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mercredi 16 novembre 2022

« Premières urgences » d’Eric Guéret

Le 16 novembre 2022 sortira au cinéma « Premières urgences » d’Eric Guéret. « Amin, Evan, Hélène, Lucie et Mélissa sont étudiants en médecine. Ils arrivent aux urgences de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis pour y effectuer, pendant six mois, leur premier stage en internat. Leur vocation résistera-t-elle à la réalité de l’hôpital qu’ils vont devoir affronter ? »


« Amin, Evan, Hélène, Lucie et Mélissa sont étudiants en médecine. Ils arrivent aux urgences de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis pour y effectuer, pendant six mois, leur premier stage en internat. Leur vocation résistera-t-elle à la réalité de l’hôpital qu’ils vont devoir affronter ? »

Tous n'avaient pas la vocation. Et ce documentaire élude la sélection par des concours dont certaines épreuves sont aberrantes et provoquent l'exil d'excellents candidats issus de la bourgeoisie moyenne, le numerus clausus et la discrimination positive.

Il montre des internes passant plus de temps à chercher des places pour les patients qu'à les soigner. Des parcours de patients brisés par un accident. Des masques mal posés sur les visages des soignants, des blouses non fermées.

Mélissa Djaouti sollicite souvent l'aide ou le conseil d'Amin Bouheniche. Comme si dans ce groupe, les internes se regroupaient pas origine.

Aucun des internes n'a de nom patronymique juif. Pourquoi ? Les internes juifs éviteraient-ils ce département situé dans la banlieue au nord de Paris, pour son insécurité, l'antisémitisme d'une partie des 700 000 musulmans ? En regardant la liste des soignants dans des services hospitaliers parisiens depuis une dizaine d'années, j'ai remarqué la quasi-disparition de noms juifs d'internes français. Y figuraient des noms chrétiens ou musulmans.

Finalement, le film ne montre pas deux décideurs essentiels dans l'hôpital : les politiciens et la bureaucratie qui imposent des conditions de travail déplorables pour les soignants et tristes pour les patients.

ENTRETIEN AVEC ÉRIC GUÉRET

« Comment est née l’idée de ce film ?
J’ai réalisé un film aux urgences de l’hôpital Avicennes de Bobigny en 2015. J’y racontais déjà la dégradation de notre système de santé et la fatigue des équipes soignantes. Quel avenir la politique de rentabilité de « l’hôpital entreprise » allait réserver à notre offre de soins ?
Pendant cinq ans j’ai cherché à poursuivre cette interrogation et à faire un nouveau film sur l’hôpital public. Sur sa fragilité et son risque de faillite, mais aussi sur sa beauté et son absolue nécessité.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que pour beaucoup de Français, l’hôpital et particulièrement les services d’urgences, sont les seuls lieux où se rendre en cas de problème. Le désert médical avance : dans près de la moitié du territoire, la population n’a plus accès à un médecin traitant. Sans l’hôpital, il n’y aurait plus rien. Alors que l’accès aux soins gratuits est l’un des piliers du pacte républicain !
Mais au-delà du fléau de la désertification médicale, l’hôpital reste une de seules bouées de sauvetage pour toute une partie de la population qui subit de plein fouet la brutalité de notre société. La violence physique, bien sûr, mais aussi la précarité, la solitude, la vieillesse, l’instabilité psychiatrique. Dans ce film, les jeunes internes font face à tous ceux qui arrivent aux urgences : ils sont confrontés à des problèmes graves, parfois vitaux. Leur service représente parfois le seul espoir de certains patients.
À l’heure ou l’hôpital va plus mal que jamais il me semble indispensable de rappeler le coeur de sa mission de service public.

