
« Depuis longtemps j’affectionne la photographie. Dans les années 1970, alors que j’habitais Nice, une de mes connaissances collectionnait les années 1930. Tout dans son appartement reflétait l’ambiance de cette époque : murs en opaline noire, vases de Dunand, Lalique, meubles de Ruhlmann, Leleu, sculpture de Miklos, peinture animalière de Jouve… Un véritable musée. Je me faisais alors la réflexion, qu’il devait falloir 40 ans pour redécouvrir, apprécier une période dans son ensemble et j’annonçais alors que le 1960 serait « à la mode » dans les années 2000 ! Lors de la visite du Musée Pompidou Metz, dans la première exposition décidée par Laurent Lebon, une vidéo d’entretiens avec Marcel Duchamp affirmait, et me confirmait, cette idée des 40 ans. Ce laps de temps est-il à considérer comme « une traversée du désert », à l’image de celle du peuple hébreu lors de la sortie d’Égypte, qui dura 40 ans, d’obtenir les garanties de durabilité. Passé ce délai, tout est possible. Les dés sont jetés. Être en phase avec son temps, comprendre, aimer son époque est une forme de bonheur. Certes « Des choses anciennes, faisons des nouvelles » sera toujours d’actualité. La critique fait progresser le futur. L’innovation artistique (picturale, musicale, littéraire) est-elle réellement comprise lors de sa période de création ? Cela paraît évident pour les amateurs éclairés. Je me remémorais l’affiche rencontrée dans les rues de Paris, alors que je venais juste de m’y installer, à 40 ans : « La musique classique a d’abord été contemporaine ». William Bouguereau, Eugène Carrière et bien d’autres peintres ont été plus appréciés à leur époque que Edouard Manet, qui laissa pourtant son nom dans l’Histoire de l’Art. Ne parlons pas de la photographie, des débuts de ce médium négligé, de ces précurseurs qui ont tant œuvré pour imposer la photographie au rang d’Art. L’histoire rattrape ces erreurs », observe Serge Aboukrat, collectionneur et galeriste.

En 2013, la Maison Européenne de la Photographie (MEP) s’intéresse à « l’œil d’un collectionneur, son regard sur l’histoire de la photographie, des clichés-verres (une soixantaine d’œuvres) à Philippe Halsman (une soixantaine de photographies) en passant par quelques pièces emblématiques de sa collection personnelle ».
Les clichés-verre
Le cliché-verre relève, « par sa nature même, à la fois du dessin, de la gravure et de la photographie ». C’est avant tout « un procédé de multiplication de l’image s’appuyant sur les débuts de la photographie ».

Le cliché-verre est « un procédé d’impression par les moyens photographiques, à partir d’un négatif sur verre réalisé manuellement et directement par l’artiste. La plaque est préalablement enduite d’une couche épaisse de collodion où l’artiste, dessine avec une pointe, son sujet. Le tracé traverse le verre translucide. Le tirage est obtenu par l’action de la lumière qui passe à travers le verre et marque le papier photosensible qui est ensuite révélé et fixé ».

Lors d’un séjour à Arras, Jean-Baptiste Camille Corot découvre ce procédé. Il réalisa une soixantaine de clichés-verres. Le premier « dessin sur verre pour photographie » est réalisé en 1853 par Corot : « Le bucheron de Rembrandt ».
L’exposition à la MEP présente une soixantaine de clichés-verre de Corot, Daubigny, Delacroix - le musée Delacroix est situé à quelques mètres de la galerie Serge Aboukrat, dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés -, Millet, Rousseau.
Philippe Halsman, portraitiste psychologique
« Il y a une dizaine d’années, je fis l’acquisition d’un lot photographique de Philippe Halsman, ensemble réduit de cet artiste, sorte de mini rétrospective : Atomicus, Skull, Jump et portraits « flottants ». Je m’en suis immédiatement voulu de ne pas m’être intéressé bien avant à cet artiste, considéré comme l’un des dix grands photographes de sa génération. Au fil de mes recherches, je constituais un ensemble cohérent… et ce moins de 40 ans après sa disparition », se souvient Serge Aboukrat.



Philippe Halsman nait à Riga (alors dans l’empire russe, et dans l’actuelle Lettonie) en 1906, dans une famille dont le père est dentiste.
Dès 1921, il commence à photographier famille et amis avec le vieil appareil de son père.
En 1928, son père meurt lors d’un séjour familial dans les Alpes autrichiennes.
Deux années plus tard, Philippe Halsman s’installe à Paris.
Là, en 1932, il ouvre un studio photographique au 22 rue Delambre, dans le quartier Montparnasse.



Dès 1936, Halsman, qui a étudié le travail d’autres artistes et photographes, en particulier les surréalistes dont il retient l’art de surprendre le lecteur, s’impose comme le meilleur portraitiste en France.
Ses photos apparaissent en couvertures de livres et dans les magazines : Vu, Voilà.

