Le Musée de Montmartre présente l’exposition « Surréalisme au féminin ? » « Mouvement provocateur et dynamique, le Surréalisme déclenche un renouvellement esthétique et éthique. Les hommes ne sont pas les seuls à avoir rendu vivant ce courant et ses transgressions. De nombreuses femmes en furent des actrices majeures, parfois méconnues : Claude Cahun, Toyen, Dora Maar, Lee Miller, Meret Oppenheim, Leonora Carrington, Marion Adnams, Ithell Colquhoun, Grace Pailthorpe, Jane Graverol, Suzanne Van Damme, Rita Kernn-Larsenn, Franciska Clausen ou encore Josette Exandier, Yahne Le Toumelin et Sonia Mossé ».
« Automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de tout autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale. » C’est ainsi qu’André Breton définit le surréalisme en 1924 dans son premier manifeste. »
« Provocateur et dynamique, le surréalisme déclencha au 20e siècle une renaissance esthétique et des bouleversements éthiques. De nombreuses femmes en furent des actrices majeures mais néanmoins mésestimées par les musées et minorées par le marché de l’art. »
« Le surréalisme offrit à celles-ci un cadre d’expression et de créativité qui n’eut sans doute pas d’équivalent dans les autres mouvements d’avant-garde. Mais c’est souvent en s’appropriant et en étendant des thèmes initiés par les fondateurs du groupe (André Breton, Louis Aragon, Paul Éluard, Philippe Soupault, etc.) qu’elles exprimèrent leur liberté. C’est aussi en se dégageant de ce qui devint parfois une doxa surréaliste qu’elles s’affirmèrent. »
« C’est aussi en se dégageant de ce qui devint parfois une doxa surréaliste qu’elles s’affirmèrent. « Tout contre » le surréalisme, c’est ainsi que l’on pourrait définir leurs positions diversifiées et complexes à l’égard du mouvement. »
« Les pratiques de ces artistes et poètes, fréquemment interdisciplinaires – picturales, photographiques, sculpturales, cinématographiques, littéraires... – reflètent leur volonté de s’affranchir des genres artistiques conventionnels, des normes sexuelles et des frontières géographiques. »
« Conçue comme une hypothèse plutôt que comme une démonstration, cette exposition propose un inventaire non exhaustif d’une cinquantaine d’artistes et poètes dont les créations, datées des années 1930 aux années 2000, excédent la date de dissolution officielle du groupe surréaliste (1969). »
« Cette sélection tente de cerner ce que fut la part féminine du surréalisme et se veut une invitation à poursuivre les recherches sur un sujet infiniment complexe et varié. »
« En révélant les travaux d’une cinquantaine d’artistes, plasticiennes, photographes et poètes du monde entier, cette exposition invite à réfléchir non seulement à l’ambivalente position des femmes dans le surréalisme, mais aussi à la capacité d’un des courants majeurs du XXe siècle à y intégrer du féminin. »
« Ainsi, elle a pour ambition de présenter des artistes majeures telles que Claude Cahun, Toyen, Dora Maar, Lee Miller, Meret Oppenheim et Leonora Carrington mais également de mettre en lumière d’autres personnalités moins connues comme Marion Adnams, Ithell Colquhoun, Grace Pailthorpe, Jane Graverol, Suzanne Van Damme, Rita Kernn-Larsenn, Franciska Clausen ou encore Josette Exandier, Yahne Le Toumelin et Sonia Mossé. »
« L’affranchissement que ces femmes manifestent dans leurs arts fait écho à la quête d’indépendance et l’esprit contestataire, si caractéristiques de l’histoire de Montmartre. Cette exposition témoigne de ma détermination à faire connaître des artistes souvent négligés par l’histoire de l’art », a observé Fanny de Lépinau, directrice du Musée de Montmartre.
