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jeudi 14 avril 2022

« La guerre des moutons. Le mérinos à la conquête du monde, 1786-2021 »

Les Archives nationales présentent l’exposition « La guerre des moutons. Le mérinos à la conquête du monde, 1786-2021 ». « À travers l'histoire de la Bergerie nationale de Rambouillet et de son troupeau de moutons mérinos à la laine surfine offerts par le roi d'Espagne à la France à la veille de la Révolution, c'est une guerre de plus de deux cents ans qui nous est contée. » La laine de ces moutons a été un enjeu économico-politique - concurrence de la laine anglaise au XIXe siècle - et a favorisé des études scientifiques, notamment génétiques. Entrée libre et gratuite.

Napoléon et Paris : rêves d’une capitale

« La Bergerie nationale de Rambouillet constitue un lieu de mémoire unique au monde. Tout d’abord, mémoire de pierre d’une institution créée en 1786 et qui s’offre encore au visiteur dans l’élégance de son architecture classique. Ensuite, mémoire de papier d’un fonds documentaire d’une exceptionnelle richesse, conservé au long de presque deux siècles et demi d’histoire, et versé depuis 2016 aux Archives nationales. Enfin et surtout, mémoire de chair, de corne et de laine d’un troupeau consanguin de béliers et de brebis mérinos jalousement conservés à travers les vicissitudes de l’histoire nationale, et toujours visible dans les lieux mêmes de sa première acclimatation, dans le parc du château de Rambouillet, dans les Yvelines. » 

« Vitrine de l'excellence française, lieu de formation des meilleurs bergers du pays, l'institution traverse les siècles en étant mêlée à tous les grands enjeux de l'histoire, tout en préservant dans ses murs le trésor vivant d'un troupeau reproduit sans aucun croisement extérieur jusqu'à nos jours. »

« Tout commence en 1786, avec le voyage vers Rambouillet du troupeau offert par le roi d’Espagne à Louis XVI, dans un contexte d’âpres rivalités commerciales. »

« Dès lors, la bergerie de Rambouillet se veut la vitrine de l’excellence française, lieu de formation des meilleurs bergers du pays. »

« Mobilisés par Napoléon pour contrecarrer l'industrie de la laine britannique, présents dans toutes les expositions internationales du XIXe siècle, exportés sur tous les continents, aujourd'hui invités à éduquer les jeunes générations aux enjeux de la biodiversité, les mérinos de Rambouillet sont les acteurs d'une histoire sans pareille. »

« Cette histoire débute au cœur du « beau XVIIIe siècle » européen, alors que toutes les grandes nations, nourries de philosophie des Lumières, lorgnent sur les troupeaux d’une valeur incomparable de la Couronne d’Espagne, les mérinos à la laine surfine, jalousement gardés par les mayorals des grands du royaume. Si la France n’est pas la plus rapide à saisir l’occasion, elle est celle qui prépare le plus méthodiquement son action, mobilisant ses savants, sa diplomatie et, in fine, les liens de cousinage qui unissent Louis XVI à Charles III d’Espagne, pour développer sa propre souche de béliers à la blanche toison ». 

« Précipités dans les guerres de la Révolution et de l’Empire, puis dans l’expansion coloniale du XIXe siècle, et enfin dans les tourments géopolitiques et les conquêtes scientifiques du XXe siècle, la Bergerie et ses mérinos invitent à une traversée de l’histoire à nulle autre pareille ».

« Si le vocabulaire du pastoralisme, l’imaginaire de la laine et les mythes associés aux bergers renvoient à un idéal de paix des champs, c’est au contraire une histoire de bruit et de fureur que l’on découvre à travers les archives de la Bergerie, dans les épisodes successifs d’une rivalité européenne, puis mondiale, pour le contrôle de l’industrie de la laine. » 

« Riche d’archives inédites et d'une iconographie exceptionnelle (gravures, aquarelles, photographies, tableaux d'échantillons de laine, etc.)… La Guerre des moutons entraîne le lecteur dans un récit qui croise les enjeux de l'élevage, de l'industrie, du commerce, de la science et de la diplomatie, fruit d'une recherche inédite qui associe historiens et spécialistes des sciences de l'animal. Elle nous dit l'intimité insoupçonnée des relations entre l'histoire de France et celle d'une race choisie pour être le miroir de son génie modernisateur. »

« Tout au long du parcours, des écrans didactiques diffusent de brefs extraits des pièces d’archives exposées. Ils permettent au visiteur d’accéder à la complexité des enjeux économiques dont la Bergerie a été le centre. »

« Des infographies cartographiques viennent également éclairer les flux de la « planète ovine », du siècle des Lumières à nos jours ». 

