Né en 1981 à Paris, Arthur Harari est un réalisateur - Onoda, 10 000 nuits dans la jungle -, scénariste césarisé en 2022 - Anatomie d'une chute de Justine Triet - et acteur français. Arte diffusera le 9 mars 2022 à 20 h 55 « Diamant noir » (Schwarzer Diamant) d’Arthur Harari avec Niels Schneider, August Diehl, Hans-Peter Cloos, Abdel Hafed Benotman.
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Léon Barsacq (1906-1969) : « Maquettes de décors de films »
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« Charles Pathé et Léon Gaumont. Premiers géants du cinéma » par Emmanuelle Nobecourt
Des studios Pathé-Albatros à l’Espace Albatros
Les Studios Éclair de 1907 à 2007
Tournages Paris-Berlin-Hollywood 1910-1939
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Simone Signoret (1921-1985)
Simone Simon (1911-2005)
Robert Siodmak (1900-1973)
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Arthur Harari est né en 1981 à Paris, dans une famille d'artistes : son grand-père, l'acteur Clément Harari (1918-2009), était né au Caire (Egypte).
Il débute comme réalisateur par trois courts métrages - Main sur la gueule, Peine perdue - et un moyen métrage, puis aborde les longs métrages : Diamant noir (2014), puis Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (2021), présenté au Festival de Cannes 2021 dans le cadre d'Un certain regard.
En février 2022, Arthur Harari est distingué par le César du Meilleur scénario original avec Vincent Poymiro pour son deuxième film. Il a déclaré : « Ce qu'il manque au milieu ici représenté ce soir, c'est peut-être le courage. Ce courage qui fait faire des choses un peu convenues, autre que du consommable ou du contenu ». Aux décideurs, il a demandé « de prendre leur responsabilité et de soutenir le cinéma dans « un combat déloyal » contre les plateformes. « Je crois que c'est une illusion de croire que le cinéma pourra exister sur les plateformes ou quoi que ce soit de réellement noble. C'est ma conviction. On ne va pas au supermarché pour avoir une émotion... Essayez de vous différencier des plateformes, faites des choix qu'elles ne font pas, faites exister ce qu'elles font disparaitre. »
« Diamant noir »
Arte diffusera le 9 mars 2022 à 20 h 55 « Diamant noir » (Schwarzer Diamant) d’Arthur Harari.
« Un jeune Parisien assoiffé de vengeance intègre la joaillerie de sa famille juive à Anvers dans le seul but d’y commettre un casse... Dans le mystérieux et ultrasécurisé quartier des diamantaires, un thriller finement ciselé par Arthur Harari ("Onoda − 10 000 nuits dans la jungle"). Avec Niels Schneider, César du meilleur espoir masculin en 2017.
« À Paris, Pier, la vingtaine, survit, entre petits boulots et cambriolages. Lorsqu'il apprend la mort de son père, qu’il n’avait pas revu depuis ses 15 ans, il n'a qu'une idée en tête : se venger de sa riche famille paternelle, des diamantaires juifs anversois qui ont déshérité le défunt. Au lendemain des obsèques, sur l'invitation de son cousin Gabi, Pier intègre la joaillerie et fait mine de s’intéresser à la taille des pierres précieuses. Car de mèche avec son père de substitution, Rachid, le jeune homme planifie un vol de diamants. Mais le jour J, rien ne se déroule comme prévu… »
« Pour son premier long métrage, Arthur Harari cisèle un thriller familial, entre désir de vengeance et parcours initiatique avec, en toile de fond, l’univers fascinant du négoce de diamants à Anvers ».
« Dans cet étrange microcosme, le quartier secret et ultrasécurisé − ici brillamment documenté −, de Diamond Square Mile, que se partagent communautés juive et indienne, Pier, mû par sa haine du clan Ulmann qui a rejeté son père, campe un héros de tragédie antique ».
