mercredi 30 mars 2016

Qui a peur des femmes photographes ? 1839-1945


Les musées d’Orsay et de l’Orangerie ont montré cette exposition divisée en deux parties chronologiques. Un hommage aux femmes photographes, dont de nombreuses européennes ou américaines Juives, qui ont joué un rôle majeur dans l’essor de ce nouveau média. Le MAHJ (Musée d'art et d'histoire du Judaïsme) présente l'exposition Lore Krüger, une photographe en exil, 1934-1944 (30 mars - 17 juillet 2016). 

Cette exposition est organisée par les musées d’Orsay et de l’Orangerie, avec la participation exceptionnelle de la Library of Congress, Washington D.C.

Présentée simultanément dans ces deux musées parisiens, l’exposition Qui a peur des femmes photographes ? est « la première du « genre » en France. Elle vise à « rompre avec l’idée encore largement partagée selon laquelle la photographie, outil physico-chimique de reproduction, aurait été une simple affaire de technique et donc « d’hommes » : qu’elles aient été amateures des classes privilégiées ou, comme de plus en plus souvent à partir du tournant des XIXe et XXe siècle, véritables professionnelles de l’objectif, les femmes ont de fait joué, en tant qu’auteures, un rôle plus important dans l’histoire de ce moyen d’expression que dans celle de chacun des beaux-arts traditionnels ». 

A la lumière des histoires de la photographie qui, depuis près d’un demi-siècle, ont réévalué l’exceptionnel apport des femmes à l’essor de ce nouveau médium apparu au XIXe siècle, cette exposition s’articule en deux parties séparées par la Première Guerre mondiale.

Il est établi « que certaines femmes ont, très tôt et dans tous les domaines d’application de la photographie, atteint un degré de maîtrise et d’accomplissement égal à celui des hommes ».

Cette double exposition « se doit de n’être ni une histoire de la photographie retracée à travers une production exclusivement féminine, ni une histoire en images des femmes par les femmes, encore moins une mise en scène d’une « vision photographique féminine ». 

Les commissaires de l’exposition duale se proposent de montrer « la relation singulière et évolutive des femmes à la photographie, c’est-à-dire de donner à voir cette production dans ce qu’elle a pu avoir, selon les contextes historiques et socioculturels considérés, de caractéristique et/ou d’exceptionnel ».

Ce parti pris a induit une extension du champ spatio-temporel : de « l’invention officielle du médium en 1839 jusqu’en 1945, le phénomène est appréhendé à travers ses manifestations aussi bien en Europe – essentiellement en France, Grande-Bretagne, Allemagne et Hongrie – qu’aux Etats-Unis » et en Eretz Israël.

Première partie : 1839-1919
Se fondant sur des recherches récentes, cette exposition s’avère « la première en France, non seulement à étudier la situation hexagonale au XIXe siècle, mais aussi à rassembler chefs-d’œuvre connus et inconnus », inédits ou présentés pour la première fois en France, pour « illustrer l’extraordinaire accomplissement atteint par les praticiennes dans la sphère anglo-saxonne ».

Le parcours débute par les œuvres de Constance Talbot, « épouse de l'inventeur anglais de la photographie W. H. Fox Talbot et première praticienne de la nouvelle technique. D’Anna Atkins, auteure du premier ouvrage illustré de photographies (1843-1853), à Frances Benjamin Johnston et Christina Broom, pionnières du photojournalisme américain et anglais, non moins de 75 photographes seront réunies autour de figures d’artistes majeures telles Julia Margaret Cameron et Gertrude Käsebier ».

« Que ces femmes aient œuvré isolément ou pour certaines, déjà, dans une démarche collective, il s’agira d’apprécier comment une tradition photographique longtemps marquée au sceau des normes du « féminin » s’est révélée, pour certaines auteures d’exception, comme une possible voie d’émancipation et de subversion ».

Cette affirmation féminine dans le champ du huitième art est traitée « en termes de périmètres et de stratégies (de reconnaissance, de conquête de nouveaux terrains d’expression et d’action, etc.) ».

Dès le milieu du XIXe siècle, la photographie « a contribué à élever le niveau de sociabilité des femmes en favorisant leur insertion dans les espaces d’échanges que constituent les premiers réseaux professionnels et amateurs de la photographie ».

« Parce que l’apprentissage technique puis la pratique elle-même du médium n’étaient réglementés par aucune structure comparable à celles qui, dans les domaines de la peinture ou de la sculpture, restreignaient considérablement l’accessibilité des femmes, nombre de celles-ci ont été ou se sont senties encouragées à embrasser le nouvel « art industriel » ».

« Source inédite de débouchés commerciaux ou moyen d’assouvir un désir de créativité personnelle », les femmes photographes ont pensé la photographie comme une opportunité « d’exister indépendamment des obligations domestiques et familiales et de se penser, puis s’affirmer, en tant que sujets regardants ».

Abordant ensuite « l’interpénétration entre théâtre du genre et théâtre photographique », l’exposition souligne « la prédilection des photographes pour l’exploration des territoires du « féminin », particulièrement notable à partir des années 1860 dans les registres du portrait et de la fiction ». Les « représentations féminines, celles du sentiment maternel ou du monde de l’enfance ont pu se nourrir à la fois de cette expérience sensible et propre à leurs auteures, et des potentialités photographiques de l’intimité vécue avec les modèles ».

« En miroir, les enjeux de représentation auxquels les femmes se sont confrontées en abordant le terrain de la différence sexuelle sont naturellement soulevés : poser un regard sur l’époux, le père ou le grand homme, proposer une vision du couple, questionner les identités sexuelles ou la représentation du corps nu masculin et féminin… autant de démarches photographiques qui impliquent plus que jamais un positionnement vis-à-vis du regard masculin, qu’il s’agisse de celui du modèle photographié, celui véhiculé par des siècles d’iconographie ou celui des spectateurs et critiques contemporains ».

L’exposition se termine sur « une forme inédite de positionnement, celle qui se répand au tournant du siècle à travers un phénomène croissant d’intrusion et d’implication, en tant que photographes, des femmes dans la sphère publique ».

« Soutenu par l’idéologie progressiste de la New Woman anglo-saxonne », ce mouvement « signe, dès avant la fin de la Grande Guerre, l’abolition complète des frontières entre les territoires masculins et féminins du photographiable : praticiennes d’atelier mais aussi pionnières du documentaire et du photojournalisme partent à l’assaut de la rue, de l’ailleurs, des chantiers industriels et du front de guerre, deviennent à travers leurs images des actrices de la vie publique et politique ».

Deuxième partie : 1918-1945
La seconde partie de l’exposition s’articule autour de trois sections thématiques : Le détournement des codes (Imogen Cunningham, Madame Yevonde, Aenne Biermann, Lee Miller, Dora Maar, Helen Levitt), ; L’autoportrait et la mise en scène de soi (Claude Cahun, Marta Astfalck-Vietz, Marianne Brandt, Gertrud Arndt, Elisabeth Hase, Ilse Bing) ; La conquête des nouveaux marchés de l’image (Germaine Krull, Margaret Bourke-White, Tina Modotti, Barbara Morgan, Gerda Taro, Dorothea Lange, Lola Alvarez-Bravo, etc.)

