vendredi 28 octobre 2022

Photographies de Pierre Abensur : Juifs d’Iran, Le Cœur perse


En 2002, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) a présenté l'exposition éponyme - 58 tirages à bord noir de Pierre Abensur - assortie d'un beau catalogue. Ce photographe français a effectué deux reportages, en noir et blanc, sur les Juifs d’Iran sous la présidence du Président Khatami : l’un en septembre 1999 et l’autre en mars 2002. Belles et riches d’informations, ses photos montrent son empathie pour ces Perses qui, instruments de luttes pour le pouvoir, songent à l’exil. Souvent issus de la bourgeoisie moyenne, ces Juifs sont montrés dans leurs vies professionnelle, citoyenne et privée. Le 30 octobre 1910 s'est produit le pogrom de  Chiraz.

L'Iran
Pierre Abensur, dont le père est né au Maroc, est passionné par le sort des minorités, sociales ou religieuses.

Ainsi, il a initié une série de reportages photographiques sur les « communautés Juives en Terre d’Islam » : les Juifs de Sarajevo en 1996, ceux d’Istanbul en 1998 et de Djerba en 2001. Pourquoi ? « Rester est un acte de résistance, surtout dans certains pays. Il faut avoir la foi pour tenir. Pas seulement en raison des persécutions, mais aussi de la pression sociale. Notamment pour le mariage... ».

Grâce au soutien de l’Association européenne pour la culture juive, il poursuit son étude en offrant une autre image de l’Iran. C’est celle des Juifs de Téhéran, d’Ispahan, de Shiraz, Qhom et Kerman. Une communauté Juive vivait aussi à Golpayegan - l'Alliance israélite universelle y été présente - depuis 2700 ans.

Ses photographies ont été publiées par The New York Times, Le Point, le Figaro, Le Temps (Genève), Yediot Aaronot, L’Arche, Les Cahiers de l’Alliance, etc.

Au MAHJ, elles sont regroupées dans des espaces thématiques et sont accompagnées par les textes clairs et concis du photographe-reporter.

En trois ans, elles révélaient des permanences - l’accès à une chaîne de télévision israélienne via le satellite, la solidarité avec les pauvres ou les toxicomanes, etc. - et une évolution sensible : la percée d’internet et une relative libéralisation. C’est-à-dire du choc de l’arrestation en juin 1999 des 13 Juifs iraniens accusés d’espionnage à la déception devant l’impuissance ou le refus du Président Khatami freiné par l’opposition du Conseil de la Révolution, en passant par l’émigration délicate de 4 000 Juifs iraniens.

Si sous le Shah, la communauté Juive iranienne rassemblait 80-100 000 âmes, elle en compte actuellement moins de 20 000, essentiellement dans quelques villes.

Cette exposition révèle des hommes et femmes tiraillés entre l’attachement à leur pays, où les Juifs sont établis depuis deux mille cinq cents ans, et leurs aspirations à la sécurité, à la démocratie, voire à une promotion sociale (accès à certains postes administratifs).

Ces photos disent aussi la douleur des séparations familiales et de l’exil... Lucidement pessimistes sur leur avenir en Iran, ces Juifs ont hésité entre deux destinations : Israël et les Etats-Unis. Faute d’obtenir des visas par ceux-ci méfiants depuis les attentats du 11 septembre 2001, plusieurs « centaines de Juifs iraniens attendent à Vienne depuis des mois ».

Une autre image de l’Iran
« Le noir et blanc est plus essentialiste et profond que les couleurs », estime Pierre Abensur.

Très belles, ses photographies informent et traduisent l’empathie de ce photographe-reporter autodidacte pour autrui : deux Juives iraniennes couvertes d’un drapé à motifs dans la synagogue d’Ispahan le jour de Kippour, une Iranienne  Juive se rendant à la synagogue d’Ispahan au dôme hexagonal, aux porches surbaissés pour les dhimmis et au mur marqué par un slogan anti-américain, les habitants des maisons délabrées de l’ancien quartier Juif de Téhéran, le regard fasciné d’un enfant sur Zarozim, le modeste réparateur de lunettes dans le quartier des bijoutiers de Shiraz, une femme bouleversée de revoir grâce à Internet sa mère vivant en Israël, des Iraniens Juifs qui ont pris « l’habitude de se déchausser à l’entrée des synagogues par mesure d’hygiène, une tradition profane et domestique, vraisemblablement pas un emprunt à l’islam », la mère angoissée de l’un des « onze disparus de Zaedan » lors d’une tentative de quitter l’Iran par la frontière pakistanaise (1994-1995) et qui interpelle le président Khatami, etc.