« La fascination que Montmartre exerce sur la communauté surréaliste est indéniable. C’est un quartier que les surréalistes arpentent, habitent et rêvent : un espace de fantasmes et de divertissements populaires. »
« Aragon célèbre en Montmartre « une espèce de creuset de l’imagination où les pires conventions, la plus basse littérature se fondent avec la réalité des désirs, la simplicité des désirs, et ce qu’il y a de plus libre, d’inaliénable en moi, je veux dire en l’homme. »
« C’est aussi la situation géographique de la butte et la vue panoramique qu’elle offre sur la capitale qui séduisent Breton : « Il faut aller voir de bon matin du haut de la colline du Sacré-Coeur, à Paris, la ville se dégager lentement de ses voiles splendides, avant d’étendre les bras. »
Parmi ces artistes : Sonia Mossé (1917-1943) au destin tragiquement brisé par la Shoah. « Artiste, décoratrice, dessinatrice de bijoux pour Hermès, modèle de Giacometti, Balthus et d’André Derain, elle est photographiée par Man Ray, Dora Maar et Vols. Actrice, elle joue dans une pièce montée par Jean-Louis Barrault. Proche d’Antonin Artaud, de Robert Desnos, de Paul et Nusch Eluard, parmi tant d’autres, elle gravite dans plusieurs cercles artistiques. Elle est la seule femme à concevoir un mannequin lors de l’Exposition internationale du surréalisme à Paris en 1938. Juive, elle refuse de porter l’étoile jaune. Victime d’une dénonciation, elle est déportée et meurt à Sobibor en 1943. Un de ses dessins est conservé au Centre Georges Pompidou (Trois femmes, 1937) »
Le commissariat général de l’exposition est assuré par Alix Agret, historienne de l’art et chercheuse, et Dominique Païni, fondateur du département audiovisuel du Louvre, ancien directeur de la Cinémathèque française (1990-2000), directeur du Centre Georges Pompidou (2000-2005), commissaire indépendant et directeur de collection de livres chez l’éditeur Yellow Now. La commissaire associée est Saskia Ooms, responsable de la conservation du musée.
« Parallèlement à l’exposition, la Cinémathèque française organisa une rétrospective du 10 au 24 juin 2023 : « Quand les surréalistes allaient au cinéma » proposa les principaux films réalisés par des cinéastes qui se sont réclamés de la lettre et de l’esprit du mouvement, et quelques autres aimés et chantés par les poètes surréalistes. Une rétrospective de la cinéaste expérimentale américaine Maya Deren accompagna ce cycle. »
Section 1. « Constellations surréalistes »
« De l’émergence du mouvement surréaliste au début des années 1920 à sa dissolution à la fin des années 1960, les artistes et poètes féminines qui le fréquentent régulièrement ou ne croisent que rapidement ses membres fondateurs, forment des constellations plus ou moins éphémères, au gré d’amitiés nouées dans et hors de ce cadre. »
« Ces complicités donnent lieu à des oeuvres à quatre mains (Toyen et Meret Oppenheim), des portraits réciproques (Dora Maar et Lee Miller, Valentine Hugo et Lise Deharme, etc.) et des échanges épistolaires affectifs et intellectuels. En d’autres termes, s’esquissent ici les conditions qui rendent poreuses les frontières entre l’art et la vie, ambition primordiale du surréalisme. »
« Si le surréalisme se déploie en de multiples foyers hors de France – Belgique, Angleterre, Scandinavie, États-Unis, Tchécoslovaquie, Espagne, Amérique du Sud, Japon, Moyen-Orient, etc. –, l’exposition s’est attachée à réévaluer le travail d’artistes principalement européennes ou ayant passé une grande partie de leur vie en Europe. La vitalité de l’activité surréaliste appelle l’exploration d’autres territoires géographiques que l’exposition n’a pas eu vocation à mener. »
« Elle traite des parts méconnues de la production d’artistes ayant continué de créer au-delà des dates que l’histoire de l’art retient généralement car l’esprit surréaliste dépasse les institutions et les organisations qui l’incarnent momentanément et se dissolvent souvent. »
Section 2. « Le surréalisme, la vie véritable »
« Âgés d’une vingtaine d’années en 1914, des intellectuels et poètes, agitateurs « las de ce monde ancien » (Apollinaire) portent le projet d’une émancipation totale de l’homme. »
« Fédérés autour de cette cause après le gouffre de la Première Guerre mondiale, Breton, Éluard ou encore Aragon, prônent une libération des corps et une exploration sans tabous de la pensée. »
« Dans la continuité du romantisme du 19e siècle, ils sont convaincus de l’urgence de dépasser les oppositions constitutives de l’être humain déchiré entre le conscient et l’inconscient, l’objectivité et la subjectivité, le civilisé et le primitif. »
Selon Breton, « tout porte à croire qu’il existe un point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et l’avenir, le haut et le bas, le communicable et l’incommunicable cesseront d’être perçus contradictoirement. » (Second Manifeste du surréalisme, 1930)