Après la Première Guerre mondiale, de nombreuses photographes femmes participent à l’émergence de la photographie moderne et à « l'effervescence créative qui caractérise la période de l'entre-deux-guerres ».

Elles participent « à l'institutionnalisation du champ et accèdent ainsi à une forme de légitimité : organisation d'expositions, création d'écoles, constitution de réseaux d'apprentissage et d'entraide, direction de studios commerciaux, mise sur pied d'agences, prise en charge de l'histoire du médium par l'écriture d'articles et d'ouvrages pratiques et théoriques ».

« Être photographe devient pour elles un métier aux multiples facettes et applications. L'interpénétration de ces pratiques, ainsi que la mobilité géographique à l'échelle internationale rendent désormais en grande partie caduques les formes académiques ».

Si « les femmes s'inscrivent dans une forme de continuité avec celles qui les ont précédées en pratiquant encore les genres qui leur ont été traditionnellement dévolus (portrait, botanique, théâtre de l'intime), elles subvertissent et transgressent de plus en plus les codes artistiques et sociaux, introduisant volontiers un regard critique et distancié sur leur statut inférieur et sur les relations de domination entre les sexes ».

La « mise à nu de son propre corps, le questionnement de soi, les jeux de masques et le brouillage des identités deviennent des sujets de prédilection ».

« Expérimentation esthétique, exploration des signes de la féminité et expression d'une appartenance professionnelle », l’autoportrait « manifeste l’émergence de la femme nouvelle. Par leur métier, les femmes photographes en sont l’incarnation type ».

La « première moitié du XXe siècle les voit aussi conquérir en masse les territoires de l'universel (masculin) : elles investissent désormais les genres réservés aux hommes (le nu et plus largement l'érotisme et la représentation des corps sexués), s'emparent de certains motifs de l'iconographie de la modernité (la machine, la vitesse, l'architecture industrielle), rivalisent avec les hommes en s'engouffrant dans les marchés émergents de l'image (reportage et journalisme, presse et illustration, mode et publicité) ».

Avec leur appareil, elles entrent dans la sphère politique, se rendent sur le théâtre de la guerre, « s'aventurent seules dans des contrées exotiques : leur statut de photographe leur permet ainsi d'investir des espaces jusque là peu fréquentés par les femmes, voire interdits à elles ».

« Expérimentant, souvent en pionnières, macrophotographies (Laure Albin Guillot, Aenne Biermann), solarisations (Lee Miller, Lotte Jacobi, Getrud Fehr), photogrammes (Lucia Moholy), dessins lumineux (Barbara Morgan, Carlotta Corpron), surimpressions, photomontages et photocollages (Olga Wlassics, Dora Maar, Marta Astfalck-Vietz), rayons infrarouges et ultraviolets (Ellen Auerbach), procédés en couleur (Madame Yevonde, Gisele Freund, Elisabeth Hase, Marion Post Wolcott), ces photographes forgent le répertoire stylistique et théorique de la modernité ».

Leurs « travaux participent pleinement aux mouvements avant-gardistes : Surréalisme, Nouvelle Objectivité, Straight Photography (photographie pure) ou encore Nouvelle Vision ».

Dans les années 1920-1930, « l’apparition de formats sub-standards de pellicule et le développement de caméras portatives favorisent l’expérimentation technique et esthétique (Germaine Dulac, Germaine Krull, Maya Deren), comme la mobilité géographique et culturelle (Thérèse Rivière, Margaret Mead, Ella Maillart, Ria Hackin) ».

La « faible structuration du champ - le cinéma est né dans les années 1890 - et l’absence de structures d’apprentissage obligatoires facilitent la pratique de ce médium par des amateur(e)s ».

« Destiné à être projeté, tout film s’adresse potentiellement à un auditoire. Alors que le monde occidental bouillonne de tensions et d’inquiétudes, des femmes s’engagent dans le débat public. Avec leur caméra, elles s’efforcent de changer la société : les unes au service du totalitarisme nazi (Léni Riefenstahl) ou soviétique (Margaret Bourke-White), les autres en accompagnant le projet sioniste (Ellen Auerbach), d’autres encore en promouvant des idéaux de paix entre les peuples (Madeline Brandeis) ou de solidarité avec les plus démunis (Ella Bergmann-Michel). L’utilisation du cinéma signe sans conteste l’entrée des femmes dans la sphère politique ».

Du 14 octobre 2015 au 24 janvier 2016
1ère partie : 1839-1919 au Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries (côté Seine). 75001 Paris
Tél. : 01 44 50 43 00
Tous les jours sauf le mardi de 9 h à 18 h

2e partie : 1918-1945 au Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d'Honneur. 75007 Paris
Tél. : 01 40 49 48 14
Tous les jours, sauf le lundi, de 9 h 30 à 18 h, le jeudi jusqu’à 21 h 45


Visuels
Lady Frances Jocelyn (1820-1880)
Intérieur, 1865
Epreuve sur papier albuminé, 13,02 x 17,3 cm
Washington National Gallery of Art, R.K. Mellon Family Foundation
© Courtesy of Washington National Gallery of Art

Christina Broom (1862-1939)
Jeunes suffragettes faisant la promotion de l’exposition de la Women’s Exhibition de Knightsbridge, Londres, mai 1909
Epreuve photomécanique (carte postale)
Londres, Museum of London
© Christina Broom/Museum of London

Articles sur ce blog concernant :
Les citations proviennent du dossier de presse. Cet article a été publié le 24 janvier 2016. 

mardi 29 mars 2016

Interview de Shmuel (Sammy) Ravel, ministre plénipotentiaire de l’ambassade d’Israël à Paris, sur les boycotts d'Israël (2/5)


Le 15 octobre 2010 au matin, Shmuel (Sammy) Ravel, ministre plénipotentiaire - 2e poste le plus important après l'ambassadeur - de l’ambassade d’Israël à Paris, m’a accordé cette interview dont la première réponse est diffusée sur Youtube. Exclusif. Le 28 mars 2016, Yedioth Ahronoth et Ynet ont organisé en Israël une conférence contre le BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions). Parmi les orateurs : Reuven Rivlin, Président  d'Israël, Ron Lauder, président du World Jewish Congress, Lars Faaborg-Andersen,  ambassadeur de l'Union européenne (UE) en Israël -  avec "30 milliards d'euros/an, l'Etat juif est le premier partenaire commercial de l'UE et un de ses plus importants partenaires en sciences et technologie" -, et Roseanne Barr, actrice américaine.

1ère partie : Pourquoi un mathématicien appelle au boycott d’Israël ?