Sur le mur d’un immeuble de Téhéran, une fresque célèbre trois "martyrs" non musulmans morts pendant la guerre contre l’Irak : parmi eux, Sharam Zarini, au nom écrit en hébreu.

« L’hôpital Docteur Sappir appartient encore à la communauté Juive, mais la plupart de ses patients et employés sont musulmans. Parmi les praticiens Juifs encore en exercice se trouve le docteur Mohaber, chirurgien et seul officier supérieur - général à la retraite - Juif de la République islamique d’Iran. Il avait été nommé directeur du nouvel hôpital militaire par l’impératrice Farah Dibah. Demeuré à son poste malgré la révolution, il a réalisé plus de mille deux cents opérations au cours de la guerre contre l’Irak ».

Et alors que la communauté Juive iranienne, en état de choc après l’arrestation en juin 1999 de leurs 13 coreligionnaires, lui réserve un accueil froid et craintif, Pierre Abensur saisit « devant le mausolée de l’Ayatollah Khomeyni, entouré de portraits de l’imam défunt », un Juif iranien qui tient d’une main le drapeau de son pays et de l’autre un iris, la fleur symbolique de l’Iran. La synthèse d’une situation dramatique.

De nos frères Perses, nous nous sentons proches par cette vie festive, ces pratiques religieuses (respect du shabbath), ce patriotisme profond, ces intérieurs cosy, etc. On est aussi ému en devinant leurs problèmes quotidiens, notamment pour respecter la cacherout. Et on constate leur « persité » par leurs noms et leurs coutumes, tel le nouvel an iranien ou norouz. Comme ils doivent nous trouver très « occidentaux » pour les mêmes raisons...


Addendum
Les Juifs iraniens dénomment "Allahdad("la justice divine"), pogrom survenu avant Pessah, en 1839, et au cours duquel 36 Juifs de Mashhad, dans la région du Grand Khorasan, ont été assassinés : le chef de Mashhad avait ordonné "à ses hommes d'attaquer la communauté juive, de brûler la synagogue, de piller les maisons, et d'enlever les filles". Le couteau sur la gorge, les rabbins, Lévy et Cohen ont été contraints à se convertir à l'islam en prononçant la shahada, sinon les autres Juifs, au nombre de près de 2400, auraient été tués. Tous les Juifs ont du se convertir à l'islam. Vêtus et prénommés comme des musulmans, ces "nouveaux musulmans" ont continué à pratiquer secrètement le judaïsme, par exemple en allumant les bougies avant chabbat. Certains de ces crypto-juifs ont préféré rejoindre d'autres cités comme Boukhara ou des territoires afghans. Ce fut alors que, pour l'une des premières fois, des Juifs européens sont intervenus en faveur de ces Juifs iraniens. "On dénombre aujourd'hui 20 000 juifs descendants des juifs de Mashhad, 10 000 vivent en Israël et les autres sont majoritairement aux États-Unis".

Le Sephardi Bulletin (septembre/octobre 2000), relayé par le blog Jewishrefugees,  relate  histoire d'Eliyahu S., un médecin militaire iranien

Selon le Mossad, huit des onze Iraniens Juifs portés disparus depuis leur tentative dans les années 1990 de fuir  l'Iran pour se réfugier dans l'Etat d'Israël, ont été tués

Le 15 décembre 2014, l'Iran a inauguré un monument en hommage aux soldats iraniens Juifs morts, environ 150, lors de la guerre irano-irakienne (1980-1988), afin de montrer que le régime iranien est modéré et que les Iraniens Juifs sont loyaux à l'égard de leur pays.