« Enfin, un dessin animé permet au visiteur de se familiariser avec ce qui fut un des fleurons du savoir-faire de la Bergerie : l’insémination artificielle ! »

Les commissaires scientifiques sont Pierre Cornu, professeur d'histoire contemporaine et d'histoire des sciences à l'université Lumière Lyon 2, membre du Laboratoire d'études rurales de Lyon, chercheur en délégation à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement [Inrae], et Henri Pinoteau, conservateur du patrimoine, directeur adjoint des Archives départementales du Loiret, ancien responsable des fonds de l'Agriculture aux Archives nationales.


Siècle des Lumières et blanches toisons : la monarchie française à l’heure de la mérinomanie européenne 
« Le moment de la fondation de la Bergerie, dans les toutes dernières années de l’Ancien Régime, est marqué par la passion pour l’expérimentation et l’amélioration agronomiques qui irrigue des élites françaises et européennes dont la fortune est encore largement fondée sur la mise en valeur de la terre, même si dans les îles britanniques déjà, la révolution industrielle prend forme. »
« Avec l’essor du commerce et de la consommation, une ressource prend une importance majeure dans l’économie européenne du XVIIIe siècle : la laine. Mais ce n’est pas une petite affaire de produire une laine de qualité, susceptible d’alimenter les manufactures. Le mouton, humble ruminant, fait alors l’objet d’une passion que l’on peine à imaginer aujourd’hui, mobilisant à la fois la science, le capital et le pouvoir politique pour fonder, depuis le travail du berger jusqu’à celui du tailleur d’habits, les conditions de la prospérité et de la puissance. »
« Dans un siècle où domine l’esprit mercantiliste, l’appropriation de cette ressource fait l’objet de rivalités féroces, chaque monarque cherchant à concentrer sur son territoire les productions textiles les plus prometteuses. De guerres coloniales en crises successorales, c’est ainsi toute l’Europe qui se trouve agitée par la quête de la suprématie manufacturière et marchande. Et si la brebis est, dans l’imaginaire chrétien, un symbole de paix, c’est avec sa laine que l’on tisse les uniformes des soldats du temps des « tyrannies éclairées ». 

La Bergerie de Rambouillet dans les guerres de la Révolution et de l’Empire. Ambitions, réalisations et déceptions 
« Le rêve d’une suprématie française dans l’industrie lainière continentale à partir des bergeries d’État se forme dans les dernières années du XVIIIe siècle, alors que la France révolutionnaire s’apprête à secouer l’Europe par ses conquêtes. »
« Si les années 1789-1794 sont difficiles pour la Bergerie, incertaine de ses missions et de son avenir, les premières victoires françaises dans les guerres contre la coalition européenne ne tardent pas à lui donner une ambition nouvelle : devenir la tête de réseau d’un vaste projet de développement de la production lainière en France d’abord, puis, au gré des conquêtes, dans les territoires assujettis. » 
« Avec l’arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte, cette ambition s’amplifie encore, la rivalité avec le Royaume-Uni le conduisant à développer une stratégie d’affrontement sur tous les plans. Le développement de la production lainière sur le continent apparaît comme le moyen d’entamer la domination commerciale anglaise. » 
« Placée au sein de la Maison de l’Empereur, la Bergerie de Rambouillet devient dès lors la pièce centrale d’un projet de mérinisation autoritaire du cheptel européen sous la férule d’une administration impériale dédiée. Pour la première fois, science, agriculture, industrie, droit et diplomatie sont associés pour produire les fondements d’une puissance hégémonique. Un aigle impérial est perché sur la toison du mérinos ! » 