De nombreuses associations appellent aux boycotts d’Israël : boycott d’entreprises, d’universitaires, de réalisateurs israéliens… Quelle est la position du gouvernement d’Israël à l’égard de ces appels aux boycotts ?

Ces appels sont illégaux, immoraux et contre-productifs.

Premièrement, ils sont illégaux car la loi française appelle clairement contre la discrimination visant un peuple, une nation ou une religion. Et ces appels aux boycotts sont un appel à la discrimination contre l’Etat d’Israël, contre le peuple juif.

C’est immoral. S’il y a une leçon à tirer de l’Histoire, de l’Histoire de notre peuple, c’est qu’on ne peut pas prendre à la légère ces appels à la discrimination. Il faut les prendre plus au sérieux. On l’a vu avec le discours du président iranien Ahmadinejad au Liban. Dans ses discours, il appelle, de manière répétée ces dernières années, à rayer Israël de la carte. C’est quelque chose qu’il faut prendre très au sérieux. Le président Ahmadinejad n’est pas le seul à faire cette revendication. Il y a le Hezbollah, le Hamas, et d’autres extrémistes dans la région.

Quand on entend en France des gens délégitimer le droit d’Israël à exister, à se défendre et à développer ses relations économiques et culturelles avec le peuple français et avec la France, c’est un signe extrêmement dangereux qu’il faut combattre avec tous les outils, légaux et moraux.

Finalement, c’est contre-productif. Nous essayons de créer un environnement de paix, un climat de confiance entre les Israéliens et les Palestiniens.

Sur le terrain, il y a des immenses efforts à faire pour créer des coopérations, par exemple dans le domaine économique. Le parc industriel à Bethléem avec la France, avec les sociétés israéliennes qui veulent y investir, avec les Palestiniens, nous voulons le développer. C’est un pas important. Il faut encourager, les représentants israéliens encouragent, les hommes d’affaires israéliens et français à investir à Bethléem, à Ramallah. Le sort économique du peuple palestinien sera amélioré. C’est seulement à ces conditions-là que nous aurons la paix avec nos voisins.

C’est l’intérêt de tous les pays arabes, des Palestiniens, d’aider à développer Israël, son économie, sa sécurité. C’est seulement en construisant cette confiance, cette coopération qu’on pourrait arriver à la paix.

Il faut regarder ce qui s’est passé depuis 62 ans, depuis la création de l’Etat d’Israël. Au début, il y a eu la guerre contre l’Etat d’Israël pour essayer de l’éliminer. On se rappelle toujours, ces jours-ci, des protocoles de la guerre de 1973, ce drame où on a été attaqué le jour le plus sacré du peuple juif (Nda : le jour de Kippour, « jour du grand Pardon »).

Puis il y a eu des attentats terroristes en Israël, contre Israël, pour essayer de le menacer.

Maintenant, il y a cette campagne de délégitimation.

La seule chose qui n’a pas encore essayée sérieusement par les pays Arabes, par la Ligue Arabe, par le peuple palestinien, c’est la main tendue vers les Israéliens.

Ce dont on a le plus besoin maintenant, c’est de la main tendue et de la paix.

Une loi a été adoptée par la Knesset pour sanctionner en Israël le boycott…

Elle n’est pas encore adoptée. Il y a eu une proposition de loi.

Israël est une démocratie. Mais il faut mettre aussi certaines limites dans une démocratie.

La liberté, c’est par exemple la liberté d’expression.

Mais la discrimination, le racisme, ce n’est pas la liberté, et il faut mettre un terme aux actions visant à discriminer toute une population.

En France, il y a une loi claire contre le boycott. Et cette loi est appliquée.

En France, Sammy Ghozlan (1), qui dirige le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), a déposé des dizaines de plaintes contre X pour faire sanctionner ceux qui appellent au boycott d’Israël. Hier, le 14 octobre 2010, le Tribunal correctionnel de Pontoise a prononcé la relaxe (2) de deux prévenus, Alima Boumediene-Thiery, sénatrice (Verts) et Omar Slaouti (Nouveau parti anticapitaliste, NPA), pour des raisons de procédure et de forme. Il n’a donc pas statué sur le fond…


Il faut regarder le fond.

Le fait que des hommes politiques français appellent au non respect de la loi française, c’est étonnant et doit être dénoncé par tout le milieu politique français.

Nous faisons confiance au système juridique français pour dénoncer ces appels.

De plus, il est vraiment difficile de comprendre que ces gens appelant aux boycotts prétendent faire avancer le processus de paix. Pensent-ils que le boycott, la discrimination contre les Israéliens, ou la délégitimation d’Israël vont convaincre les Israéliens de faire plus de compromis ? C’est contre-productif.

Si ces hommes politiques de la gauche et de l’extrême-gauche françaises souhaitent la paix, s’ils veulent aider les Israéliens et les Palestiniens à avancer vers la paix, il faut essayer de trouver des coopérations, et non pas appeler aux boycotts d’Israël.

Sans les plaintes du BNVCA, il n’y aurait pas eu de procès. Ni le Parquet, qui est placé sous l’autorité du ministre de la Justice, ni aucune autorité israélienne n’avait initié ces procédures judiciaires…

Depuis que ces appels ont commencé, il y a eu plusieurs niveaux de réactions.

Au niveau du gouvernement français, nous étions en contact avec les autorités françaises. Le gouvernement français a pris des décisions importantes.

Premièrement, la garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, a pris ces appels aux boycotts au sérieux et a donné des instructions claires aux procureurs afin de faire le nécessaire contre le boycott.

De même, le ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux, a agi pour assurer la sécurité dans les supermarchés ou dans les lieux de présence israélienne.

La communauté juive s’est mobilisée. Je remercie les nombreux intellectuels français et associations juives actifs contre le boycott d’Israël : ils sont intervenus dans les médias, dans les procédures judiciaires, sur Internet.

En France, une immense majorité des hommes politiques (3), des organisations, juives et non juives, des intellectuels œuvrent contre ce boycott. Et l’ambassade d’Israël à Paris aussi.

Est-ce légalement possible que les autorités politiques ou diplomatiques israéliennes portent plainte contre les hommes politiques et organisations qui appellent aux boycotts d’Israël ?

Notre responsabilité comme représentants de l’Etat d’Israël, c’est de coopérer avec les autorités françaises, avec la communauté juive française, avec les organisations luttant contre le racisme et contre la discrimination, avec les intellectuels français pour expliquer l’absurdité de ces appels aux boycotts qui sont un encouragement à la violence et à la haine entre les peuples. C’est notre rôle et c’est ce que fait l’ambassade d’Israël en France.

Nous investissons beaucoup d’efforts dans ce domaine, y compris en des rendez-vous avec des responsables français, avec des intellectuels, avec des journalistes, avec des représentants de la communauté juive en France.

Je suis convaincu que la plus grande majorité des Français comprennent qu’il est absurde, dans des efforts pour avancer vers la paix, d’appeler aux boycotts d’Israël et à la violence.

