équipage n’est autre que son époux le prince Murat ? Hauts-de-forme, canotiers, melons, tricornes d’équipage… sont autant de couvre-chefs appartenant au vestiaire masculin venus s’immiscer dans la garde-robe des amazones. Ceux de la princesse portent la griffe de deux chapeliers de renom : Motsch et Hiekel. Tous présentent une même caractéristique : un monocle fixé en dessous de la passe, au niveau de l’oeil gauche. C’est que très myope, la princesse Murat ne boude pas son plaisir de monter grand trot, au triple galop, d’éviter les obstacles ou de tirer avec adresse le gibier ».
Paul Poiret, robe de Natalie Clifford Barney, 1922
« Jersey de soie bleu marine, fils métalliques or, lamé or Adapté au mode de vie des années 20, s’affranchissant des contraintes et libérant le corps, le jersey, tissu tricoté pratique et tout confort, connait un engouement sans borne auprès des femmes émancipées – cette maille convenant aux ensembles de sport comme aux robes habillées. Décor en losanges concentriques, bordures soulignées de triangles, manches en lamé rehaussent de leur éclat l’élégante sobriété de cette robe droite conforme aux goûts de Natalie Clifford Barney, celle que Rémy de Gourmont, amoureux éperdu, surnomme « l’Amazone ». Américaine mais parisienne d’adoption, femme de lettres, célèbre pour ses amours avec Liane de Pougy, Colette, Romaine Brooks… elle tient un salon au 20, rue Jacob où s’érige son Temple de l’Amitié et fraie avec le Tout-Paris ».
Des années 1920 aux années 1930, le Palais Galliera « conserve une vingtaine de pièces signées Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet… issues de la garde-robe de la poétesse ».
Chanel, robe d’Anna Gould, duchesse de Talleyrand, vers 1930
« Toile de coton, broderie mécanique à jours, mousseline de soie écrue, tulle de soie blanche La garde-robe d’Anna Gould, devenue duchesse de Talleyrand-Périgord par son remariage en 1908, est conservée au Palais Galliera. Du début du XXe siècle aux années 1930, ce prestigieux ensemble compte près de 200 pièces dont quelques 70 accessoires. La fille de Jay Gould, magnat des chemins de fer américains, épouse en 1895 le dandy Boni de Castellane dont elle divorce en 1906 – dans ses mémoires, ce dernier écrit : « J’avais l’ambition de faire d’elle la femme la plus élégante de Paris. Tant qu’elle suivit mes conseils, elle fut merveilleusement habillée ». Les vaporeux modèles de Redfern sont autant de réminiscences du Palais Rose, avenue du Bois. L’entre-deux guerres voit la duchesse fréquenter les salons de Jérôme, Agnès et Chanel ; ses chapeaux sont griffés Gaby Mono, Mme Charlotte, ses souliers Vaginay Nicklich. Cette robe s’inscrit dans la lignée des longues robes du soir monochromes en dentelle ou en tulle, jouant sur la transparence qui, dans les années 1930, font la renommée de Chanel ».
Schiaparelli, en collaboration avec Salvador Dalí, Chapeau-chaussure porté par Gala, hiver 1937-1938
« Feutre noir, gros-grain noir
Proche des surréalistes, amie de Salvador Dalí, Elsa Schiaparelli mêle l’art à la mode avec humour et audace. Cet extravagant chapeau-chaussure reprenant la forme d’un escarpin à haut talon est l’un des accessoires les plus emblématiques de ce courant surréaliste flirtant avec la mode. Inspiré d’une photographie prise en 1933 par Gala de son époux Dalí – le peintre catalan arbore une chaussure de femme sur la tête, une autre sur l’épaule –, l’escarpin renversé apparaît dans la collection hiver 1937-1938 de Schiaparelli. Une version à talon rouge est immortalisée par une publication dans l’Officiel de la Mode et de la Couture d’octobre 1937 – la photo signée Georges Saad. Le chapeauchaussure accompagne alors un tailleur à poches brodées avec des motifs en forme de lèvres. Ainsi chapeautée, Gala est de nouveau photographiée par André Caillet en 1938. À son retour en France, après la guerre en 1947, elle offre la célèbre coiffure à sa fille Cécile Éluard qui, à son tour l’offre à une proche amie en 1952. Ce sont ces transmissions qui permettent, quelques décennies plus tard, de le faire entrer dans les collections du Palais Galliera ».
Givenchy, robe en deux parties portée par Audrey Hepburn, 1966
Toile de laine
« Silhouette juvénile et frêle, le cheveu court, d’allure un peu garçonne, Audrey Hepburn a 37 ans lorsqu’elle porte cet ensemble composé d’une jupe montée sur un corsage et d’une sorte de petit blouson fermé dans le dos. Selon Hubert de Givenchy dont elle est la muse et l’amie : « Quand elle essayait un vêtement, elle voulait bouger avec lui, elle le testait, elle marchait, elle s’asseyait, elle voulait qu’il la suive, qu’il fasse corps avec elle. ». Chacun des détails et ses proportions de ce prototype semblent avoir été inspirés par elle. Tout y est dit, ou plutôt suggéré : le revers de poches placé haut confèrent une note masculine, les manches courtes sont presque enfantines, l’encolure stricte dégage à peine la naissance du cou comme pour mieux souligner le port de tête. Cette robe en deux parties incarne l’élégance fragile, toute en tension et comme en équilibre.
Souple et sobre, sa ligne repose uniquement sur les épaules. Couvrant juste la taille, le blouson esquisse un léger basculement vers l’arrière, effleurant le corps plus qu’il ne l’habille ».
Balenciaga, robe du soir portée par Lilian de Réthy, été 1968
« Crêpe de soie imprimé au cadre de la maison Sache Mary Lilian Baels, princesse de Rethy, est la seconde épouse du roi Léopold III de Belgique. Grande, sportive et élégante, c’est une cliente fidèle des couturiers parisiens sans que l’on puisse lui attribuer un goût prononcé pour l’un d’entre-eux. Pour ce long fourreau datant de la dernière collection du couturier, Balenciaga choisit un crêpe imprimé de la maison Sache dont les dessins géants à l’effet brossé envahissent la forme droite. L’échelle et la force du décor peuvent presque faire oublier la virtuosité de la coupe. Ici, la construction de la ligne à peine posée sur les hanches, légèrement basculée dans le dos esquissant une courte traîne par un savant jeu de panneaux triangulaires, traduit parfaitement la virtuosité du couturier ».
Yves Saint Laurent, combinaison-pantalon portée par Betty Catroux, automne-hiver 1968-1969
« Jersey, maille bouclette pailletée, ceinture queue de rat, glands perlé Premier jumpsuit créé par Yves Saint Laurent, ce modèle graphique comme un coup de crayon dessine une silhouette asexuée. La pureté de la ligne, le travail de la matière, sa précision jusque dans le détail offrent pourtant une interprétation plus nuancée, un subtil revirement. Les manches en maille pailletée par leur discrète brillance, tout comme cette fine ceinture terminée par quelques rangs de perles, apportent une note plus féminine à cette combinaison pantalon stricte toute en jersey d’encre mate. De Saint Laurent qu’elle rencontre en 1967, Betty Catroux est la muse, sa sœur jumelle. « Elle était, dit-il, exactement ce que j’aimais. Longue, longue, longue ». Sa silhouette androgyne convient parfaitement à ces archétypiques du vestiaire masculin que Saint Laurent réinterprète du smoking au costume d’homme, en passant par les sahariennes ».
Dior par Marc Bohan, robe d’après-midi portée par la duchesse de Windsor, printemps-été 1972
Gazar
« Résumé de ce que l’on appelle encore aujourd’hui « Le style Wallis », cette robe bleu marine stricte dessine parfaitement la légendaire et filiforme silhouette de la duchesse de Windsor. D’une élégance étudiée, Wallis Simpson a un sens de la perfection très développé et selon Marc Bohan est « capable de diriger la première d’atelier pour la coupe, de faire rectifier la largeur d’une emmanchure ou supprimer des détails superflus. » Le gazar dans lequel la robe est coupée, sorte d’archétype, apporte de la tenue voire une certaine raideur, seul le volant au bas de la jupe, taillé dans le biais, offre une légère transparence et un semblant de mouvement ».
Galerie ouest : au plus près du couturier
« À la fin du XIXe siècle, Charles Frederick Worth comprit l’avantage de faire porter ses créations par son épouse qui devint la première mannequin-égérie de l’histoire de la mode. Au début du XXe siècle, Denise et Paul Poiret forment un couple uni par la création.
