mardi 9 septembre 2014

Quel avenir pour les Juifs en France ?


 Le 12 décembre 2010, s’est tenu à Paris le colloque éponyme annuel de l’UPJF (Union des patrons et professionnels juifs de France). Une après-midi de tables-rondes animées par Michel Zerbib, directeur de la rédaction de Radio J, devant un public réactif.


Dans l’Espace Pierre Cardin bien rempli - plus de 500 spectateurs, au premier rang desquels Dominique Lunel, qui assure l'interface entre la communauté juive française et le secrétaire général de l'Elysée Claude Guéant, Christine Boutin, ancienne ministre, Ferhat Mehenni, président en France du Gouvernement provisoire kabyle, et Hassen Chalghoumi, imam de la mosquée de Drancy -, intellectuels, religieux et politiques ont brossé un portrait de la situation des Juifs en France dix ans après le déclenchement de l’Intifada II par Arafat.

Avec en filigrane la question : que doivent faire les Juifs français : partir ou rester ? Le consensus demeurait : « Il va falloir lutter » et vraisemblablement forger des alliances autour des valeurs françaises, républicaines, et avec d’autres groupes ou communautés.

Antisémitismes
La France traverse une crise économique – effets de la mondialisation et du marché unique -, politique - l’intégration européenne a réduit la souveraineté nationale d’une France marquée par le centralisme étatique -, sociale et d’identité. Le terme « crise » est-il adéquat pour désigner un phénomène durable, structurel et qui s’approfondit ?

La France affronte « le problème de la non-intégration de l’islam dans le schéma républicain », a précisé Shmuel Trigano, professeur à l'université Paris X. A la différence du christianisme et du judaïsme qui s’est réformé au début du XIXe siècle (Sanhedrin, Consistoire) sous la férule de l’empereur Napoléon 1er, l’islam a en France, car l'Etat n'a pas su exiger de lui sa réforme, de facto (nolens volens) un « statut de religion la plus favorisée sans s’intégrer dans l’Etat » et sans avoir renoncé à ses ambitions politiques. Et Shmuel Trigano de dénoncer le « discours sur la réalité qui fait écran à la réalité ».

Les Juifs ? « Un consensus né après la Shoah pour leur accorder un minimum de considération dans la société française a volé en éclat. La diabolisation d’Israël est commune. Un « phénomène Dieudonné » et apparu. Aux Juifs incombent la charge de la preuve dans les débats », a résumé le journaliste-écrivain Michel Gurfinkiel.

« Dans les années 200, un antisémitisme nouveau, moral est apparu dans l’immigration et les médias. Il s’est développé dans le silence de l’Etat et de la presse », a renchéri Shmuel Trigano, sociologue, qui a souligné le danger pour les Juifs dans des zones de non-droit ou dans certains établissements scolaires publics.

« Antisionisme et antisémitisme sont deux mots synonymes », affirmait Guy Konopnicki, journaliste-écrivain. Une opinion partagée par Claude Goasguen, maire du XVIe arrondissement de Paris.

A ceux qui s’indignaient des propos de Marine Le Pen évoquant l’occupation dans sa diatribe contre les prières de musulmans sur les trottoirs et les chaussées, Me Gilles-William Goldnadel, président de l'association France-Israël, rappelaient les amalgames, par nombre de politiciens et d'associations, entre la situation des Roms en France et l’occupation, et il exhortait à la vigilance à l’égard de tous les extrêmes, de droite et de gauche et l’islamo-gauchisme. Des mouvements d’extrême-gauche n’hésitant pas à s’allier à des islamistes et à défiler dans des manifestations anti-israéliennes.

Cet antisémitisme actuel a été nié par Robert Ménard, journaliste à I-Télé, qui n’a présenté ni argument ni statistique à l’appui de ses allégations qui ont suscité l’ire d’un public tendu. La directrice de Causeur.fr, Elisabeth Lévy, qui a défendu la liberté d’expression de son collègue, a rappelé que les « musulmans ne sont pas les Juifs des années 1930 ».

Très applaudi comme François d’Orcival de Valeurs actuelles et primé par un prix de l'UPJF, Ivan Rioufol a « donné raison aux Juifs pour leur inquiétude ».

Et Laurent Cathala et François Pupponi, maires socialistes respectivement de Créteil (Val-de-Marne, banlieue Sud-est de Paris) et Sarcelles (Seine-Saint-Denis, banlieue Nord de Paris), ont décrit leurs efforts pour que les Juifs puissent « vivre leur judaïsme en sécurité » dans ces deux villes importantes. Ont aussi été évoquées les migrations des Juifs franciliens quittant, quand ils en ont les moyens financiers, des quartiers ou cités où leur vie est devenue difficile pour d’autres quartiers ou villes. Sarcelles a cédé récemment à Créteil son rang de ville accueillant la communauté juive la plus importante en Ile-de-France.

