mardi 2 janvier 2024

« Le procès des templiers. 1307 Le rouleau d'interrogatoire »

Les Archives nationales – Paris proposent, dans le cadre de leur nouveau cycle Les Remarquables, l’exposition « Le procès des templiers. 1307 Le rouleau d'interrogatoire ». « Une immersion dans l’une des plus grandes « affaires » de l’Histoire : l’arrestation des templiers, décidée par le roi de France Philippe le Bel. À travers un impressionnant rouleau de parchemin, sur lequel fut consigné l’interrogatoire mené par l’inquisiteur du royaume de France de 138 templiers ».

« Popularisée par de nombreuses œuvres de fiction, l'épopée templière se résume souvent au destin tragique d'une communauté de moines chevaliers injustement persécutée. Cette chute inattendue survient après une période faste de deux siècles qui les a vus étendre l'influence des royaumes d'Occident jusqu'à Jérusalem et au Proche-Orient. »

« Comment cet ordre religieux et militaire – si puissant qu'il dialoguait avec les souverains d'Europe et gardait même le trésor de certains d'entre eux – a-t-il pu être accusé d'hérésie par le roi de France de l'époque, Philippe IV le Bel, et dissous par la plus haute autorité spirituelle, le pape Clément V ? »

A l'automne 2023, les Archives nationales ont inauguré leur nouveau cycle d'expositions Les Remarquablesqui succède au cycle des « Essentiels » inauguré en 2021avec le rouleau d'interrogatoire des templiers de 1307. Un "document iconique de l'histoire de la nation". Ce nouveau cycle présente, dans le même dispositif clair, didactique, associant panneaux concis, archives sous vitrine, et audiovisuel, "des documents mémorables par leurs illustres auteurs, étonnants par leur forme inattendue ou émouvants par leur contenu. Il reflète ainsi la grande diversité chronologique, matérielle et thématique des fonds des Archives nationales ; il plongera à nouveau le visiteur au cœur de l’histoire. C’est le public qui a bâti la suite du cycle des « Remarquables » en choisissant, parmi une liste de treize documents, ceux qui seront présentés dans les mois et les années à venir », a écrit Bruno Ricard, Directeur des Archives nationales.

Ce « document, placé au cœur de l'exposition, plonge le visiteur dans l'une des plus grandes « affaires » de l'Histoire : l'arrestation des templiers décidée par le roi de France, Philippe IV le Bel. »

« Véritable « machine à remonter le temps », ce rouleau consigne l'interrogatoire de 138 templiers par l'inquisiteur du royaume de France. Plus de sept cents ans après les faits, il permet de ressentir, avec la même intensité, le poids des mots et la violence des actes. »

« Ce rouleau d'interrogatoire permet d'appréhender le conflit sous-jacent entre le roi de France et le pape. Il est remarquable à plusieurs titres, par le nombre de personnes impliquées dans les faits relatés, sa longueur – 22 mètres, dont 3 dévoilés au public –, son très bel état de conservation et la quantité de témoignages accablants qu'il contient (seulement quatre n'avouèrent rien). »

« Entre les lignes se dessine la bataille entre deux conceptions du pouvoir : d'un côté, une souveraineté royale, qui souhaite s'affranchir de toute ingérence papale dans le royaume, voire se substituer à une autorité spirituelle jugée défaillante ; de l'autre, une théocratie pontificale qui réaffirme sa suprématie sur tout gouvernement séculier. »

Un livret de visite didactique, gratuit, en trois langues, est disponible.

Le Commissaire scientifique est Jean-François Moufflet, conservateur en chef du patrimoine, département du Moyen Âge et de l'Ancien Régime, direction des Fonds, Archives nationales.

La Commissaire technique est Marine Benoit-Blain, service des expositions, département de l'action culturelle et éducative, direction des Publics, Archives nationales.

Autour de l'exposition, sont proposées des Visites guidées pour les individuels, et des conférences :
- Philippe le Bel et le procès des templiers. Le roi de France pape en son royaume, par Julien Théry, professeur en histoire médiévale à l'université Lumière-Lyon II
Les Templiers font de la résistance ! Enquête sur les arrestations et les persécutions menées dans le royaume de France, par Alain Demurger, maître de conférences honoraire en histoire médiévale à l'université Paris I Panthéon Sorbonne
- L'orchestrateur du procès des templiers. Guillaume de Nogaret et les affaires du royaume, par Sébastien Nadiras, conservateur en chef du patrimoine aux Archives nationales. 