« César du meilleur espoir masculin en 2017 pour le rôle, Niels Schneider excelle à incarner le mal-être et la duplicité de ce jeune homme fiévreux en quête de ses origines, dont le regard fuyant trahit le trouble ».
« Autour de lui, le cinéaste décline une galerie de portraits parfaitement dessinés : l’oncle glacial Joseph (Hans Peter Cloos), dont Pier s’emploie à gagner la confiance malgré la rancune rageuse qu’il lui voue, Gabi, le cousin épileptique et bourreau de travail (August Diehl) et sa fiancée Luisa (radieuse Raphaële Godin), tous cernés par d'inquiétants jeux d’ombre et de lumière ».
De la scène d’ouverture horrifique jusqu’au très réussi et sanglant dénouement, un film noir sous très haute tension. »
Arte présente « Trois bonnes raisons de voir "Diamant noir ". « Un jeune Parisien assoiffé de vengeance intègre la joaillerie de sa famille juive à Anvers dans le seul but d’y commettre un casse... Dans le mystérieux et ultrasécurisé quartier des diamantaires, un thriller finement ciselé par Arthur Harari ("Onoda − 10 000 nuits dans la jungle"). Avec Niels Schneider, César du meilleur espoir masculin en 2017. »
« Comment vous est venue l’idée de faire un film dans le milieu des diamantaires ?
L’origine du projet précède le choix du milieu. Elle vient d’un producteur, Grégoire Debailly, qui avait lu un article dans Libération sur la recrudescence des braquages en Europe. Avec l’aide d’Olivier Séror, réalisateur, puis des scénaristes Vincent Poymiro et Agnès Feuvre, j’ai fait dériver la proposition en partant sur l’idée d’une variation autour du thème d’Hamlet, l’histoire d’un jeune homme qui veut venger son père en détruisant sa famille et qui, pour cela, entre dans un milieu qu’il ne connaît pas.
Nous avions pensé d’abord à la ville de La Chaux-de-Fonds en Suisse, où se fabriquent les montres de luxe, et qui offrait un décor cinématographique et social assez étonnant. Et puis, finalement, le film se passe à Anvers… et c’est avec un autre producteur, David Thion des Films Pelléas, que je l’ai fait.
Comment passe-t-on de la Suisse à la Belgique ?
En partant sur cette variation autour d’Hamlet, j’étais aussi très influencé par mon intérêt pour Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, aventurier-guérillero puis braqueur de pharmacies dans les années 60. Mon Pier Ulmann en est un lointain cousin, ils ont en commun d’être écrasés par le mythe du père, de frayer avec des bandits en commettant des vols, et d’être juifs. Sur la base du premier synopsis, l’idée du quartier diamantaire d’Anvers, majoritairement juif, est arrivée. On s’est rendus compte que ce quartier n’avait jamais été le cadre d’un film de fiction, et j’ai eu la chance de rencontrer très tôt les bonnes personnes par le biais de deux amis, notamment la famille du plus grand tailleur de diamants vivant, Gabi Tolkowsky, sur laquelle celle des Ulmann est à moitié calquée.
L’autre moitié vient d’un jeune négociant du milieu dont le père était un ouvrier du diamant communiste, connu comme le loup blanc dans ce quartier où ça ne courait pas vraiment les rues. Le milieu et la ville ont fait le reste, c’est un cadre romanesque et cinématographique génial.
C’est donc le choix d’Anvers qui a dicté l’idée de la main coupée ?
Non, c’est un hasard complètement dingue. Mon coscénariste Vincent Poymiro se souvenait que dans sa belle-famille, un type avait perdu son bras dans la briqueterie familiale et que, suite à cet accident, il s’était mis à détester sa famille et que son fils avait hérité de sa haine. Nous cherchions quelle pouvait être la souffrance originelle du père, transmise à son fils, et nous avons eu l’idée de la mutilation de la main. Ce n’est que sur place que nous avons découvert la légende de la fondation d’Anvers. Sur les bords de l’Escaut, le géant Druoon Antigoon exigeait un droit de passage et tranchait la main des mauvais payeurs. Le soldat romain Silvius Brabo tua le géant, trancha sa main et la jeta dans le fleuve. Cette main devint l’île sur laquelle fut construit le premier château d’Antwerpen, nom qui signifierait « jeter la main » (hand werpen). Le mythe fondateur d’Anvers est donc une histoire de réparation, d’injustice réparée… Et quand on regarde la statue de Silvius Brabo sur la Grande Place d’Anvers, le visage du héros ressemble de manière troublante à celui de Niels Schneider !