Elle est un miroir pour la collection qu’il initie. De toute époque et de toute décennie, les couturiers et les créateurs de mode perçoivent dans une personnalité proche, épouse ou amie, l’évidence d’une incarnation. Avant que la robe naisse, ces muses inspirent par un porter, par une allure qu’elles possèdent, l’intention d’une collection à venir. Lorsque du papier à l’atelier la robe est enfin née, c’est sur leurs silhouettes qu’elle s’impose avec succès ».
Jean-Charles de Castelbajac, robe et tunique portées par Inès de la Fressange, automne-hiver 1983, collection « Hommages »
« Gazar noir peint à l’acrylique. Voile en mousseline de soie noire « Les artistes sont visionnaires et Jean-Charles de Castelbajac a toujours pensé que le bel artisanat dans lequel il évoluait avait de multiples connections avec le monde de l’art. Lui qui jonglait avec les couleurs de Mondrian, les tons primaires et universels de l’enfance, ne pouvait pas cacher comme un gamin ses passions et ses admirations. Il voulait afficher un panthéon d’icônes sur des robes comme des étendards. Parmi ces idoles figurait Andy Wharhol, symbolisé par la fameuse canette de Campbell soup peinte sur une robe que j’ai portée. Mais pour le dernier défilé que j’allais faire pour Castebajac, collection automne-hiver 1983, c’est avec enthousiasme qu’il m’annonça m’avoir attribué la robe où figurait le portrait de Gabrielle Chanel peint par Eliakim à partir la photographie de Boris Lipnitzki en 1936. C’était un honneur compte tenu de l’admiration qu’il portait à la couturière, mais cela correspondait aussi à cette étrange coupe de cheveux que j’avais à l’époque, terriblement années 1920, comme sur les photos où l’on voyait Coco au bras de Serge Lifar ou avec un grand chien à ses pieds. Jean- Charles l’ignora mais, quelques jours après la collection, je signais un contrat d’exclusivité totale avec la maison Chanel. Les artistes sont visionnaires et les couturiers parfois médium ! » – Inès de la Fressange »
Anne Valérie Hash, combinaison travaillée à partir d’une marinière de Jean Paul Gaultier, haute couture, printemps-été 2010, collection « Confidences »
« Broderies de paillettes polyester irisées sur mousseline, jersey de coton À l’occasion des défilés haute couture du printemps-été 2010, Anne Valerie Hash baptise sa collection « Confidences ». Dans son communiqué de presse, elle explique sa démarche qui associe le neuf à l’ancien : « J’ai demandé à de nombreuses personnalités de me confier un vêtement. Un vêtement de leur choix, un vêtement qui les représente, un vêtement qui parle d’eux. La démarche fut particulière et c’est ainsi que l’aventure a commencé. Tout est parti du mot transformer. Nous nous sommes amusés à comprendre et à réinventer l’autre.
Nous avons étudié et démonté chaque vêtement tout en gardant à l’esprit la personnalité de celui qui nous l’avait donné. C’est en essayant de leur rester fidèle que nous avons imaginé une seconde vie à leurs vêtements.»
Salle carrée : prototypes de défilé, vêtements de personne
« Aux garde-robes personnelles constituant la plus belle part du fonds Galliera, il faut ajouter les prototypes de défilés offerts par des créateurs et des maisons de mode – et ce, dès les années 1970. À la différence du vêtement quotidien sublimant en creux la personnalité de celle ou de celui qui l’a élu, porté et aimé, le prototype relève davantage d’une idée, voire d’un fantasme de vêtement. Si au quotidien le vêtement est choisi pour mettre en valeur son possesseur, sur un podium le rapport s’inverse privilégiant la ligne et l’esprit du prototype.
Les modèles de défilés si extraordinairement plastiques soient-ils ne sont alors rien d’autre que le support mouvant de l’esprit du créateur, tout comme les mannequins en chair et en os en sont la belle articulation. Souvent atypiques, ces prototypes ne descendent jamais dans la rue ; on désigne curieusement comme « pièces de musée » les plus emblématiques de ces vêtements-prototypes qui n’auront été portés que pour un unique passage, le temps d’un aller-retour, soit quelques minutes sous le feu des projecteurs ».
Jean Paul Gaultier, robe et bonnet, automne-hiver 1984, collection « Barbès »
Velours de soie, lacets en satin de soie
« Les mots me manquent au souvenir de ce moment magique où j’ai eu le privilège de porter une création de l’un de mes couturiers préférés – la robe “seins obus” de Jean Paul Gaultier. Cette expérience fut inoubliable. Tant d’art et d’amour déversés dans la création d’une seule pièce. Défiler dans cette robe historique, c’était faire tomber les murs, combattre des idées reçues sur la mode et la façon dont on doit s’habiller. Au moment de la porter, j’ai eu tout de suite l’impression de me tenir plus droite, d’être plus grande, de marcher avec un air plus assuré. J’éprouvais une nouvelle confiance en moi, une sensation de liberté, car la robe incarnait l’idée d’une mode amusante, capricieuse, extraordinaire.
Ce fut une vraie libération de porter une pièce qui inspirera tant de créations exceptionnelles et anticonformistes. Je me sentais à la fois forte, rebelle et sexy.
Je me doutais que cette robe en velours orange vif avec sa poitrine conique si coquine, ferait sensation. Et j’ai eu raison ! Je me rappelle d’avoir littéralement fait un énorme sourire face à un public ébahi, confronté au caractère viscéral et avant-gardiste de ce modèle “seins obus” si iconique de Jean Paul Gaultier! »
– Susan Holmes Mc Kagan
Maison Martin Margiela, manteau et perruque, printemps-été 2009
Cheveux synthétiques
« Le 28 septembre 2008, le défilé printemps-été 2009 de la Maison Martin Margiela fête le 20e anniversaire de la griffe et son 40e défilé. Le 21e passage est un manteau crée par les ateliers de la ligne Artisanale de la maison, codifiée « 0 ». Le mannequin qui le porte défile pendant 28 secondes et mesure 1,78 m.
Ses mensurations sont : 81 cm de tour de poitrine, 61 de tour de taille, 86 de tour de hanches et 41 de pointure. D’origine jamaïquaine, elle a 20 ans, est née le 20 avril 1988 et s’appelle Sam Kareen Taylor. Mais le public du défilé n’a jamais vu son visage. Ses cheveux bruns, ses yeux marron sont pris dans un bas couleur chair qui lui masque la tête. Elle porte une culotte recouverte d’un collant. Son buste est nu sous un amoncellement de perruques d’un blond peroxydé aux racines foncées. Elle-même porte un postiche coiffé en dégradé, avec une mèche recouvrant le front. Les mannequins, recrutés lors de « castings de corps », sont dépersonnalisés, leurs identités effacées au service du vêtement qu’ils portent. L’anonymat, cultivé par Martin Margiela, est un des codes de sa griffe ».
« Traditionnellement en pierre, les socles sont, tout au long du parcours, revisités en bois noir, à l’instar des boiseries in-situ ; si la hauteur des socles ne dépasse jamais celle des boiseries, l’esprit classique de « l’accrochage » est subtilement chahuté avec des piétements portant haut les mannequins dont les tiges s’étirent et se déploient dans l’espace ».
« Tout un jeu de distorsions scénographiques invitant le visiteur à parcourir, dans cet écrin du Palais Galliera, une partie de ses collections exceptionnelles ».
Salon d’honneur : les reliques du passé
Les vêtements sont des objets particuliers. « Artefacts singuliers, ils incorporent un peu du vécu de leur propriétaire – cet être par eux vêtu. Par leur forme, le contact étroit entretenu avec l’enveloppe charnelle, ils constituent comme un double de celui qui les a portés. Cette gémellité qui nous trouble et nous émeut ouvre un monde d’objets souvenirs et plus précisément, ici, de vêtements-reliques ».
« Le dogme catholique reconnaît ces « reliques réelles » ou « reliques de contact » désignant tous les objets ayant touché le corps d’un saint ou d’un bienheureux. Ce peuvent être des objets usuels ou des meubles, reste que les vêtements par leur contact prolongé et intime avec l’enveloppe charnelle, se distinguent parmi tous ».
« Luxueux ou anodins, voire usés ou rapiécés, les vêtements-souvenirs nous font toucher à l’être même de la personne qui les a portés, tous ont une égale valeur mémorielle défiant le temps de l’humaine condition ».
