Le musée d’art et d’histoire du Judaïsme présente l’exposition « Patrick Zachmann. Voyages de mémoire ». « Membre depuis 1985 de la prestigieuse agence Magnum », le photographe français juif Patrick Zachmann présente une sélection de ses photographies, offrant ainsi un périple dans l'Histoire politique récente et dans la mémoire juive parisienne, et la sienne. D'Algérie en Pologne ou en Ukraine, de Jérusalem - réunion de rescapés de la Shoah - à Paris.
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« Est-on juif quand on ignore sa religion et sa culture ? À la fin des années 1970 et jusqu'au au début des années 1990, Patrick Zachmann mène une longue « enquête » sur les juifs de France, à la recherche de sa propre identité. De Paris à Marseille, de la rue des Rosiers aux Buttes-Chaumont, des plus orthodoxes aux plus laïques, de la communauté loubavitch aux grossistes du Sentier, des derniers typographes communistes du quotidien yiddish Naye Prese aux juifs les plus « invisibles », le photographe saisit les différentes facettes de la judaïcité française alors même que, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, se produisent en France des attentats antisémites. Et, pressentant ce que l’on nommera bientôt l’« ère du témoin », il photographie le premier rassemblement de survivants de la Shoah à Jérusalem en 1981. »
« Membre depuis 1985 de la prestigieuse agence Magnum, Patrick Zachmann fait de nombreux reportages hors de France. Son activité le mène en Afrique du Sud en 1990 pour la libération de Nelson Mandela, où il assiste à une manifestation de partisans de l’Apartheid, avec croix gammées et chemises brunes. Il parcourt le Chili en 1999 à la recherche des traces des camps de prisonniers politiques dans le désert d’Atacama. Du Rwanda en 2000, six ans après le génocide des Tutsis, il rapporte des portraits de survivants et des images d’ossuaires qui évoquent implacablement l’ampleur du crime de masse. La même année, il fait le voyage d’Auschwitz-Birkenau, où furent assassinés ses grands-parents paternels, et en revient avec des images glaçantes. En contrepoint, dans les années 2010, il retourne en Pologne et en Ukraine dont il rapporte des photographies inattendues et joyeuses des pèlerinages de juifs orthodoxes sur les tombes des fondateurs du hassidisme. Enfin, retournant aux origines de sa famille maternelle, il parcourt l’Oranie et l’Est marocain pour retrouver les traces de ce judaïsme d’Afrique du Nord présent depuis des temps immémoriaux, et qui constitue aujourd’hui au Maghreb un « monde disparu », à l’instar de celui de sa famille paternelle d’origine polonaise. »
« Première grande exposition monographique au mahJ d’un photographe vivant, « Voyages de mémoire » présente quelque 300 oeuvres de Patrick Zachmann, des années 1970 aux années 2015, dont de très nombreux inédits et un film, La mémoire de mon père. Elles nous révèlent un regard humaniste posé sur le monde, nourri par l’expérience juive et habité par les questions universelles de l’exil, de la disparition et de l’oubli. »
« L'exposition est accompagnée d'un catalogue, coédité par le mahJ et l'Atelier EXB (224 pages, 190 illustrations, 39 €), ainsi que de manifestations à l'auditorium et de visites guidées ».
Ces textes de Patrick Zachmann accompagnent le parcours de l’exposition.
« I. ENQUÊTE D'IDENTITÉ
Une identité visible
Je suis devenu photographe parce que je n’ai pas de mémoire. La photographie m’a permis de reconstituer les albums de famille que je n’ai jamais eus, les images manquantes devenant le moteur de ma recherche. Les planches-contact sont mon journal intime.