Il y a un aspect documentaire dans le film…
J’y tenais beaucoup. Grâce aux « bonnes personnes » dont je vous ai parlé, j’ai pu avoir accès à l’un des ateliers de taille les plus prestigieux du monde, prendre des notes, enregistrer des témoignages.
Tout ça a nourri l’histoire de façon très naturelle. Le casse lui-même devait avoir une dimension réaliste, en prenant le parti d’une forme d’artisanat et non de la prouesse technologique. L’un des rares films de casse où j’ai trouvé cette dimension est Le solitaire de Michael Mann, qui transpire un magnifique réalisme sale. Le mélange de stylisation formelle et de réalisme brut est par ailleurs une des spécificités historiques du film noir, et pas qu’américain : c’est magistral dans La bête humaine de Renoir, qui est à mes yeux le plus grand film noir français. Je rêvais de suivre ces exemples excitants, et j’ai eu la chance de pouvoir tourner dans un des derniers (sinon le dernier) ateliers du quartier diamantaire situé en dehors du périmètre sécurisé. Nous avions un rapport direct avec les patrons du lieu, sans avoir à passer par les autorités du quartier, évidemment très tièdes vis-à-vis d’un tel tournage. Cette immersion a été précieuse pour obtenir ce réalisme concret dans lequel je souhaitais tremper le romanesque formel du film.
L’atmosphère visuelle du film est singulière, en terme de couleurs notamment. Aviez-vous des références ?
Oui. Avec le chef opérateur, mon frère Tom Harari, nous voulions que l’image du film ait quelque chose de tranché, à la fois lyrique et incarné. Nous avons vu beaucoup de films classiques américains, notamment de Vincente Minnelli (Celui par qui le scandale arrive) et d’Elia Kazan (La fièvre dans le sang). Et nous nous sommes aperçus que même chez quelqu’un que l’on adore comme John Cassavetes, dans Opening night, Love streams ou Meurtre d’un bookmaker chinois par exemple, il y a un héritage fort de ce courant formel du mélodrame américain, où les contrastes sont très marqués, les directions de lumière très affirmées et les couleurs éclatantes. A mes yeux, il n’y a aucune opposition entre une certaine inspiration réaliste et la stylisation la plus osée. Le lyrisme que l’on cherchait s’est aussi nourri d’influences plus baroques voire maniéristes, de De Palma à Sergio Leone en passant par Verhoeven et Fassbinder…
Cette recherche d’un lyrisme qui fasse pénétrer le spectateur dans un monde romanesque, elle est bien sûr aussi passée par la musique. Je voulais un thème obsédant, mais en essayant de ne pas verser dans une orchestration opératique boursouflée. J’avais une amorce de thème en tête depuis l’écriture du scénario, et je l’ai transmise (en la sifflant !) au compositeur Olivier Marguerit. Il l’a développée et a amené deux autres thèmes, et l’instrumentation qu’il a choisie, avec des choses qu’on n’entend plus si souvent comme la flûte, le violon ou la trompette, mais utilisés de manière presque dissonante, m’a enthousiasmé. Ça participe énormément à la dimension à la fois émotionnelle et mentale du film, mais aussi à son identité formelle.
