Les Ouïghours ou Ouïgours sont un peuple turcophone, majoritairement musulmans sunnites et vivant essentiellement dans le Xinjiang, région au nord ouest de la Chine et riche en ressources, dont le pétrole. Attentats terroristes islamistes, revendications indépendantistes et importance géostratégique dans le cadre de la "Route de la soie" expliquent les enjeux cruciaux du Xinjiang, sinisé depuis des décennies par l'implantation de populations Han, pour la Chine. Arte diffusera le 8 février 2022 à 20 h 50 « Chine : le drame ouïghour » (China: Das Drama der Uiguren) de François Reinhardt, puis à 22 h 35 « Entretien avec Antoine Bondaz » (Gespräch mit Antoine Bondaz).
Les Ouïghours ou Ouïgours (« unité ») sont un peuple turcophone (langue turque appelée aussi ouïghour), apparenté aux Ouzbeks, et majoritairement composés de musulmans sunnites.
"Originaires d'une région située entre la Selenga (Mongolie) et le lac Baïkal (actuelle Bouriatie, en Russie), ils fondent le Khaganat ouïghour, situé sur l'actuelle Mongolie, de culture turque de religion manichéenne qui est le berceau de leur civilisation. Alliés des Chinois contre l'Empire du Tibet, leur khaganat est détruit au IXe siècle par les Kirghiz, les obligeant à descendre plus au sud".
Les Ouïghours vivent dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, dénommée Turkestan oriental par les Russes et les Britanniques à la fin du XIXe siècle et située dans la période précédente dans la « Tartarie chinoise », au nord ouest de la Chine et en Asie centrale.
Ils formaient une des cinquante-six nationalités que la République populaire de Chine (RPC) reconnaissait. "Quand le pouvoir communiste prend par les armes, en 1949, le contrôle du Xinjiang, où une petite république indépendante du Turkestan oriental avait été fondée cinq ans plus tôt, l’ethnie majoritaire en Chine des Han n’y représente alors que 7 % de la population. La province devient « région autonome ouïgoure du Xinjiang » en 1955". (Brice Pedroletti, Xemartin Laborde, Flavie Holzinger, Camille Bressange et Delphine Papin, En Chine, des barbelés le long de la « route de la soie », Le Monde, 30 novembre 2020)
"Pour la siniser, Pékin envoie des colons et crée des bingtuan, un corps paramilitaire créé en 1954, chargé de défricher les terres arables et d’exploiter les ressources. Ils emploient aujourd’hui 2,8 millions de personnes – han pour l’écrasante majorité –, produisant près de 17 % du produit intérieur brut de la région. Les administrations et les sociétés d’Etat sont d’autres vecteurs majeurs d’implantation. Sous leur impulsion, se développent les villes de Korla et de Karamay, qui ont toutes deux prospéré grâce à l’exploitation pétrolière, ou encore Shihezi, villes à 95 % han, dont l’économie repose sur l’agriculture intensive du coton et de la tomate". (ibid)
En 2017, la population ouïghoure dépassait les 12 millions d'âmes en Chine et 25 millions en Asie centrale. Une diaspora ouïghoure s'est implantée en Europe et en Amérique du nord. "Le Xinjiang compte en 2020 11,2 millions de Ouïgours, soit 48,5 % de la population, contre 8,5 millions de Han (37 %) – soit cinq fois plus qu’en 1949. Les Kazakhs sont au nombre de 1,5 million." (ibid)
Après les attentats terroristes islamistes du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, la Chine a accru son contrôle de populations musulmanes. "L’afflux de Han, la prédation des terres et des ressources par des entités chinoises et la répression policière de toute manifestation identitaire alimentent le ressentiment des Ouïgours, musulmans et turcophones, pendant la décennie 2000.
Après des émeutes en 2009 à Urumqi (200 morts), les premiers attentats terroristes islamistes par des djihadistes ouïgours "s’inspirant parfois de groupuscules islamistes d’Asie centrale sévissant en Afghanistan, au Pakistan puis en Syrie" ont lieu en 2013 et 2014. La violence réduit l'attrait du Xinjiang pour les Han. "Des Han du Xinjiang, de seconde ou de troisième génération, quittent même la région pour d’autres provinces chinoises. Cela ne freine pas le développement : en 2014, un chemin de fer relie pour la première fois Hotan à Kachgar. Le train à grande vitesse s’apprête à connecter Urumqi au reste de la Chine". (ibid)
La Chine surveille étroitement les Ouïghours en raison de ses liens, réels ou supposés, avec des mouvements terroristes hostiles aux Han, et du refus d'aspirations indépendantistes. Selon le Uyghur Human Right Project, basé à Washington, depuis 2014, des Ouïghours sont internés dans des camps par le gouvernement chinois. Diverses ONG (Organisations non gouvernementales) évoquent un génocide culturel notamment par la destruction du patrimoine, des tortures, etc.