La mérinisation du monde. Le savoir-faire de la Bergerie nationale face à l’essor des « pays neufs » de l’hémisphère Sud au XIXe siècle 
« La longue paix européenne du XIXe siècle est propice à la diffusion des innovations de l’âge industriel, non seulement dans une Europe gagnée par la fièvre entrepreneuriale, mais également dans le monde entier, de plus en plus étroitement relié par les routes terrestres et maritimes ouvertes par la révolution de la machine à vapeur. Dans les pays neufs d’Outre-Atlantique et de l’hémisphère sud, ce ne sont plus seulement quelques planteurs et négociants qui expriment l’esprit de conquête de l’Europe, mais des flots de migrants, désireux de faire fortune par l’agriculture, l’industrie ou le commerce, aux dépens des populations indigènes et de leur environnement. »
« Face aux immensités ouvertes par la colonisation, les vieux pays d’Europe peinent pour leur part à se maintenir dans la compétition lainière, avec leurs paysages façonnés pour une agriculture paysanne incompatible avec la logique des grands parcours à moutons. En Australie en revanche, où les populations aborigènes ne se voient reconnaître aucun droit sur leurs territoires, les « squatters » britanniques peuvent installer leurs immenses troupeaux ovins aux coûts de production les plus bas du monde. »
« Dans la nouvelle division internationale du travail qui s’instaure, la France garde et joue la carte de l’excellence agronomique et vétérinaire, faisant de la Bergerie de Rambouillet un pôle de ressources pour la diffusion des qualités lainières du mérinos dans le monde entier, en même temps qu’un lieu de recherche et d’expérimentation sur les pratiques d’élevage. Les régimes successifs assument de fait la continuité de l’État dans l’affirmation du prestige zootechnique français. Menacée de disparition, la Bergerie trouve ainsi une nouvelle vocation à l’âge de la première mondialisation et de l’affirmation des valeurs du « progrès ».

La Bergerie de Rambouillet au XXe siècle, entre lieu de mémoire et laboratoire 
« La Bergerie nationale de Rambouillet connaît une situation paradoxale au XXe siècle, avec d’une part le déclin irrémédiable de l’élevage ovin et de l’industrie de la laine en France et en Europe, et d’autre part la montée en puissance de la zootechnie comme outil de développement. Le troupeau de Rambouillet devient ainsi une ressource exceptionnelle pour étudier et promouvoir une sélection animale « scientifique », avec notamment une innovation appelée à bouleverser les pratiques d’élevage, l’insémination artificielle. »
« En voie de marginalisation lors des conflits et des crises des années 1914-1945, la Bergerie connaît ainsi une renaissance inattendue dans l’après-Seconde Guerre mondiale, qui lui permet, via la recherche scientifique et technique appliquée à l’élevage, de renouer avec la dimension internationale de ses débuts. » 
« Dans le même temps, elle voit se développer son rôle de lieu de formation dans les décennies modernisatrices de l’agriculture française, accueillant de nouveaux élèves et développant de nouveaux enseignements, qui relèguent peu à peu le troupeau de mérinos au rang de curiosité. Musée vivant, conservatoire de la mémoire longue de la relation des hommes et des animaux d’élevage, la Bergerie devient, sous la direction de Raymond Laurans (1907-1998), fondateur de la Société d’ethnozootechnie, un haut lieu de réflexion sur ce que l’animalité dit de l’humanité. »
 