Mes premières photos professionnelles, mon premier reportage, c’était en 1979, et je croyais que ce travail ne durerait que le temps de publier un sujet dans un magazine. Je ne savais encore rien sur l’histoire de ma famille, ni sur le judaïsme. Pendant des mois, j’ai suivi des juifs orthodoxes, des hassidim, principalement des Loubavitch. Des visages m’attiraient, des gestes me bouleversaient. Je retrouvais des attitudes qui m’étaient familières chez des inconnus et qui me troublaient violemment sans que je puisse l’analyser. Je m’accrochais alors à une certitude : tout cela ne me concernait pas. À mes yeux, les juifs, c’étaient eux, pas moi ! À cette période, ils incarnaient pour moi l’identité juive, même si j’ai toujours été agacé par la représentation des juifs à travers cette image réductrice. Il est facile de montrer des juifs « visibles », avec une barbe et un shtreimel (chapeau de fourrure) ou une kippah (calotte). D’autres photographes l’ont fait avant moi, notamment Leonard Freed, de l’agence Magnum, avec La Danse des fidèles publiée en 1984 sur les juifs orthodoxes à New York, Amsterdam et Tel-Aviv. Montrer l’identité juive « intérieure », invisible, sans signe extérieur, est beaucoup plus complexe. »
« Survivants
Lorsque j’apprends en 1981 que le premier rassemblement mondial de survivants de la Shoah va avoir lieu à Jérusalem, je n’hésite pas. Je désire conserver une image de ces hommes et femmes avant qu’ils ne disparaissent. Une fois sur place, au-delà du reportage sur l’événement, je réalise des portraits sur un fond neutre pour les rendre intemporels. Mais ces survivants m’intimident car je crains qu’ils ne me questionnent sur l’histoire de ma propre famille, disparue à Auschwitz et dont je ne sais quasiment rien à l’époque. Je n’ai pas véritablement conscience alors d’être sur les traces de mes grands-parents. Avec le recul, je regretterai de ne pas avoir interrogé ces survivants sur leur histoire. Seul le tatouage sur leur bras indique qu’ils furent déportés à Auschwitz.
Le paradoxe de ce rassemblement tient au fait que ces survivants de l’enfer sont réunis pour se retrouver mais aussi pour témoigner. Si certains sont résolument là pour transmettre, d’autres restent muets, à l’écart, ne souhaitant pas parler. Leurs histoires sont trop douloureuses, trop singulières, impossibles à partager avec ceux qui ne les ont pas vécues, même quarante ans plus tard. La photographie est silencieuse, et c’est sa force : certains ont probablement accepté de poser précisément parce qu’ils pouvaient ainsi garder le silence. »
« Résurgences antisémites
L’émotion est immense après les attentats contre la synagogue de la rue Copernic en 1980, puis contre le restaurant Jo Goldenberg de la rue des Rosiers en 1982. Des manifestations nationales sont organisées, dont l’ampleur reflète la gravité de ces actes, attribués dans un premier temps à l’extrême droite. J’éprouve de la colère et de l’inquiétude face à cette renaissance de la violence antisémite, associée à des publications et des paroles négationnistes de plus en plus nombreuses. C’est dans ce contexte que je prends contact avec de jeunes sionistes, non pas pour leurs idées que je ne partage pas, mais parce qu’ils représentent à mes yeux la réponse que j’attends face aux antisémites. Ils sont violents, impulsifs, mais j’envie leur courage et leur détermination. Face à l’antisémitisme, j’ai toujours éprouvé de l’incompréhension et un sentiment de blessure. Eux s’entraînent, se battent, leurs grands frères organisent des comités d’autodéfense et assurent souvent la sécurité des rassemblements communautaires. »
« Pourvu qu'on ait l'ivresse
Les portraits de marginaux réalisés par Diane Arbus dans les années 1950-1960 m’ont énormément marqué, de même que le court métrage Pourvu qu’on ait l’ivresse de Jean-Daniel Pollet sorti en 1958, dont j’ai adoré les atmosphères glauques du dancing où évoluait Claude Melki, son acteur fétiche, timide, vulnérable, au physique méditerranéen et terriblement attachant. Ils ont donné naissance à cette série sur les bals. Le film de Pollet aurait pu se passer en Algérie, pays d’enfance de ma mère. Après avoir exploré la mémoire de mon père ashkénaze au contact des survivants de la Shoah, je passe des après-midi et des soirées dans des ambiances séfarades sans me rendre compte que c’est alors le passé de ma mère – dont je ne sais rien – qu’inconsciemment je cherche. Ce n’est que des années plus tard que j’apprendrai par ma mère qu’elle a rencontré mon père… dans un bal ! »
« Une identité intérieure
Je voulais photographier toutes sortes de juifs, des ashkénazes, des séfarades, des religieux, des non croyants, des communautaristes, des électrons libres, des intellectuels, des artistes, des ouvriers, des commerçants, des intelligents, des stupides, des riches, des pauvres… Je voulais déconstruire certains clichés et dresser un portrait subjectif des juifs de France qui les montrerait dans leur diversité et, finalement, dans leurs identités multiples.