A-t-on une évaluation financière du coût pour l’économie israélienne de ces appels aux boycotts ?

Je crois que le plus grand problème aujourd’hui c’est l’effort pour délégitimer le droit d’Israël à exister, le droit d’Israël à se défendre, et l’image d’Israël. C’est cela notre défi aujourd’hui. Là, nous concentrons tous nos efforts.

Souvent ces dernières années, dans les événements pas seulement économiques, mais aussi sportifs ou culturels – festivals de cinémas -, il y a eu ces actes violents avec des gens qui ont appelé au boycott d’Israël. Or, Israël, c’est une démocratie, c’est un pays ami de la France.

Nous investissons beaucoup dans le développement des relations bilatérales avec la France, et ces relations s’approfondissent dans de nombreux secteurs.

En matière commerciale, nous enregistrons de bons résultats, y compris une plus grande participation israélienne dans des expositions commerciales à Paris, tel le SIAL (Salon international de l'agroalimentaire) où se rendront une vingtaine de compagnies israéliennes. Y sont prévus de nombreux rendez-vous entre sociétés israéliennes et chaînes françaises pour développer leurs liens.

Donc, si l’on regarde les chiffres, on enregistre un effort positif dans les relations économiques.

Cela ne veut pas dire qu’on doit être naïf ou complaisant envers ces appels aux boycotts, ou envers ces actes violents à l’égard de l’Etat d’Israël.

Au contraire, ce sont des menaces réelles contre la paix et contre l’existence de l’Etat d’Israël.

Comment expliquez-vous que des dirigeants de l'Autorité palestinienne appellent au boycott d’Israël ?

C’est quelque chose d’impossible à comprendre. Si on appelle à la coexistence, à la paix, comment peut-on en même temps appeler aux boycotts et à la discrimination contre l’Etat d’Israël ? C’est incompréhensible.

L’Etat d’Israël et le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou appellent de manière très répétée Mahmoud Abbas à retourner à la table des négociations, à négocier sérieusement pour arriver à un accord complet sur tous les dossiers.

Ensuite, il faut travailler sur le terrain pour créer le climat de confiance nécessaire entre les peuples.

Pour vivre en paix, c’est la seule chose à faire aujourd’hui.


(1) En raison des plaintes qu’il a déposées, Sammy Ghozlan est visé par des menaces et une « fatouah de députés algériens » (Me Gilles-William Goldnadel).

La pétition de soutien à Sammy Ghozlan intitulée Non à l'appel à la « haine » d'EuroPalestine a été lancée sur Internet.

Le 4 octobre 2010, les responsables de Raison Garder, dont Raphael Drai, ont exprimé leur solidarité à l’égard de Sammy Ghozlan. Ils ont rappelé « que ces actions judiciaires sont menées, tant sur le fond qu'au regard de la procédure suivie, dans le cadre strict de la législation de notre pays », ont souligné « que la condition de parlementaire ou de responsable d'association exige d'autant plus le respect de ces dispositions, au lieu de leur transgression systématique et délibérée », et « que les procédures en cours font toute leur place aux droits de la défense ». Ils ont exprimé leur inquiétude « à propos de l'ingérence dans la vie judiciaire française de députés et sénateurs algériens qui croient devoir prendre à partie nommément le président du BNVCA dans des termes particulièrement insultants ».

Le 14 octobre 2010, le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) a exprimé sa « solidarité avec Sammy Ghozlan, qui est le constant objet d’insultes et de menaces physiques graves ».

(2) Le Tribunal a estimé que les raisons de la convocation des prévenus ne leur avaient pas été signifiées et qu’il manquait un acte de procédure susceptible d'interrompre la prescription.

(3) Question orale du député Eric Raoult (UMP) en mai 2009
Réponse de Michèle Alliot-Marie, ministre de l'Intérieur, en mai 2009

A lire sur ce blog :

Article publié le 21 octobre 2010 et modifié le 19 décembre 2011.

lundi 28 mars 2016

« Pronostic vital engagé… Islamectomie ! » de Yidir Aberkane et Carole Maillac


Edité par Riposte laïque, ce livre de politique-fiction  au titre volontairement choquant est écrit par un couple formé de Carole Maillac, Parisienne chrétienne, et Yidir Aberkane, né dans une famille marocaine musulmane chleuh (amazigh, berbère) et apostat, donc risquant d’être assassiné par ses anciens coreligionnaires.

Ce texte est un florilège d’articles ou d’extraits de livres d’auteurs européens et américains, parfois issus du monde musulman, tels Wafa Sultan, Ayaan Hirsi Ali, Mustapha Kémal Atatürk ou Walid Shoebat. Éclairés par des notes personnelles d’un avenir dramatique, ces textes abordent les principaux thèmes : l'histoire de l'islam, le jihad notamment contre l'Etat Juif, les liens entre dirigeants musulmans et nazis, etc.

Ce recueil s’avère précieux car il met à portée de mains des textes fondamentaux, tels les arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), du 31 juillet 2001 et du 13 février 2003, selon lesquels la charia (loi islamique), « reflétant fidèlement les dogmes et les règles divines édictées par la religion, présente un caractère stable et invariable. Lui sont étrangers des principes tels que le pluralisme dans la participation politique ou l’évolution incessante des libertés publiques... Il est difficile à la fois de se déclarer respectueux de la démocratie et des droits de l’homme et de soutenir un régime fondé sur la Charia », fournit des arguments fondés et clairs, et stimule la réflexion.

Il témoigne aussi d’inquiétudes profondes sur les métamorphoses actuelles et les perspectives d’avenir de la France, et la vigueur intellectuelle de la blogosphère non "islamiquement correcte".

Tous les auteurs ne partagent pas la conviction des auteurs. La pertinence des textes est variable : passionnant avec Bat Ye’or, édifiant avec le père égyptien Henri Boulad, surprenant avec Chateaubriand et Ernest Renan.

Quelques erreurs : L’abattage rituel est cruel, article signé par Carole Adieu, révèle un amalgame entre l’abattage rituel juif (chehita ou shehita) et celui islamique, et la méconnaissance ou/et la minoration de la souffrance dans les pratiques non rituelles. Pourquoi avoir modifié le titre de mon interview  de Bat Ye’or présentant son livre L’Europe et le spectre du califat  et n’avoir pas indiqué l’URL de l’article sur mon blog (p. 209) ?

Par galanterie, le nom de Carole Maillac aurait du précéder celui de son époux.

Un index des noms ou des thèmes abordés aurait été utile.

Le 10 mars 2014, 30 associations, partis, sites ou blogs défileront lors de la manifestation, organisée par Résistance républicaine, Riposte laïque et le Bloc Identitaire qui, dès 14 h partit de la  place Denfert-Rochereau pour rejoindre la place d'Italie (Paris), afin de demander un référendum sur l’immigration. A 17 h 30 une douzaine de personnalités ont pris la parole. Daniel Pipes n'a été qu'observateur de la manifestation.
                 