Rambouillet au tournant du millénaire, entre défense de la biodiversité et transition agroécologique 
« Si les descendants des moutons de Louis XVI portent toujours fièrement leurs toisons dans les stalles de la Bergerie de Rambouillet, ils ne suffisent plus depuis plusieurs décennies déjà à justifier l’existence d’une institution d’État. Et s’il reste, dispersés dans le sud de la France, quelques bergers formés à Rambouillet porteurs de la mémoire de l’institution, ils savent la vulnérabilité du monde de l’élevage transhumant dans des temps de difficultés économiques et de tensions environnementales. Pourtant, la présence des mérinos à Rambouillet témoigne de la longue durée de la co-évolution des sociétés humaines et de leurs animaux dits « de rente ». Cette histoire prend une résonance nouvelle à l’heure où l’ensemble de la biosphère, monde sauvage et monde anthropisé de même, se trouve menacée à moyen terme, c’est-à-dire à l’horizon de deux générations humaines et d’un peu plus de générations ovines, d’une crise existentielle. »
« Au tournant du millénaire, la Bergerie se réinvente ainsi, à partir de son identité de lieu de formation, une mission de défense et de promotion de la biodiversité cultivée et des pratiques durables de mise en valeur des bioressources. Élèves de lycées agricoles et visiteurs continuent ainsi à côtoyer la mémoire vivante de la « guerre des moutons » des XVIIIe et XIXe siècles, tout en étant invités à porter un regard élargi sur la « ferme-monde » de l’âge de l’anthropocène. » 

Florilège 

«  Parmi les pièces exceptionnelles du fonds de la Bergerie nationale, figurent plusieurs monumentaux tableaux d’échantillons de laine élaborés dès 1786. Outils destinés au perfectionnement, les tableaux permettent de comparer, d’année en année, les toisons des mérinos ainsi précieusement catalogués. Ils servent aussi de véritables « vitrines » dans les stands de la Bergerie lors des expositions universelles organisées à partir des années 1850. » 

« L’industrie lainière rassemble au XVIIIe siècle deux catégories principales de producteurs, dont notamment, à côté des petits fabricants travaillant isolément, les manufactures. » 
« Ce sont elles qui contribuent le plus fortement à l’accroissement en valeur et au maintien de la position éminente de l’industrie lainière française, notamment parce qu’elles se tournent vers les productions de qualité. Elles sont, à ce titre, étroitement contrôlées et réglementées par l’État, comme en attestent plusieurs comptes rendus et échantillons d’étoffes établis pour témoigner de l’état de leur laine. Les plus renommées se trouvent à Sedan, Elbeuf, Louviers, Abbeville, Carcassonne, tandis que l’ensemble de ces entreprises de type industriel se concentre plus globalement dans diverses provinces de la France septentrionale (Normandie, Picardie, Flandre et Champagne) et, dans une moindre mesure, méridionale (Languedoc, Rouergue, Béarn, Navarre). »
« Les expériences menées à la ferme de Montbard sont multiples. Dans un mémoire de 1777 qu’il adresse à Necker, Daubenton les résume comme consistant en « tout ce qui peut contribuer à maintenir les moutons en bon état pour avoir une abondante production de bonne laine. Il s’agit de leur logement, de leurs nourritures, du berger, des chiens, des accouplements, des béliers et des brebis, de la naissance des agneaux, de la castration des mâles et des femelles, de la tonte, des moyens de prévenir et de guérir des maladies, du choix des prairies artificielles, de leur culture et de leur parcage, etc.  ». Il y envisage déjà d’en rendre compte dans un «   abrégé  » conçu comme un « manuel par demandes et réponses », qui deviendra l’Instruction pour les bergers et pour les propriétaires de troupeaux ». 

« Le domaine de Rambouillet ne devient royal que très tardivement. Si les rois de France ont toujours fréquenté sa forêt pour y chasser, ce n’est qu’à la fin de l’année 1783 que Louis XVI l’acquiert de son cousin le duc de Penthièvre, après des années d’insistance : Penthièvre comme son père le comte de Toulouse aimaient beaucoup Rambouillet dont ils avaient fait un cadre très raffiné. Louis XVI l’achète sur ses deniers propres et non sur le Trésor royal : Rambouillet n’appartient pas au domaine de la Couronne mais à son domaine privé. À quelque distance du château, au sein du parc de chasse, le roi installe donc une ferme, entièrement édifiée à ce moment-là, afin d’héberger des animaux de tous horizons et de mener des expériences de culture. Ces bâtiments sont les plus anciens de l’actuelle Bergerie nationale ; son pigeonnier, capable d’accueillir mille couples d’oiseaux, est le plus grand d’Îlede-France, reflet de la grandeur royale. » 