Pourquoi réaliser aujourd’hui un film sur l’hôpital public ?
Ce film parle de l'engagement des soignants. La question de l'état de l'hôpital public est dans l'actualité depuis de nombreuses années. La crise de la Covid l'a mise encore un peu plus en lumière. Mais elle a surtout révélé l'engagement incroyable des équipes soignantes sur lequel repose l'hôpital public.
Souvenons-nous de tous ces soirs où nous les avons applaudis avec ferveur à travers toute la France.
Cet engagement est resté dans l’actualité depuis la fin de la crise de la Covid.
L’année dernière, une enquête nous a révélé qu’un lit sur cinq était fermé à l’hôpital à cause du manque de personnel. Des services entiers dont des urgences, ont dû être fermés cet été parce qu’il n’y avait personne pour les faire tourner. C’est une première. Sans l’engagement de tous, des médecins aux aides-soignantes en passant bien évidemment par les infirmières, rien ne peut fonctionner.
Pour aborder cette question de l’engagement, j’ai choisi de m’intéresser aux jeunes internes : ceux qui font leur premier stage. Ils sont confrontés pour la première fois à leur responsabilité de médecin. Ils reçoivent leurs premiers patients, rédigent leurs premières ordonnances. Ils sont plein d’enthousiasme et de désir de faire au mieux. Leur avenir est incertain. Je cherche à savoir si leur vocation résistera à l’état de l’hôpital public qu’ils vont découvrir.

Pourquoi avoir choisi les urgences de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis dirigées par Mathias Wargon ?
L’hôpital Delafontaine est le lieu idéal pour incarner les questions que porte le film.
C’est un grand hôpital de périphérie, semblable à ceux que l’on peut trouver dans beaucoup de villes françaises. Il est au cœur d’un désert médical urbain et est ainsi représentatif de ce que subissent beaucoup d’autres territoires. Car les déserts médicaux ne sont pas qu’à la campagne comme l’on pourrait le croire.
D’autre part la Seine-Saint-Denis fait face comme tous les grands centres urbains périphériques à la paupérisation de sa population, à l’arrivée de populations migrantes, à la solitude des personnes âgées et à toutes les fragilités sociales que l’hôpital doit gérer.
Enfin, il était important pour moi de ne pas m’installer dans un endroit où la situation serait extrême. Je ne voulais pas être au cœur d’un service d’urgence chaotique. J’aime filmer les problèmes de notre société en les abordant par les solutions. Par la face lumineuse plutôt que par les côtés obscurs.
Les urgences de l’hôpital Delafontaine subissent toutes les dérives de l’hôpital public mais elles fonctionnent malgré tout. Cela tient en majeure partie à l’engagement et à la solidarité de toutes les équipes soignantes. Mais aussi à la gestion de leur chef de service Mathias Wargon. C’est un personnage charismatique qui est devenu au fil du tournage l’un des personnages principaux du film aux côtés des 5 internes.
Grâce à lui, le service d’urgences à Delafontaine tourne correctement. Vous n’y voyez pas de misérabilisme, de système à l’agonie, de patients oubliés à force d’attendre… Cette situation nous permet de porter un regard juste et sans concession au plus près de la réalité quotidienne de ce service.

Comment s’est opéré le choix des internes que vous filmez ?
L’hôpital ne connait la liste des internes que dix jours avant le début du stage.
J’ai donc eu très peu de temps pour les rencontrer. Mais j’ai pu parler longuement avec chacun, leur raconter pourquoi je voulais faire ce film et comment. Je voulais comprendre la solidité de leur engagement de médecin et observer si la réalité de l’hôpital allait le renforcer ou le fragiliser. Finalement cinq internes ont accepté d’être filmés. Ils étaient même très enthousiastes. Et j’ai eu un petit coup de chance car ils sont parfaits. Amin, Hélène, Evan, Lucie et Mélissa ont entre 22 et 25 ans. Ils sortent de la faculté de médecine de Bobigny, à quelques kilomètres de l’hôpital. Trois filles et deux garçons avec des profils très complémentaires. Des différences très riches pour le film comme leurs sensibilités, leurs engagements, leurs projets d’avenir, leurs visions du rôle de médecin, leur profil sociaux et culturels. Ils sont en plus très solidaires et complices entre eux. Le casting idéal.