Gilet à manches ayant appartenu à Claude-Lamoral II, prince de Ligne et du Saint Empire, vers 1750
« Devant : Gros de Tours liseré broché, soie bleue, fils de soie polychromes, fils d’argent doré ; boutons de bois recouverts de filé et de paillons d’argent doré ; décor tissé à disposition.
Dos et doublure : taffetas de soie bleu et taffetas de soie blanc.
Homme de tempérament et grand amoureux des jardins, Claude-Lamoral II mène une carrière militaire et diplomatique. « Il avait, dit son fils, une grande élévation et était aussi fier en dedans qu’en dehors. Il se croyait un Louis XIV et en était un en jardins et magnificences. »
Corset de la reine Marie-Antoinette, vers 1785
« Taffetas de soie bleu, passementerie de soie bleue, busc de bois Le corset ne se porte que pour des raisons de santé ou des occasions non officielles qui assouplissent l’étiquette du grand corps plus rigide qui se porte, lui, avec la jupe sur grand panier. Avec l’ajout d’une traîne ou d’une queue de jupe, c’est ce que l’on nomme le grand habit porté à la cour. Porté par Marie-Antoinette, ce corset est conservé telle une relique précieuse entre les pages du livre de comptes de madame Eloffe, marchande de modes versaillaise ; de celles qui garnissent les vêtements de dentelles, gazes, plumes et fleurs artificielles… d’où cette constellation de petites piqures sur l’étoffe : des traces d’épingles comme autant d’essais d’ornementation pour séduire la reine ».
Habit, gilet et pantalon ayant appartenu à Louis XVII, Louis Charles de France, duc de Normandie, vers 1792
« Toile de coton rayée, beige, marron. Boutons de bois recouverts de tissu.
La simplicité de la toile de coton rayée dans laquelle ces habits sont taillés peut s’expliquer par les conditions de vie de la famille royale emprisonnée. Conservés par Jean-Baptiste Cléry, valet de chambre de Louis XVI lors de son séjour à la prison du Temple, cet ensemble suit la mode enfantine aristocratique marquée par l’apparition du pantalon pour les garçonnets – le Dauphin a alors sept ans ».
Habit de membre de l’Institut d’Égypte porté par le général Napoléon Bonaparte, vers 1798
« Velours de soie noir, broderies de fils de soie noirs à motifs d’épis de blé, rameaux de chêne et feuilles de lierre. Doublure en satin de soie noir.
Morceau de papier, cousu à l’encolure, inscrit à l’encre : « Collection de M. le docteur Conneau médecin particulier de Napoléon III. Habit porté par Bonaparte à l’Institut d’Égypte, et conservé par M. J.B. Fourier secrétaire de cette Compagnie et préfet de l’Isère jusqu’en 1812 ».
Héros glorieux des armées révolutionnaires, le général Bonaparte déjà membre de l’Institut national de France profite de la campagne d’Égypte pour fonder au Caire un même établissement ayant pour mission de « recueillir les découvertes, de perfectionner les arts et les sciences », c’est l’Institut d’Égypte dont il est un des premiers membres. Cet habit qui n’est autre qu’un uniforme civil sera bientôt une relique ; elle va passer de main en main depuis les bagages du mathématicien Joseph Fourier, secrétaire de l’Institut d’Égypte, aux malles du célèbre Dr. Conneau fidèle de la famille impériale, médecin de la reine Hortense puis de Napoléon III, puis faire partie de ces souvenirs de l’Empire collectionnés par Mme Moreau, finalement donatrice de l’habit prestigieux à la Ville de Paris ».
Robe parée de l’impératrice Joséphine (Marie Josèphe Rose Tascher de La Pagerie, dite Joséphine de Beauharnais), vers 1805
« Mousseline de coton, broderies blanches au passé et au point de noeud formant des motifs végétaux : muguets, framboises et feuillages.
Coupée dans un tissu prohibé – d’ordinaire importé d’Inde par les Anglais, éternels ennemis de Napoléon –, mais à la mode, cette robe parée relève du goût de l’Empereur pour les robes blanches. Impératrice coquette, Joséphine brave les interdits de son époux et n’hésite pas à se fournir en étoffes de contrebande – allant jusqu’à mentir à l’Empereur, lui affirmant qu’il s’agit là de tissus français, batiste ou linon… Et comme la mode passe, deux fois par an sa Majesté montait dans ce qu’on appelait ses atours ; elle passait en revue ses robes, ses bonnets et ses chapeaux et en mettait « à la réforme », ses toilettes étaient alors distribuées en lots tirés au sort entre les dames de son entourage ».
Casaque de forçat, vers 1820-1850
Sergé de laine rouge
« Inhabituelle dans la société civile, la teinte écarlate permet de repérer les fuyards tentés de se faire « la belle », de même que les lettres T.F. – pour Travaux Forcés– stigmatisent les condamnés. Qui ne connaît pas les aventures de Vidocq, ancien vrai bagnard devenu chef de la Sûreté, ou le personnage romanesque de Jean Valjean ? Les forçats nourrissent l’imaginaire du XIXe siècle ; condamnés aux travaux forcés, ils vivent enchaînés, astreints aux tâches pénibles dites de « grande fatigue », dans des bagnes portuaires à Brest, à Toulon, à Rochefort qui remplacent alors les anciennes galères voguant sur les mers ».
Vêtements portés par Armand Carrel le jour de son duel fatal contre Émile de Girardin, le 21 juillet 1836 : redingote, gilet, haut de forme et sa boîte.
« Redingote en lainage noir et velours de soie noir ; gilet en soie brochée noire à motifs de palmes cachemire avec dos en toile de coton marron apprêtée ; haut de forme en peluche de soie noire et ruban en gros-grain noir Ancien militaire devenu journaliste célèbre, Carrel fait de son journal Le National l’organe du parti républicain. Trois jours après le duel l’opposant à Girardin, un autre journaliste, sa mort l’érige en martyr et en symbole politique – pas moins de dix mille personnes assistent à ses obsèques.
Il s’agit alors d’une affaire d’honneur et de femme : « Il a menacé de faire ma biographie et d’y faire figurer une personne dont je ne souffrirai pas que le moindre souffle soulève le voile. Je le tuerai ou il me tuera ! » La tenue portée par Carrel le jour fatal est pieusement conservée par cette « personne » : Émilie Antoine, épouse Boudhors ; c’est son petit neveu qui en fait don, en 1926, à la Ville de Paris. »
Robe de mariée de Blanche Castets, portée pour son mariage avec le Dr Paul Gachet, le 24 septembre 1868
Faille de soie ivoire, bais de satin de soie ivoire
Robe de lendemain de noces de l’épouse du Dr Paul Gachet
« Faille de soie gris-parme, biais de satin de soie parme
Collectionneur, ami des peintres – on connaît son portrait par Van Gogh – le Dr Gachet épouse Blanche Castets qui, atteinte de phtisie, meurt sept années plus tard. Comment ne pas imaginer que c’est par amour que cet homme sensible préserve la garde-robe de sa jeune épouse disparue dont, bien sûr, sa robe de mariée et sa robe de lendemain de noces. Elles sont uniques et presque identiques, ce qui redouble le chagrin – c’est qu’à l’époque tout jeune couple est tenu dans la quinzaine après le mariage de rendre visite en grande cérémonie aux personnes de son entourage ».
Robe de chambre ancienne portée vers 1900 par Maurice Leloir
« Tissu estimé XVIIIe siècle. Cannetillé lancé liseré de soie à motifs floraux Né dans une famille d’artistes – sa mère et sa tante dessinent des croquis de mode –, Maurice Leloir mène une carrière de peintre d’histoire et d’illustrateur empreinte de vérité historique. Pour l’Exposition Universelle de 1900, ce grand collectionneur de mode prête un certain nombre de pièces, dont cette robe de chambre « Louis-Philippe » taillée dans un tissu ancien. Sa prédilection pour cet uniforme de dandy romantique n’étonne pas de la part d’un homme nostalgique des temps passés qui n’a pas de mots trop durs pour fustiger la mode de la Belle Époque. C’est lui qui, en 1907, fonde la Société de l’Histoire du Costume dont les collections du Palais Galliera sont issues ».