Spécialiste de l’histoire politique et culturelle de la Chine, professeur à l’Institut catholique de Paris, Emmanuel Lincot a expliqué à RT France (16 août 2020) les enjeux pour la Chine : "Les « nouvelles routes de la soie » constituent un projet qui pourrait asseoir l’hégémonie chinoise ces prochaines années. Le Xinjiang en est un axe pivot. Il s’agit d’un projet planétaire lancé en 2013 par Xi Jinping à travers lequel la Chine compte investir massivement à l’étranger dans des projets d’infrastructures, exploiter les ressources et en assurer l’acheminement. Les «nouvelles routes de la soie» visent à percer le marché mondial, mais convoitent surtout le marché de l’Union européenne, premier partenaire économique de la Chine. L’importance du Xinjiang est là : il existe deux axes d’approvisionnement majeurs de la région et conduisant vers l’UE : l’axe de Duisbourg, premier port fluvial d’Allemagne, ancienne ville industrielle devenue le terminus d’une ligne ferroviaire qui la relie à Chongqing en Chine, via le Kazakhstan, la Russie, la Biélorussie et la Pologne. L’autre «hub» ferroviaire d’ampleur est celui de Korghos, ville kazakhe au sud du Xinjiang, important nœud des routes de la soie (1 300 trains vers l’Est en 2015, un port sec, une zone économique spéciale où se côtoient commerçants chinois et kazakhs), point de passage de tous les réseaux ferroviaires et énergétiques vers l’Europe mais aussi vers l’Iran, le Caucase, etc. La Chine ne peut pas s’en passer. Et sans le Xinjiang, elle y aurait difficilement accès".
En savoir plus sur RT France : https://francais.rt.com/international/77812-xinjiang-axe-pivot-nouvelles-routes-de-la-soie
« Chine : le drame ouïghour »
Arte diffusera le 8 février 2022 à 20 h 50 « Chine : le drame ouïghour » (China: Das Drama der Uiguren) de François Reinhardt.
« Nourri d’accablants témoignages, un récit rigoureux de la tragédie des Ouïghours, minorité victime d’une répression systémique et d’un génocide culturel par les autorités chinoises. »
« Tortures dans d’immenses camps d’internement, disparitions, travail forcé, "rééducation" des enfants et des adultes, stérilisations massives, surveillance généralisée et destruction du patrimoine mémoriel, y compris des cimetières : la politique de la Chine au Xinjiang à l’égard des Ouïghours, population de 11 millions de turcophones à majorité musulmane, s’apparente à un génocide. »
« Dans cette terre des "montagnes célestes" à l’ouest du pays, riche en ressources − charbon, pétrole et gaz… − et porte d’entrée stratégique des nouvelles routes de la soie chères à Xi Jinping, on estime aujourd’hui à plus de 1 million le nombre de personnes détenues arbitrairement ».
« Alors que Pékin tient d’une main de fer une région qui n’a plus d’autonome que le nom, le numéro un chinois n’hésitait pas, en 2014, à exhorter les autorités locales du Parti à utiliser "les outils de la dictature" dans leur "lutte totale contre le terrorisme, l'infiltration et le séparatisme" et à ne montrer "absolument aucune pitié". »
« Depuis des années, prenant prétexte d’une prétendue lutte contre le radicalisme et la pauvreté, le Parti communiste se livre à une persécution systématique de cette ethnie, visant à éradiquer sa culture ».
« Parallèlement, organisée à partir de 1949, la migration des Han au Xinjiang s’accélère. »
« Depuis 2018, pourtant, des lanceurs d’alerte accumulent documents et témoignages accablants pour dénoncer les exactions commises et les violations des droits humains. Longtemps sans réaction, la communauté internationale commence à s’en préoccuper ».
« Mais les sanctions timides qui frappent l’incontournable partenaire économique chinois ne l’empêchent pas de poursuivre une répression sans équivalent depuis la Seconde Guerre mondiale. »
« Pourquoi cet effroyable acharnement qui, au-delà de la Chine, interroge aussi l’avenir de la démocratie et de la liberté dans le monde ? »
« Mêlant archives, témoignages bouleversants de rescapés des camps de détention et décryptages d’experts, chinois et étrangers, ce documentaire met au jour l’ampleur d’une tragédie hier passée sous silence ».
« En remontant le cours tumultueux de l'histoire du Xinjiang depuis Mao, cette rigoureuse investigation explore aussi le traitement infligé à ses minorités par la Chine et montre pourquoi et comment l'ethnie majoritaire des Han veut assimiler, voire éliminer, les Ouïghours, dont la diaspora, bien seule face à Pékin, tente d’organiser la résistance pour préserver l’identité menacée de son peuple ».
