mardi 14 mai 2019

Alexandre Trauner (1906-1993), décorateur de cinéma


Alexandre Trauner (1906-1993) est l'un des plus grands décorateurs de cinéma. Formé à l'Ecole des Beaux-arts de Budapest (Hongrie), il s'installe en 1929 à Paris où il se lie d'amitié avec Jacques Prévert. Assistant  du décorateur Lazare Meerson sur des films de René Clair et Jacques Feyder, il devient chef décorateur en 1937 et entame une collaboration artistique, couronnée d'Oscar et de César, avec Marcel Carné, Orson Welles, Billy Wilder, Luc Besson, etc. Le 13 mai 2019, Ciné + Classic diffusera Les Ciels d'Alexandre Trauner, par Vincent Dumesnil : "«Le Quai des brumes», «Hôtel du Nord», «Les Visiteurs du soir», «Les Enfants du Paradis», «Le jour se lève» : tous ces grands films du cinéma français ont en commun la magie des décors d'Alexandre Trauner. Plus tard dans sa carrière, l'Amérique lui offre de nouveaux défis. Certaines de ses réalisations sont de véritables chefs d'oeuvre, alliant technique, audace et inventivité : «La Garçonnière», pour lequel il reçut un Oscar, et «Irma la douce», tous deux de Billy Wilder, ou L'homme qui voulut être roi», de John Huston, et son colossal décor en extérieur".
Né Trauner Sándor dans une famille juive en Hongrie, Alexandre Trauner poursuit des études à l’École des Beaux-Arts de Budapest pour devenir peintre.

En 1929, il s’installe à Paris, « ville de liberté et d’invention ». Par hasard, il est engagé par Lazare Meerson, décorateur de cinéma.

Sa rencontre en 1932 avec le poète Jacques Prévert est déterminante. De là, naît une longue amitié et une collaboration fructueuse au cinéma.

Un magicien de l’authenticité
Avec Jacques Prévert, Alexandre Trauner contribue au « réalisme poétique » des films de Carné (« Le Jour se lève », 1939) et Grémillon (« Remorques », 1940).

Quai des Brumes est réalisé par Marcel Carné (1938) sur un scénario de Jacques Prévert, avec Jean Gabin, Michel Simon, Michèle Morgan et Pierre Brasseur, et les images étaient signées Eugen Schüfftan. "Un déserteur de la Coloniale arrive au Havre, espérant s’y cacher avant de repartir à l’étranger. Dans la baraque du vieux Panama, où il trouve refuge grâce à un clochard, il rencontre le peintre fou Michel Kross et une orpheline, Nelly, dont il tombe amoureux. La jeune femme mélancolique vit chez son tuteur, Zabel, qui tente d’abuser d’elle".

Hôtel du Nord
"Hôtel du Nord, un an avant Le jour se lève, Le quai des brumes, marque à nouveau la fructueuse collaboration du tandem Carné/Prévert, qui atteindra son apogée en 1945 avec Les enfants du paradis. Reflet de la noirceur du climat d’avant-guerre, cette adaptation d’un roman de Pierre Mac Orlan en propose une version que l’écrivain lui-même qualifiera de "nettement désespérée". Le Montmartre évoqué dans le livre laisse ainsi place à l’atmosphère pluvieuse et lugubre du Havre. Michèle Morgan et Jean Gabin, au jeu retenu, composent un duo de légende, habitant cette œuvre expressionniste, comme hantée par la tragédie mondiale qui s’annonce. Bouleversant, l’acteur qui a tourné Pépé le Moko de Duvivier et La grande illusion de Renoir l’année précédente devient l’interprète privilégié d’une génération en plein désarroi. En dépit de son pessimisme, cette histoire d’amour fatal entre un déserteur et une pupille de la nation connaît un triomphe immédiat à sa sortie en salles, en 1938. Quelques années plus tard, jugé "démoralisateur" et défaitiste, le film sera interdit par le gouvernement de Vichy". Les "scènes en décor sont tournées aux studios Pathé de Joinville. Claude Briac, qui suit le tournage, commente la « vraie fête foraine qui était encore, il y a huit jours, au Havre, et qui est venue spécialement pour le film » (Ce soir, 1 février 1938). Le port du Havre a été entièrement reconstitué sur le plateau G du studio de Joinville. Trauner y a construit un décor en perspective, où on fait jouer des enfants de trois ans devant un décor à échelle réduite. D'autre part, La Cinématographie française publie un long article sur le Quai des brumes, « film d'atmosphère », dans son numéro du 11 février 1938. Selon Turquan, l'auteur de l'article, deux plateaux ont été nécessaires à la construction des décors".

Le Jour se lève
Arte diffusa les 27 avril et 15 mai 2015 Le Jour se lève, de Marcel Carné (1939), avec Jean Gabin, Arletty et Jules Berry sur un scénario de Jacques Viot. "Barricadé dans sa chambre d'hôtel, François se souvient. Il a vécu une histoire d'amour toute simple avec Françoise, orpheline comme lui, saccagée par le cynisme sans scrupules de Monsieur Valentin, montreur de chiens. Il songe aussi à Clara, la compagne malheureuse de cet homme qu'il vient de tuer sans regrets. Bientôt, la police donnera l'assaut..."