Après avoir exploré l’identité « visible » des juifs orthodoxes, dans laquelle je ne me reconnaissais pas puisque non croyant, je me suis intéressé aux survivants. Puis, après avoir suivi des jeunes sionistes dans lesquels je ne pouvais pas non plus me reconnaître, j’ai photographié la vie communautaire et les bals juifs qui me rappelaient inconsciemment ma mère.
En réalisant des portraits de juifs « ordinaires » dans leur environnement professionnel (tailleurs, musiciens, écrivains, philosophes, psychanalystes, avocats, médecins…), à la manière du photographe allemand August Sander, je m’éloignais d’une identité évidente. Si les premiers sont encore très identifiables sociologiquement, je m’intéresse ensuite à des individus dont toutes les traces de judéité – religieuse, sociale, professionnelle, communautaire – ont disparu. C’est leur identité intérieure, intime, invisible, qui m’intéresse et que je tente de capter. À travers ces juifs, je me rapproche, sans le savoir, de ma propre identité. Rétrospectivement, je me rends compte que j’ai essentiellement photographié des hommes, probablement parce que c’est une image de moi-même que je recherchais »
« Au parc des Buttes-Chaumont
J’apprends par quelqu’un qui travaille au journal yiddish Naye Prese [Presse nouvelle] que de vieux ashkénazes se retrouvent tous les jours au parc des Buttes-Chaumont.
Ils marchent par petits groupes, ou par deux, arpentant toujours les mêmes allées. D’autres s’installent sur des bancs et discutent, souvent en yiddish, politique ou shmattès – terme désignant les métiers de la confection. Un solitaire déambule en lisant Undzer vort [Notre parole], un quotidien yiddish de gauche publié à Paris de 1944 à 1996. Je suis fasciné mais me sens étranger. Ces hommes et ces femmes sont émouvants bien que pas toujours très accueillants. Ils se méfient de ce type qui les prend sans arrêt en photo. Que va-t-il faire avec ces photos ? Je les sens animés d’une certaine hostilité lorsque je reviens trop souvent. Puis, petit à petit, ils m’acceptent. Je leur apporte des tirages, ce qui m’aide à me faire admettre.
Je ne connais pas grand-chose de l’histoire de mon père, et moins encore de celle de mes grands-parents, ce qui limite les possibilités de discussion avec eux comme ce fut le cas avec les survivants en Israël. Ils me posent des questions plus précises auxquelles je ne sais pas répondre. Ils ont l’air déçus et reprennent leurs conversations en yiddish. Ils viennent d’Europe orientale. Je ne peux pas dire s’ils sont tous des survivants des camps. Aujourd’hui, j’aimerais en retrouver certains pour les interroger, mais tous sont morts. »
« Un long détour
Cette longue recherche introspective s’achève par ma propre famille. Pourtant, je ne l’avais pas programmé. J’avançais intuitivement d’une identité à l’autre pour me rapprocher de la mienne par négation, par exclusion des identités dans lesquelles je ne me reconnaissais pas. La photographie est un fabuleux miroir qui, à travers les autres, anonymes ou proches, vous renvoie à votre propre image.