Yidir Aberkane et Carole Maillac, Pronostic vital engagé… Islamectomie ! Editions Riposte laïque, 2013. 373 pages. ISBN : 978 29536042 6 9. 19 €

A lire sur ce blog :

Cet article a été publié le 9 mars 2014. Il a été modifié le 13 mars 2014.

dimanche 20 mars 2016

« Sur la terre comme au ciel, jardins d'Occident à la fin du Moyen Âge »

  
C’est le catalogue d’une exposition au musée national du Moyen-âge (2002) qui présentait, pour la première fois en Europe, une exposition consacrée à un thème méconnu : l'histoire des jardins et leurs significations symboliques pour les hommes de la fin du Moyen-âge. Une centaine d'œuvres – manuscrits enluminés, gravures, panneaux peints, tapisseries, sculptures, coffrets, dessins, et objets archéologiques – étaient réunies dans trois espaces dédiés aux jardins sacré, d'amour et réel. Soit du jardin d'Eden, le Paradis perdu, à l'amour des jardins, via la quête du Paradis sur terre. Le jardin révèle une mutation décisive de « la pensée occidentale au cours du Moyen-âge : le passage du monde sacré et mystique à une pensée profane et au goût de la réalité ». Article republié en ce jour du printemps.
Organisée par la RMN (Réunion des musées nationaux) et ce musée parisien, cette exposition transmettait les nouvelles connaissances sur l'histoire générale des jardins.

Ce sujet est à découvrir car il ne subsiste aucun jardin médiéval.

L'intérêt récent pour celui-ci s'explique par « la mode récente des jardins en France, la vague "new age" et la vogue de l'aromathérapie » (Elisabeth Antoine, conservateur au musée et commissaire de l’exposition). L'étude des sources historiques a permis de déchiffrer les représentations de jardins dans les œuvres écrites et iconographiques médiévales. Des jardins et des plantes qui sont présents dans les vies religieuse et quotidienne ainsi que dans les arts.

Elisabeth Antoine privilégie la fin du Moyen-âge de l'Occident non-méditerranéen.

D'une part, la connaissance historique est tributaire de ses sources : subsistent un plan de jardin médiéval – celui de l'abbaye de Saint-Gall (IXe siècle) - et un plus grand nombre de comptes pour les XIVe et XVe siècles, période d'essor urbain, de crises et de différenciation entre sociétés rurale et urbaine. Alors, certains « rêvent d'un retour à la nature, d'une nature dominée, refuge nostalgique aux malheurs du temps. A travers les sources imprimées, comptes et inventaires princiers publiés par les érudits du XIXe et du début du XXe siècles, l'accent a été mis sur les jardins princiers ou de « moyennes personnes », selon l'expression de Pierre de Crescens, jardins de châteaux ou jardins urbains et non sur les jardins monastiques ». De plus, les jardins ont peu évolué du XIIe siècle au début du XVIe siècle.

D'autre part, le parti pris de l'exposition était de montrer cet « univers commun des jardins d'Occident » en laissant de côté « les jardins du sud de l'Italie ou de l'Espagne andalouse, influencés par une autre culture des jardins, celle de l'islam. Présents dans la peinture flamande et germanique, les jardins sont plus discrets dans la peinture italienne de la même période : ils apparaissent en arrière-plan, par l'ouverture d'une porte ou d'une fenêtre ; dans ces échappées, on reconnaît une organisation et des structures identiques à celles des jardins nordiques (tonnelles et pavillons de verdure, banquette de gazon, arbres taillés en plateau), à quelques nuances près : une présence plus importante de la pierre dans les structures et, parfois, un esprit déjà renaissant dans les décors de fontaines ou la présence de sculptures ».

Dans deux salles, le scénographe avait conçu un parcours thématique promenant le visiteur du domaine du symbole à celui de la réalité, du ciel à la terre.

Le jardin de l'âme
Commençons par « le jardin sacré, à travers le paradis perdu du jardin d'Eden et le jardin clos, l'hortus conclusus du Cantique des Cantiques, où le jardin semble la figure de l'âme ».

Les deux textes fondateurs bibliques - la Genèse et Le Cantique des cantiques - définissent le jardin par sa clôture, matérielle et symbolique. La Genèse décrit la vie d'Adam et d'Eve dans le jardin d'Eden dont ils sont chassés après le péché et fixe une autre caractéristique du jardin médiéval : « la présence de l'eau vivifiante ». C'est ce jardin éternel, « des délices » (locus voluptatis), de l'innocence originelle, du bonheur et de l'accord avec D., qui suscite la nostalgie et le souhait d'y retourner.

Et bien des humains sont troublés et nombre de livres, mystiques ou non, sont inspirés par ces versets d'amour du Cantique des cantiques, où le Bien-Aimé dit à la Bien-Aimée :
« Tu es un jardin clos [hortus conclusus]
ma sœur, ô fiancée,
une source verrouillée, une fontaine scellée,
tu exhales l'odeur du paradis et des grenades,
avec l'odeur des fruits du verger, du troène et du romarin »
(Cantique, 4, 3)

Attribué au sage Salomon, ce dialogue a été interprété dans la tradition juive comme le dialogue entre D. et le peuple élu, Israël, et dans la tradition chrétienne comme celui entre la figure du Christ et celle de l'Eglise ou de l'âme.

Le jardin clos désigne alors aussi la Vierge. Au-delà du symbolisme chrétien, prêtons attention aux éléments bien réels figurant dans les peintures mariales : « les tonnelles de verdure, la banquette d'herbes et les carrés de violettes et d'œillets ».

La pensée judaïque, puis celle chrétienne, connotent négativement beaucoup de paysages. La mer ? Un lieu de danger et d'exil où sont tapies les forces du mal. La forêt ? Celui du désordre. La montagne ? Sa perception est ambivalente : espace d'élévation spirituelle vers le ciel, et dangereux car l'air y est raréfié. Restent la campagne et sa quintessence, le jardin. C'est-à-dire des espaces civilisés et ordonnés pour les besoins des hommes, promesses d'abondance et proches des endroits de la vie quotidienne.

Le jardin du cœur
Deuxième étape du parcours : « le jardin d'amour, le jardin allégorique créé par la littérature, lieu de prédilection de l'amour courtois, qui mêle sacré et profane, non sans ambiguïté. Du Roman de la Rose au Décaméron, le jardin devient le lieu d'un bonheur idéal où viennent se réaliser les modèles fixés par le code de la vie courtoise. Manuscrits enluminés, gravures et tapisseries mille fleurs illustrent ce lieu de la rencontre amoureuse ».

Si le jardin est associé au bonheur, c'est parce qu'il est l'espace privilégié du renouveau printanier – « la reverdie » ou feuillée, verdure - et de la rencontre amoureuse comme le montrent les gravures où se mêlent « les thèmes de la fontaine de Jouvence, du jardin d'amour et du jardin des délices ».