« Si les dernières années de l’Ancien Régime ont vu les animaux surnuméraires du troupeau être donnés par le roi à des particuliers, la diffusion du sang mérinos à travers la France passe, à partir de 1793, par des ventes aux enchères ». 
« Dans ce système qui durera jusqu’en 1853, les ventes de mérinos se font une fois par an, à la fin du printemps, juste après la tonte dont le produit est vendu en même temps. Annoncée à grand renfort d’affiches et d’avis publiés dans le monde des cultivateurs aisés et des nouvelles élites de Paris et de Seine-et-Oise pour l’essentiel, chaque vente permet la diffusion de ce nouvel animal si utile à la Nation, dont les prix montent rapidement, comme en témoignent les procès-verbaux notariés dressés à cette occasion. Ainsi, au début de la Révolution, plus de 150 agneaux naissent chaque année à cette époque, une centaine de mérinos est vendue annuellement et la laine rapporte plus de 10 000 livres par an : ces ventes assurent ainsi pendant longtemps à la Bergerie de Rambouillet une autonomie financière et une balance positive de ses comptes. » 

« François-Hilaire Gilbert est l’un des grands acteurs de la diffusion du mérinos en France. Après de nombreuses années à l’école vétérinaire d’Alfort dont il fut professeur et directeur adjoint, il fut chargé de faire la première extraction consécutive au traité de Bâle ; parti en Espagne en 1799, il eut une peine infinie à réunir les bêtes dues, ellesmêmes de qualité moindre que celles de 1786 et en partie décimées par un hiver calamiteux ». 
« Gilbert lui-même mourut de maladie et d’épuisement avant d’avoir pu regagner la France, son troupeau le précédant vers Perpignan. Il laissa des Instructions fort diffusées à cette époque, dans la ligne des écrits de Daubenton. »

« Si les bergeries impériales contribuaient à la mérinisation du troupeau français, leur effort ne portait donc pas autant de fruits qu’espéré : la France était encore loin d’avoir une production de laine fine autosuffisante. Napoléon, parmi d’autres options, choisit la solution la plus dirigiste en créant des dépôts de béliers mérinos purs qui seraient les seuls à pouvoir lutter les brebis françaises. Le décret du 8 mars 1811 marqua ainsi un véritable tournant dans l’histoire de la politique du vivant : les reproducteurs seuls autorisés, sur la base de la certitude de leur « pedigree », furent placés dans des dépôts gérés par des particuliers, à disposition gratuite de tous les éleveurs qui durent faire châtrer tous leurs mâles métis s’ils étaient à portée d’un dépôt. Une série de dépôts devait ainsi être constituée : le décret en prévoyait 60 pour les années 1811-1812 et une augmentation progressive jusqu’à 500 ». 

« Au plus haut niveau de l’État impérial se retrouve ce souci de promouvoir le mérinos par l’exemple. Ainsi l’impératrice Joséphine en possède-t-elle plusieurs milliers dans le parc de son château de la Malmaison. Sa bergerie Sainte-Cucufa héberge ces superbes animaux, tirés des meilleurs élevages, et même des Negrette, espèce de mérinos la plus célèbre possédée par le comte de Campo Alange ; cet aristocrate, qui avait donné ses faveurs aux envahisseurs français, fit aussi sa cour à Napoléon en offrant à l’impératrice deux cents de ses mérinos : dans la guerre des moutons, il y a aussi des traîtres… »
« Les dirigeants de Rambouillet cherchent à mettre en lumière les qualités irremplaçables de leurs mérinos. Ceux-ci ont bien vite formé une nouvelle race bien identifiée, distincte de leurs homologues espagnols. Pour cela, outre l’interdiction de mêler d’autres moutons aux mérinos de 1786, une habile sélection des reproducteurs a été menée : il s’agissait à la fois d’éviter les accouplements entre des individus ayant moins de 4 générations d’écart, pour éviter une consanguinité trop proche, et de mêler les différentes souches de mérinos importées d’Espagne. »
« Le résultat en est un animal nouveau, que l’administration fait représenter comme un maillon de la chaîne de l’amélioration des espèces françaises. Ainsi, Maréchal et Wailly, peintres officiels du Museum d’histoire naturelle, peignent le mérinos tel qu’arrivé d’Espagne, le mérinos né quelques années plus tard à Rambouillet, déjà différent de son ancêtre, une brebis beauceronne typiquement française, et enfin les produits de croisements sur plusieurs générations entre mérinos mâles de Rambouillet et brebis beauceronnes. Ce résultat en images, diffusées ensuite sous forme de gravures, prouve de façon éclatante à quel point le mérinos de Rambouillet est à même d’améliorer en quelques années les laines indigènes. » 