« Antagonismes que les artistes présentées ici tentent d’abolir non sans rage et provocation : la mort et l’amour, le crime et le désir. Violence parricide de Claude Cahun, caricature du voyage de noce écorchant la bienséance conjugale chez Dorothea Tanning, appel à l’affranchissement érotique et imaginaire de Jane Graverol et de Rachel Baes, monstruosité agressive chez Maria Martins, Rita Kernn-Larsen et Marion Adnams. »
« Autant de reflets de leur révolte en faveur de « la vie véritable » qui n’est pas celle qui « a été désignée comme seule licite par les instances qui placent l’humain sous la dépendance des puissances répressives de la morale, de la religion, des lois ». Contre ces dernières, le surréalisme est « volonté et tentative de rendre à l’homme tous ses véritables pouvoirs. » (réédité dans Marianne Van Hirtum, La vie fulgurante, Ed. L’arbre de Diane, 2021)
> Le zoom des commissaires
Marion Adnams
Medusa Grown Old, 1947, RAW (Rediscovering Art by Women) © Stéphane Pons
« Adnams transcrit ici l’image née d’un accident arrivé dans son atelier : elle fait un jour tomber une statuette africaine sur un dessin d’un vieux chêne. Cette peinture est donc exemplaire de la primauté, dans la créativité surréaliste, du hasard et des rapprochements de réalités sans rapports apparents. Hybridation qui produit une Méduse dont la forme s’est dynamisée au contact de la puissance plastique de la statuaire extra-occidentale. »
Dorothea Tanning
Un tableau très heureux, 1947
Centre Pompidou, Paris, MNAM-CCI
« Très beau prêt du Centre Pompidou, le chef-d'œuvre de Dorothea Tanning caricature le cliché du voyage de noce, écorchant la bienséance de l’idylle conjugale. »
Section 3. « Dans la nature »
« Le surréalisme, parallèlement aux tendances plastiques qui dominent le début du 20e siècle – cubisme, Dada, abstraction constructiviste et néo-plastique – se retourne sur l’un des grands sujets de la peinture, le paysage. En cela, il continue l’une des préoccupations majeures des peintres de la Renaissance qui contribue à l’Humanisme : inscrire le corps humain dans la nature. »
« De nombreuses femmes artistes surréalistes s’emparent de ce genre pictural, empruntent à la mythologie, pour réfléchir à ce qui est devenu un poncif philosophique, poétique et pictural : la fusion de la féminité et de la nature. Elles investissent ce motif en le modernisant. L’audacieux Autumnal Equinox d’Ithell Colquhoun est de ce point de vue exemplaire en fusionnant croissance végétale et surgissement d’une silhouette féminine. »
« Outre ce devenir-végétal (Valentine Penrose, Rita Kernn-Larsen, Lise Deharme), certaines peintres évoquent des espaces minéraux énigmatiques. Colquhoun rêve un site archéologique mêlant une double référence insulaire et sacrée (Stonehenge) tandis que Marion Adnams installe un menhir à l’équilibre mystérieux parmi des fossiles-« chandelles ». À l’inverse de ces paysages désertiques, les signes de rotondité chez Elsa Thoresen et Grace Pailthorpe restaurent des symboles de fertilité. »
> Le zoom des commissaires
Ithell Colquhoun
La Cathédrale engloutie, 1952, RAW (Rediscovering Art by Women) © Stéphane Pons
« Chef-d’œuvre d’une artiste que la Tate Modern prévoit de mettre à l’honneur prochainement, cette peinture n’a jamais été montrée en France. Elle témoigne de la vitalité créative du foyer britannique surréaliste très méconnu. Ce paysage donne à voir un alignement de menhirs qui dessine le signe de l’infini. Évoquant le site néolithique de Stonehenge, il souligne les liens que certaines artistes tissent entre surréalisme, pratiques occultistes et culture celte. »
Section 4. « Féminités plurielles »
« Ces artistes et ces poètes s’emparent des clichés érotiques à travers lesquels le regard masculin sublime et soumet le corps féminin, subvertissant l’idéalisation surréaliste de la femme-muse. »
« Elles ne cessent d’interroger leurs identités en multipliant les jeux de masques (Diana Brinton-Lee, Claude Cahun), en parodiant les codes de la séduction féminine (Rachel Baes, Jane Graverol) ou en se livrant aux incertitudes végétales et animales de la métamorphose (Leonora Carrington, Suzanne Van Damme, Mimi Parent, Meret Oppenheim). Certaines détournent avec humour les rites fétichistes et l’obsession voyeuriste en dévoyant l’ordre domestique par l’emprunt d’accessoires communs (gant, fouet, miroir, broderie). La revendication du plaisir, les fantasmes d’androgynie, l’homosexualité et la critique de la vie conjugale sont autant d’expressions de leur soif d’indépendance. »
> Le zoom des commissaires
Suzanne Van Damme
Couple d’oiseaux anthropomorphes, 1946
RAW (Rediscovering Art by Women) © Stéphane Pons
« Ce tableau est d’une exceptionnelle audace. Il appartient à la tendance la plus fantastique du surréalisme. Bien que relevant d’un irréalisme chimérique, il représente deux personnages de profil, en marche, qui semblent se rendre à un bal costumé. On sait combien les surréalistes prisaient ces fantaisies collectives ainsi que les métamorphoses et les jeux de masques qui les accompagnaient.