Le rouleau d'interrogatoire a été présenté lors de la Nuit du Droit. 


« LES PAUVRES CHEVALIERS DU CHRIST ET DU TEMPLE DE SALOMON »
« L’ordre du Temple est une création originale de la Chrétienté médiévale qu’il faut avant tout replacer dans le contexte spirituel et politique qui l’a vu naître : celui du début du xii e siècle et de l’engouement suscité par la première croisade, ce pèlerinage armé prêché par le pape Urbain II en 1095. » 

« L’expédition de chevaliers occidentaux, qui devait libérer les voies du pèlerinage vers Jérusalem, avait réussi au-delà des espérances en conquérant la cité du Christ et un certain nombre de territoires du Proche-Orient dont elle devint la capitale et que l’on nomma les États latins d’Orient. Désormais, l’enjeu n’était plus seulement de garantir aux pèlerins leur sécurité, mais également de défendre ces territoires. »

« La naissance des templiers est directement liée à ces événements. Une petite confrérie de chevaliers, menée par le champenois Hugues de Payns, installée à Jérusalem, dévouée à la protection des religieux et des pèlerins, souhaita embrasser le mode de vie monastique en suivant une règle et en faisant voeu de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. L’idée fut acceptée au concile de Naplouse de 1120 et le roi de Jérusalem Baudouin II installa cette milice de « pauvres chevaliers du Christ » dans une partie de son palais, à l’emplacement de la mosquée al-Aqsa, réputé être le site de l’ancien temple de Salomon, dont elle va dès lors tirer son nom. L’ordre religieux-militaire vit son existence reconnue en Occident par le concile de Troyes de 1129 et confortée par la caution théologique des plus grands noms, notamment saint Bernard, qui en peaufina la règle. Tels étaient donc les templiers, alliage révolutionnaire de deux éthiques que tout opposait jusque-là, celles du moine et du chevalier, et qui incarnaient l’accomplissement d’un idéal chrétien promu par l’Église vis-à-vis des chevaliers. »

« Combattant les ennemis terrestres, luttant par leur ascèse contre les ennemis spirituels, ils avaient le droit légitime de tuer tout en garantissant leur salut… »

« Les moines chevaliers bénéficièrent sans surprise de l’appui décisif de la papauté. En ces temps de réforme grégorienne qui visait à établir la suprématie du spirituel (le pouvoir sur les âmes) sur le temporel (le pouvoir sur les corps), cette milice du Christ, placée directement sous la juridiction pontificale, était la parfaite analogie du bras armé mis au service de la foi. Afin que le Temple puisse soutenir le front des États latins, dont il protégeait et sécurisait l’accès en y établissant des forteresses, il lui fallait disposer de ressources et de richesses qu’il tirait notamment de dons, de rentes et de l’exploitation foncière de ses commanderies, monastères qui essaimèrent dans tout l’Occident et où l’on recrutait les frères. »

« Dès 1139, le pape accorda à l’ordre de nombreux privilèges, réitérés à maintes reprises : ils obtinrent notamment des exemptions de taxes. Les commanderies étaient des espaces qui échappaient d’une certaine manière à l’emprise tant du roi de France que du clergé séculier. »

« L’ordre se distinguait par son organisation pyramidale. Les commanderies étaient rassemblées dans des échelons régionaux, les provinces, dirigées par des maîtres ou précepteurs. Au sommet, la maison centrale de l’ordre et son grand maître, dont le siège, logiquement installé à Jérusalem, fut transféré après la perte de cette dernière à Acre et enfin Chypre. Au moment de sa chute, le Temple marquait ainsi de son empreinte, depuis presque deux siècles, les villes et les campagnes de l’Orient comme de l’Occident, en passant pour le plus puissant des ordres religieux. »