Prônant le vivre-ensemble avec les Juifs, Hassen Chalghoumi, imam de la mosquée de Drancy (Seine-Saint-Denis) a exhorté à un « islam de France » et souhaité que les musulmans soient libérés en France des influences étrangères (saoudiennes, algériennes, etc.) et des « fanatiques » sur leurs mosquées.

Le rabbin Olivier Kauffmann a déploré l’insuffisance d’actions dirigées vers les jeunes Juifs, notamment l’absence d’éducation sur Sion, sur le sionisme, sur l’histoire juive au sein de mouvements de jeunesse juive.

Optimistes, Armand Laferrère, ancien conseiller du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy, et le père Patrick Desbois, directeur du Service national des évêques de France pour les relations avec le judaïsme et président de l’association Yahad In Unum, ont rappelé « la force de vie » représentée par la Bible.
Remettant le Prix de l’UPJF 2010 de la lutte contre l’antisémitisme au père Patrick Desbois, Dominique Lunel,  a annoncé une décision prochaine afin de résoudre l’affaire liée à la sanction – suspension de quatre mois - ayant frappé fin août 2010 Catherine Péderzoli, professeur d’histoire et de géographie organisatrice à Nancy de voyages scolaires de la Mémoire de la Shoah à Auschwitz (1). Elle a rappelé l’attention du Président de la République Nicolas Sarkozy à l’enseignement de la Shoah.

Quant à Jacques Kupfer, il s’est montré critique à l’égard des médias français qui parlent de « mettre fin à la colonisation en Cisjordanie ou dans les territoires palestiniens » et évitent ainsi de dire qu’ils ne veulent pas de « Juifs en Judée et en Samarie ». La « Palestine » ? Existent déjà l’Autorité palestinienne, le Hamastan, et la Jordanie…

Les réactions du public ont démontrées sa sensibilité aux problèmes évoqués.

De ces réflexions pertinentes, de ces interrogations légitimes et de ces angoisses graves et actuelles de Juifs français, rien n’a filtré dans les médias nationaux non communautaires, privés ou publics.
Pire, France Télévisions vient de confier à Ego Productions, dirigée par Pascale Breugnot, la réalisation d’une sitcom sur « l'histoire d'une famille juive qui, à la mort du père de la tribu va découvrir que celui-ci avait de très nombreuses femmes qui vont toutes se battre pour l'héritage du défunt et face à ces querelles, la famille va exploser ».

On retrouve dans ce synopsis un mélange détonnant d'un stéréotype antisémite – l'appât du gain guide les Juifs -, et de clichés sur « la tribu » et une « polygamie » qui ne concernent pas les Juifs français. Et cette fin annoncée : la famille juive n’existera plus ! Sans famille juive, plus de Juifs.

La sitcom serait diffusée en 2011.

Après l’affaire al-Dura (2000), après des reportages biaisés durant l'Intifada II, lors de la guerre israélienne Plomb durci contre le Hamas dans la bande de Gaza ou l’arraisonnement par Israël du navire turc Mavi Marmara, après la remise du Grand Prix France Télévisions du documentaire et du reportage méditerranéens à Samir Abdallah et de Kheridine Mabrouk, réalisateurs du partial « Gaza-Strophe, le jour d’après » (1er décembre 2010) lors d'une cérémonie aux discours anti-israéliens, France Télévisions inaugure ainsi 2011.

On peine à saisir la neutralité d'un service public français audiovisuel problématique.

J'ai interrogé Ego Productions et France Télévisions. Sans recevoir de réponse.

Le 27 novembre 2013, France 2 a diffusé les deux premiers épisodes de La famille Katz, ce soir, première soirée de la fête juive de Hanoucca. Produite par Ego Production, la série est réalisée par Arnauld Mercadier sur un scénario de Thalia Rebinsky. Il y est question d'un Juif ashkénaze ayant fondé plusieurs familles, de la recherche de millions d'euros dont Osie Katz, grand-père souffrant de la maladie d'Alzheimer, ne sait plus comment il les a utilisés... Les enfants du défunt se disputent lors de l'enterrement, fêtent Noël, etc. Quand Roméo, un des petits-fils du défunt, qui ne sait pas nager, plonge sciemment dans une piscine, aucun de ses deux frères, pourtant des nageurs accomplis, vêtus de leurs  maillots de bains et debout sur un plongeoir, ne plonge pour le sauver de la noyade.