Plusieurs scènes du film, où il est justement question de forme à travers la taille du diamant, semblent dessiner une métaphore sur le cinéma. La valeur de la pierre est arbitraire, c’est avec la lumière qu’elle prend vie, il faut donc « tracer un chemin à la lumière dans la pierre ». Et vous enfoncez le clou : la technique s’apprend vite, « n’importe qui peut la maîtriser. Ce qui fait la différence, c’est l’oeil. » Autrement dit le regard du metteur en scène.
Je n’en étais pas conscient au début, mais la métaphore est devenue évidente au fur à mesure de l’écriture. De même que le discours sur la beauté et l’éloge de l’asymétrie : ce n’est pas le critère standard qui fait la beauté, c’est l’endroit où il y a une déviance qui fait qu’elle est singulière, sans égale : il y a aussi une dimension liée à l’origine brute des choses, et il faut que cette origine soit perceptible, aussi élaborée que soit la forme finale. C’est presque une morale esthétique. Ça vaut pour les décors, la lumière, le son, le casting.
Puisque vous parlez du casting, il est assez étonnant pour un film français…
Je pense que c’est dû au grand melting-pot dont il résulte, non seulement en termes de nationalités,mais surtout de parcours. Pour le rôle principal, il y avait très peu d’acteurs français connus (c’est-àdire : rassurants pour les partenaires financiers !) de 25/30 ans qui me semblaient convaincants, et potentiellement crédibles dans les différents milieux sociaux du film. Niels Schneider est une idée de ma collaboratrice au casting et à la direction d’acteurs, Cynthia Arra. Il était a priori à l’opposé de ce que je cherchais, mais une amie réalisatrice, Shanti Masud, m’a montré une séquence tournée avec lui où son intensité inquiétante m’a beaucoup surpris. Et aux essais sa présence nous a littéralement tapé dans l’oeil, notamment pour une chose qui est la clef du personnage de Pier : l’enfance. Il a beaucoup travaillé là-dessus pour construire le personnage et il a vraiment opéré une mue. Il y a une violence troublante en lui, qui n’avait quasiment jamais été exploitée dans ses rôles jusqu’à présent.
Comme dit August Diehl, Niels fait partie des rares acteurs qui ont « une histoire à raconter ». August Diehl justement, l’acteur allemand qui interprète le cousin épileptique, je l’avais vu dans Inglorious Basterds de Tarantino où il a une scène jubilatoire. C’est un virtuose absolu, venu du théâtre, avec cette grande générosité de prendre autant de plaisir à jouer avec des professionnels qu’avec des amateurs instinctifs. C’est un vrai tragédien, qui va sans peur jusqu’au pathétique et au grotesque.
Jos Verbist (le tailleur de pierres) et Hilde Van Mieghem (la tante) sont quant à eux deux magnifiques acteurs flamands de théâtre et de cinéma. Hans Peter Cloos (l’oncle) est un metteur en scène allemand travaillant en France depuis 30 ans, proche de la bande de Fassbinder dans les années 70.
C’est la première fois qu’il joue un rôle de cette importance dans un film (même s’il a des apparitions récurrentes chez Otar Iosseliani). Malgré sa composition autoritaire ici, c’est l’homme le plus doux du monde et il a fourni un travail impressionnant.
Et puis, il y a Raphaële Godin. C’est Brisseau qui l’a fait connaître dans Les savates du Bon Dieu, où sa présence singulière, tranchante, était déjà marquante. Elle ne tourne presque plus, elle est agent de photographes et éditrice. Elle est « rare » dans les deux sens du terme : on la voit peu, mais quand elle est là on ne voit qu’elle. Raghunath Manet (le diamantaire indien) est un chanteur, danseur et musicien renommé de Pondichéry. Pour lui, c’était une première fois dans une fiction de cinéma, et ce qu’il apporte est précieux, une sorte de magnétisme bancal que j’adore. Guillaume Verdier (le jeune complice) est un acteur très émouvant qu’on a vu grandir au cinéma depuis l’adolescent qu’il était dans Ni d’Eve ni d’Adam de Jean-Paul Civeyrac.