Dans Le jour se lève, "la chambre s'oppose à la rue comme le présent s'oppose au passé. En bas, les badauds attendent et aimeraient sauver le jeune homme. Mais il ne peut les comprendre. Il est trop enfermé dans son passé, qu'il revit tout au long du film. Et puis il est trop haut, au dernier étage d'un immeuble de banlieue. Tout comme la beauté des images dues à Curt Courant, les décors d'Alexandre Trauner contribuent à la perfection du film : "Nous avions un homme isolé dans l'immeuble et la foule autour qui essaie de le sauver, [...] C'est à cette impossibilité de communication qu'il fallait donner une dimension physique." (Alexandre Trauner). Un film manifeste du réalisme poétique, dans lequel Gabin, inoubliable, donne âme et chair aux dialogues de Prévert".

"L'histoire de Viot, c'était celle d'un ouvrier coincé dans une chambre d'hôtel et acculé à un crime. Dans son idée, le gars n'était pas très haut, au premier ou au deuxième étage disons. Et c'est au fur et à mesure que Jacques et Viot ont progressé sur le scénario que nous nous sommes aperçus que nous avions un homme isolé dans l'immeuble et la foule autour qui essaie de le sauver et que c'est à cette impossibilité de communication qu'il fallait donner une dimension physique. Moi, je pensais qu'il fallait qu'il soit assez haut, qu'il surplombe la foule. et que ce soit un endroit assez moderne et sinistre à la fois. Et quand j'ai dessiné ma maquette, je les ai tout de suite persuadés. Evidemment, j'ai eu plus de difficultés avec le producteur qui sait bien que plus on monte haut plus ça coûte cher et qui essayait de me faire diminuer, de rogner un étage ou deux. Heureusement, Carné et Prévert ont tenu bon et on a quand même obtenu de monter la maison comme on le voulait. Il s'agit vraiment ici de conception et il faut l'admettre comme telle ; on ne peut pas toucher au principe. Il ne reste qu'à persuader les autres. Souvent mon travail c'est aussi de persuader des gens. Je n'ai eu ici aucune difficulté à persuader Prévert et Carné qui étaient entièrement d'accord avec moi, et Viot aussi. Ensemble ensuite, après de longues luttes avec le producteur, nous avons obtenu un décor tout de même assez exceptionnel et qui a prouvé que nous avions raison. Il fallait vraiment que notre personnage soit isolé, inaccessible, tout petit en haut de ses cinq étages", a déclaré Alexandre Trauner.

Pendant l’Occupation, cet artiste Juif travaille dans la clandestinité : « Les visiteurs du soir » (1942), Les Enfants du Paradis (1944).

Les Portes de la nuit
"Dernière manifestation cinématographique du courant réaliste poétique créé par Marcel Carné et Jacques Prévert, Les portes de la nuit sort en 1946. Réalisme poétique et noirceur mythique pour ce film sans concessions sur l'après-guerre en France, servi par Yves Montand, Pierre Brasseur, Serge Reggiani, et accompagné de ce qui deviendra un tube, "Les feuilles mortes".

"Février 1945 à Paris, pendant l’hiver qui suit la Libération. Diego, un ancien résistant, retrouve dans le quartier de Barbès-Rochechouart un camarade de combat, Raymond Lécuyer, qu’il croyait mort. Cette même nuit, "le Destin", un clochard, lui prédit qu’il va rencontrer la plus belle femme du monde. De fait, le regard de Diego ne tarde pas à croiser celui de la belle Malou, la fille de Sénéchal, un vieux bourgeois collabo…"

A sa sortie, "on reproche au film sa noirceur, alors que Paris est encore plongé dans le rationnement et les difficultés économiques. C'est un échec commercial, sans doute parce que, après quatre ans d’occupation et de guerre, le public aspirait à des images plus optimistes. Pressentis au départ, Marlene Dietrich et Jean Gabin renoncent au tournage. Ils sont remplacés par Nathalie Nattier, une débutante, et Yves Montand, dont ce n’est que le deuxième film".

"À ce contretemps succède le "scandale" de la station Barbès-Rochechouart, dont la reconstitution en studio se révèle hors de prix. C’est pour ce film qu’a été écrite l’immortelle chanson de Jacques Prévert et Joseph Kosma "Les feuilles mortes".

"Les portes de la nuit, aujourd’hui célébrées comme un classique du septième art hexagonal, permettent de retrouver quelques-uns des grands acteurs de l’époque : Pierre Brasseur, Serge Reggiani, Saturnin Fabre, Julien Carette, Raymond Bussières, Dany Robin et Jean Vilar, dans l’une de ses rares apparitions au cinéma".

Hollywood
Il conçoit des décors pour Billy Wilder - il reçoit l'Oscar du meilleur décor pour « La Garçonnière » (1960) et reconstitue l'Angleterre victorienne pour La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes) -, Losey (« Monsieur Klein », 1976), Orson Welles, William Wyler, Jean-Luc Besson, etc.