L’introduction du film les met d’emblée en lumière. Ils arrivent en bande, sans savoir à quoi ils vont être confrontés. On est loin de l’image classique d’urgentistes stressés…
J’ai voulu installer un rythme posé dès le début du film. On est au cinéma, on a le temps. Les internes sont un peu perdus au début. On tâtonne avec eux. Il y a ce sentiment d’errance. Mais en même temps il y a de la pression. On l'entend dans cette discussion entre Mélissa et Lucie, où Mélissa dit qu’elle a peur de mal faire. Qu’il y ait un problème avec un patient et qu’on le lui reproche.
Ensuite on les voit progresser au fil des semaines. Ils deviennent plus efficaces et rapides. Ce qui se traduit par une accélération du film. Contrairement à la représentation que la fiction donne généralement des services d’urgences, il y a moins de panique. Et c’est plutôt rassurant.
On voit très bien cette progression avec Amin par exemple qui tout au long du film recoud des plaies. La première il s’y prend à trois fois et finalement c’est un médecin sénior qui recoud devant lui en lui expliquant. Et à la fin du film avec Mélissa, ils recousent ensemble une plaie énorme. C’est spectaculaire.
Cela se ressent aussi dans la musique, plutôt atmosphérique que dramatique.

Pourquoi avoir fait appel à Cascadeur, musicien électro ?
Ce que j’apprécie chez Cascadeur, c’est sa musique très aérienne et subtile.
Elle n’est pas dans le pathos ni la dramatisation. Il me semblait indispensable que la musique nous aide à respirer dans un endroit où on ne respire pas très bien. Il fallait qu’elle puisse participer à la narration mais qu'elle le fasse en ouvrant des fenêtres. Je suis venu chercher dans sa musique de la lumière, même dans les moments sombres ou durs.

Le film commence par la rencontre de Mathias Wargon et des jeunes internes…
J’avais envie d’être aux côtés de Mathias Wargon le jour où les jeunes internes en médecine arrivent dans son service pour la première fois. Ils vont y passer six mois. Y faire leurs premiers pas de médecins, aller seuls au contact des malades et passer enfin de la théorie à la pratique. Ils ont appris à poser un diagnostic et ont depuis peu le droit de prescrire des médicaments. Mais les urgences c’est l’épreuve du feu…
Ils ont la pression et Mathias Wargon insiste bien sur l’enjeu de leur stage. “Vous n’êtes pas que étudiants, vous êtes Médecins, vous avez des responsabilités à l’hôpital”.
Toute la question du film est de savoir si l’hôpital leur donnera envie de s’y engager pour assurer sa survie.

Effectivement le film montre les internes confrontés au fil des mois aux difficultés quotidiennes d’un service d’urgences.
Ce film raconte très concrètement comment l’engagement de chacun est confronté à la réalité actuelle de l’hôpital. Même s’il fonctionne bien, le service des urgences paye les pots cassés de tous les dysfonctionnements de notre système de santé. Ils sont débordés par un afflux croissant de patients qui n’ont plus d’autres endroits où aller pour voir un médecin. Ils débordent de patients psychotiques qui restent parfois plusieurs jours en dormant dans les couloirs car les médecins psychiatres ne trouvent pas de place pour les accueillir. Ils débordent aussi de patients plus ou moins graves qui doivent être hospitalisés mais à force de fermer des lits dans toutes les unités, les équipes mettent des heures à leur trouver une place dans les hôpitaux de la région. C’est un casse-tête permanent.
Vous devez ajouter à ça le délabrement du matériel à cause du manque d’investissement, l’informatique qui rame, l’imprimante qui ne fonctionne pas, un matériel médical parfois vétuste et pas toujours adapté, des locaux dégradés… il faut une bonne dose d’engagement pour affronter tout cela au quotidien.
Et ce qui est magnifique, c’est que toute l’équipe médicale donne tout ce qu’elle a sans compter.