A Marseille, après de longs mois d’attente, grâce à l’intervention d’Albert Einstein, qui avait rencontré la sœur d’Halsman dans les années 1920, Halsman obtient un visa urgent pour entrer aux Etats-Unis.

La carrière d’Halsman amorce un tournant déterminant quand il rencontre Connie Ford, une modèle qui accepte de poser pour lui en échange de clichés pour son portfolio. "Quand les publicitaires d’Elizabeth Arden voient la photographie de ce mannequin se détachant du drapeau américain, ils décident d’utiliser cette photographie pour lancer leur campagne nationale pour le rouge-à-lèvres Victory Red".

De ses débuts en France dans les années 1930 à la carrière qu’il poursuit à New York dès 1940, Philippe Halsman s’illustre par ses photographies de mode et ses portraits de personnalités. Des portraits qui pendant trente ans illustrent les couvertures des magazines américains les plus importants : Look, Esquire, Life, The Saturday Evening Post, Paris Match...



En 1945, Halsman est élu le premier président de l’American Society of Magazine Photographers (ASMP). Il y mène un combat pour la protection des droits d’auteur des photographes.

Son art consiste à insérer dans la photo des détails familiers, et finalement perturbants, ce qui confère aux sujets une tension, tout en soignant ses éclairages sophistiqués, son focus large. Les autres raisons de son succès ? Elles tiennent notamment en sa joie de vivre et son imagination ainsi qu’à ses prouesses technologiques.

Quand Halsman a fait poser les comédiens de la NBC contre un papier blanc nu, en éliminant tout élément de contextualisation, ces artistes ont paru à la fois drôles et fragiles.
De l’exploration de l’inconscient érotique par les surréalistes, Philippe Halsman a appris comment associer glamour, sexe, l’énergie et la santé dans un portrait. Ce qui a fait de lui le photographe favori de Life pour des stars sensuelles.
Halsman aimait comparer son travail à celui d’un bon psychologue qui regarde ses sujets avec une perspicacité particulière et en révèle la personnalité : « Cela ne peut pas être fait en poussant la personne dans une position ou en arrangeant sa tête à un certain angle. Cela doit être accompli en provoquant la victime, en l’amusant avec des plaisanteries, en la rassurant par le silence, ou en lui posant des questions impertinentes que son meilleur ami aurait peur d’exprimer ».
« Cette fascination pour le visage humain ne m’a jamais quitté… Chaque visage que je vois semble cacher – et parfois révéler fugitivement – le mystère d’un autre être humain. Capturer cette révélation est devenu le but et la passion de ma vie », écrit Halsman en 1972.


En 1958, un sondage mené par Popular Photography auprès des photographes le désigne comme l’un des dix plus grands photographes au monde aux côtés d’Irving Penn, Richard Avedon, Ansel Adams, Henri Cartier-Bresson, Alfred Einsenstaedt, Ernst Hass, Yousuf Karsh, Gjon Mili et Eugene Smith.

Dès 1998-1999, moins de vingt ans après la mort d’Halsman, la National Portrait Gallery (NPG) de la Smithsonian Institution a présenté la première rétrospective historique de cet artiste dont les œuvres ont imprimé nombre de rétines et influencé beaucoup de photographes.
Jusqu’à fin septembre 2013
A la galerie Serge Aboukrat
7, place de Furstemberg, 75006 PARIS
Tél. : 09 66 94 02 12/ 01 44 07 02 98
Du dimanche au vendredi, de 15 h à 19 h
Jusqu’au 15 septembre 2013
A la Maison Européenne de la Photographie (MEP)
5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris
Tél. : 01 44 78 75 00
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h
A la Maison Européenne de la Photographie (MEP)
5/7, rue de Fourcy, 75004 Paris
Tél. : 01 44 78 75 00
Du mercredi au dimanche de 11 h à 20 h
Visuels :
Delacroix, Le tigre en arrêt, 1854
Tirage Sagot-Le Garrec, 1921
Collection Serge Aboukrat
Delacroix, Le tigre en arrêt, 1854
Tirage Sagot-Le Garrec, 1921
Collection Serge Aboukrat
Corot, Arbre dans la forêt, circa 1860
Tirage Sagot-Le Garrec, 1921
Collection Serge Aboukrat
Tirage Sagot-Le Garrec, 1921
Collection Serge Aboukrat
Saut dans le vide de Yves Klein, Cibachromes, 1998
© Vik Muniz
Collection Serge Aboukrat
© Vik Muniz
Collection Serge Aboukrat
Grace Kelly, 1955
© Philippe Halsman / Magnum Photos
© Philippe Halsman / Magnum Photos
Salvador Dali, 1953
© Philippe Halsman / Magnum Photos
© Philippe Halsman / Magnum Photos
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