Flammarion a publié « Boutargue. Histoires - Traditions - Recettes », beau livre de Gérard Memmi. Poche d’œufs (rogue) de mulet séchés et enrobés de cire, la boutargue ou poutargue, de couleur ambrée, du jaune à l’oranger foncé, est un délice gastronomique, commun à diverses civilisations, méditerranéenne ou japonaise. Dès l’Antiquité, elle résulte d’un savoir-faire requérant des gestes aussi précis que délicats. Aliment populaire chez les Juifs tunisiens qui la dénomment adam’hout, elle est devenue en quelques décennies un mets de luxe ornant les cartes de grands chefs, notamment français. Et son goût s’est adapté à la demande d’une clientèle – texture plus moelleuse, saveur moins salée - en voie continue d’élargissement, en particulier outre-Atlantique. Article publié à l'approche de Roch HaChana 5784.
Gérard Memmi débute ce très beau livre par le récit de la création de l’entreprise familiale par son père, le sportif Elie Memmi. Tout débute par l’exil de cette famille juive tunisienne arrivée à Paris le 20 février 1967. Rue de l’Arbalète, dans le Ve arrondissement de Paris, « au cour du quartier Mouffetard », à mi-chemin entre le Jardin du Luxembourg et le Jardin des Plantes. L’atelier parisien devenant trop petit pour honorer des commandes de plus en plus importantes, Elie Memmi achète un lieu sur cour à Ivry-sur-Seine. La décennie 1990 s’avère déterminante : décès de la mère, transmission de l’entreprise du père au fils, mise aux normes européennes (« un parcours du combattant ») sous le contrôle d’une bureaucratie alliée à une vétérinaire -, élaboration d’un « packaging innovant », essor grâce à l’exportation, etc. Et Gérard Memmi se révèle pionnier en matière de communication, de marketing, de packaging, tout en adaptant son produit aux goûts de sa clientèle : texture plus douce, réduction du sel.
Puis, place à l’histoire de la boutargue dès l’Antiquité égyptienne.
La boutargue apparaît aussi dans la littérature française, du Gargantua de Rabelais aux romans d’Albert Cohen.
Attention, seules quatre espèces de mulets sont utilisées pour fabriquer la boutargue : le Mugil cephalus ou mulet jaune, le Mugil capurri, le Mugil curema et le mulet lippu (Chelon labrosus). La pêche, saisonnière, concerne uniquement les mulets femelles, et se déroule dans des zones délimitées par la FAO (Organisation onusienne pour l’agriculture et l’alimentation).
La société Memmi s'est engagée, aux côtés des associations SMART, qui gère le label international Artysanal® de pêche responsable pour les pêcheries artisanales, et Mauritanie 2000, en soutien aux épouses des pêcheurs imraguen du parc naturel du Banc-d'Arguin (PNBA), site mauritanien inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 1989, pour valoriser le mulet, pour une consommation locale et pour son exportation en Europe après transformation.
On aurait tort de penser que seuls les Méditerranéens apprécient la boutargue. Au Japon, ce « trésor de la mer » s’appelle karasumi, et à Taïwan wuyuzi.
En plus de sa saveur prononcée et subtile, la boutargue est un « concentré de bienfaits nutritionnels » : apports protéinés, acides gras insaturés, vitamine A…
L’auteur présente les associations harmonieuses de produits avec la boutargue, râpée ou découpées en lamelles : les pains dont le tabouna tunisien – curieusement, l’auteur oublie le pain italien -, quelques gouttes de citron ou d’huile d’olive extra-vierge, des légumes crus – artichaut violet de Provence, bulbe de fenouil -, des épices – safran, poivre -, des légumes cuits, dont la pomme de terre, des fromages frais telle la mozzarella di buffala Campana AOP, toutes les pâtes, les riz adaptés au risotto...
Côté boissons, l’écrivain et chroniqueur Cyrille Mald sélectionne certains whiskies, tequilas et vins blancs.
Enfin, Benoît Nicolas, Meilleur ouvrier de France, et des grands chefs cuisiniers (Thierry Marx, Éric Briffard, Philippe Labbé, Jean-André Charial, Paul Minchelli...) confient 28 recettes pour tous les goûts : polenta crémeuse poudrée de boutargue fraîchement râpée, gaspacho de melon et boutargue, tagliatelles vertes à la boutargue. Certaines sont surprenantes, voire décevantes dans leur sophistication : vinaigrettes et mayonnaises occultent le goût de la boutargue. Quant à l’omelette pour quatre personnes avec 12 œufs, bonjour le cholestérol !
Le livre s’achève par des « paroles d’addicts » : Claude Bartolone, Antoine, Jacky, Yvan Attal…
Gérard Memmi, « Boutargue. Histoires - Traditions – Recettes ». Photographies : Mathilde de L'Écotais, Rita Nurra. Avec la collaboration de Laurent Quessette et Josseline Rigot. Flammarion, 2019. Hors collection - Cuisine et gastronomie. 218 pages. 218 x 291 mm. Couleur – Relié. EAN : 9782081490857. ISBN : 9782081490857
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