Galerie est : artistes de scène et figures de femmes
« Depuis l’avènement de la haute couture, au milieu du XIXe siècle, comédiennes, actrices, cantatrices, aristocrates, mondaines ou demi-mondaines constituent la clientèle privilégiée des couturiers, à la ville comme à la scène. Si la mode met en scène le grand théâtre de la mondanité, le monde du théâtre, lui, emprunte à la mode son vocabulaire en appelant « couturière » la dernière répétition en costumes, celle des ultimes retouches avant la générale puis la première. Trendsetters avant l’heure, ces clientes qui sont des artistes ou des femmes en vue font la pluie et le beau temps, lancent des modes, édifient de très laïques chapelles, alimentent les potins ravissant un public friand des dernières nouveautés et autres toquades saisonnières ».
Collet de Sarah Bernhardt, vers 1896-1898
« Fourrure d’agneau de Mongolie, fourrure d’hermine
Talentueuse, dotée d’une forte personnalité, on ne présente plus Sarah Bernhardt qui a imposé un style vestimentaire singulier. À la ville, les plus grands couturiers l’habillent. « Ses toilettes, écrit Mucha, la marquaient d’originalité. Sarah ne se souciait pas de la mode, elle s’habillait à son goût, les tailleurs et les couturières enfoncés dans leur routine avaient souvent de la peine avec ses caprices ».
Noir et blanc, mousseux, ce collet à col relevé dit « Médicis » inspiré de la Renaissance, illustre le goût de l’actrice pour l’extravagance, le luxe, la fourrure ».
H.J. Nicoll – Londres et Paris, jaquette d’amazone de Cléo de Mérode, vers 1896-1898
« Sergé de laine noir
Fille illégitime, née dans la haute société viennoise, devenue danseuse à l’Opéra de Paris, Cléo de Mérode est une des égéries de la Belle Époque. Cette jaquette d’amazone est liée à son premier amour. Ensemble, ils montent au Bois de Boulogne : « Le matin, écrit-elle, après ma leçon de danse, je faisais du cheval.
Je portais une amazone moulante et un tricorne posé crânement. Cela ne m’allait pas mal. L’écuyer du manège m’accompagnait au Bois où je retrouvais Charles dans les allées cavalières. Quelquefois nous montions aussi l’aprèsmidi, aux heures chics. » Après sa disparition, c’est Mme Fairweather, sa dernière dame de compagnie, qui en fait don au musée du Costume ».
Tea-gown, robe d’intérieur, de Réjane, vers 1898
« Voile de coton blanc, entre-deux de dentelle mécanique, broderies blanches à motifs de fleurs – des roses
Au tournant du siècle dernier, la femme élégante vêtue d’une tea-gown aussi évanescente que confortable reçoit chez elle, en fin d’après-midi, un cercle restreint d’amis. Portée par la coquette et spirituelle Réjane, une des comédiennes les plus renommées de la Belle Époque, cette robe dont la griffe a aujourd’hui disparu aurait été signée Doucet. Car le grand couturier habille Réjane à la ville comme à la scène, supervise lui-même ses essayages ; c’est non seulement un traitement de faveur mais plus encore une rencontre.
Égale à elle-même, Réjane exige de Doucet une relation exclusive, allant jusqu’à lui interdire d’habiller une concurrente ! »
Grande galerie : de la cliente charismatique à la parfaite inconnue
« À la fin du XIXe siècle, alors que Charles Frederick Worth habille les têtes couronnées, Jacques Doucet fait de la comédienne Réjane son ambassadrice. Depuis lors, les clientes de la haute couture, femmes du monde, du demi-monde ou de la scène élisent chacune leur grand couturier avec l’assurance d’éblouir dans leurs beaux atours réalisés sur-mesure, à la main, dans les ateliers des maisons de couture les plus courues. Mise à part quelques clientes tenant à leur anonymat, se distinguent des personnalités incarnant à elles seules l’image d’une maison.
Certaines sont l’esprit du temps, imposent une allure voire une silhouette. D’autres, fortes de leur complicité avec un couturier, créent un style qui, aujourd’hui encore, porte leur nom et fait référence en matière d’élégance. Chacune, de Daisy Fellowes à Audrey Hepburn en passant par la duchesse de Windsor ou Catherine Deneuve, personnifie l’éphémère intemporel, cet oxymore qui est la quintessence de la mode. Toutes à travers leur garde-robe dessinent un portrait de femme, de cliente fidèle, de modèle ou d’égérie ; toutes marquent de leur empreinte l’évolution des modes et de la haute couture parisienne ».
Hiekel et Lebel-Stritter, chapeau melon d’équitation porté par la princesse Murat, vers 1910
Paille blonde et noire, gros-grain noir, élastique, satin de soie et tulle crème, monocle en verre sur monture en écaille
Un goût certain pour les activités physiques et sportives apparaît à travers les accessoires composant l’importante garde-robe de la princesse Murat, arrièrepetite-fille du maréchal d’Empire Ney et épouse de l’arrière-arrière-petit fils de Joachim Murat – maréchal de France et époux de Caroline Bonaparte. Outre les casquettes d’automobiliste, on ne compte pas moins de onze chapeaux d’équitation ou de chasse révélant ses qualités de cavalière ; ne prend-elle pas part au rallye Chambly en forêt de Chantilly dont le maître d’équipage n’est autre que son époux le prince Murat ? Hauts-de-forme, canotiers, melons, tricornes d’équipage… sont autant de couvre-chefs appartenant au vestiaire masculin venus s’immiscer dans la garde-robe des amazones. Ceux de la princesse portent la griffe de deux chapeliers de renom : Motsch et Hiekel. Tous présentent une même caractéristique : un monocle fixé en dessous de la passe, au niveau de l’oeil gauche. C’est que très myope, la princesse Murat ne boude pas son plaisir de monter grand trot, au triple galop, d’éviter les obstacles ou de tirer avec adresse le gibier ».
Paul Poiret, robe de Natalie Clifford Barney, 1922
« Jersey de soie bleu marine, fils métalliques or, lamé or Adapté au mode de vie des années 20, s’affranchissant des contraintes et libérant le corps, le jersey, tissu tricoté pratique et tout confort, connait un engouement sans borne auprès des femmes émancipées – cette maille convenant aux ensembles de sport comme aux robes habillées. Décor en losanges concentriques, bordures soulignées de triangles, manches en lamé rehaussent de leur éclat l’élégante sobriété de cette robe droite conforme aux goûts de Natalie Clifford Barney, celle que Rémy de Gourmont, amoureux éperdu, surnomme « l’Amazone ». Américaine mais parisienne d’adoption, femme de lettres, célèbre pour ses amours avec Liane de Pougy, Colette, Romaine Brooks… elle tient un salon au 20, rue Jacob où s’érige son Temple de l’Amitié et fraie avec le Tout-Paris ».
Des années 1920 aux années 1930, le Palais Galliera « conserve une vingtaine de pièces signées Paul Poiret, Jeanne Lanvin, Madeleine Vionnet… issues de la garde-robe de la poétesse ».
Chanel, robe d’Anna Gould, duchesse de Talleyrand, vers 1930
« Toile de coton, broderie mécanique à jours, mousseline de soie écrue, tulle de soie blanche La garde-robe d’Anna Gould, devenue duchesse de Talleyrand-Périgord par son remariage en 1908, est conservée au Palais Galliera. Du début du XXe siècle aux années 1930, ce prestigieux ensemble compte près de 200 pièces dont quelques 70 accessoires. La fille de Jay Gould, magnat des chemins de fer américains, épouse en 1895 le dandy Boni de Castellane dont elle divorce en 1906 – dans ses mémoires, ce dernier écrit : « J’avais l’ambition de faire d’elle la femme la plus élégante de Paris. Tant qu’elle suivit mes conseils, elle fut merveilleusement habillée ». Les vaporeux modèles de Redfern sont autant de réminiscences du Palais Rose, avenue du Bois. L’entre-deux guerres voit la duchesse fréquenter les salons de Jérôme, Agnès et Chanel ; ses chapeaux sont griffés Gaby Mono, Mme Charlotte, ses souliers Vaginay Nicklich. Cette robe s’inscrit dans la lignée des longues robes du soir monochromes en dentelle ou en tulle, jouant sur la transparence qui, dans les années 1930, font la renommée de Chanel ».