Mimi Parent
Maîtresse, 1995, collection Mony Vibescu, © DR © Gilles Berquet
« On oublie parfois la dimension humoristique du surréalisme que les femmes ont souvent mise en œuvre avec jubilation. Mimi Parent aime en découdre avec l’esprit de sérieux comme le montre cet accessoire du fétichisme sadomasochiste tressé en cheveux. Le jeu de mot du titre prolonge le clin d’œil – maîtresse/mes tresses ! »
Section 5. « Chimères »
« Si la réappropriation des armes de la séduction est un moyen d’affirmation pour ces femmes, elles éprouvent le besoin d’aller plus loin, de recourir à une sauvagerie et une force qui leur permettent de résister aux normes de la civilisation occidentale (Judit Reigl, Suzanne Van Damme). »
« Les métamorphoses deviennent des chimères chargées de violence. Les êtres composites qui peuplent leurs oeuvres suscitent l’inquiétude sinon l’épouvante, et traduisent une agressivité à l’égard du monde et de ses représentations rassurantes dominées par la stylisation académique (Leonor Fini, Jane Graverol, Valentine Hugo, Leonora Carrington). »
« La cruauté qui en émane témoigne d’une révolte – un des moteurs de leurs vocations artistiques et littéraires –, contre tout ce qui érode les pouvoirs de l’imagination (Josette Exandier, Joyce Mansour). »
> Le zoom des commissaires
Joyce Mansour
Objet méchant, 1975-1980, collection Mansour
Photo © Cyrille Mansour
« Geste de détournement typiquement surréaliste, la poète Joyce Mansour crée des sculptures hérissées de pointes à partir d’un objet pauvre – le clou. Elle exprime ainsi le même humour corrosif et la même cruauté sadique que dans son écriture hantée par l’angoisse de la mort. »
Valentine Hugo
Le Rêve du 21.décembre 1929, 1929
Collection Mony Vibescu © ADAGP, Paris, 2023, © Gilles Berquet
« Valentine Hugo donne ici toute la mesure de son talent à transférer sur le papier un de ses songes, tourment central de nombreux surréalistes. Sa préciosité décorative n’émousse pas ce que la sureté de son trait donne d’incisif et d’inquiétant à son rêve, sans craindre l’horrifique. »
Section 6. « Constructions »
« Prolongements de l’imagination sans limites de ces artistes, contrepoints aux continents du rêve, des constructions tridimensionnelles et fantastiques donnent l’occasion à certaines artistes d’expérimenter les frontières poreuses entre architecture et sculpture, jusqu’à l’abstraction parfois (Paule Vézelay). C’est l’opportunité pour certaines, comme Kay Sage, de se jouer des illusions spatiales. »
« Franciska Clausen s’amuse en composant un espace dont le réalisme perspectif rigoureux est dérangé par la présence incongrue d’une échelle qui ne mène nulle part et d’une table qui ne se soumet pas aux lois de la perspective. »
Selon Camille Morando, « tout en recherchant la forme la plus aboutie, la forme la plus désenchantée de l’apparence et dénuée de superficialité, Isabelle Waldberg invente des métamorphoses qui deviennent l’incarnation de la démesure, où le jeu de l’attraction et de la répulsion s’opère intrinsèquement au sein même de la sculpture. »
> Le zoom des commissaires
Franciska Clausen
Stigen, 1922, SMK – National Gallery of Denmark Statens Museum for Kunst, Copenhague
« En 1922, soit deux ans avant la publication par André Breton du Premier Manifeste du surréalisme qui fonde ce dernier, Franciska Clausen s’amuse en composant un espace dont le réalisme perspectif rigoureux est dérangé par la présence incongrue d’une échelle qui ne mène nulle part et d’une table qui ne se soumet pas aux lois de la perspective. Cette œuvre est un prêt exceptionnel du SMK (National Gallery of Denmark Statens Museum for Kunst) à Copenhague. »
Isabelle Waldberg
Palais, vers 1947, CNAP, en dépôt au MNAMCCI
- Centre Pompidou, Paris
« Isabelle Waldberg utilise une grande diversité de matériaux (bronze, céramique, bois) variant ainsi l’allure et la plus ou moins grande pesanteur de ses volumes. Cette pièce aérienne est au sens propre vertigineuse dans ses enchevêtrements délicats. Son travail sculptural en partie fondé sur l’exploration des relations entre « intérieur » et « extérieur » convoque fréquemment une dimension architecturale que rappelle ici le choix de son titre. Cette pièce fragile dialogue avec le vide. »
