vendredi 11 septembre 2015

Léon Barsacq (1906-1969), chef décorateur de cinéma



La Capitale Galerie a présenté, dans l'exposition collective Œuvres sur papier, dessins, peintures, des créations du célèbre chef décorateur de cinéma et de théâtre Léon Barsacq (1906-1969). Né en Russie d’une mère Juive russe et d’un père Français, Léon Barsacq a mis son art du décor au service de l’histoire, associant élégance, fantaisie, réalisme et poésie, dans des chefs-d’œuvre – comédies, drames, reconstitutions historiques - de René Clair, Marcel Carné, Jean Grémillon, Julien Duvivier ou Henri-Georges Clouzot. Arte diffusera le 13 septembre 2015 Les Diaboliques d'Henri-Georges Clouzot, avec Paul Meurisse, Simone Signoret et Véra Clouzot, et des décors signés Léon Barsacq.


« Le décor, conception du réel « imité », avec le minimum de paradoxe que, pour le film, le décor le plus réussi est celui qu’on remarque le moins. C’est à une telle réussite que Léon Barsacq atteignait et pourtant, pour un œil exercé, ce qu’il construisait portait la marque de sa manière. Ainsi, pour le film Porte des Lilas il avait bâti tout un ensemble de rues et de ruelles dont peu de spectateurs, je pense, ont pu mettre en doute la réalité. De ces grands maquilleurs du réel que sont les décorateurs (ou plutôt les architectes) du cinéma, vous trouverez ici l’histoire racontée par un maître de leur art. Grâce au livre que Léon Barsacq rédigea dans les dernières années de sa vie, est gardée la mémoire de ces œuvres dont il ne reste que des ombres fixées sur une pellicule fragile », a écrit René Clair, réalisateur, romancier et essayiste membre de l’Académie française, dans la préface du Décor de film, 1895-1969 de Léon Barsacq (Seghers, 1970 ; rééd. Henri Veyrier, 1985).

Avec Max Douy (1913-2007), Alexandre Trauner (1906-1993), Willy Holt (1921-2007) et quelques autres, Léon Barsacq a été une des grands chefs décorateurs du cinéma, en France et à l’étranger.

De Paris à Hollywood

Léon Barsacq est né en Crimée (alors en Russie, aujourd’hui en Ukraine) d’une mère Juive. Son père était un ingénieur agronome français envoyé par le gouvernement français dans l’empire russe pour y familiariser les paysans avec des méthodes modernes de viticulture ; il décède prématurément. Sa veuve et leurs enfants s’installent en France. André Barsacq (1909-1973), cadet de deux ans de Léon, sera décorateur, costumier, scénographe et metteur en scène ; époux de la nièce du peintre, décorateur et costumier Léon Bakst, il dirigera le théâtre de l’Atelier à Paris.


Formé aux Arts décoratifs de Paris, Léon Barsacq est aussi diplômé d’architecture.


Dans une industrie cinématographique française caractérisée par ses célèbres studios – Pathé-Natan rue Francoeur, Paramount à Saint-Maurice (Val-de-Marne), Studio Albatros à Montreuil, Studios Eclair à Epinay-sur-Seine - situés en Ile-de-France – Joinville-le-Pont, Boulogne-Billancourt – ou à Nice – Studios de la Victorine ou Riviera -, les décorateurs donnent l’illusion de la réalité aux acteurs et aux spectateurs. L’un des plus renommés est Lazare Meerson (1897-1938), dont les plus célèbres assistants ont été Georges Wakhevitch, Eugène Lourié et Alexandre Trauner », écrit Jacques Kermabon.


Léon Barsacq débute comme assistant décorateur d’André Andreïev, de Jean-Barthélémy Perrier (1884-1942) et Robert Gys. Premiers films auxquels il collabore comme décorateur : Chansons de Paris (1934) de Jacques de Baroncelli, Touche-à-tout (1935) de Jean Dréville, Le Coupable (1936) de Raymond Bernard.