J’entreprends donc d’aller vers ma famille, dont je connais peu de membres du côté de ma mère. Je découvre une famille élargie : des cousins, des cousines, des grands-tantes. Ils vivent pour la plupart en banlieue parisienne et dans le Midi. Je rencontre des séfarades accueillants et chaleureux. Ma mère avait coupé les ponts avec la plupart d’entre eux. Elle aspirait à une vie « parisienne », et cette branche lui rappelait, je pense, ce qu’elle avait voulu oublier. Eux, parlent volontiers du passé en Algérie ou au Maroc, des traditions… Je ne sens ni les tabous ni les silences pesants de mes parents. Ils sont juifs, l’assument, le revendiquent s’il le faut. Mes cousins et cousines n’ont pas les problèmes identitaires que je ressens. Beaucoup sont observants, respectant les fêtes, et certains d’entre eux des rites plus stricts encore. Je côtoie toutes sortes de juifs qui ne sont plus des anonymes. Je réalise que j’aurais pu entreprendre la totalité de cette enquête à travers ma propre famille ! Il m’a fallu faire ce long détour par les autres avant d’affronter les miens. »
« II. ENQUÊTES DE MÉMOIRE
Auschwitz, 2000
J’avais toujours pensé pouvoir éviter d’aller à Auschwitz. C’était pour moi le lieu de mémoire par excellence. Il existait, je le savais. C’était essentiel et cela me suffisait. Mais un jour, en 2000, alors que je suis en train de réaliser Allers-retour. Journal d’un photographe, un film sur la disparition des corps et de la mémoire au Chili, en Argentine, au Rwanda et en Bosnie, un ami documentariste me contacte et me fait une curieuse proposition. Il tourne un film sur son père rescapé des camps et doit le suivre à l’occasion d’un voyage avec des lycéens. Ayant un empêchement et après avoir vu La Mémoire de mon père, il me suggère de prendre sa place. Aller à Auschwitz à la place d’un autre : l’idée nous fait sourire, mais non merci, je n’y tiens pas ! J’accepte finalement et ne l’ai pas regretté ».
« Afrique du Sud, 1990
Lorsque j’apprends que Nelson Mandela doit être libéré, je ressens le désir de vivre ce moment historique en direct. Je pars aussitôt sans commande professionnelle, pour garder une trace photographique de cet événement sans précédent. Les Afrikaners sont furieux. À Pretoria, je photographie une manifestation d’extrême droite dont la vue me glace le sang. Mandela est libéré le 11 février 1990. Deux jours plus tard, je suis au Cap pour prendre des photos de l’immense foule en joie qui attend son leader devant l’hôtel de ville où il doit faire son premier discours. Blessé quelques rues plus loin par la police qui charge des pillards, je ne verrai malheureusement jamais le grand homme. »
« Chili, 1999
Le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili a marqué ma génération. Il représentait l’inacceptable : la victoire de l’horreur, la barbarie, le fascisme. C’est au moment de l’arrestation d’Augusto Pinochet à Londres en octobre 1998 que je décide de réaliser un reportage sur les victimes de la dictature. Je découvre un pays dont l’amnésie me stupéfie mais m’attire d’autant plus que je sens qu’il renvoie confusément à mes démêlés avec la mémoire. Je comprends vite que l’essentiel est souterrain, que les séquelles du régime ne sont pas visibles. Je rencontre des victimes et leurs parents, des fils et des filles de disparus que je photographie en retenant mon souffle : ils commencent à peine à parler.
Les portraits que je réalise me laissent insatisfait. J’ai la conviction que la photographie ne suffit pas. Je décide alors de faire un film pour recueillir la parole des victimes et leurs récits ; intitulé Allers-retour. Journal d'un photographe, il sortira en 2001. Parallèlement, j’entreprends un travail photographique, dont j’écarte délibérément les hommes au profit des paysages. J’emprunte la route panaméricaine où surgissent les vestiges d’un monde industriel révolu. Sur le site de Chacabuco, rien n’indique que l’ancienne mine a été, sous la junte, le plus grand camp de prisonniers politiques du pays. Et à Pisagua, une prison devenue lieu d’enfermement et de torture a été transformée en hôtel. De retour à Santiago, je vais au tristement célèbre Stade national. Là encore, rien n’incite le visiteur au souvenir, et je pense à Drancy et au Vél’ d’Hiv. »
« Rwanda, 2000
Le génocide des Tutsis en 1994 m’a profondément bouleversé. La violence, l’ampleur et la rapidité avec laquelle il s’est déroulé étaient insupportables, inimaginables. Cette extermination systématique me renvoyait à la Shoah. En 2000, lors du tournage de mon documentaire Allers-retour. Journal d’un photographe, qui évoque la disparition des corps et l’amnésie, inclure ce génocide dans mon enquête m’apparaît comme une nécessité. J’entre en contact avec le responsable de l’association Ibuka (« Souviens-toi » en kinyarwanda), rescapé tutsi, qui se réfère sans cesse au travail de mémoire effectué par les juifs sur la Shoah. Grâce à lui, je peux rencontrer des rescapés tutsis et faire leur portrait. »
« Hongrie, 2004
En 2004, lorsque Diane Dufour, alors directrice de l’agence Magnum, m’inclut dans Eurovisions, un projet collectif pour découvrir et photographier les dix nouveaux pays européens, je choisis la Hongrie. Pourquoi ce pays, alors que rien ne m’y rattache ? Sans doute, ai-je alors à l’esprit la tragédie de l’extermination des juifs hongrois. L’importance de la photographie hongroise compte aussi : Brassaï m’a beaucoup influencé.