« Feutre noir, gros-grain noir
Proche des surréalistes, amie de Salvador Dalí, Elsa Schiaparelli mêle l’art à la mode avec humour et audace. Cet extravagant chapeau-chaussure reprenant la forme d’un escarpin à haut talon est l’un des accessoires les plus emblématiques de ce courant surréaliste flirtant avec la mode. Inspiré d’une photographie prise en 1933 par Gala de son époux Dalí – le peintre catalan arbore une chaussure de femme sur la tête, une autre sur l’épaule –, l’escarpin renversé apparaît dans la collection hiver 1937-1938 de Schiaparelli. Une version à talon rouge est immortalisée par une publication dans l’Officiel de la Mode et de la Couture d’octobre 1937 – la photo signée Georges Saad. Le chapeauchaussure accompagne alors un tailleur à poches brodées avec des motifs en forme de lèvres. Ainsi chapeautée, Gala est de nouveau photographiée par André Caillet en 1938. À son retour en France, après la guerre en 1947, elle offre la célèbre coiffure à sa fille Cécile Éluard qui, à son tour l’offre à une proche amie en 1952. Ce sont ces transmissions qui permettent, quelques décennies plus tard, de le faire entrer dans les collections du Palais Galliera ».
Givenchy, robe en deux parties portée par Audrey Hepburn, 1966
Toile de laine
« Silhouette juvénile et frêle, le cheveu court, d’allure un peu garçonne, Audrey Hepburn a 37 ans lorsqu’elle porte cet ensemble composé d’une jupe montée sur un corsage et d’une sorte de petit blouson fermé dans le dos. Selon Hubert de Givenchy dont elle est la muse et l’amie : « Quand elle essayait un vêtement, elle voulait bouger avec lui, elle le testait, elle marchait, elle s’asseyait, elle voulait qu’il la suive, qu’il fasse corps avec elle. ». Chacun des détails et ses proportions de ce prototype semblent avoir été inspirés par elle. Tout y est dit, ou plutôt suggéré : le revers de poches placé haut confèrent une note masculine, les manches courtes sont presque enfantines, l’encolure stricte dégage à peine la naissance du cou comme pour mieux souligner le port de tête. Cette robe en deux parties incarne l’élégance fragile, toute en tension et comme en équilibre.
Souple et sobre, sa ligne repose uniquement sur les épaules. Couvrant juste la taille, le blouson esquisse un léger basculement vers l’arrière, effleurant le corps plus qu’il ne l’habille ».
Balenciaga, robe du soir portée par Lilian de Réthy, été 1968
« Crêpe de soie imprimé au cadre de la maison Sache Mary Lilian Baels, princesse de Rethy, est la seconde épouse du roi Léopold III de Belgique. Grande, sportive et élégante, c’est une cliente fidèle des couturiers parisiens sans que l’on puisse lui attribuer un goût prononcé pour l’un d’entre-eux. Pour ce long fourreau datant de la dernière collection du couturier, Balenciaga choisit un crêpe imprimé de la maison Sache dont les dessins géants à l’effet brossé envahissent la forme droite. L’échelle et la force du décor peuvent presque faire oublier la virtuosité de la coupe. Ici, la construction de la ligne à peine posée sur les hanches, légèrement basculée dans le dos esquissant une courte traîne par un savant jeu de panneaux triangulaires, traduit parfaitement la virtuosité du couturier ».
Yves Saint Laurent, combinaison-pantalon portée par Betty Catroux, automne-hiver 1968-1969
« Jersey, maille bouclette pailletée, ceinture queue de rat, glands perlé Premier jumpsuit créé par Yves Saint Laurent, ce modèle graphique comme un coup de crayon dessine une silhouette asexuée. La pureté de la ligne, le travail de la matière, sa précision jusque dans le détail offrent pourtant une interprétation plus nuancée, un subtil revirement. Les manches en maille pailletée par leur discrète brillance, tout comme cette fine ceinture terminée par quelques rangs de perles, apportent une note plus féminine à cette combinaison pantalon stricte toute en jersey d’encre mate. De Saint Laurent qu’elle rencontre en 1967, Betty Catroux est la muse, sa sœur jumelle. « Elle était, dit-il, exactement ce que j’aimais. Longue, longue, longue ». Sa silhouette androgyne convient parfaitement à ces archétypiques du vestiaire masculin que Saint Laurent réinterprète du smoking au costume d’homme, en passant par les sahariennes ».
Dior par Marc Bohan, robe d’après-midi portée par la duchesse de Windsor, printemps-été 1972
Gazar
« Résumé de ce que l’on appelle encore aujourd’hui « Le style Wallis », cette robe bleu marine stricte dessine parfaitement la légendaire et filiforme silhouette de la duchesse de Windsor. D’une élégance étudiée, Wallis Simpson a un sens de la perfection très développé et selon Marc Bohan est « capable de diriger la première d’atelier pour la coupe, de faire rectifier la largeur d’une emmanchure ou supprimer des détails superflus. » Le gazar dans lequel la robe est coupée, sorte d’archétype, apporte de la tenue voire une certaine raideur, seul le volant au bas de la jupe, taillé dans le biais, offre une légère transparence et un semblant de mouvement ».
Galerie ouest : au plus près du couturier
« À la fin du XIXe siècle, Charles Frederick Worth comprit l’avantage de faire porter ses créations par son épouse qui devint la première mannequin-égérie de l’histoire de la mode. Au début du XXe siècle, Denise et Paul Poiret forment un couple uni par la création.
Elle est un miroir pour la collection qu’il initie. De toute époque et de toute décennie, les couturiers et les créateurs de mode perçoivent dans une personnalité proche, épouse ou amie, l’évidence d’une incarnation. Avant que la robe naisse, ces muses inspirent par un porter, par une allure qu’elles possèdent, l’intention d’une collection à venir. Lorsque du papier à l’atelier la robe est enfin née, c’est sur leurs silhouettes qu’elle s’impose avec succès ».
Jean-Charles de Castelbajac, robe et tunique portées par Inès de la Fressange, automne-hiver 1983, collection « Hommages »
« Gazar noir peint à l’acrylique. Voile en mousseline de soie noire « Les artistes sont visionnaires et Jean-Charles de Castelbajac a toujours pensé que le bel artisanat dans lequel il évoluait avait de multiples connections avec le monde de l’art. Lui qui jonglait avec les couleurs de Mondrian, les tons primaires et universels de l’enfance, ne pouvait pas cacher comme un gamin ses passions et ses admirations. Il voulait afficher un panthéon d’icônes sur des robes comme des étendards. Parmi ces idoles figurait Andy Wharhol, symbolisé par la fameuse canette de Campbell soup peinte sur une robe que j’ai portée. Mais pour le dernier défilé que j’allais faire pour Castebajac, collection automne-hiver 1983, c’est avec enthousiasme qu’il m’annonça m’avoir attribué la robe où figurait le portrait de Gabrielle Chanel peint par Eliakim à partir la photographie de Boris Lipnitzki en 1936. C’était un honneur compte tenu de l’admiration qu’il portait à la couturière, mais cela correspondait aussi à cette étrange coupe de cheveux que j’avais à l’époque, terriblement années 1920, comme sur les photos où l’on voyait Coco au bras de Serge Lifar ou avec un grand chien à ses pieds. Jean- Charles l’ignora mais, quelques jours après la collection, je signais un contrat d’exclusivité totale avec la maison Chanel. Les artistes sont visionnaires et les couturiers parfois médium ! » – Inès de la Fressange »
Anne Valérie Hash, combinaison travaillée à partir d’une marinière de Jean Paul Gaultier, haute couture, printemps-été 2010, collection « Confidences »
« Broderies de paillettes polyester irisées sur mousseline, jersey de coton À l’occasion des défilés haute couture du printemps-été 2010, Anne Valerie Hash baptise sa collection « Confidences ». Dans son communiqué de presse, elle explique sa démarche qui associe le neuf à l’ancien : « J’ai demandé à de nombreuses personnalités de me confier un vêtement. Un vêtement de leur choix, un vêtement qui les représente, un vêtement qui parle d’eux. La démarche fut particulière et c’est ainsi que l’aventure a commencé. Tout est parti du mot transformer. Nous nous sommes amusés à comprendre et à réinventer l’autre.
Nous avons étudié et démonté chaque vêtement tout en gardant à l’esprit la personnalité de celui qui nous l’avait donné. C’est en essayant de leur rester fidèle que nous avons imaginé une seconde vie à leurs vêtements.»