Focus Maya Deren
« Les films de Maya Deren sont fortement marqués par la présence de l’inconscient et de la puissance onirique. […] La dimension du rituel, de l’expérience, de l’exploration du Moi, [imprègne] At Land (1944) et se trouve associée à une chorégraphie cinématographique « jouée » par la cinéaste. Certaines séquences introduisent par le montage une continuité reliant des espaces étrangers discontinus : Maya Deren rampe sur une plage et poursuit son mouvement en rampant sur une table au milieu de deux rangées de convives attablés. Cette scène ne peut manquer de faire penser, dans un contexte mental très différent, au « Festin » qui sera organisé 15 ans plus tard par Meret Oppenheim lors du vernissage de l’exposition E.R.O.S. à la galerie Daniel Cordier en 1959. » (Patrick de Haas). »
Section 7. « Nuits intérieures »
« La nuit est un thème poétique et un motif plastique majeur du surréalisme. Sans doute parce que l’interprétation des rêves, le spiritisme et l’hypnose prisés par ces artistes appellent des états de la conscience proches de ceux que favorise le sommeil. »
« Vous ne connaissez pas mon visage de nuit
Mes yeux tels des chevaux fous d’espace
Ma bouche bariolée de sang inconnu
Ma peau
Mes doigts poteaux indicateurs perlés de plaisir
Guideront vos cils vers mes oreilles mes omoplates
Vers la campagne ouverte de ma chair
Les gradins de mes côtes se resserrent à l’idée
Que votre voix pourrait remplir ma gorge
Que vos yeux pourraient sourire
Vous ne connaissez pas la pâleur de mes épaules
La nuit
Quand les flammes hallucinantes des cauchemars réclament
le silence et que les murs mous de la réalité s’étreignent
Vous ne savez pas que les parfums de mes journées meurent sur ma langue
Quand viennent les malins aux couteaux flottants
Que seul reste mon amour hautain
Quand je m’enfonce dans la boue de la nuit. »
Joyce Mansour, Pericoloso sporgersi, Rapaces, 1960
> Le zoom des commissaires
Emila Medková
Vodopád vlasu (Waterfall of Hair), 1950, Galerie Les Yeux Fertiles, Paris
« Cette image fait partie d’un portfolio de dix photographies, prises sur vingt ans, par une photographe tchécoslovaque, Emila Medková, injustement méconnue hors de son pays. Son exploration documentaire du décor urbain d’une Tchécoslovaquie sous régime totalitaire et sa maitrise des contrastes rappellent la poésie des photographies de Brassaï. »
Unica Zürn
Le Château d’Éros, 1956, collection Mony Vibescu
« Le destin tragique d’Unica Zürn – ses nombreux internements en hôpital psychiatrique, à Sainte-Anne notamment au début des années 1960, puis son suicide – colore immanquablement la réception de ses fantasmagories graphiques. Mais n’y voir que le reflet de sa fragilité psychologique serait réducteur. Ses arabesques grouillantes s’enchevêtrent à l’infini dans une vertigineuse minutie. Elles sont l’expression d’une exploration inlassable de son médium et d’une maîtrise totale de son trait. »
Section 8. « Au-delà de la figuration ? »
« Nomades du langage, des images et des désirs, les femmes surréalistes sont peut-être ailleurs » note Marie-Claire Barnet (Les femmes cent sexes ou les genres communicants, Peter Lang, 1998). Ailleurs jusque dans la tendance à l’abstraction qui s’affirme chez certaines, d’autant plus remarquable par rapport aux oppositions de principe de certains fondateurs du surréalisme peu enclins à se détacher de la figuration. Faut-il envisager l’abstraction comme une « méthode », pour ces artistes, au même titre que la métamorphose ? Comme une manière de rester changeantes, de ne pas avoir à adhérer à elles-mêmes et au réel ? »
« Yahne Le Toumelin et Marcelle Loubchansky sont parmi celles qui ont franchi le plus résolument le pas hors de la vraisemblance figurative. »
Meret Oppenheim « s’arrache à la dépendance de l’objet à laquelle on l’a souvent réduite pour expérimenter avec la suspension de formes géométriques associées au collage. »
« A l’inverse, Bona continue d’articuler la figure humaine et la schématisation géométrique ».