« Entretien avec Antoine Bondaz »
Arte diffusera le 8 février 2022 à 22 h 35 « Entretien avec Antoine Bondaz » (Gespräch mit Antoine Bondaz).
« Entretien sur les persécutions infligées au peuple ouïghour par le régime chinois, avec Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et enseignant à Sciences-Po. »
« Ce documentaire coup de poing raconte la répression à grande échelle menée par Pékin contre la minorité musulmane turcophone ouïghoure. Entretien avec son coauteur, le journaliste Romain Franklin, ancien correspondant en Chine de plusieurs médias français. Propos recueillis par Clara Le Quellec. »
Où en est la persécution des Ouïghours aujourd’hui ?
Romain Franklin : Personne n’en connaît l’ampleur exacte. La région autonome du Xinjiang est devenue un trou noir de l’information. Il y a un an et demi, elle comptait environ 1 million de Ouïghours internés dans 1 300 à 1 400 camps de rééducation, selon les estimations du chercheur allemand Adrian Zenz. En théorie, les journalistes basés en Chine peuvent aller au Xinjiang. En réalité, ils sont suivis à la trace dès leur montée dans l’avion reliant Pékin à Ürümqi, la capitale de la région. Comme sous Mao, la machinerie du Parti communiste se déploie pour dissimuler une répression de masse destinée, ici, à assimiler par la force les ethnies turcophones du Xinjiang.
En quoi consiste le plan du président Xi Jinping au Xinjiang ?
Son but consiste à hisser la Chine au rang de superpuissance en 2049. Il veut pour cela doter le pays d’une nouvelle légitimité, celle de l’unité nationale autour de l’ethnie majoritaire des Han. Ce plan signifie mettre au pas les minorités mais aussi les Hongkongais et ramener Taïwan dans le giron chinois. Face aux Ouïghours qui n’ont jamais cessé de défendre leur autonomie, le régime a alterné entre le bâton et la carotte. Xi Jinping veut régler définitivement le "problème ouïghour" au Xinjiang, une région d’autant plus stratégique pour son projet des nouvelles routes de la soie.
Comment s’y prend-il ?
Des membres du régime infiltrent les familles et les classent en trois catégories. D’un côté, les "amis du peuple", gardés sous surveillance, de l’autre, ses "ennemis", emprisonnés ou portés disparus. Au milieu, les "influençables", envoyés en camp pour y subir, entre autres, un lavage de cerveau. En 2019, des fuites de documents internes au parti ont prouvé que Xi Jinping ordonnait d’être "sans pitié" envers les Ouïghours. Tortures, destruction de cimetières, stérilisations forcées, mariages interethniques… : tout est fait pour diluer leur culture et leur identité.
Comment peut agir la communauté internationale ?
Les traités actuels ne permettent pas d’assigner la Chine devant une cour internationale. Les sanctions financières, comme celles prises par les États-Unis le 23 décembre dernier, bloquant les importations de produits issus du travail forcé des Ouïghours, peuvent porter un coup au régime. Depuis, Xi Jinping a placé à la tête de la région un expert du commerce dont l’objectif sera d’augmenter les exportations vers l’Europe où aucun blocus n’existe. La Chine use savamment de sa diplomatie économique. Dans les pays musulmans, elle réussit même à faire taire les critiques sur le sort des Ouïghours grâce à ses investissements.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées pour tourner ce film ?
François Reinhardt, le réalisateur, et moi ne pouvions nous rendre sur place. Trouver des relais sur le terrain fut compliqué. Même les plus audacieux interprètes chinois refusaient de collaborer. Nous voulions recueillir la parole du tortionnaire : il a donc fallu ruser pour parler à des officiels du parti. Si nos témoins ouïghours sont en fait réfugiés à l’étranger, les personnes rencontrées au Xinjiang durant ma carrière de journaliste ont toutes disparu d’une manière ou d’une autre. C’est la réalité que Pékin parvient encore à cacher au monde de façon sidérante. J’espère que ce film éveillera les consciences sur la nature du régime chinois. »
« Chine : le drame ouïghour » de François Reinhardt
France, 2021, 105 min
Auteurs : Romain Franklin et François Reinhardt
Coproduction : ARTE GEIE, Découpages, Yuzu Productions
Sur Arte le 8 février 2022 à 20 h 50
Disponible du 01/02/2022 au 07/06/2022
Présentation : Emilie Aubry
France, 2022, 7 min
Sur Arte le 8 février 2022 à 22 h 35
Disponible du 07/02/2022 au 09/03/2022
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Les citations sont d'Arte.
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