(1) Le rectorat de l’académie de Nancy-Metz a annoncé début janvier 2011 que Catherine Péderzoli-Ventura était réintégrée en étant nommée au lycée Henri-Poincaré, établissement prestigieux de Nancy. Une sanction de niveau 2 ; l’échelle des sanctions en compte quatre.
Dominique Lunel est la mandataire officielle des 21 associations, cultuelles ou laïques, et du Comité de soutien et des personnalités ayant soutenu cette enseignante « dans ce combat juste et équitable ». Ont apporté un soutien majeur à cette enseignante : Serge Hajdenberg et Michel Zerbib, respectivement président et directeur de l’information de Radio J, radio juive francilienne.
Très active dans ce combat, Dominique Lunel a rappelé : « Nous devons rester vigilants pour protéger les enseignants et toutes les associations ou personnes témoignant ou enseignant la Shoah, l’Histoire et la mémoire ».
Dominique Lunel a souligné « l’implication totale sur ces sujets du Président de la République Nicolas Sarkozy (discours au dîner du CRIF le 13 février 2008), de Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, François Fillon, Premier ministre, Jean-Baptiste de Froment, conseiller Education à l’Elysée, et Luc Chatel, ministre de l’Education nationale, qui ont permis d’être fermes, au-delà des personnes, sur les valeurs de l’enseignement de la Shoah, de la mémoire, de l’Histoire et de la laïcité, un des piliers fondamentaux de la République française ».
« Nous connaissons plusieurs cas où l’enthousiasme de professeurs à enseigner la Shoah à leurs élèves a entrainé des réactions hostiles de certains de leurs collègues ou auprès de la hiérarchie locale… Nous avons discuté avec le ministère des dossiers qui nous paraissaient le plus problématiques et nous attendons que des solutions soient trouvées… L’enseignement de la Shoah est en danger s’il ne se confronte pas à ses nouveaux défis et aux problèmes de l’avenir, dont l’effacement inéluctable des témoins n’est pas le moindre. Mais répétons-le : cet enseignement est exemplaire dans notre pays, il est porté par des hommes et des femmes dont l’engagement est admirable et il est soutenu sans faille par les autorités, à commencer par le plus haut niveau de l’Etat », a écrit Richard Prasquier, président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), le 4 janvier 2011.

ADDENDUM
Le 8 septembre 2014, le vénérable magazine Juif américain Forward a publié l'article French Jews, Escaping to Israel Is Not the Answer (Juifs français, fuir en Israël n'est pas la réponse) de Laurent-David Samama. 
Pourquoi avoir exhorté ses compatriotes et coreligionnaires à demeurer en France dans un article en anglais publié par un magazine américain ? Un tel article en français n'aurait-il pas eu plus d'audience chez le public visé ? A moins que l'auteur ait voulu assurer aux  Américains Juifs que tout va bien en France, que le gouvernement Valls lutte avec efficacité contre l'antisémitisme et que les Français Juifs ont tort de songer au départ, etc. A lire les commentaires des Internautes, Laurent-David Samama n'a pas convaincu ces derniers. 
Il y oublie de citer l'assassinat de Sébastien Selam en 2003, l'extrême-gauche antisioniste, etc. Pourquoi ? 
Il y épingle la nouvelle orientation de L'Arche. Il déplorZ le récent focus croissant sur l'Etat d'Israël de L'Arche qui "perd lentement son identité socialiste". Il allègue avoir réuni lorsqu'il en était le rédacteur en chef "une équipe de penseurs établis populaires et de nouveaux écrivains prometteurs pour dire aux lecteurs comme il était intéressant d'être un Juif en France - en opposition aux regards toujours tournés vers Israël. Cette ligne éditoriale a échoué. Nos lecteurs ne pouvaient absolument pas accepter le changement. Ils étaient - et malheureusement sont toujours - plein d'informations biaisées venant de blogss et de sites Internet non professionnels". Bref, ce n'est pas de la faute de Laurent-David Samama, mais celle des lecteurs  et de la direction du FSJU qui a mis un terme prématuré à cette orientation. N'y avait-il pas d'autres raisons ? Quel dommage que Laurent-David Samama ne nomme pas ces "penseurs établis populaires" et ces "nouveaux écrivains prometteurs" Pourquoi cet homme de gauche n'informe-t-il pas ses lecteurs que s'il a manifesté de l'intérêt pour mon dossier sur les Juifs Noirs, il ne l'a pas publié dans L'Arche ? Pourquoi L'Arche devrait-il avoir une "identité socialiste" ? Il est financé par le FSJU qui doit respecter un principe de neutralité. A se positionner à gauche sur l'échiquier politique français, il s'éloigne d'une partie non négligeable des Français Juifs. Quelles "informations biaisées" ? Quels "sites non professionnels" ? Deux liens Internet renvoient vers Dreuz et vers JSSNews. Nous attendons leur réponse avec intérêt. Laurent-David Samama croit-il qu'il soit si facile de créer un blog ou site Internet, de l'alimenter en informations, de le faire monter en puissance, et de tromper les Internautes par un contenu erroné ? 
Il écrit aussi : "En France, une diversité d'opinions peut encore être exprimée en politique et dans les médias". Mais non, le "politiquement et islamiquement correcte" caractérise la classe politique et les médias français. Ce qui explique le fossé croissant entre eux et les Français lambda. Laurent-David Samama conclut : "La fuite est-elle vraiment la solution ? L'aliyah résoud-elle tous les problèmes des Juifs français (sécurité, jobs, éducation) ? Tous les Juifs qui se précipitent en Israël croient-ils vraiment qu'il est plus facile d'être une part d'un pays constamment en guerre, une terre jamais apaisée, un Etat sous la constante menace d'attaques terroristes et de la montée possible d'une nouvelle Intifada ? La France souffre probablement de problèmes sociaux profonds, d'une incapacité à intégrer ses récents immigrants et d'une organisation politique désespérément datée, mais elle demeure un des pays les plus paisibles et beaux au monde. Aussi longtemps que cela ne change pas, il y aura toujours un avenir pour les Juifs en France". Cette description de l'Etat d'Israël, dénuée de toute spiritualité, est étonnante et affligeante. La France ne vit-elle pas au rythme des Intifadas : émeutes urbaines récurrentes, manifestations violentes de la "rue arabe", d'un niveau élevé du nombre d'agressions antisémites, etc. Pourquoi ne pas nommer des immigrants musulmans ? Dans ce beau pays de France, Laurent-David Samama arborerait-il une étoile de David ou une kippa, par exemple à Barbès ou en Seine-Saint-Denis ? 