« Les parcours de Jacqueline Lamba et de Toyen sont faits d’alternances. Lamba passe d’un onirisme symboliste à une abstraction atmosphérique sans ignorer dans les années 1940 les solutions de la décomposition constructiviste. Si des éléments précurseurs de l’abstraction marquent les débuts de Toyen, l’essentiel de son oeuvre est dédié à des formes de réalisme magique. Mais son audace expérimentale l’entraine fréquemment, à partir des années 1950, vers des dissolutions informelles. »
« Pour beaucoup, le surréalisme constitue, sans doute, une étape vers l’abstraction. Eileen Agar ne dit-elle pas que ces deux pôles sont ceux qui ont le plus compté : « je n’y vois rien d’incompatible […] nous marchons tous sur deux jambes, et pour moi l’une est abstraite, l’autre surréaliste – c’est le point et le contrepoint. » ?
> Le zoom des commissaires
Yahne Le Toumelin
La Navigation de Braun, 1955-1960 (?), Musée d’art de Nantes
« Le déploiement de ces pans de lumière dans l’espace n’est pas sans rappeler les expérimentations de la perspective d’un Roberto Matta. Si le titre de l’œuvre évoque le genre de la marine, la blancheur nacrée des trois formes centrales suggèrent également la présence de coquillages. Le parcours de Yahne Le Toumelin, artiste aujourd’hui centenaire, élogieusement commentée par André Breton, illustre idéalement le passage heureux de la figuration à l’abstraction. »
Édito par Geneviève Rossillon et Fanny de Lépinau
« Indissociable de l’histoire du surréalisme, Montmartre est un quartier que les surréalistes arpentent, habitent et rêvent : un espace de fantasmes – nourris par ses nombreux cabarets – et de divertissements populaires, un lieu de réunions, de rencontres, de ralliements ou d’exclusions…
Sur la colline surréaliste, nombreux sont les lieux où les membres du groupe se donnent rendez-vous et font éclore « ce qui ne fut ni système, ni école, ni mouvement d’art ou de littérature, mais pure pratique d’existence »1. Citons-en quelques-uns.: à moins d’une centaine de mètres du 42, rue Fontaine où André Breton installe en 1922 son atelier – qu’il occupera jusqu’à sa mort – le Cyrano, au 82, boulevard de Clichy, est l’un des cafés assidument fréquentés par Breton et ses proches. Au 10, rue Tholozé, le Studio 28 – première salle de cinéma d’art et d’essai du monde – accueille en avant-première en 1930 la projection de L’Âge d’or de Luis Buñuel et Salvador Dalí, immédiatement suivi d’un scandale puis censuré, et ce jusqu’en 1981. Au 12, rue Cortot – aujourd’hui le musée de Montmartre Jardins Renoir – habite le poète Pierre Reverdy, directeur de la revue d’avant-garde Nord-Sud, qui publie dès 1917 les premiers textes d’Aragon, de Breton, de Soupault et de Tzara…
Pour certaines femmes artistes qui rallient le mouvement surréaliste dans les années 1930 – animatrices ferventes ou seulement proches des fondateurs du mouvement surréaliste – Montmartre est un passage obligé, la toile de fond de leur quotidien et de leur imaginaire.
Jacqueline Lamba sait que pour rencontrer André Breton c’est au Cyrano qu’elle doit se rendre, ce qu’elle fait un jour de 1934. Elle danse d’ailleurs, mi-femme mi-sirène, dans un aquarium tous les soirs au Coliseum rue Rochechouart. En 1947, Toyen choisit d’habiter rue Fontaine lorsqu’elle arrive de Tchécoslovaquie. Dans les années 1950, c’est au tour d’Isabelle Waldberg de prendre un atelier au 44, rue d’Orsel.