« Le sceau aux deux cavaliers combattant à la lance sur la même monture est utilisé depuis la seconde moitié du XIIe siècle. Il forme d’abord l’avers de la «boule» ou bulle du Temple, un sceau biface qui comporte au revers la représentation de la Coupole du Rocher à Jérusalem. Avec la création en 1164 d’une charge de « visiteur cismarin », une sorte d’ambassadeur permanent en Occident représentant le grand maître, le sceau aux deux cavaliers lui est attribué et porte la légende suivante : « Sceau des chevaliers du Christ » (Sigillum militum Christi). Cette iconographie unique sur un sceau symbolise le vœu de pauvreté des templiers qui renoncent à la propriété personnelle de leur cheval, et de leurs armes. Ce sacrifice des chevaliers, si attachés à leur mode de vie aristocratique, va de pair avec la vie commune et le devoir de solidarité qui leur sont imposés par la règle de l’ordre. C’est ce souci de la collectivité, avant l’intérêt personnel, qui a fait leur force sur les champs de bataille ».

AUX ORIGINES DE L’AFFAIRE DES TEMPLIERS
« L’arrestation générale des templiers du royaume de France, à l’aube du 13 octobre 1307, et la persécution dont ils furent la cible dans toute l’Europe ont fait naître un mythe qui n’a cessé de fasciner. »

Le contexte est le djihad et le refus d'autorités musulmanes en Terre Sainte d'autoriser les pèlerins chrétiens à se rendre dans leurs lieux saints. Ce qui induit la Première Croisade.

« Né dans l’effervescence de la première croisade, l’ordre des « pauvres chevaliers du Christ et du Temple de Salomon » avait pour vocation de protéger les lieux saints et les pèlerins qui s’y rendaient, venus de toute la chrétienté. Leur réputation de guerriers ne cessa de grandir au cours des combats incessants qu’il leur fallut mener pour défendre la Terre sainte. Les rois de France s’appuyèrent sur eux pour mener leurs croisades. La chute brutale de l’ordre apparut d’autant plus incompréhensible. » 

« Vers 1300, l’ordre du Temple ne paraît pas plus menacé que celui des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Philippe le Bel lui-même témoigne aux templiers respect et soutien en réinstallant, en 1303, le siège de son Trésor dans l’enceinte du Temple de Paris. Il s’y abrite même lorsque l’émeute populaire gronde dans sa capitale, en 1306. »

« Néanmoins, cette position privilégiée se voit menacée par l’évolution dramatique des relations franco-pontificales et de la situation en Orient. Les tensions entre le roi et le pape de l’époque, Boniface Vlll, tournent à l’affrontement lorsque les prétentions du pape, au pouvoir universel, deviennent inacceptables aux yeux d’un souverain qui veut rester « empereur en son royaume ».

« C’est Guillaume de Nogaret, principal ministre de Philippe le Bel, qui mène la charge et chevauche jusqu’à Anagni (Italie) pour mettre le pontife en accusation (1303). Une fois la papauté fragilisée, la voie est ouverte vers la mise au pas de ses affidés et, au premier chef, des templiers. »

« Quant à la défense de la Terre sainte, elle obsède toujours les chrétiens d’Occident. »

« Repliés à Chypre, templiers et hospitaliers disposent de moyens militaires et financiers trop faibles pour reconquérir Jérusalem, ou même les petits territoires côtiers perdus en 1291, après la chute d’Acre. Il est alors fait pression sur les deux ordres pour qu’ils fusionnent en une seule institution. La position des templiers devient encore plus délicate lorsque se multiplient, en 1305-1306, les accusations d’anciens frères et des rumeurs sordides sur les pratiques de l’ordre. Elles ébranlent la confiance du roi vis-à-vis de la milice du Temple et de son grand maître, Jacques de Molay. »

Les templiers à Paris
« À l’exception de quelques noms de rue dans le quartier du Marais, à Paris, il ne subsiste quasiment aucun vestige du plus grand établissement templier d’Europe. Il formait alors une petite cité aux portes de la capitale, peuplée notamment d’artisans. »

« Entouré d’une muraille haute de huit mètres, l’enclos du Temple formait un quadrilatère qui s’appuyait, à l’ouest, sur la rue du Temple et qui était encadré par les actuelles rues de Bretagne, de Picardie et Béranger. 
Les templiers s’y installèrent vers 1140 alors que la zone était marécageuse ; elle demeura à l’extérieur du rempart parisien jusqu’au règne de Charles V (1364-1380). »