Salle carrée : prototypes de défilé, vêtements de personne
« Aux garde-robes personnelles constituant la plus belle part du fonds Galliera, il faut ajouter les prototypes de défilés offerts par des créateurs et des maisons de mode – et ce, dès les années 1970. À la différence du vêtement quotidien sublimant en creux la personnalité de celle ou de celui qui l’a élu, porté et aimé, le prototype relève davantage d’une idée, voire d’un fantasme de vêtement. Si au quotidien le vêtement est choisi pour mettre en valeur son possesseur, sur un podium le rapport s’inverse privilégiant la ligne et l’esprit du prototype.
Les modèles de défilés si extraordinairement plastiques soient-ils ne sont alors rien d’autre que le support mouvant de l’esprit du créateur, tout comme les mannequins en chair et en os en sont la belle articulation. Souvent atypiques, ces prototypes ne descendent jamais dans la rue ; on désigne curieusement comme « pièces de musée » les plus emblématiques de ces vêtements-prototypes qui n’auront été portés que pour un unique passage, le temps d’un aller-retour, soit quelques minutes sous le feu des projecteurs ».
Jean Paul Gaultier, robe et bonnet, automne-hiver 1984, collection « Barbès »
Velours de soie, lacets en satin de soie
« Les mots me manquent au souvenir de ce moment magique où j’ai eu le privilège de porter une création de l’un de mes couturiers préférés – la robe “seins obus” de Jean Paul Gaultier. Cette expérience fut inoubliable. Tant d’art et d’amour déversés dans la création d’une seule pièce. Défiler dans cette robe historique, c’était faire tomber les murs, combattre des idées reçues sur la mode et la façon dont on doit s’habiller. Au moment de la porter, j’ai eu tout de suite l’impression de me tenir plus droite, d’être plus grande, de marcher avec un air plus assuré. J’éprouvais une nouvelle confiance en moi, une sensation de liberté, car la robe incarnait l’idée d’une mode amusante, capricieuse, extraordinaire.
Ce fut une vraie libération de porter une pièce qui inspirera tant de créations exceptionnelles et anticonformistes. Je me sentais à la fois forte, rebelle et sexy.
Je me doutais que cette robe en velours orange vif avec sa poitrine conique si coquine, ferait sensation. Et j’ai eu raison ! Je me rappelle d’avoir littéralement fait un énorme sourire face à un public ébahi, confronté au caractère viscéral et avant-gardiste de ce modèle “seins obus” si iconique de Jean Paul Gaultier! »
– Susan Holmes Mc Kagan
Maison Martin Margiela, manteau et perruque, printemps-été 2009
Cheveux synthétiques
« Le 28 septembre 2008, le défilé printemps-été 2009 de la Maison Martin Margiela fête le 20e anniversaire de la griffe et son 40e défilé. Le 21e passage est un manteau crée par les ateliers de la ligne Artisanale de la maison, codifiée « 0 ». Le mannequin qui le porte défile pendant 28 secondes et mesure 1,78 m.
Ses mensurations sont : 81 cm de tour de poitrine, 61 de tour de taille, 86 de tour de hanches et 41 de pointure. D’origine jamaïquaine, elle a 20 ans, est née le 20 avril 1988 et s’appelle Sam Kareen Taylor. Mais le public du défilé n’a jamais vu son visage. Ses cheveux bruns, ses yeux marron sont pris dans un bas couleur chair qui lui masque la tête. Elle porte une culotte recouverte d’un collant. Son buste est nu sous un amoncellement de perruques d’un blond peroxydé aux racines foncées. Elle-même porte un postiche coiffé en dégradé, avec une mèche recouvrant le front. Les mannequins, recrutés lors de « castings de corps », sont dépersonnalisés, leurs identités effacées au service du vêtement qu’ils portent. L’anonymat, cultivé par Martin Margiela, est un des codes de sa griffe ».
EXTRAITS DU CATALOGUE
« La photographie de quelqu’un, un vêtement ou un corps mort sont presque équivalents : il y avait quelqu’un, il y a eu quelqu’un, mais maintenant c’est parti. » – Christian Boltanski
Musées de mode,
la disparition du corps
Par Laurent
Cotta
« L’absence de corps dans les collections des
musées de mode a beau être une évidence pour tout le monde elle n’en est pas
moins le point central de toutes les interrogations concernant la conservation
des œuvres et leur présentation. Tous les vêtements, une fois affranchis des corps
qui les ont portés, ont-ils le même statut ? Racontent-ils la même histoire ?
Sont-ils encore liés à une logique de mode ? Quelles solutions apporter pour
pallier une disparition particulièrement visible ?
Parmi les objets du quotidien les vêtements sont
les plus nombreux et ceux avec lesquels l’on entretient le rapport le plus
intime. La démocratisation de la mode les a multipliés.
Leur choix n’est jamais anodin. On les choisit pour
se protéger, se parer, se donner de l’assurance, appartenir à un groupe,
afficher son indépendance vis à vis des modes, se fondre dans la masse. On leur
accorde parfois une fonction magique comme celle de porter chance. Ils gardent
le souvenir de moments heureux ou tristes… Ils peuvent devenir une seconde
peau, le prolongement d’un individu, être indissociables de sa personnalité.
Les garde-robes ne définissent jamais entièrement leurs propriétaires mais
livrent malgré tout de nombreux indices sur leurs habitudes et leur façon de
vivre.
Les vêtements, souvent acquis, de nos jours, de
manière impulsive, portés l’espace d’une saison voire moins, ont aussi la
particularité de nous survivre. Chacun en fait l’expérience douloureuse à la
mort d’un proche. Liés à des moments précis, chargés d’affects, les vêtements
des défunts donnent l’illusion que ces derniers se sont absentés un instant, ne
tarderont pas à revenir… Leur présence ne fait ressentir que plus cruellement
l’absence définitive de celui qui les a portés. Ses caractéristiques physiques
ont modelé l’étoffe, fait jouer les coutures, généré des usures en des points
particuliers. Son parfum s’y est imprégné.
Autant de souvenirs tangibles indissociables de
l’objet.
L’entrée de garde-robes dans les collections des
musées de mode renforce ces sensations et les institutionnalise. Le vêtement,
témoin de la fuite du temps et de moments révolus, y acquiert un statut
patrimonial, une valeur historique, sociale, artistique… Dès lors, il ne sera
plus jamais porté par un individu, ne subira plus le moindre mouvement, ne sera
plus jamais exposé à la lumière du jour. Son statut s’est modifié, il est
devenu une œuvre.
L’objet, tellement quotidien que l’on finit par
l’oublier, en est sacralisé.
Les visiteurs peu familiers avec les réserves des musées
de mode sont toujours frappés, lorsque l’on ouvre les tiroirs dans lesquels ils
sont entreposés de découvrir, à l’intérieur de housses de coton au PH neutre,
des vêtements dans lesquels le volume du corps a été restitué. Ce dispositif
destiné à éviter les plis et les déformations livre un simulacre de corps humain,
peut-être fortuit mais à l’impact visuel extrêmement puissant. L’absence de
l’ancien propriétaire y semble mise en scène. L’impression renvoie
immanquablement à l’éphémère de la condition humaine et un objet quotidien,
parfois luxueux, liée à une certaine forme d’ostentation ou de vanité amène à
une autre acception de ce terme, celle des tableaux de Vanités du XVIIe siècle
supports à méditation sur la brièveté de la vie humaine et le triomphe de la
mort. Ainsi livrée au regard, la création de mode prend une gravité inattendue
et peut se lire comme un memento mori révélé sous une apparence
séduisante et légère. […]
Les effets ayant appartenu à des personnages
historiques finissent par incarner partiellement les corps qui les ont portés.
Telle veste de Napoléon ou tel habit du Dauphin, futur Louis XVII, dès que
leur provenance est connue, sont chargés de tous les souvenirs historiques et
de l’imagerie dont leurs anciens propriétaires font l’objet. Le vêtement, dans
ce cas, se retrouve investi d’une somme considérable d’informations, d’affects
et de fantasmes. Il devient un substitut du personnage qui l’a porté, une
relique. Cette dérive courante conduisit la veuve du général de Gaulle à détruire
les effets personnels de son mari, encore en sa possession, pour en éviter la
fétichisation.
L’absence du corps pose un autre problème plus
complexe lorsque l’on est confronté aux garde-robes d’élégantes inconnues –
entrées dans les collections du musée depuis des décennies- dont on ne possède
aucune photographie ou presque aucun élément biographique.
La provenance de grandes maisons de couture
indiquera leur niveau de fortune mais nous ne saurons rien sur tous les détails
singuliers qui ont défini leur style ou leur charme forcément uniques. On ne
verra alors que des moments de l’histoire de la mode significatifs mais
abstraits.