Si le lien avec Montmartre qu’entretiennent les femmes artistes influencées par le surréalisme fluctue au cours des années, le quartier reste un point de repère pour elles dont la géographie de leur existence fut fréquemment plus éclatée que celle des surréalistes masculins. Affirmer leur indépendance revient souvent pour elles à s’éloigner, au sens propre et figuré, d’un noyau parisien placé sous l’autorité de Breton.
Ces femmes artistes investissent le surréalisme pour sa liberté et ses révoltes, pour son cadre d’expression et de créativité qui n’eut sans doute pas d’équivalent dans les autres mouvements d’avant-garde. Elles le font leur, égalent en créativité leurs homologues masculins, enrichissent et finalement dépassent et prolongent le surréalisme au-delà de sa dissolution en 1969. C’est cette participation singulière et cette continuité que l’exposition Surréalisme au féminin ? vient éclairer et interroger. »
Geneviève Rossillon est présidente du groupe Kléber Rossillon
Fanny de Lépinau est directrice du musée de Montmartre
Quatre questions aux commissaires Alix Agret et Dominique Païni
« Qu’avez-vous voulu raconter à travers cette exposition ?
Il s’agit de faire découvrir des femmes artistes et poètes mésestimées par les musées et le marché de l’art et pourtant actrices majeures du mouvement surréaliste.
Leurs pratiques fréquemment interdisciplinaires – picturales, photographiques, sculpturales, cinématographiques, littéraires – traduisent leur volonté de s’affranchir des genres artistiques conventionnels, des normes sexuelles et des frontières géographiques.
Cette exposition est conçue comme une hypothèse plutôt que comme une démonstration, d’où le point d’interrogation du titre. Elle propose un inventaire non exhaustif d’une cinquantaine d’artistes et de poètes dont les créations, datées des années 1930 aux années 2000, excèdent la date de dissolution officielle du groupe surréaliste (1969). Cette sélection, pour une part nécessairement subjective, tente de cerner ce que fut la part féminine du surréalisme, invitant à poursuivre les recherches sur un sujet infiniment complexe et varié.
Comment avez-vous choisi les 50 artistes présentes dans l’exposition ?
Nous avons commencé par les artistes les plus connues dont certaines ont été mises en valeur ces dernières années dans des expositions internationales comme en 2022, Le Lait des rêves, à la Biennale de Venise. Pour beaucoup, cette célébrité n’était pas étrangère à un compagnonnage amoureux avec un peintre ou un écrivain du mouvement surréaliste.
Un second critère de sélection a ensuite été la participation de ces femmes aux expositions internationales du surréalisme des années 1930 aux années 1960 ou leurs contributions à des revues publiées par différents courants du mouvement.
Nous avons constaté que le surréalisme avait offert aux femmes un cadre d’expression et de créativité sans doute sans équivalent dans les autres mouvements d’avant-garde.
Mais cet élan allait de pair avec une instrumentalisation « poétique » de l’identité féminine aux effets pervers. Avant d’être une artiste ou écrivaine, la femme était une femme muse, une femme enfant, une incarnation fantasmée de Mélusine, etc. Selon la formule percutante d’Ithell Colquhoun : « les femmes avaient tendance à être autorisées mais non nécessaires ». Nous avons donc recherché auprès de collectionneuses et collectionneurs privés, passionnés par le surréalisme et la redécouverte d’artistes oubliées, ou rarement exposées, une quarantaine sur la cinquantaine présentée.
En quoi le mouvement surréaliste est-il un cadre d’expression et de créativité pour ces femmes artistes ?
Le surréalisme, dont l’un des principes fondateurs était de ne pas séparer l’art de la vie, n’accordait pas de privilèges aux seules disciplines artistiques enseignées par les académies, exposées dans les musées, promues par le marché de l’art et prisées par les collectionneurs spéculateurs.
Il a doté de noblesse le détournement d’objets trouvés dans les brocantes et les marchés aux puces, les rapprochements humoristiques entre des images vernaculaires (presse, catalogues de vente par correspondance, publicité…) et des images consacrées par l’histoire de l’art, la photographie, les activités artisanales ou les travaux « modestes » (couture, broderie, bijoux…). Autant d’audaces, sinon de provocations dont les artistes femmes s’emparèrent aussi pour exprimer leur désir d’indépendance et leur révolte à l’égard des humiliations qui les atteignaient en tant que femmes. De même qu’elles furent indifférentes à la hiérarchie des genres artistiques, elles mêlèrent dans leurs pratiques littéraires – souvent indissociables de leurs travaux plastiques – fiction, poésie et essais critiques.