Enfin, Abdel-Hafed Benotman est arrivé sur le film grâce à Abdellatif Kechiche, auquel j’avais initialement proposé le rôle et qui me l’a conseillé quand je lui ai défini le personnage de Rachid comme « doux et inquiétant ». Hafed était un homme fascinant, un écrivain dont la vie tenait du roman, avec lequel je suis devenu ami dès notre première rencontre. Je ne vous apprends rien : vous étiez et êtes toujours son éditeur. Je pense qu’il avait un potentiel énorme comme acteur de cinéma.
C’est une des rencontres les plus fortes de ma vie.
Le premier plan du film est un oeil, que vient brouiller une larme ou une goutte de sueur. Cela indique-t-il que la séquence qui suit est elle-même brouillée ?
Le premier plan est bien un oeil, mais pas celui dont vous vous souvenez ! C’est un oeil fermé, agité comme quand on rêve. Le plan de l’oeil avec la goutte est le cinquième plan du film… Mais ça ne fait que confirmer votre interprétation : la séquence est tellement brouillée que même le souvenir qu’on en a le devient ! Donc oui, absolument. Commencer par deux plans d’yeux, un fermé puis un parasité, suggère dès le début qu’il s’agit d’une histoire d’aveuglement, celle d’un homme qui ne voit pas les choses comme elles sont, mais de façon déformée. Il voit tout depuis un oeil fermé. Cette séquence pré-générique n’est ni un flash-back ni un rêve, mais comme le souvenir d’un récit qu’on lui a transmis. Et pour le spectateur, la séquence a, du moins c’était mon intention en la plaçant en ouverture, exactement le même statut que pour le personnage : un souvenir dérangeant et irréel qu’on prend ensuite pour la vérité. C’est comme quand on a vu un film il y a longtemps : on a en mémoire des choses qui n’ont pourtant jamais été là, et on est sûr d’avoir vu ces choses. On invente de nouvelles images, un autre film. L’impact du moment où on nous raconte une histoire peut être tel qu’il modifie notre perception profonde. Cette dimension de leurre constitutive du récit me passionne complètement. Dans mon film, ça concerne une famille, mais on peut voir ce mécanisme mythologique trompeur œuvrer à l’échelle d’une culture, d’une guerre, d’une patrie… C’est d’ailleurs le sujet de mon prochain film !
Que racontera-t-il ?
C’est l’histoire du dernier soldat japonais de la guerre de 39-45, Hiroo Onoda. Il a été formé à la guérilla et envoyé sur une petite île des Philippines en 1944, à 22 ans, avec pour ordre de résister au débarquement américain puis de tenir l’île jusqu’au retour en force des troupes japonaises, que ses supérieurs lui ont présenté comme certain. Il avait interdiction absolue de se rendre, de renoncer ou de se suicider. Il n’a jamais voulu croire à la reddition du Japon et a mené sa guérilla sur l’île pendant 30 ans, d’abord avec quelques hommes, trois puis deux, et enfin seul. Il n’a déposé les armes qu’en 1974.
Avez-vous voulu faire un film noir ?
Oui. Ma cinéphilie est née d’une rétrospective Warner Bros à Beaubourg, en 1990. Je crois que le premier film qu’on y a vu avec mon frère aîné est Le faucon Maltais de Huston, avec Bogart (dont j’ai appris depuis qu’il était considéré comme le premier opus du genre stricto sensu) et j’ai développé une telle passion pour le film noir que j’ai eu pendant des années une liste dans mon portefeuille de tous les films du genre que je devais voir. Je les entourais quand c’était fait ! C’est un courant qui a continué de nourrir ma cinéphilie, même si elle s’est ensuite ouverte plus largement. C’est une passion d’enfance, et le cinéma concerne d’abord et finalement l’enfance, je crois. Ce que j’aime dans le film noir, c’est l’ambiguïté. Elle touche tout : l’intrigue, l’image, le jeu, les sentiments, le sens, la morale. C’est une autre métaphore qu’offre le diamant : comment la multiplicité des facettes compose une réalité à laquelle on ne peut pas assigner une définition simple. Quand on regarde un diamant taillé de près, c’est frappant : on ne sait pas comment le regarder ! Pour une pierre censée incarner la pureté et la clarté, c’est un paradoxe étrange… Concernant le film noir, si je poussais un peu plus, je dirais que l’ambiguïté va jusqu’au genre lui-même : dans son ADN, il y a une impureté qui le rend particulièrement susceptible de mutations et de fusions. Il y a des passerelles permanentes avec le mélodrame, le film d’amour, ou encore avec le western, le film politique ou social, et même la comédie…
On peut voir dans votre film la marque de certains de ces croisements, en premier lieu avec la tragédie familiale.
