dimanche 13 mars 2016

« Vers un nouvel Holocauste ? »


Arte diffusera, dans le cadre de Square Idée, les 13, 16 et 19 mars et 6 avril 2016 « Vers un nouvel holocauste ? » (Droht ein neuer Holocaust ?). Montage croisé des opinions de Timothy Snyder, professeur à l’université Yale, auteur de livres best-sellers ayant renouvelé l’approche de la Shoah, et de Fabrice d’Almeida, historien français spécialiste de la propagande et de l'Allemagne, professeur à l'université Paris II.



Quatorze millions de personnes ont été assassinées par les Soviétiques et les Nazis en Europe de l’Est de 1933 à 1945.

Les motivations  des assassins ? Religieuses, idéologiques, raciales, etc. Les assassinats nazis et staliniens ? Famine (Holodomor) provoquée en Ukraine, massacres de masse de Polonais, génocide des Juifs, opposants tués notamment dans les camps d’internement (Goulags)... Les périodes ? Staline a commis ses crimes de masse en période de paix, alors qu’Hitler a commis la Shoah lors de la Deuxième Guerre mondiale.

« Complicité belligérante » (François Furet)
Né en 1969, l'historien américain Timothy Snyder  et membre du Council on Foreign Relatins est un expert de l’histoire d’Europe centrale et de l’Est ainsi que de la Shoah.

Ce membre du Comité de la Conscience du Musée mémorial des Etats-Unis sur l’Holocauste avait publié en 2010 un livre surprenant Bloodlands, édité en France en 2012 sous le titre « Terres de sang, l'Europe entre Hitler et Staline ». Il y « imposait une lecture inédite de cette période, proposant une géographie des victimes, et révélait des massacres nazis guidées par la faim ; il établissait surtout une interaction entre les régimes hitlérien et stalinien ». Il montrait des millions de vies brisées. Son « analyse plus géographique que chronologique a fait couler beaucoup d'encre ». Certains lui ont reproché de n’avoir pas insisté sur la singularité de la Shoah.

En 2015, Timothy Snyder « renouvelle son coup d'éclat avec son livre « Black Earth: the Holocaust as History end Warning » dans lequel il pose l'hypothèse d'un prochain Holocauste. Pour lui, la recherche du « Lebensraum », l'espace vital, tel que le réclamait Hitler, dans ses œuvres et sa propagande, est comparable à la panique écologique actuelle » alimentée par un « réchauffement climatique », les vagues de migrants.

Le mot « Holocauste » s'avère inadéquat pour désigner l'extermination de six millions de Juifs par les Nazis et leurs collaborateurs : il désigne un sacrifice religieux dans lequel la victime - un animal - est immolée par le feu. Or, la Shoah n'avait aucun caractère religieux ou sacrificiel. Pourquoi ces deux historiens ne débutent-ils pas par cette précision terminologique ? Le titre "Vers un nouvel holocauste" évoque-t-il l'holocauste de non-musulmans  - juifs, chrétiens, yazidis, etc. - par les "Allah Aqbar boys", par les terroristes islamistes ?


Idéologie
Dans le cadre de Square Idée, Timothy Snyder, professeur à l’université Yale, auteur de livres ayant renouvelé l’approche de la Shoah, et l’historien spécialiste de la propagande Fabrice d’Almeida présentent leurs opinions, parfois semblables (Europe, migrants), parfois opposées (cause de l'avènement du nazisme).

