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dimanche 25 juillet 2021

La marche pour l'égalité et contre le racisme ou « marche des Beurs »

La marche pour l'égalité et contre le racisme, dénommée « marche des Beurs » par le quotidien Libération, a eu lieu en France du 15 octobre 1983 au 3 décembre 1983 où plus de 100 000 personnes ont défilé à Paris. Un acte de naissance politique de la première génération née de parents immigrés. Arte diffusera le 25 juillet 2021, dans le cadre de la série « D'après une histoire vraie » (Nach einer wahren Geschichte), « Des cités à l'Élysée, la longue marche pour l'égalité » (Von den Banlieues zum Elysée) de Ruxandra Annonier.

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Le keffieh, c'est tendance !

Durant l'été 1983, des « jeunes » s’opposent violemment aux policiers dans le quartier des Minguettes à Vénissieux, une ZUP de la banlieue lyonnaise. Président de l'association SOS Avenir Minguettes, inculpé depuis 1982 pour le braquage d'un supermarché à Saint-Étienne – un grief qu’il nie -, Toumi Djaïdja  est blessé par un policier et amener aux urgences hospitalières. S’ensuivent des « incivilités » ou une guérilla urbaine - voitures incendiées, affrontements avec la police... – diffusées par les médias.

Convaincu de l’innocence de Toumi Djaïdja, le père Christian Delorme et le pasteur Jean Costil, de la Cimade, suggèrent aux « jeunes » des Minguettes une marche similaire aux actions menées par le pasteur américain Martin Luther King et Gandhi. 

Leurs réclamations principales : la carte de séjour de dix ans et le droit de vote pour les étrangers. Selon un chercheur, « Mogniss Abdallah à Nanterre ou Djida Tazdaït et les militants lyonnais de Zaâma d'banlieue n'étaient guère favorables à une initiative dominée par les animateurs de la Cimade (le père Christian Delorme et le pasteur Costil) qui n'étaient pas « issus de l'immigration ».  

La marche pour l'égalité et contre le racisme, dénommée « marche des Beurs » par le quotidien Libération, a lieu en France du 15 octobre 1983 au 3 décembre 1983 où plus de 100 000 personnes défilent à Paris. Certains marcheurs arboraient le keffieh palestinien.

"Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Quand débute cette fameuse marche, cela fait quelques mois à peine qu’a eu lieu l’invasion du Liban par l’armée israélienne et le départ de Beyrouth de Yasser Arafat et les siens. Très médiatisé par les télévisions françaises, ce conflit sanglant n’a pas été sans conséquences dans les banlieues et les cités. Le port du keffieh y était déjà présent mais il a alors pris une dimension supplémentaire : celle de la solidarité de cœur avec les peuples libanais et palestiniens. Et, d’une certaine façon, de la dénonciation, parfois injuste, il faut le reconnaître, d’un parti-pris de la presse française pour Israël. Trente ans plus tard, il est de bon ton de célébrer cette marche. Un film vient même de sortir sur les écrans avec l’inévitable Jamel Debbouze dont le visage va finir par être associé à nombre d’événements marquants de l’histoire franco-maghrébine", a écrit  Akram Belkaïd (Oumma.com, 1er décembre 2013). 