« En 1792, la superficie de ce territoire était de 125 hectares. Lieu de résidence du maître du Temple lorsqu’il n’était pas en Orient, l’enceinte fortifiée comprenait une petite tour carrée au nord de l’église et un imposant donjon plus au sud. Haut de 50 mètres et renforcé d’une tourelle ronde à chacun de ses angles, celui-ci présentait une silhouette bien reconnaissable sur les enluminures médiévales. »

« L’enclos comprenait des bâtiments pour loger les frères, de vastes écuries et un cimetière accolé à l’église qui était célèbre pour sa rotonde du XIIe siècle, construite à l’imitation de celle du Saint-Sépulcre de Jérusalem, dont les templiers avaient la garde. Elle fut détruite en 1796 ».

« Après l’arrestation des templiers, le site passa aux hospitaliers. Le grand prieur de l’ordre de Malte y édifia un palais à la fin du XVIIe siècle, avec une cour caractéristique en forme de fer à cheval. À la Révolution, la tour du Temple devint la prison de la famille royale en 1792-1793. Napoléon Ier la fit démolir en 1808. L’hôtel du grand prieur accueillit le ministère des Cultes sous l’Empire, avant de disparaître, lui aussi, en 1854. »

LES PRINCIPAUX PROTAGONISTES
« Philippe IV, dit « Philippe le Bel » (1268-1314), fils de Philippe III le Hardi et de l’infante Isabelle d’Aragon, petit-fils de Louis IX, est roi de France de 1285 à 1314. Son règne est marqué par plusieurs affaires judiciaires, dont la plus retentissante est le procès des Templiers. Tenant d’un pouvoir centralisé, il symbolise la naissance de l’État moderne, en poussant à leur paroxysme les sources de conflit avec la papauté qui étaient latentes depuis des décennies.

Bertrand de Got (1264-1314), d’origine gasconne, succède à Benoît XI, pape éphémère après Boniface VIII, et devient souverain pontife en 1305 sous le nom de Clément VMalgré son soutien à l’ordre du Temple et ses tentatives pour reprendre la main sur le cours du procès des templiers, il est contraint à sa dissolution lors du concile de Vienne, en 1312. Il décide de transférer les biens des templiers, à titre perpétuel, à l’ordre des hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem.

Guillaume de Nogaret (1260-1313) est un juriste français, engagé au service de Philippe le Bel dès 1295, dont il devient garde du Sceau en 1307. Il guide alors le monarque dans sa politique religieuse et  intérieure. À l’origine de l’accusation d’hérésie du pape Boniface VIII, il met tout en oeuvre pour déstabiliser la papauté, allant jusqu’à l’attentat. Il tient un rôle central dans l’arrestation, puis la condamnation des templiers.

Jacques de Molay (v. 1245-1314) est élu, après avoir combattu en Terre sainte, grand maître de l’ordre du Temple en 1291. Il est arrêté à Paris le 13 octobre 1307, puis interrogé parmi les 138 templiers emprisonnés à Paris, où il livre des aveux minimaux. Après la suppression de l’Ordre, une commission pontificale, composée de cardinaux favorables à Philippe le Bel, le condamne à la prison à vie en 1314. Reniant ses aveux, il est envoyé au bûcher dressé sur l’île aux Juifs, face à l’Île de la Cité, où il meurt. »
« Au Moyen Âge, la physionomie du centre de Paris diffère considérablement de celle que nous connaissons aujourd’hui. L’île de la Cité constitue alors une sorte d’archipel. Il se compose notamment de l’île aux Juifs, théâtre de nombreuses exécutions dont celle de Jacques de Molay, le grand maître des templiers, en 1314. Le lieu où son bûcher fut installé correspond à l’actuelle place Dauphine, et plus particulièrement sa pointe ouest où se dresse la statue équestre d’Henri IV, sur le Pont-Neuf. »

« DE LA DISCORDE AU PROCES »
« Malgré eux, les templiers deviennent les victimes d’un affrontement idéologique entre deux visions des rôles respectifs des pouvoirs spirituel et temporel. La pomme de la discorde ? Une bulle pontificale de 1298, qui confirme les privilèges et exemptions fiscales accordés aux templiers. »