Vite remarqué par son talent, Léon Barsacq conçoit et surveille a construction des décors de Yoshiwara de Max Ophuls (1937) – décors cosignés avec son frère André -, La Marseillaise (1938) de Jean Renoir, Lumière d'été (Jean Grémillon, 1943), Les Mystères de Paris (Jean de Baroncelli, 1943), Les Enfants du Paradis (Marcel Carné, 1944).
Pour cette oeuvre magnifique Les enfants du Paradis, ce chef décorateur « collabore avec Alexandre Trauner et Raymond Gabutti », écrit Gregory Volotato. « Trauner a dessiné des maquettes de décor du film », précise Françoise Barsacq, belle-fille du chef décorateur. Et d’ajouter que sous l’Occupation, le patronyme Barsacq d’origine landaise « n’a pas éveillé les soupçons ».

Léon Barsacq déploie une attention aux détails contribuant à la crédibilité immédiate du décor, de la situation, de l’atmosphère, comique ou dramatique, légère ou tendue. Dans des genres divers, adaptations de romans - L'Idiot (G. Lampin, 1946), Michel Strogoff (C. Gallone) 1957 - ou nouvelle - Boule de Suif (Christian-Jaque, 1945) – ou scénarios originaux, en noir et blanc ou dans les nouveaux procédés en couleurs (Violettes impériales (R. Pottier, 1952).

Après-guerre, le nom de Léon Barsacq figure au générique de films, témoignant souvent de la « qualité française », et de pièces de théâtre : Les Dernières Vacances (R. Leenhardt, 1947), Pattes blanches (J. Grémillon, 1948), Le Château de verre (R. Clément, 1950), Maya (Raymond Bernard), Deux sous de violettes (J. Anouilh, 1951), Rome onze heures (Guiseppe de Santis), Le Grand Jeu (Robert Siodmak, 1953), Bel ami (Louis Daquin), Les Diaboliques (H-G. Clouzot, 1954), The Ambassador’s daughter (La fille de l’ambassadeur, Norman Krasna), Pot-bouille (Julien Duvivier), Recours en grâce (László Benedek, 1959), Les joies de la famille (Philippe Hériat, 1961), Trois chambres à Manhattan (Marcel Carné, 1963), La Rancune (The Visit, Bernhard Wicki, 1964), J'ai tué Raspoutine (Robert Hossein, 1966), Phèdre (Pierre Jourdan, 1968)…

Pour René Clair, Léon Barsacq imagine les décors de films aussi variés que Le Silence est d’or (1947) – sur les débuts du cinéma à Paris et l’apprentissage sentimental - jusqu’à Porte des Lilas (1957), via La Beauté du diable (1949) – mythe de Faust -, Les belles de nuit (1952) mêlant onirisme et réalisme dans un montage fluide passant du Paris de la Belle Epoque ou des années 1950 à un Orient rêvé esquissé, et remontant à la Préhistoire -, et Les Grandes manœuvres (1955).
« A défaut de disposer des témoignages qui décriraient par le menu le cheminement de leur collaboration, on peut imaginer que, partant du découpage de René Clair, Léon Barsacq émettait des propositions, auxquelles le réalisateur devait réagir. La confrontation de deux dessins pour le premier plan du film le laisse supposer. Dans l’aquarelle qui apparaît comme une esquisse, quelques éléments sont suggérés : une rue qui débouche sur un manège, des promeneurs, tête baissée sous leur parapluie… Par contraste, le dessin, disons « définitif », une gouache, emprunte un trait si précis, il est si proche tout à la fois du cadrage que de l’action du film que l’on serait presque tenté d’y voir le croquis d’un observateur du tournage. Tout y est, la largeur de l’avenue bien plus conséquente, le bâtiment haussmannien à l’arrière-plan, la forme du manège, jusqu’à la flaque d’eau dans le creux de pavés inégaux. La puissance évocatrice du dessin de Léon Barsacq transparaît tout autant, qu’il dessine la salle du café-concert ou le studio de prise de vue », observe Jacques Kermabon.

Et de louer dans La Beauté du diable « la précision du trait du décorateur, la définition des détails, les jeux d’ombres, le soin apporté aux reflets, qui confirment ce qu’il revendiquait lui-même : la mise en place d’une atmosphère ». Un éloge valable pour les autres maquettes de décor de films éternisant une certaine réalité et nourrissant une certaine nostalgie.

Pour Les aventures de Till l'Espiègle (Gérard Philipe, 1956), Léon Barsacq s’inspire de peintres flamands, dont Brueghel.