Plus on remonte le temps et plus les questions
relatives aux corps disparus se densifient : un habit à la française du règne
de Louis XV ou un costume d’Arlequin de la même période ne livreront pour seule
information que la taille et la corpulence de son propriétaire…
L’homme qui portait l’habit brillamment orné
était-il un aristocrate, un fermier général, un aventurier, un employé qui
l’aurait acheté comme habit du dimanche à un fripier alors que la mode en était
passée ? De même, le costume d’Arlequin a t-il été porté par un acteur ambulant
dont on imagine la vie précaire et brève ou par un courtisan fortuné à
l’occasion d’un bal masqué ? Quels étaient la vie, les aspirations, le rapport
à la mode de ces hommes qui ont porté ces habits devenus coquilles vides ?
Autant d’interrogations qui resteront sans réponses et pourraient donner lieu à
autant de romans. Dans le cas présent, les vêtements sont des témoins à la
mémoire lacunaire et peu fiables qui, cependant nous permettent de jalonner
l’histoire du costume.
Les vêtements nés de visions d’un corps idéalisé
sont très souvent des pièces emblématiques, autant de jalons de l’histoire de
la mode. Elles acquièrent une existence autonome et témoignent des intentions
du créateur aussi bien pendues sur un cintre, disposées sur un mannequin de
vitrine que portées par une cliente.
Que les vêtements aient été créés pour un corps rêvé comme chez Dior, Madame Grès ou Azzedine Alaïa ou élaborés en un volume indépendant, sculptural, très éloigné de l’anatomie comme chez Balenciaga ou Rei Kawakubo, ils finissent par se suffire à eux-mêmes, superbes coquilles vides attendant le corps qui viendra les animer – leur donner une âme. Cette notion est essentielle pour les stylistes qui considèrent leur création inaccomplie tant que le vêtement n’est pas porté. Pour cette raison, certains refusent que leurs collections soient présentées dans les musées où elles seront, par définition, privées de corps, de mouvements, d’attitudes sur lesquels leur conception de la mode est fondée. […]
Que les vêtements aient été créés pour un corps rêvé comme chez Dior, Madame Grès ou Azzedine Alaïa ou élaborés en un volume indépendant, sculptural, très éloigné de l’anatomie comme chez Balenciaga ou Rei Kawakubo, ils finissent par se suffire à eux-mêmes, superbes coquilles vides attendant le corps qui viendra les animer – leur donner une âme. Cette notion est essentielle pour les stylistes qui considèrent leur création inaccomplie tant que le vêtement n’est pas porté. Pour cette raison, certains refusent que leurs collections soient présentées dans les musées où elles seront, par définition, privées de corps, de mouvements, d’attitudes sur lesquels leur conception de la mode est fondée. […]
De par sa disparition même, le corps demeure au
centre de toutes les préoccupations des musées de mode. Les tenues de personnalités
aussi célèbres que la duchesse de Windsor ou Audrey Hepburn ne restitueront
jamais complètement la présence ni le charisme de celles-ci. Toutefois, les
nombreuses images de ces femmes dont on dispose viendront s’imprimer sur leurs
vêtements rendant lisibles aux visiteurs leur allure et leur style.
L’évocation du corps disparu peut s’opérer de
nombreuses autres manières : présenter les vêtements sur les mannequins de
vitrine de prédilection du créateur ou du couturier qui les a créés, modifier le
volume d’un mannequin standard pour retrouver la morphologie d’une cliente
habillée sur mesure ou rendre la silhouette idéale d’une époque, se contenter
d’un volume qui n’aura d’autre fonction que de soutenir le vêtement et limiter
les tension des coutures éviter les déformations dues au poids de l’étoffe… On
peut également jouer avec l’absence en refusant tout simulacre de corps :
présenter le vêtement pour l’objet qu’il est , parfois « architecture » ou
production de design en assumant qu’il ne sera plus jamais porté par un être
vivant et restera à jamais désincarné ; montrer son changement de statut
radical en entrant au musée. Il faudra toujours prendre un parti de
présentation dans le cadre d’une exposition tout en sachant qu’il ne sera
jamais idéal, aura des forces et des faiblesses, qu’il mobilisera cependant
l’imaginaire, la sensibilité du visiteur en fonction des informations qui lui
seront fournies pour appréhender un vêtement vide qui raconte à chaque fois une
histoire différente mettant toujours en scène le caractère éphémère de la mode
devenu, finalement, symbole du temps qui passe ».
Les vêtements,
reliques de contact
Par Alexandra
Bosc
« Le 29 août 1832, alors que Chateaubriand
rend visite à la reine Hortense retirée à Arenenberg, celle-ci lui montre « un
cabinet rempli des dépouilles de Bonaparte ». Si la sœur de l’Empereur révère
avec vénération ces restes de son parent, l’écrivain n’y voit que « frac râpé »
et « petit chapeau »… en un mot, que de la vulgaire « friperie ». L’auteur des Mémoires
d’outre-tombe, par sa réaction, montre qu’il refuse d’entretenir avec ces
habits un « régime de croyance » qui en ferait des reliques. À ses yeux ces
vêtements ne sont que des vêtements, et rien d’autre.
Or, comme l’a démontré Nathalie Heinich, ce qui
transfigure de simples objets en reliques, c’est bien cette relation de «
croyance », qui augmente l’objet de significations extrinsèques à sa
matérialité. Ainsi, le vieux manteau élimé que conserve le musée Carnavalet
n’est plus un vêtement parmi d’autres, dès lors que le visiteur apprend son
illustre provenance : il est celui-là même dans lequel Marcel Proust
s’emmitouflait dans les dernières années de sa vie… Considérées comme des «
objets-personnes », c’est-à-dire comme des
choses possédant les propriétés d’un être humain et
que l’on respecte donc au même titre, les reliques sont, comme leurs référents,
uniques et insubstituables. On comprendra d’autant mieux l’obsession des
collectionneurs de ce type d’objets pour la question de l’authenticité des
pièces. Nombre de mentions attestant le « lien » ou la « filiation authentique
depuis le premier possesseur » constellent les catalogues d’exposition et de
vente.
Parmi les types de reliques reconnus par le dogme
catholique, les « reliques réelles » ou « reliques de contact » correspondent à
tous les objets qui ont touché le corps du saint et qui, par là même, sont
investis à son contact d’un caractère sacré. Il peut s’agir d’objets usuels, de
meubles, etc., mais les vêtements occupent au sein de cette catégorie une place
à part. En effet, par leur proximité, voire leur continuité physique avec le
corps – notamment dans le cas du linge –, les vêtements sont des objets
singuliers. Transfigurés par ce contact intime, ils semblent incorporer un peu
de l’être de la personne à qui ils appartenaient. Le cas des sous-vêtements est
remarquable à ce titre, et on se rappellera un surprenant exemple de relique
affriolante, la célèbre culotte que Madonna a lancé à la foule lors d’un concert
en 1987 et dont la rumeur disait qu’elle serait tombée sur Jacques Chirac.
Cette scène, très probablement imaginaire, peut sembler anecdotique ; pourtant,
bottant en touche du côté de l’humour, elle révèle toute la valeur encore
transgressive attachée aux sous-vêtements ainsi que le malaise suscité par la
figure hypersexuée incarnée par la star américaine.
D’une manière générale, les vêtements, et plus
spécifiquement le linge, sont au cœur des logiques de transmission, en
particulier familiales. Ainsi, l’inventaire du Palais Galliera nous apprend-il
que la robe de baptême du Roi de Rome a été utilisée par plusieurs générations de
la famille Dehèque, liée à la comtesse de Montesquiou qui était la gouvernante du
jeune prince. D’un point de vue plus individuel, une relation personnelle et
affective peut se nouer avec des vêtements, faisant de ces pièces des
vêtements-souvenir ; on choisira de les transmettre car on ne peut se résoudre
à les voir disparaître. Ainsi, Napoléon, avant sa mort, avait conservé le manteau
qu’il avait porté en 1800 lors de sa victoire à Marengo et souhaitait que son
fils en héritât. De même, une clause du testament de la comtesse de Castiglione
mentionne « la chemise de Compiègne 1857, batiste et dentelles » – souvenir de sa
liaison avec Napoléon III – dans laquelle elle souhaitait être enterrée.