« Les premiers dépôts furent très vite établis, souvent sur proposition de grands propriétaires, et alimentés par une partie des reproducteurs des bergeries impériales avant que les inspecteurs ne vérifiassent que les béliers de particuliers fussent purs et donc aptes à grossir les rangs de ces dépôts qui devaient en compter entre 150 et 250 chacun. Les troupeaux purs de particuliers furent alors de mieux en mieux recensés, avec un souci de connaître leur provenance. Parmi eux, on retrouve Bourgeois, le régisseur de la Bergerie, l’ancien ministre Chaptal, le vétérinaire et agronome Victor Yvart, ou encore la duchesse de Montebello. »

« La prospérité de la Bergerie durant la Révolution et l’Empire, malgré les aléas de la politique intérieure d’abord et extérieure ensuite, doit beaucoup à ceux qui conduisent l’établissement, au premier rang desquels le régisseur Charles-Germain Bourgeois, le régisseur de la Bergerie, en poste de 1786 à 1811. Vingt-cinq années durant, cet ancien intendant des domaines du futur Charles X pose les fondations de l’établissement rural et gère habilement le domaine. Bien intégré dans la notabilité locale, il installe dans sa ferme du Roseau, de l’autre côté de la forêt de Rambouillet, son propre troupeau de mérinos, don du gouvernement en récompense de ses bons et loyaux services. Son fils, qui lui succédera, mettra en lumière la qualité lainière de ce troupeau, excellent exemple de diffusion d’un sang et de pratiques chez les « cultivateurs éclairés ». 

« Tout au long du XIXe siècle se multiplient les images du mérinos : la gravure, qui permet un traitement très naturaliste, est de plus en plus concurrencée par la photographie à mesure que celle-ci se stabilise et peut être réemployée dans des publications. Pour l’heure, la photographie est encore un support de prestige, comme l’avait fait Nadar jeune et comme le fait quelques années plus tard le propre photographe officiel de la Maison de l’Empereur, signe du lien fort entre le pouvoir et cet établissement. » 

« Malgré le déclin rapide et prononcé de l’économie de la laine dans l’après-guerre, Rambouillet demeure un lieu emblématique de cette production en France, et constitue le dernier bastion de l’expertise lainière nationale, avec des directeurs qui mettent un point d’honneur à faire réaliser et à publier eux-mêmes des travaux sur la laine comme matériau. Pour la Fédération nationale ovine, encore dominée à cette époque par les grands propriétaires du Bassin parisien, Rambouillet représente un lieu chargé de mémoire, mais également un relais dans ses contacts avec les politiques publiques touchant aux questions agricoles et industrielles. »