Il est nommé aux Oscar pour Le Jour le plus long (The Longest Day, 1962), de Ken Annakin, Andrew Marton et Bernhard Wicki.

Parallèlement à son intense activité de chef décorateur, Léon Barsacq enseigne à l’IDHEC, école de formation aux métiers du cinéma devenue la FEMIS.

« Un grand nombre de maquettes sont visibles à la Bibliothèque Nationale et à la Cinémathèque Française. Des maquettes de Léon Barsacq ont été exposées de son vivant, en France et à l'étranger. Depuis sa mort des maquettes ont été exposées à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris et au Salon d'automne », me confiait Mme Barsacq le 2 novembre 2011.

En 2011, dans l'exposition « Maquettes de décors de films »la Capitale Galerie a présenté 30 aquarelles, lavis, fusain, encres de Chine et pastels du célèbre chef décorateur de cinéma et de théâtre Léon Barsacq.

La Cinémathèque française a présenté l'exposition Profession Chef décorateur (3 décembre 2014-28 juin 2015). L'exposition "est consacrée aux dix dernières années d'enrichissement des collections de la Cinémathèque française et présente environ 150 documents illustrant l'art du décor de cinéma en France. Elle propose un parcours chronologique en trois temps, retraçant l'évolution du métier de l'après-guerre à nos jours.

L'âge d'or des studios (1945-1960). À partir de 1945 et jusqu'aux années soixante, les studios situés autour de Paris tels que Boulogne-Billancourt, Joinville-le-Pont, Saint-Maurice entre autres, permettent à de grands chefs décorateurs comme Max Douy, Léon Barsacq, René Renoux ou encore Alexandre Trauner, d'inventer et de construire les décors de quelques-uns des plus grands films de l'histoire du cinéma français.

Le déclin des studios (1960-1990). Même si la Nouvelle Vague impose de nouvelles pratiques de tournage en extérieur, elle ne met pas fin à l'usage des studios car de nombreux réalisateurs attachés à cette ancienne pratique lui restent fidèles. Cet outil sera encore, durant de nombreuses années, l'allié de la complicité entre des décorateurs et des réalisateurs tels que Jacques Saulnier et Alain Resnais, Pierre Guffroy et Roman Polanski. A partir de la fin des années soixante-dix, de nombreux studios disparaissent, victimes de la spéculation immobilière. Malgré tout, les années quatre-vingt voient la naissance des studios d'Arpajon, anciens hangars à pomme, situés dans l'Essonne et de ceux de Bry-sur-Marne. Témoins du renouveau des studios, ils fonctionnent et s'agrandissent, abritant des tournages aussi variés que prestigieux. À ce jour, les Studios de Paris basés à Saint-Denis leur succèdent.

Aujourd'hui une nouvelle génération de décorateurs est confrontée à d'autres défis : délocalisations des tournages dans les studios des pays de l'Est moins coûteux pour les producteurs, évolution des techniques du numérique. Malgré tout, des décorateurs comme Jean Rabasse, William Abello, Anne Seibel, Jean-Marc Kerdelhué et Olivier Raoux perpétuent chacun à leur manière la tradition des chefs décorateurs. Et qu'ils aient étudié l'architecture, les Beaux-arts, la décoration ou qu'ils aient appris sur le « tas », ils restent pour plusieurs générations encore, les « architectes du rêve ».


Jusqu'au 14 mars 2015
Jusqu’au 19 novembre 2011
A la Capitale Galerie 

18, rue du Roule, 75001 Paris
Tél. : 01 42 21 19 31
Du lundi au samedi de 11 h à 13 h et de 14 h à 19 h 30

Visuels : ©  Léon Barsacq/DR
Bel Ami II
Maquette
Aquarelle
Le Silence est d’or II
Maquette
Encre

Dessins de Léon Barsacq pour Le Silence est d'or de René Clair, 1946
©  ADAGP, Paris 2014

Articles sur ce blog concernant :
- Chrétiens 

Cet article a été publié le 13 novembre 2011, puis le :
- 4 novembre 2012 à l'approche de la diffusion le 5 novembre 2012, à 20 h 50, des Enfants du Paradis de Marcel Carné par Arte ;
- 12 mars et 11 septembre 2015.

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