Quelle est la place du féminisme dans l’exposition ?
Le geste même de cette exposition est féministe. À travers elle, nous disons que des oeuvres d’artistes et de poètes femmes démontrent une puissance d’invention et un degré de réussite artistique comparables à celles de leurs homologues masculins. Si elles étaient encore vivantes, beaucoup d’entre elles auraient pourtant sans doute repousser l’invitation d’y figurer, refusant d’être réduites à leur identité féminine. Nous assumons néanmoins ce parti pris pour les faire découvrir et les imposer comme des créatrices à part entière. Le féminisme contemporain constitue, de notre point de vue, un levier pour rappeler que dans l’histoire de l’art, comme dans d’autres domaines, nous n’avons pris en compte que le point de vue de la moitié de l’humanité. Ces problématiques coexistent dans le parcours de l’exposition avec sa vocation de présenter des œuvres sélectionnées, avant tout, selon des critères de novation formelle. »
« Quelques dates clés du surréalisme »
« 1924
Publication du Premier Manifeste du surréalisme par André Breton
1925
Exposition « La peinture surréaliste », Galerie Pierre, Paris
1926
La Galerie Surréaliste ouvre à Paris avec l’exposition « Man Ray et Objets des Iles »
1934
Exposition « Minotaure », Palais des Beaux-arts, Bruxelles
1935
Exposition « Kubism = Surrealism », Den Frie Udstilling, Copenhague
1936
Exposition internationale du surréalisme, Burlington Galleries, Londres
1938
Exposition internationale du surréalisme, Galerie des Beaux-Arts de Georges Wildenstein, Paris
1942
Exposition “First Papers of Surrealism”, Whitelaw Reid Mansion, New York
1943
“Exhibition by 31 Women”, Art of This Century Gallery, New York
1947
Exposition internationale du surréalisme, Galerie Maeght, Paris
1959
Exposition InteRnatiOnale du Surréalisme, E.R.O.S., Galerie Daniel Cordier, Paris
1965
Dernière Exposition internationale du surréalisme, Galerie de l’œil, Paris »
Citations
Eileen Agar
« Cette attention soudaine m’a surprise. Un jour on me considérait comme une artiste qui explorait des combinaisons très personnelles de formes et de contenu et le lendemain on m’informait calmement que j’étais surréaliste ! »
Claude Cahun
« Dans l’ensemble de ma vie, je suis ce que j’ai toujours été (mes plus anciens souvenirs d’enfance en témoignent) : surréaliste.
Essentiellement.
Autant qu’on le peut sans se tuer ou tomber au pouvoir des aliénistes. »
Leonora Carrington
« Je n’ai pas eu le temps d’être la muse de qui que ce soit… J’étais trop occupée à me rebeller contre ma famille et à apprendre à être une artiste. »
Ithell Colquhoun
« Breton a dit quelque part – je cite de mémoire, « que la femme soit libre et adorée. » Mais je suis désolée de dire que... la plupart des disciples de Breton n’en étaient pas moins machistes pour autant.
Parmi eux, les femmes avaient tendance à être « autorisées mais non nécessaires ».
Jane Graverol
« Être surréaliste est un état que l’on porte en soi ou non.
Sans théorie, je possédais ce qui me fondait à eux. »
Lee Miller
« Je préfèrerais prendre une photo que d’en être une. »
Meret Oppenheim
La liberté n’est donnée à personne, il faut la prendre.
12, rue Cortot – 75018 Paris
Tél. : 01 49 25 89 39
Tous les jours de 10h à 19h
Visuels :
Jane Graverol (1905-1984), Le Sacre de Printemps, 1960,
huile sur toile, RAW (Rediscovering Art by Women), © Stéphane Pons, ADAGP Paris 2023
Maya Deren, At Land, 1944
Photogrammes extraits du film noir et blanc, silencieux, 14 min
Format 16 mm (Société Re:Voir)
Jacqueline Lamba (1910-1993), La Femme blonde, 1930
Huile sur bois Collection Guy Ladrière – Ancienne Collection Charles Ratton
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Les citations proviennent du dossier de presse et d'un panneau de l'exposition.
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