« Du fait de leur mission primordiale en Orient, les templiers sont exemptés des décimes, ces impôts versés aux papes par tous les ecclésiastiques pour la croisade et la défense de la Terre sainte. Lorsque le pape transfère la perception de ces décimes aux souverains européens, le Temple en reste exempté. Cette situation particulière devient vite intolérable lorsque Philippe le Bel recherche à tout prix des revenus supplémentaires. »

« Dès lors, une entreprise de désinformation se met en marche pour discréditer les templiers, dans laquelle Guillaume de Nogaret prend une part des plus actives. On lui doit la sophistication rhétorique utilisée dans la missive adressée secrètement le 14 septembre 1307 par Philippe le Bel à ses agents locaux (baillis et sénéchaux). Il y restitue son effroi face à « l’égarement » des frères du Temple. »

Des rumeurs aux preuves
« Décidée le 14 septembre 1307, l’arrestation simultanée de tous les templiers du royaume, un mois plus tard, est inattendue. Peu de frères ont vu le coup venir et réussi à s’enfuir. »

« Agissant à la marge du droit légitime, puisque seul le pape avait autorité sur l’ordre, Philippe le Bel mène une politique de harcèlement continu envers Clément V pour le forcer à ouvrir le procès du Temple, ce qui revient à admettre les torts dont on l’accusait. »

Philippe le Bel, feignant de s’être concerté avec le pape (qu’en réalité il cherche à doubler pour hâter le procès de l’ordre), ordonne purement et simplement à ses agents, à travers le royaume tout entier, de procéder à l’arrestation des templiers. »

« Dans l’acte d’arrestation du roi, sont énoncés les prétendus crimes dont les templiers se rendraient coupables : 
Injure au Christ : les frères qui viennent d’entrer dans l’ordre doivent le renier trois fois et cracher également à trois reprises sur son effigie. 

Rite impie : après leur réception, ils sont dénudés et embrassés par ceux qui les reçoivent au bas du dos (pacte diabolique), sur le nombril et sur la bouche.

Acte contre nature : ils sont incités à accepter le concubinage entre frères, y compris la sodomie (que l’on appelle aussi « bougrerie »).

Idolâtrie : ils vénèrent un objet, une tête d’homme barbu, lors des assemblées provinciales ou générales.
Enfin, autre forme de reniement, ils célèbrent la messe sans consacrer l’hostie.

« Pour convaincre le souverain pontife, il faut des preuves coûte que coûte. Les interrogatoires des prisonniers sont conduits à partir de questionnaires très élaborés. Avec une mécanique régulière et inexorable, perceptible dans la répétition des formules qui scandent le texte du rouleau d’interrogatoire, 138 templiers parisiens, dont le grand maître de l’ordre lui-même, Jacques de Molay, sont soumis aux mêmes questions. Les tortures physiques et les pressions psychologiques ne leur sont pas épargnées pour obtenir les aveux. » Des « aveux » extirpés sous la torture.

« Sur 44 membranes de parchemin, provenant de 22 peaux de chèvre coupées en deux, défilent le procès-verbal d’interrogatoire et les aveux des 138 templiers déférés à Paris devant l’inquisiteur de France, le propre confesseur du roi, le moine dominicain Guillaume de Paris. Grâce à l’apposition à la jonction des membranes des seings manuels des quatre notaires chargés d’authentifier le rouleau, l’inquisiteur s’est prémuni de toute falsification. »

« Indépendamment du drame qu’il retranscrit, ce rouleau d’interrogatoire livre une véritable photographie de la société de l’ordre du Temple. Tout le monde y est représenté : les frères chevaliers et les sergents, les maîtres de commanderies, les précepteurs de provinces, les prêtres et chapelains. Toutes les catégories d’âges également, des vieillards de plus de 80 ans aux adolescents de 16 ans. »

« À travers le royaume, des interrogatoires similaires eurent lieu et les aveux furent dressés de façon similaire : 94 dépositions s’ajoutent à celles du rouleau parisien. »

« Lorsque Clément V voulut reprendre la main, en donnant aux templiers l’occasion de se confier aux commissaires pontificaux qui les auditionnèrent en 1310-1311, il était trop tard. »