Célébré dans le Cantique des cantiques, le printemps est un thème récurrent de plus en plus présent dans la littérature médiévale. Lyrisme et amour courtois se conjuguent dans des odes à la nature renaissante, source d'espoir, protectrice d'idylles et chantée par jongleurs et troubadours.

Dans le Roman d'Alexandre (vers 1180), Alexandre de Paris décrit « le jardin des filles fleurs » : « Toute demoiselle pouvait se livrer aux jeux de l'amour, s'offrir à son ami et le serrer dans ses bras tout son soûl […]. Le verger était beau, la prairie délicieuse fleurait bon la réglisse et la cannelle, le galanga, l'encens, le zédoaire de Tudela. Tout au milieu du pré jaillit une fontaine d'eau claire sur du gravier blanc ». Une fête des sens ! L'auteur insiste sur la végétation orientale pour « traduire de manière littéraire le caractère édénique de ce lieu où abondent le beau et le bon » (Marie-Thérèse Gousset).

Le jardin d'amour représente les divertissements courtois : certains s'adonnent à la musique, au chant et à la danse, d'autres tressent des « chapels » (chapeaux) de fleurs pour leur bien-aimé(e) : rose des amants et œillet des fiancés.

Puis vient l'heure de la collation. Autour de la table, on se divertit par les « jeux de cartes ou d'échecs, des activités symboliques de la conquête amoureuse ».

Habitées d'animaux, les tapisseries « mille fleurs » du XVe siècle illustrent cet éternel printemps créé par la littérature courtoise. Elles reproduisent, en fond, avec abondance et réalisme, narcisses – ou jonquilles -, œillets, pâquerettes, pervenches, giroflées, amandiers, muguets, fraisiers, coquelicots, violettes, etc. La rose symbolise la Vierge, l'amour terrestre ou le plaisir sensuel.

C'est l'amour profane qui permet la transition avec le « jardin quotidien, lieu d'intimité et de retrait, où l'homme cherche à recréer l'harmonie avec lui-même et avec le monde ».

Le jardin d'agrément
Des peintures du XVe siècle, des sources écrites, des enluminures et divers objets évoquent la réalité quotidienne des jardins de la fin du Moyen-âge. Planté d'arbres aux espèces variées, refuge des amants, espace où règne un éternel printemps, le verger est défini par la viriditas, i.e. la verdoyance, et la vigueur. De prairie ou pelouse fleurie, le préau devient synonyme de verger ou de jardin.

Agrémenté d'une fontaine, de ménagerie ou de volière emplies d'animaux exotiques, cet espace est clairement délimité et très architecturé. Les murs extérieurs, en pierre ou brique pour les plus fortunés, le séparent/protègent des agressions de l'extérieur ou d'une nature sauvage. A l'intérieur, dominent des clôtures de bois : plessis (branches de saule ou châtaignier entrelacées), palis ou treillages.

Ce jardin d'agrément est caractérisé par des délimitations géométriques : des allées rectilignes formées de sable, de gravier ou parfois de coquillages concassés, enserrent des plates-bandes carrées (carreaux) ou rectangulaires.

Pour l'orner et lui apporter fraîcheur et fragrances, sont disposés les tonnelles de vigne, roses ou jasmin, et les pavillons de verdure « d'où le jardin sera appréhendé par séquences successives. Au centre, une pelouse carrée, plantée de " mottes " ou plaques de gazon. Autour, sont plantées des bordures mélangées de fleurs (rosiers, violettes, lis, iris) et " d'herbes aromatiques et de suave odeur " (basilic, sauge, hysope, marjolaine, sarriette, menthe). Et, à l'une des extrémités de la pelouse, une banquette ou siège de gazon… Qu'il soit princier ou de " moyenne condition ", laïque ou religieux, le jardin à la fin du Moyen-âge se caractérise par la présence simultanée de végétaux qui se verront, aux siècles suivants séparés : fleurs, simples (plantes médicinales), arbres et souvent aussi légumes. Le bonheur qu'apporte le jardin, c'est le plaisir des sens allié à la paix de l'âme, l'harmonie avec soi-même et avec la nature ». (Elisabeth Antoine).

Les plantations y sont contenues dans de strictes limites, soit « dans leurs carreaux entourés de briques ou de treillis, soit dans de gros pots, comme les œillets, la sauge, le basilic ou la marjolaine, que les manuscrits italiens figurent dans de superbes pots de faïence. La taille en plateaux ou en gradins des arbres traduit cette vision graphique et structurée de l'espace ».

Qu'utilisent les « jardiniers » ? Des arrosoirs ou " chantepleures " - voilà un nom évocateur qui sent bon le « vieux françois » -, des pots de terre, des bêches ferrées, des serpettes aux formes variées pour tailler et greffer des arbres, des râteaux, des brouettes, etc. Par souci d'économie, ces outils sont fabriqués essentiellement en bois, avec parfois du métal (fer). Ces jardiniers bénéficient aussi d'opuscules leur prodiguant des conseils. D'après les livres de comptes des princes, les femmes assurent les « tâches les moins nobles » : retourner et aérer la terre, et ôter les mauvaises herbes grâce aux binettes, griffes et sarcloirs.

Variété des sensations procurées, espace limité « sans jeux de perspective ni ouverture sur de vastes horizons », nature maîtrisée dans un ordonnancement régulier. Telle est cette « chambre de verdure ».

Orner ces jardins participe d'une politique de luxe et d'ostentation, comme le prouvent les jardins des papes en Avignon et le parc d'Hesdin du temps des ducs de Bourgogne.

Allié à l'intérêt grandissant pour la botanique, le goût des princes pour les jardins est satisfait par des ouvrages représentant les plantes de manière réaliste. Ainsi qu'en atteste le succès – nombreuses copies enluminées et traductions – du traité l'Opus ruralium commodorum (début du XIVe siècle) du Bolonais Pierre de Crescens. « L'herbier désigne alors un ouvrage de pharmacopée, illustré ou non. Au cours du XVIe siècle, il se transforme en un recueil de plantes " herborisées ", cueillies dans la nature, séchées, collées dans l'album et identifiées ».