Mon idée est de découvrir la Hongrie à travers les yeux d’une personnalité que je pourrais rencontrer en France avant mon départ. C’est ainsi que je fais la connaissance d’Adam Biro, éditeur et écrivain hongrois installé à Paris depuis l’âge de quinze ans. Il est juif, mais je l’ignore au moment où je le contacte. Une complicité s’établit immédiatement entre nous. En réalité, Adam connaît très peu son pays natal, l’ayant quitté très jeune. L’un de ses textes commence par ces mots : « Budapest, que je ne connais pas… » Ainsi, Adam m’a encouragé à chercher mes propres pistes. D’une certaine façon, j’ai trouvé en lui le parfait passeur, celui qui m’a donné une mémoire lacunaire, parcellaire. »
« Pologne et Ukraine, 2014-2015
Sollicité par un collectif de photographes polonais pour conduire un stage à Cracovie, je suis ému en parcourant l’ancien quartier juif de Kazimierz, certes aujourd’hui plein de touristes, mais vivant et finalement très juif. Plusieurs synagogues sont en activité. La petite communauté juive est dynamique. Il y a des librairies spécialisées, un centre culturel, des restaurants kashers, un groupe de musiciens yiddish… Un festival s’y tient chaque année. J’y vois la preuve d’une renaissance de la culture juive. Je rencontre une femme rabbin et des Polonaises qui se convertissent au judaïsme. En me promenant dans l’un des cimetières juifs, je croise des hassidim venus de New York en pèlerinage pour l’anniversaire de la mort d’un important rabbin. Je me renseigne et reviens à plusieurs reprises pour suivre ces juifs orthodoxes dans des villages de Pologne, puis en Ukraine. En voyant ces hommes habillés de la même manière qu’il y a un siècle, avec leur barbe, leur chapeau, leurs papillotes et leur caftan, j’imagine leurs ancêtres dans ces villages où les juifs étaient si nombreux avant la Shoah. Ils n’ont pas changé et m’apparaissent comme des fantômes dans ces lieux où les nazis ont exterminé la plupart des juifs ».
« III. LE VOYAGE À L'ENVERS
Mare Mater
Pendant des années j’ai repoussé le moment d’un travail sur ma mère analogue à celui effectué sur mon père en 1995. Il m’a fallu atteindre l’âge de 55 ans pour interroger ma mère sur son passé. De son enfance, je n’avais ni photo – un comble pour un photographe – ni récit de l’histoire familiale. De même que mon père ne nous a quasiment jamais parlé de son passé polonais, pour des raisons différentes, ma mère ne nous a rien raconté de l’Algérie.
J’ai commencé à filmer ma mère en 2011. Âgée de 90 ans, elle souffrait de graves troubles de la mémoire. De l’Algérie, elle ne se souvenait de presque rien, sauf d’avoir voulu oublier ses origines et la pauvreté. Elle était née à Oujda dans l’est du Maroc – où la majeure partie de sa famille paternelle avait émigré –, puis avait grandi à Aïn Témouchent dans l’ouest de l’Algérie. Je suis alors parti à la recherche de mes origines, des images manquantes de mon album de famille. Cette recherche des racines de ma mère a donné le film Mare Mater sorti en 2013, où je confronte ma propre histoire familiale à celle des migrants d’aujourd’hui. »
« Algérie, 2011
En 2011, comprenant que je n’obtiendrai pas plus d’informations sur mes grands-parents et sur l’enfance de ma mère pour m’aider à reconstituer cette histoire enfouie, je décide de partir sur ses traces, en Algérie, à Aïn Témouchent puis à Tlemcen où est enterré mon arrière-grand-père. Soixante-dix ans après le départ de ma mère vers la France, je fais le voyage à l’envers ».