Le 20 juin 2015, de 14 h 30 à 17 h, à la Salle Guillaume de Nogaret à Montpellier, l'association Pour un judaïsme humaniste et laïque proposa la conférence Les Juifs d'Iran, avec Youssef Hourizadeh, sociologue, médiateur scientifique, suivie d'un goûter iranien. "« Ainsi parle Cyrus, Roi de Perse : - L'Eternel, Dieu du ciel, m'a mis entre les mains tous les royaumes de la terre, et c'est lui qui m'a donné mission de lui bâtir un temple à Jérusalem, qui est en Judée. S'il est parmi vous quelqu'un qui appartienne à son peuple, que son Dieu soit avec lui, pour qu'il monte à Jérusalem, qui est en Judée, et qu’il bâtisse le temple de l'Eternel, Dieu d'Israël, de ce Dieu qui réside à Jérusalem ! Tous ceux qui restent (de ce peuple), quelle que soit leur résidence, leurs compatriotes devront les gratifier d'argent, d'or, d'objets de valeur et de bêtes de somme, en même temps que d'offrandes volontaires, destinées au temple de Dieu à Jérusalem ». C’est sur cette proclamation de Cyrus le Grand affranchissant les Juifs de leur exil à Babylone (-539) que se clôt le Deuxième Livre des Chroniques et c’est sur sa répétition que s’ouvre le Livre d’Esdras, attestant de l’ancienneté et de l’importance du lien qui unit l’histoire du peuple hébreu et celle de la Perse. Cette conférence sera pour nous l’occasion de découvrir l'évolution du peuple juif en Perse (Iran) à travers le temps, l'histoire et la géopolitique, jusqu'à l'époque actuelle et ses paradoxes".

Le 30 octobre 1910, a été déclenché le pogrom de  Chiraz par une fausse accusation de crime rituel (blood libel), une accusation précédée de la rumeur infondée de profanation du Coran dont un exemplaire aurait été jeté dans un puits par des Juifs. Près du cimetière juif, le cadavre d'un enfant est découvert par des musulmans le premier jour de la fête juive de Souccot. Il s'est avéré ensuite qu'il s'agissait de la dépouille d'un garçon juif décédé peu auparavant. Selon la rumeur, les Juifs auraient assassiné une jeune musulmane pour utiliser son sang à des fins rituelles. Lors du pogrom commis par des soldats supposés défendre les Juifs et une foule déchaînée composée notamment de femmes et d'enfants, 12 Juifs sont tués et 50 blessés et les 6 000 Juifs de Chiraz sont spoliés de leurs biens. Certains sont protégés par le consulat britannique ou des amis musulmans, dans des champs. Cet événement qui a duré six à sept heures a été décrit par le représentant de l'Alliance israélite universelle de Chiraz. Il est ainsi décrit par l'Alliance israélite universelle (AIU) :
« Les voleurs faisaient la chaîne dans la rue. On se passait les tapis, les ballots d'effets, les sacs de marchandise [...], tout ce qui, en un mot, pouvait avoir quelque prix. Ce qui n'en avait pas, ce qui en raison de son poids ou de son volume ne pouvait pas être emporté était, dans une rage de vandalisme, détruit, brisé. Les portes et les fenêtres des maisons étaient arrachées à leurs gonds et emportées ou réduites en pièces. On laboura littéralement les chambres pour voir si le sous-sol ne recelait pas quelque richesse...« Des femmes, des hommes, des vieillards se roulent dans la poussière, se frappent la poitrine et demandent justice. D'autres plongés dans un état de véritable stupeur, paraissent inconscients et sous l'effet d'un affreux cauchemar qui ne veut pas prendre fin. »
L'AIU ainsi que divers musulmans ont aidé les survivants juifs iraniens.

Ce pogrom est évoqué par David Littman et Shmuel Trigano dans leurs publications.


Juifs d’Iran, le cœur perse, Photographies de Pierre Abensur. MAHJ, 2002. Plaquette brochée. 18 pages. 8 euros.


A lire sur ce blog :
Cet article a été publié par Guysen en 2002, et sur ce blog les 21 mars et 22 décembre 2014, puis les 19 juin 2015, 31 octobre 2016, 30 octobre 2017, 31 octobre 2019, 31 octobre 2020.

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