Oui, c’est une tragédie familiale qui emprunte les chemins du film noir. Ce qui n’est pas particulièrement moderne en soi, vu qu’OEdipe Roi de Sophocle est un parfait film noir ! La question existentielle pour Pier c’est celle du père : il l’a peu et mal connu, mais il hérite de quelque chose de trop pesant, de trop « symbolique » pour ses seules épaules, et qui ne le laisse pas libre. Il est presque téléguidé, au premier niveau par Rachid – qui a concrètement pris la place paternelle – et à un niveau plus mental et symbolique, par son père. Veut-il ou doit-il obtenir réparation ? Il ne pourrait répondre à la question. Tout l’enjeu du film était de lui dessiner un chemin tragique mais libératoire : en croyant réparer l’offense faite à son père, il répare, dans le sang, son propre rapport maladif à la figure du père. Et cela coûte la vie à ses amis, qui ont eux-mêmes joué avec le feu. C’est une tragédie, mais impure, dans la mesure où Pier n’est pas le jouet du destin jusqu’à la mort ou la damnation. On peut voir le destin agir dans le film, ou ne pas le voir. D’autres forces sont en jeu : l’héritage culturel et symbolique, l’immaturité affective, l’humiliation sociale, l’envie, le désir… la libido au sens large… plein de choses potentiellement explosives !
La fin est surprenante, avec le personnage qui formule : « Je voudrais partir. »
Ce qui m’importait, c’est non seulement que le bout du parcours ne soit ni l’enfermement, ni l’affliction, mais que Pier décide enfin de quelque chose pour lui-même et par lui-même. La fin du film est dure, mais à mes yeux pas fermée ni noire. Pier portera sûrement toujours une blessure, mais il échappe au nouveau piège mensonger tendu par son oncle (et toute famille ne tend elle pas tôt ou tard un piège à ses enfants ?). Il devra affronter seul la suite de sa vie : sans pères d’aucune sorte, sans obligation de les servir. Et au passage, il a découvert le goût et la possibilité de créer de la beauté, c’est ce qu’il emporte avec lui dans ce train. Cette délivrance amère, c’est le sentiment que je voulais amener le spectateur à ressentir, avec Pier. »
« Diamant noir » d’Arthur Harari
France, 2014, 1 h 50
Scénario : Arthur Harari, Vincent Poymiro, Agnès Feuvre
Production : Les Films Pelléas, Savage Film, Frakas Productions, France 2 Cinéma, Jouror Productions, Proximus
Producteurs : David Thion, Philippe Martin
Image : Tom Harari
Montage : Laurent Sénéchal
Musique : Olivier Marguerit
Avec Niels Schneider (Pier Ulmann), August Diehl (Gabi Ulmann), Hans-Peter Cloos (Joseph Ulmann), Abdel Hafed Benotman (Rachid), Raphaële Godin (Luisa), Raghunath Manet (Vijay Sha Gopal), Jos Verbist (Rick De Vries), Guillaume Verdier (Kevin), Hilde Van Mieghem (Olga Ulmann), Vassili Schneider (Victor Ulmann, jeune), Jacques Gabbanella (Victor Ulmann)
Sur Arte le 9 mars 2022 à 20 h 55
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