« L'Époque des tueries massives en Europe est surthéorisée et mal comprise », estime Timothy Snyder, professeur à l’université Yale. Il souligne l'absence de réponse à des questions fondamentales sur la nazisme, la Shoah : "Pourquoi l'Holocauste s'est-il produit ?" Sa façon de penser est "plus littéraire q'interprétative. Nous devons savoir qui étaient les Juifs assassinés, qui étaient les assassins, quelles étaient les causes profondes, sinon nous ne pouvons pas tirer les leçons. Il faut considérer les Juifs pour comprendre comment ils ont pu vivre dans ce sociétés différentes. Hitler avait une idéologie, une vision écologique du monde. Il n'était pas un nationaliste, ni un autocrate. Il trouvait normal de se conduire comme le font les animaux. Pour réaliser le génocide des Juifs, il fallait une guerre pour obtenir des ressources, l'espace vital. Snyder souligne l'importance de la "panique écologique", et les dangers de la destruction des Etats. Le Lebensraum était idéologique, c'était la conquête de l'espace vital : pour que la race aryenne acquiert un haut niveau, elle doit combattre les "peuples inférieurs". Hitler avait l'idée d'une Allemagne éternelle autosuffisante, prospère. Sa géographie incluait l'Ukraine, capable de nourrir et de régénérer la race allemande. Hitler faisait une comparaison avec l'Amérique allant vers l'Ouest. Hitler ambitionnait de tuer 30 à 40 millions de personne. Entre Berlin et Moscou, vivaient en 1939 la plus grande partie des Juifs. L'Allemagne a mené une guerre coloniale et une guerre contre les Juifs. L'argument d’Hitler est moderne, proche de nos sociétés de consommation. Hitler trouvait normal d'éprouver de l'anxiété car la race était menacée, et d'éprouver de l'envie, de vouloir posséder. Il trouvait normal le désir émotionnel, psychologique. C'était un motif de guerre à l'Est, une lutte pour les ressources. En septembre 1941, les officiers devaient se nourrir dans une situation de concurrence pour les ressources. La guerre a rendu l'idée de Lebensraum plausible. Hitler ne remettait pas en cause les engrais, l'hybridation, mais il pensait que ce n'était pas suffisant. Son but : atteindre plus haut niveau de vie au monde. Il comprenait que les Américains avaient la technologie et davantage de terres. Hitler poursuivait le rêve américain. Il pensait qu'on pouvait convaincre de tuer en suscitant des émotions "survivalistes", et il y est parvenu. Nous avons du souci à nous faire".

Mein Kampf ? Snyder  est favorable à sa réédition en espérant que les lecteurs pourront mieux discerner les enjeux en le lisant. Pour Fabrice d'Almeida, ce livre signé par Hitler n'est pas "un texte sacré. Il y a des passages intéressants, d'autres ennuyeux. Hitler ment sur sa vie, il décale la chronologie. Il dit comment il fonctionne : il faut parler à une foule comme on parle à un imbécile".

Et Snyder d'expliquer : "Le génocide juif enseigne une leçon : les institutions, l'Etat, sont des éléments qui nous préservent de l'élément destructeur. Mieux vaut un Etat imparfait, que pas d'Etat. Le génocide de Yézidis en Syrie est une entreprise génocidaire classique, résultant en partie du changement climatique, de la disparition de l'Etat et Etat islamique. Les conséquences nous rapprochent de l'Holocauste". 

Fabrice d'Almeida éclaire la pensée de son confrère : "Snyder a l'idée que l'écologie joue un rôle crucial dans la décision d'Hitler. Il présente une utilité pour penser la situation actuelle. Son approche de l'Holocauste est particulière : Snyder pense qu'il faut considérer l'Holocauste de manière globale, mondiale, comme un élément déterminant notre civilisation. Le côté marrant : c'est "Snyder against the world". Snyder analyse peu les archives d'Hitler, et se concentre sur Mein Kampf. Les historiens se sont intéressés à la commission du génocide, aux ordres. Snyder a l'idée de "nationalisme méthodologique" : quand on est polonais on étudie du point de vue polonais, quand on est français, on étudie du point de vue français... Pour lui, les sociétés sont animées par les rats qui mènent un combat pour l'accès aux ressources naturelles. Snyder ne parle pas de la Première Guerre mondiale. Hitler a les mêmes visions que l'état major allemand en Numibie (génocide des Héréros), et ce n'est pas très différent de ce qu'ont fait les Anglais en Nouvelle Zélande (H.G. Wells). Les dirigeants nazis veulent éviter de nouveau la faim et l'hyperinflation subies à la fin de la République de Weimar, cette crise financière qui avait mis le pays au bord de l'anarchie. Il faut renforcer les appareils et l'Etat qu'ils instrumentalisent par la force idéologique des SS et des nazis. Pour Hitler, la science suppose l'échange intellectuel, une idée juive. La société de consommation a nourri les Nazis. Snyder croit en la rationalité scientifique".  Le "génocide rwandais montre qu'on n'a pas tiré les leçons de la Shoah : une idéologie - haine -, une obsession matérielle - groupe humain obsédé par l'accumulation maximale -, un Etat fragile". Le parallèle entre la Shoah et ce génocide des Héréros ne s'avère pas pertinent : les Héréros se sont révoltés entre 1904 et 1911 contre les Allemands qui colonisaient leur terre, le Sud-Ouest africain. Leur révolte a été sévèrement réprimée par la puissance impériale allemande coloniale. Sur ordre de l'empire allemand, le massacre des Héréros et des Namas dans le territoire devenu l'actuelle Namibie visait leur extermination, et ont alors été créés des camps de concentration. Mais la Shoah revêt une spécificité notamment par la volonté d'éliminer le peuple Juif où qu'il se trouve.