« A la fin du Moyen-âge, les fleurs se sont introduites à l'intérieur des demeures, et la séparation entre la maison et son jardin attenant semble s'estomper. Des galeries et des pavillons prolongent l'architecture dans le jardin, tandis que les jardins en miniature agrémentent les fenêtres, voire les intérieurs ; jardinières et pots aux formes élégantes – pots à bulbes et à suspension – permettent au jardin de s'épanouir dans la maison. Présence quotidienne des fleurs, rendu botanique, goût de la réalité : bouquets et natures mortes remplaceront vite chapels et jonchées de fleurs… »

Les visiteurs peuvent se promener dans le jardin d'inspiration médiévale du Musée, « retrouver les palis et plessis qui protègent les différents espaces dessinés en carrés ou en rectangles, les banquettes, les topiaries (arbustes taillés), les "simples", les petits fruits rouges et les légumes qui poussaient au Moyen-âge »


Sur la terre comme au ciel, jardins d'Occident à la fin du Moyen Âge. Editions RMN, 256 pages. Diffusion Seuil. 45,50 €. ISBN : 9 782711 844487

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Cet article a été publié le 21 décembre 2009, puis les 20 mars 2013 et :
- 3 juin 2015 : Jardins, jardin aux Tuileries a eu lieu du 4 au 7 juin 2015.

samedi 19 mars 2016

Les enfants modèles de Claude Renoir à Pierre Arditi


C’est aux enfants ou neveux d’artistes, modèles sages ou turbulents, « posant volontairement ou à contrecœur » ou croqués à leur insu, que le musée de l’Orangerie a consacré cette exposition au catalogue éponyme Les enfants modèles de Claude Renoir à Pierre Arditi. Tableaux et sculptures sont confrontés aux souvenirs des enfants devenus adultes. Des vêtements et jouets d’époque – corde à sauter, cheval à roulettes, voiture à pédales, panoplie d’outils - semblent sortir d’œuvres exposées. Le 20 mars 2016, Arte diffusera L'art et l'enfant, documentaire de Jérôme-Cécil Auffret et Thibaut Camurat : "À l'occasion de l'exposition proposée par le musée Marmottan Monet, à Paris, une exploration des liens entre la peinture et l'enfance à travers les œuvres des grands maîtres européens, du Moyen Âge jusqu'au siècle de Picasso. 1969. Pablo Picasso peint Le peintre et l'enfant. Une toile qui met en scène un bambin prenant le pouvoir sur le peintre, pinceau à la main. Pour en arriver à ce que la jeunesse soit considérée comme un sujet d'expression artistique à part entière, il aura fallu des générations de peintres, de Jean Fouquet à Matisse, de Vélasquez à Renoir, de Van Dyck à Miró. Le documentaire de Jérôme-Cécil Auffret et Thibaut Camurat déroule le récit croisé de deux grandes histoires : celle de l'art et celle du statut de l'enfance au fil des siècles. À travers les grands chefs-d'oeuvre de la peinture, l'on découvre comment le regard de l'artiste a évolué au fil des siècles, entraînant avec lui le bouleversement des canons esthétiques de représentation. Entre toiles de maîtres et regards d'enfants, l'histoire s'illustre ici en creux, reflet d'une réalité sociale mouvante".


Marque de tendresse, volonté de capter un instant fugace de l’enfance d’un être cher, exercice de style, volonté de mêler leur art et la vie familiale ou de peindre leurs proches selon leur « école picturale » - impressionnisme, nabi, fauvisme, cubisme -, souhait de les faire entrer dans l’éternité, peut-être muséale, choix de « simples sujets d’études », « prétexte à des explorations formelles »… Des artistes ont pris comme modèles leurs enfants ou leurs neveux.

Ce fut presque une spécialité pour certains, tels Pierre-Auguste Renoir (Claude Renoir jouant, 1905), Maurice Denis « le nabi aux belles icônes » (La boxe, 1918), Georges Sabbagh ou Pablo Picasso croquant Claude et Paloma, les enfants nés de son union avec une autre artiste Françoise Gilot.

Pas facile de faire poser un enfant. Dans leurs souvenirs, des artistes ont raconté les stratagèmes utilisés pour qu’un enfant reste immobile, tranquille.

Sculptés ou peints en habits de Pierrot, de clowns ou de zouave, en costume rayé de marin ou encore en jeans et baskets, près de jouets – cheval de bois, maillet de croquet, cerceau (Jeune garçon au cerceau de Charles Lévy), poupée, voilier de bassin -, pendant des vacances ou une leçon de violon, seuls, avec leur mère ou en « clan », ces enfants, au regard grave ou triste, ne constituent plus un « petit sujet » dans l’histoire de l’art.

A côté des œuvres, un texte ou parfois une vidéo les contextualise en donnant la parole aux enfants devenus adultes, et se souvenant de leurs envies d’aller jouer pendant ces heures de pose :  le comédien Jean-Paul Belmondo rêvait « de remonter le couloir de l’appartement familial en patin à roulettes avec son frère Alain, Pierre Arditi de pouvoir enfin descendre de sa chaise rouge où son père [Georges Arditi] l’avait vissé » pendant cette séance de pose silencieuse, scandée par l’ordre paternel « Ne bougez pas ! »

Parmi une centaine de tableaux, citons le portrait de Claude Lévi-Strauss sur un cheval mécanique (1912) par son père Raymond Lévi-Strauss, et Nadine et Mon fils de la sculptrice Chana Orloff.


Jusqu'au 8 mars 2010 
Au musée de l’Orangerie 
Jardin des Tuileries, 75001 Paris
Tél. : 01 44 77 80 07
Ouvert tous les jours, sauf le mardi, de 9 h à 18 h

Visuels
La Boxe
Maurice Denis
1918, huile sur carton, 85 x 70 cm
collection particulière
© Catalogue raisonné Maurice Denis / ADAGP,
Paris 2009

La récitation
Lucien Jonas
1920, huile sur toile, 110 x 150 cm
collection particulière
© droits réservés

Jean-Paul enfant
Paul Belmondo
vers 1940, bronze, 35,5 x 29 cm
Musée des années 30
Boulogne-Billancourt, France
© musée des Années 30 / © photo Philippe
Fuzeau
© ADAGP, Paris 2009

Pierre et Catherine sur fond rouge
Georges Arditi
1949, huile sur bois, 128,5 x 97 cm
Collection particulière
© Photo François Doury / ADAGP, Paris 2009

Articles sur ce blog concernant :

Cet article a été publié le 27 février 2010, puis le :
- 15 janvier 2015. Arte diffusa le 15 mai 2015 à 13 h 30 French Cancan, de Jean Renoir, avec Jean Gabin et Françoise Arnoul ;
- 1er septembre 2015. Article republié en ce jour de rentrée scolaire pour les enfants en France et en Israël.

mercredi 16 mars 2016

Marcel Katuchevski


La Galerie Claire Corcia présente une exposition de Marcel Katuchevski (10 mars-2 avril 2016). Cet artiste présente dans son atelier des dessins figuratifs, souvent de grands formats, des œuvres sur papier à la mine de plomb, au fusain et parfois agrémenté de techniques mixtes, notamment du pastel. 


Marcel Katuchevski est né aux Andelys en 1949 dans une famille juive polonaise sioniste décimée par la Shoah. Il grandit dans une maison d’enfants juifs orphelins Le château rose où son père, ancien footballeur, exerce diverses fonctions, puis dans un quartier du XXe arrondissement de Paris où les parents établissent bientôt leur atelier de confection.

Adolescent, Marcel Katuchevski se destine à l’écriture, plus particulièrement à la poésie. Il rencontre René Char et, en 1972, ses poèmes sont publiés dans la revue canadienne de Jean-Guy Pilon, « Liberté ».