« Un premier bûcher monté par les hommes du roi le 12 mai 1310 emporta 54 des templiers qui étaient prêts à prouver l’innocence de l’ordre. Revenant sur leurs premiers aveux, ces relaps s’étaient condamnés à mort. »

« De l’ordre du Temple à l’ordre de Malte »
« Les assauts répétés de Philippe le Bel contre la papauté et son influence sur le cours du procès ont finalement raison de l’ordre du Temple. Le pape Clément V entérine son extinction. Commence alors un travail d’inventaire et de transfert des biens. »

« Clément V et les souverains européens s’accommodèrent de la disparition d’un ordre militaire auquel ils ne portaient plus guère d’attachement et dont ils pillèrent les richesses. Comme l’avait prescrit l’ordre d’arrestation de 1307, tous les biens du Temple en France avaient été saisis et mis à titre conservatoire dans la main du roi. »

Devoir d’inventaire
« La saisie a été soigneusement planifiée puisque, le jour même de l’arrestation, les commissaires du roi peuvent déjà donner les noms des nouveaux gestionnaires des domaines. Dans les années, voire les mois qui suivent, la plus grande part du mobilier, des outils agricoles et des troupeaux est revendue pour alimenter les caisses royales. »
« Durant la période de régie royale (1307-1310), les bâtiments des commanderies sont laissés à l’abandon, sans entretien. Dans l’attente d’une décision définitive quant à l’attribution des biens templiers, l’administration royale brade le patrimoine de l’ordre. »

Transfert et fusion
« 
Le 16 octobre 1311, le pape Clément V ouvre le concile œcuménique de Vienne qui doit traiter de l’avenir du Temple. Le pape pousse alors les Pères à supprimer l’ordre sans le condamner. La bulle Vox in excelso du 22 mars constate que l’ordre est si décrié qu’il ne peut plus servir à la Terre sainte, et Clément V entérine sa disparition. Le 2 mai, la bulle Ad providam valide le transfert des biens templiers à l’ordre de l’Hôpital.
 »
« En France, à la suite du paiement par les hospitaliers d’une somme de 200 000 livres réclamées par le roi pour ses frais de garde et d’entretien du patrimoine du Temple, la restitution est amorcée en 1313. Mais il faudra encore bien des années pour que le transfert soit total. »
« L’ordre de l’Hôpital fut l’unique bénéficiaire de son rival. Il absorba l’immense patrimoine du Temple qu’il préserva par-delà les siècles. Transfiguré par sa conquête de l’île de Rhodes en 1309, l’Hôpital sut durer. Quand Charles Quint lui céda l’archipel de Malte, en 1530, pour compenser la perte de Rhodes, il entama alors une nouvelle histoire… »

FOCUS : L’ORDRE DE MALTE

« L’ordre de Saint-Jean de Jérusalem ou « ordre de l’Hôpital » – plus tard appelé ordre de Malte – est né à Jérusalem au XIe siècle. À cette époque, sa mission consiste à offrir l’hospitalité aux pèlerins se rendant dans les Lieux saints des États latins d’Orient.

Après la perte de ces États, les hospitaliers quittent la Terre sainte pour s’installer d’abord à Chypre. De 1310 jusqu’en 1522, ils s’établissent ensuite sur l’île de Rhodes, en avant d’en être chassés par Soliman le Magnifique. S’ensuit une période d’errance et la réclamation, auprès du pape, d’une nouvelle terre pour leur établissement.

C’est finalement Charles Quint, empereur du Saint-Empire romain germanique, qui leur propose l’île de Malte, où ils s’installent en 1530. »