Avec Willy Holt, Marcel Bogos et Rodica Savin, il a co-signé les décors des Mariés de l'an IIde Jean-Paul Rappeneau, avec Jean-Paul Belmondo, Marlène Jobert, Pierre Brasseur, Sami Frey, Laura Antonelli, diffusé par France 3. 

Cet astucieux « architecte de l’éphémère », excelle autant dans la reconstitution historique (« L’homme qui voulut être roi » (The Man Who Would Be King) de John Huston, 1974) que dans la réalité quotidienne (« Tchao Pantin », de Berri, 1983), et recourt à la perspective pour donner l’illusion de la profondeur - « La Garçonnière », de Billy Wilder, 1960) - ou dramatiser la scène.

Maquettes de décors de films et photos inédites rendent hommage à ce talentueux décorateur de cinéma, peintre et photographe lors d’expositions, notamment à la galerie Berthet-Aittouarès.

La projection de films a accompagné l'exposition à l’Institut hongrois de Paris et à l’Atelier An. Girard en 2003. 

A découvrir : les photographies en noir et blanc de ses voyages ou repérages au Maroc, en Italie et au Kenya. Elles révèlent son sens de la composition et des lumières accentuées...

En 2012, l'Atelier An. Girard a présenté les photographies en noir et blanc prises par Alexandre Trauner lors de ses flâneries ou repérages à Paris de 1937 à 1940. Ce décorateur avait saisi une ville alors populaire, avec ses échoppes, ses métiers, etc.

Arte a diffusé les 23 décembre 2014, 7 et 13 janvier 2015 Fedorade Billy Wilder (1978) dont les décors sont signés par Alexandre Trauner.

Arte diffusa les 27 avril et 15 mai 2015 Le Jour se lève, de Marcel Carné (1939), avec Jean Gabin, Arletty et Jules Berry. La Cinémathèque française a présenté l'exposition Profession Chef décorateur (3 décembre 2014-28 juin 2015) avec des dessins d'Alexandre Trauner.

Le 28 avril 2016, Arte diffusa Othello, d'Orson Welles et le 3 avril 2017 Les Portes de la nuit, de Marcel Carné.

"Les Ciels d'Alexandre Trauner"
Les Ciels d'Alexandre Trauner, (Les Films d'Ici, 2016) est un documentaire réalisé par Vincent Dumesnil : « Le Quai des brumes », « Hôtel du Nord », « Les Visiteurs du soir », « Les Enfants du Paradis », « Le jour se lève » : tous ces grands films du cinéma français ont en commun la magie des décors d'Alexandre Trauner. Plus tard dans sa carrière, l'Amérique lui offre de nouveaux défis. Certaines de ses réalisations sont de véritables chefs d'oeuvre, alliant technique, audace et inventivité : « La Garçonnière », pour lequel il reçut un Oscar, et « Irma la douce », tous deux de Billy Wilder, ou L'homme qui voulut être roi », de John Huston, et son colossal décor en extérieur".

« Les ciels d’Alexandre Trauner » nous plonge dans l’envers des décors du cinéma à travers la vie de l’un des plus grands chef-décorateurs du siècle passé : Alexandre Trauner. Le film s'appuie sur des archives inédites qui révèlent les secrets de fabrication des décors aussi prestigieux que ceux de "Quai des brumes", "Les enfant du paradis" avec Carné et Prévert, "Hôtel du nord", "Coup de torchon", mais aussi en passant par Hollywood, des films d’Orson Welles, de Billy Wilder, de John Huston et bien d’autres. Un enchantement visuel nourri par la voix d'Alexandre Trauner et le témoignage des cinéastes qui l'ont connu dont Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Jeunet.

 Les Ciels d'Alexandre Trauner, par Vincent Dumesnil
 Les Films d'Ici, 2016
Sur Ciné + Classic les 18 janvier 2018 à 12 h 10 et 13 mai 2019 à 12 h 10

Articles sur ce blog concernant :

Cet article a été publié par Actualité juive hebdo en une version concise, et le :
- 26 octobre 2012 sur ce blog alors qu’une collection de lettres, dessins, maquettes, photos et carnets d’Alexandre Trauner (1906-1993) a été mise en vente le 24 octobre 2012 à Drouot (Paris) et que débute l'exposition sur Les Enfants du Paradis de Marcel Carné à la Cinémathèque française ;
- 8 décembre 2013. Arte a diffusé La vie privée de Sherlock Holmes (The Private Life of Sherlock Holmes), de Billy Wilder qui en avait confié le décor à Alexandre Trauner ;
- 23 décembre 2014 ;
- 1er février 2015. Arte a diffusé les 1er,  5, 11 et 16 février 2015 Quai des Brumes, de Marcel Carné (1938) sur un scénario de Jacques Prévert, avec Jean Gabin, Michel Simon, Michèle Morgan, Pierre Brasseur et Robert Le Vigan, et les images étaient signées Eugen Schüfftan ;
- 27 avril et 30 décembre 2015, 27 avril 2016, 3 avril 2017, 18 janvier 2018.

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