Repères biographiques
« 1955 Naissance à Choisy-le-Roi d’une mère juive originaire d'Algérie, Rose Ben Samoun, et d’un père juif ashkénaze, Jean Zachmann.
Années 1960 Initiation à la photographie dans le laboratoire amateur de l’école Decroly, à Saint-Mandé.
1976 Suit un stage dirigé par le photographe Guy Le Querrec, aux Rencontres photographiques d’Arles.
1977 Intègre l’agence Rush et effectue son premier reportage en Israël.
1979 Voyage dans l’avion qui ramène l’ayatollah Khomeiny à Téhéran.
1981 Couvre le premier rassemblement des survivants de la Shoah à Jérusalem.
1982 Premier voyage en Chine et reportage à Naples sur la police et la mafia.
1984 Travail sur les quartiers nord de Marseille.
1985 Intègre l’agence Magnum.
1987 Publication d'Enquête d’identité. Un juif à la recherche de sa mémoire, aux éditions Contrejour.
1989 Prix Nicéphore Niépce ; documente les manifestations de Tian’anmen à Pékin.
1990 Couvre la libération de Nelson Mandela en Afrique du Sud ; assiste à Pretoria à une manifestation d’Afrikaners néo-nazis ; est blessé au Cap lors d’une charge policière.
1992-1994 Réalise Les Maliens d’ici et là-bas.
1997 Réalise La Mémoire de mon père ; ce film est sélectionné au festival Cinéma du réel au Centre Pompidou en 1999, où il reçoit le premier prix « Les Écrans du documentaire ».
1998 À l’initiative d’Amnesty International, reportage au Chili après l’arrestation à Londres d’Augusto Pinochet.
2000 Effectue des portraits de survivants tutsis au Rwanda, six ans après le génocide.
2000-2002 Réalise Allers-retours. Journal d’un photographe au Chili, en Bosnie, au Rwanda, à Auschwitz et en France.
2004 Reportage en Hongrie sur les pas de l’éditeur et écrivain Adam Biro, pour l’agence Magnum.
2009 Exposition « Ma proche banlieue » au Musée National de l’Histoire de l’Immigration à Paris.
2011-2013 Réalise le film Mare Mater à Marseille, à Lampedusa, en Tunisie, en Algérie et au Maroc.
2014-2015 Reportage en Pologne et Hongrie.
2019-2020 Photographie le chantier de Notre-Dame de Paris après son incendie ; ses photographies sont exposées sur le parvis de la cathédrale. »
Préface du catalogue
Par Dominique Schnapper, présidente du mahJ
« Avec « Patrick Zachmann. Voyages de mémoire », le mahJ consacre pour la première fois une exposition personnelle d’envergure à un photographe vivant. L’importance de son oeuvre sur les juifs de France suffirait à la justifier, mais aussi ses travaux ultérieurs en Afrique du Sud, au Chili, au Rwanda, en Hongrie, en Algérie, au Maroc ou en Pologne, traversés par des questionnements sur l’identité, la disparition ou l’exil, nourris par l’expérience juive.
Il n’est pas rare que les photographes se fassent sociologues et rendent compte, à leur manière, de la réalité – Dorothea Lange et Walker Evans rapportèrent dans les années 1930, pour la Farm Security Administration, des clichés qui témoignèrent auprès d’un large public, plus puissamment peut-être que les ouvrages de sciences humaines, de ce que fut la Grande Dépression aux États-Unis. Ainsi, l’Enquête d’identité de Patrick Zachmann à la fin des années 1970 et au début des années 1980 est-elle contemporaine de la publication en 1980 de Juifs et israélites, où je relevais les profondes évolutions que connaissait alors le judaïsme français. Mû par des questions plus personnelles que scientifiques, le photographe n’en capte pas moins des traits marquants de la judaïcité française à cette époque : la fin d’une culture yiddish dont il ne reste presque plus aujourd’hui en France de locuteur « natif » ; la présence désormais majoritaire des juifs originaires du Maghreb ; le développement du sionisme et d’une double identification à la France et à l’État d’Israël ; la place croissante de l’ultraorthodoxie ; le réinvestissement de la tradition par la connaissance intellectuelle chez nombre de juifs issus de familles déjudaïsées depuis plusieurs générations et, chez d’autres, malgré leur méconnaissance du judaïsme, la persistance d’une forme d’identité définie par le sens d’un « destin commun, institué à Auschwitz » ; enfin, la place prise par la mémoire de la Shoah. Une seule lacune dans ce tableau photographique : les « israélites », héritiers des communautés juives d’Ancien Régime que la Révolution fit entrer dans la communauté des citoyens, dont le jeune photographe ne perçut pas l’importance tant ils sont éloignés des sociabilités de sa propre famille, judéo-polonaise par son père et judéo-algérienne par sa mère.