Et Akram Belkaïd poursuit (Le Quotidien d'Algérie, jeudi 28 novembre 2013) :
"En 1983, au lendemain de l’arrivée de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, surnommée depuis Marche des beurs par les médias, un journaliste du quotidien Libération avait certes salué cet engagement. Mais il avait surtout fustigé le fait que les marcheurs portaient, pour un grand nombre d’entre eux, « des serpillères » comprendre des keffiehs, symboles comme chacun le sait de la cause palestinienne même si la mode adolescente en Occident l’a depuis longtemps récupéré sans que cela présente la même signification politique.
Mais ce qui est absent des analyses et des rétrospectives à l’émotion quelque peu forcée, c’est justement ce que furent les conséquences du port du keffieh par les marcheurs. Il y a quelques jours, sur les réseaux sociaux, le célèbre animateur et organisateur de spectacles Mohamed-Ali Allalou relevait à ce sujet qu’un artiste français d’origine algérienne lui a récemment confié que sans cette écharpe particulière, la dynamique politique enclenchée par cette marche aurait pu aboutir à ce que le président de la République française s’appelle aujourd’hui Mouloud… Bien entendu, le trait est quelque peu forcé mais il convient de réfléchir un peu à cette affirmation.
On a souvent dit que la naissance de l’association SOS-Racisme a été le moyen efficace trouvé par la gauche pour encadrer (contenir ?) l’irruption des beurs sur la scène politique française. Il est évident que ce fut le cas. Selon le point de vue de la gauche socialiste de l'époque, il fallait trouver des tuteurs à ce mouvement qui aurait pu être tenté par la radicalité dans ses combats contre l’injustice sociale et les discriminations.
Il fallait aussi empêcher l’émergence de toute force communautariste et donc englober ses revendications bien particulières (droit de vote, carte de résidence de dix ans, facilitation du regroupement familial, fin du délit de faciès) dans un combat plus large et plus consensuel. Mais quand le journaliste de Libération parle de « serpillères », terme méprisant que les extrémistes anti-palestiniens continuent d’utiliser à ce jour, c’est parce qu’il voit un danger dans ce rassemblement humain qui a convergé sur Paris en 1983 (plus de cent mille personnes à la fin du périple).
Un danger, non pas pour la France, mais pour la politique habituelle de ce pays à l’égard d’Israël. C’est cela qui le pousse à critiquer les marcheurs. Et c’est cette attitude qui, d’une certaine manière, a conditionné la manière dont de nombreuses élites françaises ont appréhendé la question de l’intégration des beurs et, plus encore, de l’incorporation de certains d’entre eux dans la vie politique ou culturelle.
La règle implicite est connue de tous et elle ne souffre d’aucune exception. Pour monter en grade, pour réussir, pour ne pas rester en marge du cercle auquel on aspire à appartenir, il faut mettre de côté et taire sa sympathie (éventuelle) pour les Palestiniens. En clair, et c’est une image symbolique, il faut remiser son keffieh.
Des grandes figures d’origine maghrébine qui vivent en France, lesquelles peuvent s’exprimer à leur aise à propos de l’insupportable sort d’un peuple qui attend toujours son Etat ? Aucune ou presque. Qui peut tout simplement dire, à une heure de grande écoute, je m’appelle Morad ou Nora, et, sans être un extrémiste ou un antisémite, je soutiens la cause palestinienne et je demande à ce que mon gouvernement, c’est à dire le gouvernement français, fasse tout son possible pour que soit stoppée la colonisation illégale de la Cisjordanie?
Personne… Car le faire, c’est prendre le risque d’être jugé trop encombrant et d’être renvoyé à sa cité. C’est prendre le risque de ne plus en être. De voir son ascension (peut-être jugée inespérée par la personne concernée) être brutalement stoppée."
Socialiste, le Président de la République François Mitterrand promet une carte de séjour et de travail valable valable dix ans, une loi contre les crimes racistes et un projet autorisant le vote des étrangers aux élections locales.

Condamné en 1984 pour le braquage de 1982, gracié en 1984 par le Président François Mitterrand, Toumi Djaïdja met un terme à ses engagements politiques qui lui ont, selon lui, « coupé les jambes ». 

En novembre 2013, les Editions de l'Aube ont publié "La Marche pour l’Égalité", livre d'entretiens de Toumi Djaïdja avec Adil Jazouli. "Cela se passe en France. C’est la plus belle aventure de la jeunesse des quartiers populaires de l’histoire récente : la Marche pour l’Égalité et contre le Racisme. Partis de la cité la plus violente de l’époque, les Minguettes à Vénissieux, une poignée de jeunes traversent la France pendant plusieurs semaines pour délivrer, contre toutes les violences, les racismes et les injustices, un message d’égalité, de paix, de non-violence – et d’amour pour leur pays. À leur arrivée à Paris le 3 décembre 1983, ils seront accueillis par plus de 100 000 personnes dans une ambiance à la fois grave et joyeuse. Mais cette histoire ne serait rien sans celle, hors du commun, de Toumi Djaïdja, initiateur et symbole vivant de la Marche ; ce livre raconte son histoire dans cette histoire – celle d’un itinéraire singulier qui rencontre un destin collectif pour écrire une nouvelle page d’une utopie plus vivante que jamais. Une épopée moderne à découvrir par les jeunes générations !"