Le contact des vêtements au corps peut même aller
jusqu’à l’imprégnation des humeurs corporelles. Plusieurs linges conservés à
Rome gorgés du sang et de la graisse de saint Laurent en sont l’archétype. Et
face à l’habit de duel d’Armand Carrel ou aux vêtements portés par le Président
Bonjean le jour de son exécution, on se prend à chercher des yeux les traces de
sang, preuves s’il en est du terrible destin de leurs propriétaires.
Si les objets ayant appartenu à des « grands
singuliers » – en particulier les saints et les grands hommes – peuplaient déjà
les cabinets de curiosités des siècles passés, ils étaient collectionnés pour
des raisons d’ordre esthétique ou historique, voire anecdotique. Mais tout
semble changer à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec l’avènement
d’une sensibilité nouvelle, où l’intimité permet aux sentiments de l’individu
d’occuper une place inédite. Une nouvelle conception sentimentale de l’histoire
en découle, suivant laquelle les objets ne valent que par leur pouvoir de
suggestion. Nous touchons là à cette catégorie d’objets dont le pouvoir de
réminiscence fait toute la valeur : les anthropologues les dénomment « objets
d’affection », dans les musées américains on parle à leur sujet d’« association
items », tandis que les Encyclopédistes y avaient vu des « signes
accidentels » et Rousseau des « signes mémoratifs ». Georges Cain parle à
propos des costumes historiques présentés à l’Exposition Universelle de 1900 de
pièces « devant lesquel[les] il est impossible de ne pas se prendre à rêver ».
De même, le Musée des Souverains, créé dès 1852 par Napoléon III pour présenter
« tous les objets ayant appartenu aux Souverains qui ont régné sur la France »,
même s’il devait bien sûr servir à légitimer le nouveau régime, relève lui
aussi de cette même veine sentimentalo-historique. Il suffit de lire les
nombreuses lettres qui justifient chacun des dons présentés pour s’en
convaincre. Cette charge émotionnelle propre aux reliques explique au moins
pour une part la véritable « relicomanie » qui s’est emparée de l’Europe à partir
de la fin du XVIIIe siècle : qu’on songe à la « bardolâtrie » des Anglais qui
sont partis à la recherche des traces de Shakespeare, au collectionnisme
maniaque des royalistes et des napoléonophiles, ou à l’obsession étrange de
Robert de Montesquiou pour la comtesse de Castiglione et à la recherche
maniaque de Jacques Guérin autour des souvenirs proustiens.
Les reliques sentimentales sont proches des objets
du souvenir qui se multiplient au XIXe siècle, qu’il s’agisse des gages d’amour
ou des « mementos » (terme anglais) – ces petits objets qui sont de
véritables autels du souvenir, chargés d’émotion, érigés à la mémoire des chers
disparus. À ceci près que ces objets ne sont que des succédanés du corps
absent, tandis que la relique, elle, participe de la même essence – c’est en
particulier le cas des cheveux, mais les vêtements, si proches du corps mort,
assurent une pérennité semblable.
Conservée après la mort de sa propriétaire dans une
sorte de châsse ou de cercueil de verre, la robe de Prospérie (1849-1887),
femme du peintre Albert Bartholomé, incarne tout autant le corps de la disparue
que l’aurait fait sa dépouille. Flaubert, éploré après l’enterrement de sa sœur
unique, Caroline, écrit à M. Du Camp : « J’ai à moi son grand châle bariolé,
une mèche de cheveux, la table et le pupitre sur lequel elle écrivait. – Voilà
tout ; – voilà tout ce qui reste de ceux qu’on a aimés ». Les vêtements, comme
les phanères, défient le temps – ils sont conservés dans les musées, pour
l’éternité ».
Au Palais Galliera
Musée de la Mode de la Ville de Paris
10, avenue Pierre-Ier-de-Serbie, 75116 Paris
Tél. : 01 56 52 86 00
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Nocturne les jeudis jusqu’à 21 h
Visuels
Affiche
Paul Gaultier, robe dite « seins obus », Automne/Hiver 1984-1985, collection Barbès
Velours de soie abricot
Collection Palais Galliera - © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet
Paul Gaultier, robe dite « seins obus », Automne/Hiver 1984-1985, collection Barbès
Velours de soie abricot
Collection Palais Galliera - © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet
Sonia Rykiel, jogging du soir, 1985
Collection Palais Galliera - © S. Piera / Galliera / Roger-Viollet
André Perugia, paire de Salomé et pochette du soir de Mistinguett, vers 1925
Lamé or
Collection Palais Galliera - © Patrick Pierrain / Galliera / Roger-Viollet
Gilet d’homme ayant appartenu à Claude-Lamoral II, Prince de Ligne et du Saint Empire,
vers 1750
Gros de Tours liseré broché, soie bleue, fils de soie polychromes, fils d’argent doré ; boutons
en bois recouverts de filé et de paillons d’argent doré ; décor tissé à disposition
Collection Palais Galliera - © P. Ladet et C. Pignol / Galliera / Roger-Viollet
Corsage ayant appartenu à la Reine Marie-Antoinette, vers 1780
Taffetas de soie.
Collection Palais Galliera - © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
Lucien Lelong, robe du soir, vers 1935
Collection Palais Galliera - © Lyliane Degrâces / Galliera / Roger-Viollet
Collet de Sarah Bernhardt, vers 1896-1898
Fourrure d’agneau Mongolie et d’hermine
Collection Palais Galliera - © Philippe Ladet / Galliera / Roger-Viollet
Chanel, robe d’Anna Gould, duchesse de Talleyrand, vers 1930
Toile de coton, broderie mécanique à jours, mousseline de soie écrue, tulle de soie blanche
Collection Palais Galliera - © P. Joffre et C. Pignol / Galliera / Roger-Viollet
Schiaparelli (en collaboration avec Salvador Dalí), Chapeau-chaussure porté par Gala, hiver
1937-1938
Feutre noir, gros-grain noir
Collection Palais Galliera - © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet - © Salvador Dalí, Fundació
Gala-Salvador Dalí
Balenciaga, robe du soir portée par Lilian de Réthy, été 1968
Crêpe de soie imprimé au cadre de la maison Sache
Collection Palais Galliera - © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
Affiche
Collection Palais Galliera - © S. Piera / Galliera / Roger-Viollet
André Perugia, paire de Salomé et pochette du soir de Mistinguett, vers 1925
Lamé or
Collection Palais Galliera - © Patrick Pierrain / Galliera / Roger-Viollet
Gilet d’homme ayant appartenu à Claude-Lamoral II, Prince de Ligne et du Saint Empire,
vers 1750
Gros de Tours liseré broché, soie bleue, fils de soie polychromes, fils d’argent doré ; boutons
en bois recouverts de filé et de paillons d’argent doré ; décor tissé à disposition
Collection Palais Galliera - © P. Ladet et C. Pignol / Galliera / Roger-Viollet
Corsage ayant appartenu à la Reine Marie-Antoinette, vers 1780
Taffetas de soie.
Collection Palais Galliera - © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
Lucien Lelong, robe du soir, vers 1935
Collection Palais Galliera - © Lyliane Degrâces / Galliera / Roger-Viollet
Collet de Sarah Bernhardt, vers 1896-1898
Fourrure d’agneau Mongolie et d’hermine
Collection Palais Galliera - © Philippe Ladet / Galliera / Roger-Viollet
Chanel, robe d’Anna Gould, duchesse de Talleyrand, vers 1930
Toile de coton, broderie mécanique à jours, mousseline de soie écrue, tulle de soie blanche
Collection Palais Galliera - © P. Joffre et C. Pignol / Galliera / Roger-Viollet
Schiaparelli (en collaboration avec Salvador Dalí), Chapeau-chaussure porté par Gala, hiver
1937-1938
Feutre noir, gros-grain noir
Collection Palais Galliera - © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet - © Salvador Dalí, Fundació
Gala-Salvador Dalí
Balenciaga, robe du soir portée par Lilian de Réthy, été 1968
Crêpe de soie imprimé au cadre de la maison Sache
Collection Palais Galliera - © Stéphane Piera / Galliera / Roger-Viollet
Affiche
Schiaparelli (en collaboration avec Salvador Dalí), Chapeau-chaussure porté par Gala, hiver
1937-1938
Feutre noir, gros-grain noir
Collection Palais Galliera - © Eric Emo / Galliera / Roger-Viollet - © Salvador Dalí, Fundació
Gala-Salvador Dalí
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