Pour les Juifs espagnols au XVe siècle, pour les Juifs allemands des années 1930, pour les Juifs marocains dans les années 1960, la fuite a été la solution. Et l'affaire du Dr Krief prouve que nous n'en sommes pas si loin.

Le 17 septembre 2014, le CRIF a organisé une grande réflexion « Apaiser la société pour mieux vivre ensemble ? » à  l’Espace Rachi. "Vivre dans une société apaisée, où les différences de religion, de couleur, d’origine ne créent pas de conflit impose de redonner corps à notre société. Il faut donner du sens à la fraternité et impulser, encourager les initiatives pour mieux vivre ensemble, partager des expériences, des acquis, des réflexions et interroger les acteurs de terrain". La seconde des deux tables-rondes, "animée par André Benayoun, est composée des personnalités issues du monde religieux ou du dialogue interreligieux s’articulera sur la question de « Comment le message religieux peut-il aider à vivre avec l’Autre ? » avec le Pasteur François Clavairoly, président de la Fédération Protestante de France, Marie Stella Boussemard, présidente de l’Union Bouddhiste de France, Fatima Messaoudi, rectrice de la mosquée d’Antony, le Rabbin Michel Serfaty, président de l’Amitié judéo-musulmane de France et le Père Antoine Guggenheim, directeur de recherches au Collège des Bernardins". Le bouddhisme menace-t-il le vivre-ensemble ou/et les Français Juifs ? Je ne le pense pas.


Deux rendez-vous
Michel Zerbib et Guy Rozanowicz dirigeront sur Radio J, le dimanche 23 janvier 2011 à 15 h 30 l’émission spéciale La nouvelle donne du Front national de Marine Le Pen. Il y a invité diverses personnalités et experts dont Dominique Lunel et l’historien Pierre-André Taguieff.

L’UPJF organisera la table-ronde Attaques contre les chrétiens d'Orient : la réponse des démocraties face à l'intolérance islamiste animé par Michel Zerbib le mardi 25 janvier 2011, à 19 h, à la Mairie du XVIe arr. de Paris : Salle des Fêtes, 71, avenue Henri Martin, 75116 Paris. Tél : 06 25 30 72 10 ; e-mail : contact@upjf.org

A lire sur ce blog :

Article publié le 23 janvier 2011, et modifié pour la dernière fois le 4 décembre 2013. Il a été republié le :
- 27 novembre 2013. La sitcom évoquée dans cet article est diffusée sous le titre La famille Katz par France 2, ce soir, à 20 h 45, première soirée de la fête juive de Hanoucca. Produite par Ego Production, la série est réalisée par Arnauld Mercadier sur un scénario de Thalia Rebinsky.


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