Interviewé par Saphir News (10 décembre 2013), Toumi Djaïdja a déclaré :
« Se faire tirer dessus, subir une opération de microchirurgie de 9 heures, ce n’est pas de la blague. Toute ma famille a été touchée dans sa chair… Même après cela, je n’arrivais pas à avoir de colère. Il est difficile de changer sa nature profonde, je suis le fruit d’hommes qui sont avant moi. Je pense à papa, bien sûr... On aurait pu lever le poing, mais c’est la main tendue qu’on a préféré lancer à la France. Il y avait aussi un contexte qui expliquait la Marche… 
La vie est sacrée et on nous bafoue, on nous tue. Nous avions déjà expérimenté la non-violence en faisant une grève de la faim, c’est une arme redoutable. Je me rappelle qu’un jour, au local, une maman arabe vient me raconter qu’on a tué son fils ! Elle m’a bouleversé ! Toutes ces mamans n’ont jamais crié vengeance, elles ont demandé justice.
Vous ne pouvez pas mener un combat sans soldats, on ne peut pas tous être des généraux ! On ne gagne pas des batailles en ordre dispersé. Et plus tard, SOS Racisme n’a pas « récupéré » le mouvement, on a subi une OPA non amicale ! La machine de guerre d’une certaine gauche et des énarques parisiens étaient déterminés à récupérer le capital sympathie de la Marche. Et nous n’avions que 20 ans ! Surtout, il était important de garder mon intégrité, ma liberté de parole. Pour ma part, l’atterrissage était assez doux, car j’étais amoureux ! Puis j’ai fait ce qu’il y a de plus merveilleux, j’ai construit une famille… 
Aujourd’hui, on balance une banane à une ministre parce qu’elle est Noire ! C’est une honte. C’est à la justice d’intervenir. Je repense au pain au chocolat, à l’Auvergnat… Oui, il y a un constat à faire et il est amer ! Mais les bourreaux raffolent des victimes. Je veux dire qu’il ne faut pas rester dans une position victimaire ! L’égalité est un chantier permanent… Nous sommes les enfants d’hommes qui ont quitté femmes et enfants pour venir dans ce pays mourir sur les plages et dans les villages et combattre le nazisme. Ils sont venus avec tout ce qui les constitue. Leur foi était essentielle pour gagner la guerre, donc pourquoi aujourd’hui on nie à leurs enfants leur religion ? Pourquoi on nie simplement leur droit ? »
C’est la première de trois manifestations nationales sur ce thème (1984, 1985).

« En 1983, après la marche pour l'égalité, contre le racisme, dont l'un des animateurs était Toumi Djaïdja, un journal de l'immigration a publié un dossier sur l'événement avec une double page consacrée à un jeune qui se réclamait de l'islam. Le sous-titre en était «Un ovni chez les beurs», signe qu'à ce moment c'était tout à fait ahurissant. L'évolution a commencé autour de 1985-1986, dans des coins industriellement effondrés de la région lyonnaise, à Chasse et à Givors, principalement, sous l'influence du Jamat el-Tabligh, un mouvement de réislamisation « par le bas ». Toumi, redevenu musulman, est allé arpenter les marchés. Et les locaux de l'association SOS-Avenir Minguettes à Vénissieux, d'où tout était parti, ont été transformés en mosquée », a expliqué chercheur au CNRS et professeur à l'Institut d'études politiques de Paris, à L’Express (29 avril 1993).

Et ce chercheur d’ajouter : « Au début, ils étaient à la recherche d'une identité «beur», ou même d'une fusion au sein de SOS-Racisme. Le changement s'est fait sous l'impulsion de la démographie: la grande masse des enfants issus de l'immigration arrive aujourd'hui sur le marché du travail, dans un contexte qui lui est très défavorable. Beaucoup ont quitté l'école sans boulot. Ils représentent un moyen de propagation: tous les mouvements se disputent l'hégémonie de cette communauté. Pour certains, l'islam s'inscrit dans une intégration à la cité. Ils sont musulmans comme des Français sont juifs ou chrétiens, de manière privée. D'autres considèrent l'intégration comme une dénaturation qui va leur faire perdre leur identité, amène des catastrophes, la drogue, la criminalité ».

Cette Marche a été accompagnée de discours "politiquement corrects" émanant des mondes politiques et médiatiques, alimentés par des sociologues, et expliquant, voire justifiant, la violence de certains habitants et l'islamisme par une pauvreté économique, des discriminations sociales ou professionnelles, etc. 

Les gouvernements successifs ont mené des actions favorisant ces territoires, au détriment de la "France périphérique", et leurs habitants (discrimination positive). Mais une violence endémique perdure.