Une série de rencontres le font s’intéresser à l’art brut, à Jean Fautrier, à Gaston Chaissac. Pendant trois ans, cet autodidacte consacre une part croissante de son activité créatrice au dessin à l’encre, découvre les couleurs (aquarelle), puis peint.

Au tournant de sa trentaine, il s’exprime dans ces deux seules disciplines. Des œuvres collectives entreprises avec des amis pendant des vacances, il évolue vers une œuvre individuelle exposée depuis les années 1980.

Parallèlement, il a poursuivi des études de sociologie qui le menèrent à un DEA à l'École des Hautes études en sciences sociales (EHESS) sous la direction de Pierre Bourdieu. Il a aussi illustré des livres.

Alternant les dessins et la peinture, il « évolue vers l’approfondissement » au travers de cycles : les œuvres parsemées de verbes « Manger » - « une injonction de survie » - ou de « Je n’ai pas de langue maternelle », les séries de Papous dotés de couvre-chefs à plumes. Une manière alors pour lui de réintégrer la nature absente de ses œuvres.

Car il a des « obsessions formelles » : les arabesques, la circularité, les visages de femmes aux fichus ou d’hommes âgés, empreints de tristesse aux yeux exorbités. Parfois, ce sont des silhouettes d’êtres ordinaires surgis de nulle part, des visages à moitié effacés, à l’image d’une histoire familiale que l’artiste a reconstituée par bribes, avec ses zones d’ombres et ses absences. Volontairement, l’artiste « laisse passer certaines choses »…

Les formes qui le hantent, il les reproduit – ces quasi-radios de visages - ou les décline : par exemple, ces visages auréolés aux allures iconiques ou ces corps suppliciés. Une représentation du Mal.

Le dessinateur refusant la centralité, le regard du visiteur erre dans l’œuvre narrative riche de personnages et source de questionnements : que regarde cette dame ? Pourquoi ces regards éteints ?

Marcel Katuchevski a eu ses périodes Noir et blanc, riches d’une infinité de gris - « Une économie de la création. On est obligé d’aller à l’essentiel » -, et ses « passages à la couleur », essentiellement le jaune, le rose et le violet.

Dans son atelier, il travaille en plaçant les supports sur les murs. Il s’avance, prend du recul, retourne à l’œuvre. Il met à jour, enfouit et re-dévoile. Certaines œuvres semblent inachevées. Quand sait-il qu’une œuvre est finie ? Il le sent quand continuer l’œuvre en changerait le style.


En 2010, Espace Topographique de l’art avait présenté l'exposition « L’espace du noir » de Marcel Katuchevski : une installation d’une vingtaine d’œuvres de cet artiste et une vidéo d’Ariane Pick et d’Yves Prince.


Pour son dixième anniversaire, l’Espace Topographique de l’art a présenté en 2011 une exposition collective, avec notamment Marcel Katuchevski. Cette exposition comprenait « des dessins, une vidéo et le catalogue L’espace du noir, notes sur l’espace en regard du dessin de Marcel Katuchevski accompagné de textes du romancier, poète, essayiste et dramaturge Bernard Desportes. Il s’agit d’un travail sur la mémoire et l’oubli qui suscite des interrogations fondamentales sur les questions de l’être, du provenir et du devenir. Seule la forme de la trace peut en rendre compte. Bien souvent, Marcel Katuchevski a l’impression que la figure est là, sur la feuille blanche, précédant le dessin lui-même :J’ai parfois du mal à la faire surgir. Puis je la dissimule, avant de la faire ressurgir. C’est une sorte de lutte autour de quelque chose, qui est là, et qu’il faut que j’accepte ».

A l’Espace Topographique de l’art l'exposition Imagetexte 2 est venue « entretenir le dialogue permanent entre les arts, les médias et leurs frontières génériques  au sein desquelles cohabitent et se questionnent mutuellement, sous forme d'alliance ou de rivalité, le texte et l'image ».

La galerie Linz art contemporain a présenté l'exposition "Un certain bruissement. Dessins récents" de Marcel Katuchevski. 

La Halle Saint Pierre présenta l'exposition Les Cahiers dessinés (21 janvier-14 août 2015) réunissant plus de 500 œuvres de 67 artistes internationaux dont Roland Topor, Saul Steinberg, Anne Gorouben, et Marcel Katuchevski.

La Galerie Claire Corcia présente une exposition de Marcel Katuchevski (10 mars-2 avril 2016). « Marcel Katuchevski accueille tout et ose tout, y compris la laideur, y compris l’effroi. Il se veut « L’habitant du dehors ». Il explore l’histoire de l’humanité, donne corps à ses cataclysmes, ses béances, ses horreurs. Il plaque au coeur d’un même dessin les multiples couches de l’histoire qui s’entrechoquent. » (Anne Reinbold, Marcel Katuchevski, « La couleur de l’ombre », Le Cahier dessiné #8, avril 2013).



L’espace du noir, notes sur l’espace en regard du dessin de Marcel Katuchevski. Texte de Barnard Desportes. Editions Le livre de l’art, 2010. 56 pages. ISBN : 978-2-35532-091-0


Du 10 mars au 2 avril 2016. Vernissage jeudi 10 mars de 18h à 21h30
323, rue Saint-Martin -75003 PARIS Tél : 09 52 06 65 88
Du lundi au vendredi de 11 h 30 à 19 h, samedi de 14 h à 19 h


Du 21 janvier au 14 août 2015
A la Halle Saint Pierre
2, rue Ronsard. 75018 Paris
Du lundi au vendredi de 11 h à 18 h. Le samedi de 11 h à 19 h, le dimanche de 12 h à 18 h.
Tél. : 33 (0) 1 42 58 72 89


Du 21 mars au 20 avril 2013
Du 6 au 29 septembre 2012
A la galerie Linz Art contemporain
41, rue Quincampoix, 75004 Paris
Tél. : 01 42 76 93 74
Vernissage le 6 septembre 2012 à partir de 18 h

Du 22 avril au 22 juin 2012
A l’Espace Topographique de l’art
15, rue de Thorigny. 75003 Paris
Tél. : 01 40 29 44 28
Du mercredi au dimanche de 15 h à 19 h
Vernissage le 21 avril 2012 à partir de 18 h

Du 19 mars au 1er mai 2011
Vernissage le 19 mars 2011 de 18 h à 20 h
Le 27 avril 2011, de 19 h à 21 h, des vidéos des artistes présentés seront projetées.

Visuels de Marcel KATUCHEVSKI :
Ne m’attendez plus
2014
Mine de plomb et collage - 80 x 60 cm
Collection de l’artiste 
© Photo Olivier Brunet

A perte de vue
2012
Technique mixte
260 x 220 cm

Sans titre
© O. Brunet


A lire sur ce blog :

Cet article avait été publié une première fois le 16 octobre 2010 et a été modifié le 28 août 2012. Il a été  republié les 17 avril et 24 avril 2012, 21 mars 2013, 21 janvier et 11 août 2015.