Repères chronologiques

« 1099 - 15 juillet : prise de Jérusalem par les croisés lors de la première croisade.
1120 - 23 janvier : le concile de Naplouse entérine la fondation de l’ordre du Temple. Hugues de Payns, chevalier champenois et fondateur de cette milice, est élu maître des templiers.
1129 - 13 janvier : concile de Troyes, où est rédigée et approuvée la règle du Temple, en présence de saint Bernard de Clairvaux.
1139 - 29 mars : acte solennel (ou bulle) du pape Innoncent II « Omne datum optimum », qui soustrait l’ordre du Temple à l’autorité des évêques. Il relève désormais uniquement du pape.
1187 - 2 octobre : prise de Jérusalem par Saladin, après la défaite des croisés à la bataille d’Hattin.
1191 - 12 juillet : reprise d’Acre par les armées de la troisième croisade conduite par le roi de France, Philippe II Auguste, et le roi d’Angleterre, Richard Cœur de Lion. Acre devient la nouvelle capitale des États latins d’Orient.
1217-1218 : construction de château Pèlerin, immense forteresse entre Acre et Césarée, confiée aux templiers, en 1220.
1248-1254 : 7e croisade conduite par le roi de France, Louis IX.
Consolidation d’Acre, Césarée, Jaffa et Sidon.
1265 : Jacques de Molay entre dans l’ordre du Temple lors d’une cérémonie de réception à Beaune.
1285 - 5 octobre : Philippe IV le Bel devient roi de France.
1291 - 18-28 mai : chute d’Acre et fin des États latins d’Orient.
14 août : évacuation de château Pèlerin, dernière forteresse à être abandonnée.
1291 - septembre ou octobre : élection de Jacques de Molay comme grand maître lors d’un chapitre général de l’ordre du Temple, tenu à Chypre.
1305 - 5 juin : élection du gascon Bertand de Got comme pape, sous le nom de Clément V. 
1307 - 14 septembre : Philippe le Bel envoie un ordre secret d’arrestation des templiers à ses officiers locaux.
1307 - 13 octobre : arrestation des templiers dans tout le royaume de France.
1307 - 19 octobre-24 novembre : interrogatoire des templiers emprisonnés à Paris.
1308 - 5 juillet-12 août : bulles pontificales ouvrant la procédure judiciaire. Institution d’une commission pontificale, à Paris, pour juger l’ordre et de commissions diocésaines pour juger les templiers.
1309 : début des commissions diocésaines au printemps. 
Comparution des hauts dignitaires de l’ordre devant la commission pontificale à partir de novembre.
1310 - 12 mai : bûcher à Paris de 54 templiers qui s’étaient présentés comme défenseurs de l’ordre devant la commission pontificale.
Les défenseurs survivants se désistent.
1311 - 16 octobre : ouverture du concile de Vienne.
1312 - 22 mars : bulle « Vox in excelso » par laquelle le pape Clément V supprime l’ordre du Temple. Elle est lue devant le concile, le 3 avril.
1312 - 2 mai : bulle « Ad providam » par laquelle le pape Clément V attribue tous les biens du Temple à l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.
1312 - 6 mai : clôture du concile et bulle « Considerentes dudum » par laquelle le pape règle le sort des templiers. Les impénitents et relaps (chrétien retombé dans l’hérésie) sont condamnés. Les pénitents et innocents se voient accorder des pensions. Le pape se réserve le sort des hauts dignitaires.
1314 - 11 ou 18 mars : Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay, commandeur de Normandie, sont envoyés sur le bûcher par le roi de France, après avoir affirmé leur innocence et celle de l’ordre devant la commission qui les a condamnés à la prison à perpétuité. »


Du 13 septembre 2023 au 15 janvier 2024
60, rue des Francs-Bourgeois - 75003 Paris
Tél. : + 33 (0) 1 40 27 60 71
Ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30 et le week-end de 14 h à 19 h
Fermeture le mardi.
Visuel :
Affiche
Photo : Archives nationales de France - Atelier photographique, DIS - Carole Bauer

Moulage du sixième sceau (avers) de l’ordre du Temple : deux templiers montés sur un seul cheval, symbole de la pauvreté des frères et bouleversement des codes habituels de représentation de la chevalerie, 1259.
Archives nationales, SC/D/9863.

Plan de l’enclos du Temple à Paris en 1789, entre les actuelles rue de Bretagne, rue de Picardie, rue Béranger et rue du Temple, dans lequel eurent lieu les interrogatoires du 19 octobre au 24 novembre 1307.
Archives nationales, N/IV/Seine/14, n°s 1 et 2

Dixième membrane du rouleau d’interrogatoire des templiers à Paris, où figurent les aveux de Jacques de Molay.
Archives nationales, J//413/A, n° 18.

Bulle de Clément V transférant les biens du Temple à l’ordre de l’Hôpital, 1312.
Archives nationales, AE/II/1634.


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