Puisque vous évoquez ces conditions difficiles, on voit ces internes qui font face à de graves dysfonctionnements du système… Il y a notamment cette imprimante capricieuse qui s’avère être un boulet pour tout le monde.
C’est absurde et c’est tragique. C’est le symbole de tous les dysfonctionnements de l’hôpital. L’imprimante est cassée, on lui met des bouts de scotch, on se passe du recto-verso, on perd du temps, on la bricole mais on ne la remplace pas ! En évitant de remplacer quelque chose qui n'est pas si cher, on ralentit le travail de tout le monde. Cette dégradation générale des moyens empoisonne la vie des médecins et des soignants, jusqu’à mettre en danger tout le monde.

Il y a de nombreuses scènes qui illustrent ce péril.
Oui. Par exemple, il y a quelqu’un qui fait une crise dans un couloir et qui est placé dans un box. Les infirmières cherchent partout un « scope » à installer pour surveiller les constantes du patient. L’une va fouiller dans la réserve, mais l’appareil qu’elle rapporte n’a pas la bonne prise. C’est encore plus grave que l’imprimante. On peut aussi citer les portes qui ne ferment pas, les toilettes bouchées, les ordinateurs qui galèrent tout le temps… Ce sont des exemples du délabrement de l’hôpital qui sont globalement choquants.

La recherche de lits semble aussi très chronophage.
C’est le plus gros problème selon moi. Quand un médecin prend en charge un patient, c’est à lui de trouver la place pour l’hospitaliser si nécessaire. À cause de la pénurie de lits de notre système de santé, ils passent parfois trois heures au téléphone à appeler tous les hôpitaux de la région pour trouver une place.
Et que ce soit un professeur hospitalier ou un interne c’est pareil. Ce qui est absurde c’est que pendant ce temps, ils ne voient pas d’autres patients, les dossiers s’accumulent et les urgences sont surchargées.
Les urgences sont les endroits où le manque de lits est le plus visible. Cette galère permanente illustre très bien la dérive de l’hôpital. Et c’est encore plus criant avec la psychiatrie. La France manque cruellement de place d’hospitalisation en psychiatrie. Ceux qui arrivent aux urgences y attendent parfois plusieurs jours qu’on leur trouve une place. Les équipes sont souvent obligées de les attacher et de les sédater sur des brancards pour éviter les risques de violence. Ce sont des conditions d’accueil indignes dont tout le monde souffre. Les malades, comme les équipes soignantes qui sont obligées de les gérer comme ça.

Cette situation n’épuise pas les équipes à force ?
Bien sûr que si. C’est pour cela que les hôpitaux ont de plus en plus de mal à recruter. La situation s’est encore dégradée depuis la crise de la Covid. Une partie des services d’urgences est fermée à cause du manque de personnel.
Beaucoup sont partis car les conditions sont dures et que le manque de reconnaissance a fini par les décourager. Notamment après le « Ségur de la santé » qui était censé tout régler… Les soignants se sont sentis méprisés. Mais beaucoup d’entre eux sont aussi en arrêt car en plein burn-out. Le sentiment général c’est que malgré tout l’engagement et la bonne volonté dont ils font preuve, ils n’arrivent pas à faire leur travail correctement.

Comment peut fonctionner un service dans de telles conditions ?
Les médecins étrangers sauvent le système français. Sur 21 médecins dans les équipes de Mathias Wargon, 19 sont étrangers. Sans eux, il n’y a pas d’hôpital public en France. Il faut le dire très clairement.
L’hôpital manque d’attractivité et les médecins français manquent de motivation pour y travailler. Ce que nous révèle d’ailleurs la fin du film c’est que sur nos cinq jeunes internes, un seul aura envie de s’engager à l’hôpital. Les autres se dirigent vers la médecine libérale. C’est un signe.

Comment s’est passé le tournage ?
J’ai tourné pendant six mois, de novembre 2020 à mai 2021, en immersion, presque tous les jours, ce qui m’a permis de filmer leur travail et les difficultés qu’ils traversent au plus proche de la réalité. On parle souvent des conditions de l’hôpital et du travail des soignants. Là on le voit avec une grande intimité.
Il n’y a pas d’interview, ni de commentaire. Le film n’est constitué que de séquences de vie. C’est un film assez proche de la fiction finalement bien qu’il traite de la réalité.