« Raymond Laurans est sans conteste l’une des figures les plus marquantes et les plus attachantes de l’histoire de la Bergerie nationale de Rambouillet. Esprit à la culture encyclopédique, curieux de sciences, de techniques, d’histoire et d’anthropologie, il est également un grand voyageur et un grand médiateur de la zootechnie française. »
« À la tête de la Bergerie de 1948 à 1970, Raymond Laurans joue un rôle majeur dans le renouvellement de l’offre de formation de l’école, dans la modernisation des bâtiments et dans l’animation intellectuelle autour du patrimoine ovin et lainier français. Sous sa direction, Rambouillet devient tout à la fois un centre de formation, un lieu de certification des inséminateurs et un véritable musée vivant de l’élevage ». 
« Sous la direction de Raymond Laurans, la Bergerie nationale accueille un grand nombre de personnalités, la plupart du temps en lien avec une résidence au château de Rambouillet. Vincent Auriol, président de la République de 1947 à 1954, est l’un des plus assidus, résidant fréquemment à Rambouillet où il reçoit ses hôtes, à l’instar du couple royal des Pays-Bas. Charles de Gaulle également utilise le domaine de Rambouillet pour recevoir ses visiteurs de marque à partir de 1958. Il est photographié ici dans la cour de la Bergerie nationale à l’occasion de l’accueil du chancelier d’Allemagne fédérale Konrad Adenauer en 1963 ».
«  Avant et après les décolonisations, les leaders des nations africaines sont fréquemment invités à découvrir à Rambouillet les techniques les plus avancées de la sélection et de la reproduction du cheptel. En lien avec la recherche et l’enseignement agronomique, la Bergerie nationale contribue ainsi à une nouvelle forme de l’influence française, passée de l’impérialisme à la « coopération ». 

« Les travaux pratiques sous la conduite du maître-berger André Moret constituent une partie essentielle du curriculum des élèves de l’école de bergers de Rambouillet ». 
« C’est au contact du maître qu’ils apprennent les gestes des soins aux brebis et aux agneaux principalement. Prophylaxie, taille des sabots, tonte, agnelage, un berger doit savoir tout faire seul, avec très peu de matériel et en extérieur le plus souvent. Toute la fierté du berger réside dans un troupeau bien tenu, ramené sans pertes à son propriétaire. André Moret, lui, avait la responsabilité de deux troupeaux à la fois, comme il aimait à le dire : ses mérinos, et ses élèves bergers. »
« Maître-berger de 1930 à 1970, André Moret incarne à la perfection l’esprit de la Bergerie nationale. Attaché à son troupeau, dévoué à ses élèves, ouvert à toutes les innovations techniques et à toutes les expériences scientifiques, il apporte un savoir-faire incomparable à l’institution. 

« Installée en Haute-Garonne en 2003, la styliste Krystel Chavigny y a développé tout un travail d’exploration des possibilités de relance de la laine, et notamment du feutre, que ce soit pour la mode ou la décoration. Réalisée avec de la pure laine de mérinos de Rambouillet (avec un buste en feuilles d’orties), la robe présentée sur mannequin a été baptisée « Marie-Antoinette » en référence à l’épouse de Louis XVI, le fondateur de la Bergerie. Krystel Chavigny fait partie de ces artisans, artistes et industriels qui ont été les acteurs principaux de la relance de la laine en France et de la refondation des savoir-faire associés à sa valorisation 

« On peut voir le dispositif inventé par les hommes de la Bergerie pour assurer la précision et la fiabilité de leurs clichés : une toise verticale et horizontale en bois, avec des gardecorps qui permettent de maintenir l’animal, un simple drap blanc pour servir de fond, et une distance à l’objectif toujours égale. Les clichés sont réalisés sur plaque de verre, puis font l’objet d’un tirage sur papier. Les animaux sont scrupuleusement référencés, permettant un véritable suivi « biographique ». L’excellente qualité de ces clichés donne l’idée à la direction de la Bergerie d’en faire un argument commercial, en les faisant figurer sur les brochures diffusées à l’étranger par le biais des services diplomatiques français. On peut voir ici, par la diversité des langues utilisées, le rayonnement de Rambouillet en Europe et dans le monde. » 


Du 15 décembre 2021 au 18 avril 2022
Site de Paris 
60, rue des Francs-Bourgeois 75003 Paris 
Du lundi au vendredi de 10 h à 17 h 30. Samedi et dimanche de 14 h à 17 h 30. Fermé le mardi
Entrée libre et gratuite
Visuels 
Tableaux d’échantillons de laine de mérinos 1786-1996. © Arch. nat.

Gravure de mérinos devant la Bergerie par Pierre-Frédéric Lehnert, 1873.
20160285/648-649. © Arch. nat

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