"En trois décennies plus d’une dizaine de plans banlieues se sont succédé. Selon Médiapart, la politique de la ville sur les banlieues s’est avérée être un véritable gouffre financier pour une faillite d’environ 100 milliards d’euros. En mai 2018, Le Président de la République Emmanuel Macron annonçait qu’il ne voulait pas d’un Énième plan banlieue, comme le réclamait Jean-Louis Borloo. « Je ne vais pas annoncer un plan ville ni un plan banlieue ni quoique ce soit, parce que cette stratégie est aussi âgée que moi », avait ironisé le chef de l’État, en rappelant que « le premier plan de la sorte a été évoqué par Raymond Barre ». « On est au bout de ce qu’on a pu produire sur cette méthode », avait précisé le président. L’ancien ministre de la Ville Jean-Louis Borloo réclamait un nouveau ‘plan Marshall’ pour les banlieues de 48 milliards d’euros, qui se seraient ajoutés aux 100 milliards déjà dépensés depuis 30 ans. Le problème, la délinquance n’a jamais été aussi élevée 30 ans plus tard."

"Aux élus locaux qui espéraient l'application d'un "plan Borloo" largement inspiré des propositions de l'ancien ministre, Emmanuel Macron leur a opposé une fin de non-recevoir: "Que deux mâles blancs ne vivant pas dans ces quartiers s'échangent l'un un rapport, l'autre disant 'on m'a remis un plan'... Ce n'est pas vrai. Cela ne marche plus comme ça".

Un nouveau registre lexical est apparu : les "jeunes" désignent des personnes issues de l'immigration musulmane - Arabe, Berbère ou sub-saharienne -, les "zones sensibles" des territoires souvent "perdus de la République", gangrenés par les trafics et les islamistes. 

« Des cités à l'Élysée, la longue marche pour l'égalité »
« À travers la collection "D'après une histoire vraie", Philippe Collin (Personne ne bouge !) propose de revenir aux sources d'histoires méconnues, dont le cinéma s’est emparé. Commentaire alerte, montage dynamique, richesse des archives : du combat de l'abbé Pierre, qui renvoie de façon saisissante aux mal-logés du présent, aux luttes des ouvrières de l'automobile de Dagenham, du militant pour les droits des homosexuels Mark Ashton à Lucie Aubrac, les huit épisodes de la collection rappellent, sans effets de manche, que la résistance individuelle peut devenir l'affaire de tous. »

Arte diffura le 25 juillet 2021 à 17 h 55, dans le cadre de la  collection documentaire « D'après une histoire vraie » (Nach einer wahren Geschichte), « Des cités à l'Élysée, la longue marche pour l'égalité » (Von den Banlieues zum Elysée), film documentaire français intéressant réalisé par Ruxandra Annonier (2019).

De manière honnête, le film laisse la parole à des Français, habitants de ces cités, et ulcérés par le mode de vie de leurs nouveaux voisins immigrés. Un grand nombre, quand cela sera financièrement possible, quitte progressivement ces cités ou quartiers pour emménager dans des lieux périphériques de villes moyennes ou grandes. 

« La marche", réalisée par Nabil Ben Yadir en 2013, retrace l’histoire de la marche de Marseille à Paris organisée par des jeunes de Vénissieux en 1983 pour dénoncer les crimes racistes et les violences policières dont ils étaient victimes... Philippe Collin propose de revenir aux sources de cette marche pour l'égalité, surnommée alors "marche des beurs" par les médias. »

« Au début des années 1980, l’exode vers le rêve pavillonnaire a laissé sur le carreau la population la plus pauvre du quartier des Minguettes, près de Lyon ». 

« Comme les autres garçons de leur âge, Toumi Djaïdja et Djamel Attalah, ont grandi là. Cette cité n’est pas seulement leur foyer mais aussi le seul bout de France qui leur a été rendu accessible ». 

« Entre 1981 et 1983, la France connaît une série de crimes racistes et voit monter l’extrême-droite ».  Quid de l'antisémitisme ? Quid des attentats terroristes islamistes palestiniens à Paris ?

« Les affrontements avec les forces de l’ordre sont de plus en plus fréquents. Un soir de 1983, un policier tire sur Toumi Djaïdja, qui frôle la mort ». 

« De retour aux Minguettes, il propose de faire usage d’une arme jusqu’alors inconcevable chez les jeunes : la non-violence, et lance l’idée d’une marche pacifique entre Marseille et Paris… »




France, Ex Nihilo, Diggers, en association avec ARTE France, 2019, 27 min
Sur Arte le 25 juillet 2021 à 17 h 55
Disponible du 28/06/2021 au 23/09/2021
Visuels :
© COLLECTION CHRISTOPHEL
© FARID LHAOUA

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