Vous filmiez quasi tous les jours, donc beaucoup d’heures de rush…
Le documentaire en immersion demande d’être réactif en permanence et de tourner beaucoup. On ne sait jamais quand une séquence commence ni ce qui va se passer. Donc il faut toujours tourner le début des histoires et je vois ensuite si je continue ou si j’arrête. En fonction de l’intérêt et de la force de l’action. Avec une dimension qui n’appartient qu’au documentaire : on ne refait pas la prise. Le réel est unique et ne se rejoue pas.
Il faut donc être là au bon moment avec des gens qui acceptent d’être filmé.
Il faut de la patience, de la confiance et être à la bonne distance. Ça demande énormément de présence et c’est d’ailleurs toute la difficulté du documentaire, notamment en immersion.
Au total pour ce film j’ai tourné 150 heures de rush, pour un premier montage d’environ cinq heures et pour un film d’une durée d’une heure quarante !

Après de nombreux documentaires sur l’écologie et quelques-uns sur des enjeux sociétaux, vous vous attaquez à la santé. Qu’est-ce qui a motivé vos choix ?
Les sujets de société permettent d’avoir des résultats plus rapides. Certains de mes films ont eu cette forme d’efficacité. Ils ont déclenché des prises de conscience. Par exemple, j’ai fait deux films sur le nucléaire (Sécurité nucléaire : le grand mensonge et Déchets : Le Cauchemar du nucléaire, pour ARTE) et chacun d’entre eux a déclenché une commission d'enquête parlementaire.
Bien sûr, un film ne change jamais le monde. Mais il peut changer la vision pour quelques-uns.
Je cherche à faire des films utiles aux autres et à la société. Ce ne sont pas des œuvres militantes mais elles sont engagées. Idéalement, je souhaite que le spectateur ne voie plus le problème de la même façon et qu’il puisse décaler et ouvrir son regard pour pouvoir agir différemment. J’aimerais que le film donne envie aux gens de se battre pour sauver ce système de santé qui est en danger, qu’il provoque une réflexion collective sur les moyens nécessaires pour le secourir. Voilà, c'est très ambitieux mais c'est comme ça que je travaille depuis presque 30 ans. »



« ENTRETIEN AVEC MATHIAS WARGON »

« Que souhaitiez-vous que la caméra d’Éric Guéret révèle de urgences de Delafontaine ?
Qu’il nous montre que c’est un service de médecine normal, organisé, pas au rabais, même si celui-ci se trouve en Seine-Saint-Denis. Et que les patients qu’on soigne sont ordinaires, même s’ils sont un peu précaires.
Premières Urgences est un hommage à la vocation et au métier de soignant. Il montre comment les rêves des internes peuvent être mis à l’épreuve face à la réalité de l’hôpital et de tous ses dysfonctionnements. Parmi ces derniers, celui de l’imprimante est assez révélateur.
C’est une des causes de notre épuisement, et c’est encore pire aujourd’hui qu’à l’époque du tournage. C’est le système : tout achat passe par des marchés publics et après on est bloqués avec un fournisseur. Pas plus tard que ce matin, je n’avais pas d’informatique. J’ai balancé un écran tellement je n’en pouvais plus. Il n’y a pas suffisamment de gens en support informatique et l’informatique hospitalière, c’est de la merde, excusez-moi du terme. Mais tout est médiocre à l’hôpital. Même nous parce qu’on n’a pas les bons outils, parce qu’on n’a pas le temps de voir les patients, parce qu’on ne leur apporte pas le soin correct car on est constamment interrompus. Ça joue sur nos humeurs… Ce n’est pas bien.