Snyder est moins convaincant quand il évoque la "crise des migrants", stigmatise ceux qui, "au lourd passé", nient le "réchauffement climatique", évoquent des "scientifiques lobbyistes au service d'une cause, soulignent l'absence de preuves de ce phénomène. Cela "ressemble beaucoup à une des prémisses de idéologie nazie". Stigmatisant les "positions populistes", Snyder redoute que "l'Europe redevienne celle d'Etats-nations, ce qui serait catastrophique. L'histoire de l'Holocauste n'est pas assimilée quand on voit comment la Hongrie, la Pologne ont réagi de manière nationaliste. Un signe de fragilité de l'édifice". Snyder craint que les populations du sud se déplacent vers le nord, l'effondrement ds Etats : "Il faut intégrer ces personnes et penser comment le Sud soit plus vivable. Les changements sont réversibles". Fabrice d'Almeida souligne "la confiance et la foi dans l'Etat, institution capable d'éviter un déchirement maximal entre les membres d'une société, dans la collectivité humaine pour nous sortir de grandes difficultés. Plus on défera Europe, moins on a de chance de répondre aux défis climatiques, économiques, sociaux, migratoires".

Or, certains scientifiques doutent du "réchauffement climatique anthropique" que des observateurs plus prudents dénomment "dérèglement climatique", d'autres ont présenté des données faussées à l'appui de leurs thèse sur ce dérèglement (Climategate). En outre, comment concilier l'éloge de l'Etat, garantie pour les êtres humains, et l'Union européenne destructrice d'Etats-nations et de leur souveraineté nationale ? Cette Union européenne a-t-elle relevé les défis économiques, sociaux, migratoires - la politique d'immigration relève des gouvernements des pays membres ? Comment peut-on éluder le passé historique de la Hongrie, son occupation par l'empire ottoman, sa lutte contre le pouvoir soviétique ? Pourquoi stigmatiser des Etats d'Europe centrale sur leur refus d'une immigration incontrôlée, alors que le Premier ministre français Manuel Valls a affiché en février 2016 une attitude similaire, et ce, en s'opposant à l'Allemagne ? La situation entre la Deuxième Guerre mondiale et ce début du XXIe siècle est-elle vraiment comparable ? Les "migrants" actuels sont-ils comparables aux Juifs vivant depuis des siècles en Europe centrale, errant sur le paquebot Saint-Louis, tentant de fuir le nazisme dans d'autres pays européens ou dans une Palestine mandataire dont l'entrée était drastiquement limitée par la Grande-Bretagne influencée par le grand mufti al-Husseini ? Pourquoi avoir occulté les raisons nationales - corruption et gabegie de dirigeants politiques, rôle de la Turquie, etc. - des migrations actuelles, souvent économiques ? Pourquoi stigmatiser l'Europe, et non les Etats du Golfe qui refusent d'accueillir ces "migrants" ?

Quid du projet génocidaire formulé par les ennemis de l'Etat juif : Iran, Hamas, OLP, Hezbollah, Etat islamique (ISIS), etc., et ce, dans l'indifférence occidentale ? Quid des terroristes se faufilant parmi les immigrés illégaux en Europe ? Quid de cette résurgence d'un antisémitisme léthal en France, et de l'affaire al-Dura ? Quid de la diplomatie partiale de l'Union européenne à l'égard de l'Etat juif ?

Qui est visé par ce "nouvel holocauste" ? Qui le commettrait ? Comment ? Quand ? Pourquoi ? Des questions restées sans réponse par ces deux historiens.

« Vers un nouvel holocauste ?  »
Arte, 2015, 26 min
Sur Arte les 13 mars à 13 h, 16 mars à 2 h 55, 19 mars à 5 h 25, 6 avril 2016 à 1 h 55

Visuels
Timothy Snyder, historien américain et enseignant à Yale, auteur de "Terres de sang, l'Europe entre Hitler et Staline" et Fabrice d'Almeida, historien français, spécialiste, de l'Allemagne, de l'Italie, de la France, de la propagande par l'image et de la manipulation


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Les citations sont d'Arte.

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