Depuis l’ouverture du mahJ en 1998, la photographie a pris une place majeure dans ses collections, qui ont pu bénéficier des fonds du musée d’Art juif de Paris, mais aussi d’un achat important auprès de l’agence Magnum en 1999 (comportant déjà seize oeuvres de Patrick Zachmann) de quelque quatre cents images de Nathan Lerner, d’un ensemble de photos du Pletzl dans les années 1970 par Alécio de Andrade, ou du fonds Helmar Lerski acquis grâce à une souscription en 2014, pour ne citer que quelques exemples. Cette collection s’enrichit aujourd’hui considérablement avec le don par Patrick Zachmann de plus de cent cinquante tirages réalisés pour l’exposition, qui feront du mahJ un fonds de référence sur son oeuvre. »
Bibliographie
« So long, China, Paris, Éditions Xavier Barral, 2016,
345 photographies couleur et noir et blanc, texte de Patrick Zachmann
Mare Mater. Journal méditerranéen, Paris, Actes Sud, 2013,
238 photographies couleur et noir et blanc, introduction de François Cheval,
texte de Patrick Zachmann
Ma proche banlieue, Paris, Éditions Xavier Barral, 2009,
188 photographies couleur et noir et blanc, préface de Souâd Belhaddad,
texte de Patrick Zachmann
Patrick Zachmann, Arles, Actes Sud, « Photo Poche », 2009,
69 photographies couleur et noir et blanc, introduction de Danièle Sallenave
Good Nights, Paris, Biro éditeur, 2008,
16 photographies couleur, texte de Martin Winckler
Chili. Les routes de la mémoire, Paris, Marval, 2002,
52 photographies noir et blanc
Maliens ici et là-bas, Paris, Éditions Plume, 1997,
92 photographies couleur et noir et blanc, texte de Patrick Zachmann
W. ou l’oeil d’un long-nez, Paris, Marval, 1995,
250 photographies couleur et noir et blanc, texte de Patrick Zachmann
20 ans de rêves, Paris, Syria éditions, 1993,
101 photographies noir et blanc, texte de Jean-Louis Jacquet
Enquête d’identité. Un juif à la recherche de sa mémoire, Paris, Contrejour, 1987,
75 photographies noir et blanc, textes de Patrick Zachmann et Brigitte Dyan
Madonna !, Paris, Éditions de l’Étoile, 1983,
64 photographies noir et blanc, texte de Claude Klotz
À paraître le 13 octobre 2021 : Notre-Dame. Histoire d'une renaissance Photographies de Patrick Zachmann, texte d'Olivier de Châlus Bayard, 35 €, 208 pages »
Filmographie
« Sergio Larrain. Traces d’une rencontre
Paris, Institut national de l’audiovisuel, et Arles, Rencontres internationales de la photographie, 2013, 15 minutes
Mare Mater
Marseille, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, 2013, 52 minutes
Bar centre des autocars
Paris, Les Films d’ici, 2008, 57 minutes
Allers-retour. Journal d’un photographe
Féodor Atkine, voix
Paris, Institut national de l’audiovisuel, 2001, 68 minutes
La Mémoire de mon père
Paris, Gédéon Programmes, 1998, 31 minutes
Du 2 décembre 2021 au 6 mars 2022
Hôtel de Saint-Aignan
71, rue du Temple. 75003 Paris
Tél. : 01 53 01 86 53
Mardi, jeudi, vendredi : 11h-18h Mercredi : 11h-21h Samedi et dimanche : 10h-19h
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Les citations proviennent du dossier de presse.
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