Vous parliez d’épuisement. Ce qu’on ressent très bien dans le film. Comment vous tenez ?
Je ne sais pas. C’est quand même intéressant sur le plan médical. On prend des décisions en permanence. C’est un travail d’équipe. L’équipe, c’est vital et vous le remarquez dans le film, le processus n’est pas très pyramidal. C’est très horizontal. Et puis c’est parfois drôle la médecine d’urgence. Malgré les contraintes, c’est passionnant… On est les seuls à faire des diagnostics en quelques heures là où Dr House met des jours…

La crise des urgences n’est pas nouvelle. Au début de l’été, une mission flash a été commandée par le Président de la république. Les 41 propositions ont été retenues par la Première ministre et le nouveau ministre de la Santé François Braun a affirmé qu’il les appliquerait toutes. Est-ce que ces propositions suffisent à réparer le système ?
C’est notoire, je suis un opposant à François Braun. Mais la médecine urgentiste est une spécialité jeune, une vingtaine d’années, et cela reste en famille où on se connaît tous et on n’est pas à couteaux tirés en permanence. Ce qui nous différencie est plus profond. Je suis pour l’intra-hospitalier tandis que François [Braun] est davantage en faveur de l’extra-hospitalier. Maintenant, concernant les 41 propositions, je pense qu’elles ne remettent pas assez en cause le système. Mais, sur la médecine d’urgence, le SAS, les SMUR paramédicaux, il y a des avancées, qu’on réclame depuis des années, que je n’aurai pas crues possibles de sa part. On peut citer les Infirmières de Pratique Avancée ou la régulation avant les urgences, si elle est bien faite… Est-ce que ça aura un impact ? Je n’en sais rien. Est-ce qu’il y a des gadgets ? Certainement. Mais pour l’instant il n’y a pas de refonte du système. La médecine de ville n’est pas traitée.

Quelles seraient les solutions pour désengorger les urgences ?
Il faut faciliter le maintien à domicile des gens, les interventions des infirmières et des médecins. Il faut que les urgences soient le dernier recours et pas une solution quand les autres corps médicaux ne peuvent pas ou ne veulent pas le faire. Il faut que ce soit un recours médical et pas organisationnel ou social.

Dans votre hôpital, que vous manque-t-il ?
Il me manque des infirmières formées et présentes, des médecins plus expérimentés. En clair il me manque d’avoir un peu plus d’aval et une meilleure organisation de l’hôpital et du système de santé. Vous savez, pendant la première vague du Covid, je disais à mes équipes qu’on vivait notre meilleure vie : on ne reçoit que des patients graves, donc des cas faits pour les urgences, et on trouve des lits sans qu’on les cherche.

Il y a ce problème de lits qui est récurrent…
La problématique n’est pas de trouver des lits pour les patients, mais de les libérer en les faisant sortir de l’hôpital. Et là on revient aux soins de suite, à l’hospitalisation à domicile qui doit être suffisamment souple, des médecins qui puissent voir ceux qui en ont besoin, etc. Le vrai souci n’est pas la fermeture des lits mais le manque de personnel qui nous oblige à ne pas pouvoir ouvrir ceux à disposition. Un lit c’est des infirmières, des aides-soignants, des médecins. On en manque cruellement. Il nous manque un tiers de sages-femmes.

Qu’est-ce qui ne les motive plus ?
Ce n’est pas qu’une question de rémunération ou de fatigue. Un recruteur m’a confié récemment que l’argent n’était que la troisième priorité des gens qui cherchent du travail. Aujourd’hui, ils cherchent d’abord la qualité de vie au travail, notamment ne pas avoir à travailler le week-end par exemple, et la gestion de son planning. Ce qui explique l’intérêt d’aller dans le privé. C’est beaucoup plus rémunérateur et il y a moins de pression. »


« Premières urgences  » par Éric Guéret
France, 1 h 40
Musique originale composée et interprétée par Cascadeur
Image et Son : Éric Guéret
Montage : Matthieu Bretaud, Florence Bresson
Étalonnage : Isabelle Laclau
Mixage : Emmanuel Croset
Montage son : Julien Roig
Direction de production : Nathalie Ducrin
Un documentaire produit par Haut et Court Doc
Avec la participation de CANAL +, CINÉ +
En association avec CINÉVENTURE 6
Produit par Emmanuelle Lepers
Avec Amin Bouheniche, Mélissa Djaouti, Evan Dru, Hélène Rossignol, Lucie Thoumieux, Mathias Wargon
Au cinéma le 16 novembre 2022

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