« L’Histoire nous a légué de la Suisse l’image d’un pays à la neutralité exemplaire, au point que cette image est un élément de son identité. Et pourtant ! Durant la Seconde Guerre mondiale, la Confédération Helvétique s’est écartée de ses valeurs légendaires et la bonne marche des affaires a généralement prévalu sur toute autre considération. Ainsi, Berne a réussi à préserver l’intégrité de son territoire et sa prospérité en s’arrangeant avec ses principes les plus fondamentaux. »
« Le 2 septembre 1939, alors que l’Europe se prépare à la guerre, la Suisse appelle ses concitoyens sous les drapeaux. Le pays se sait démuni face à la menace qui se profile et ses troupes ne sont pas en mesure de repousser une éventuelle invasion. »
« En 1939, dépendant en grande partie de ses importations, notamment du charbon allemand, la Confédération Suisse s’efforce de maintenir des liens avec l'ensemble de ses partenaires, tout en essayant de préserver sa traditionnelle neutralité ».
« Dix mois plus tard, lorsque Hitler gagne la guerre à l'Ouest, la Confédération se retrouve encerclée, son armée, mobilisée ».
« Mais, dans le même temps, ses banques acceptent de blanchir l'or volé par les nazis dans les pays occupés, son industrie tourne à plein régime pour fournir à la Wehrmacht armes et équipements, et les filiales de ses entreprises installées en Allemagne s'engagent sans remords dans l'effort de guerre du IIIe Reich ».
« Pragmatique, pour éviter tout sujet de discorde potentiel, la petite république durcit aussi drastiquement les conditions d'accueil des réfugiés, notamment des juifs qu’elle refoule par milliers à ses frontières, tandis que les bons offices humanitaires du comité international de la
Croix-Rouge viennent donner le change et redorer le blason helvétique ».
Nestlé et Maggi recourent aux esclaves contraints au travail forcé, à bas coût, en Allemagne. Nombre d'entreprises helvétiques ont licencié leurs cadres juifs durant la guerre. Industriel et dirigeant de la Croix-Rouge, Max Huber résume les deux faces de la Suisse.
« Toutefois, en 1942, lors de l'entrée en guerre des États-Unis, les relations entre Berne et Berlin sont montrées du doigt ».
« D'autant que cette complaisance ne tarde pas à se muer en compromission via la signature d’un prêt bancaire à taux zéro avec l’Allemagne, qui s’élèvera à la fin de la guerre à près d’un milliard de francs suisses ».
« Mais les pressions n'y changent rien et la Suisse maintient une ligne qui privilégie sa prospérité économique, entendue comme la meilleure garantie de sa neutralité ». Malgré la violation par l'Allemagne nazie de pays nordiques neutres.
« Ce n’est que dans les tous derniers mois du conflit que Berne finit par mettre fin aux nombreux avantages financiers consentis à l’Allemagne ».
« Après-guerre, au cœur d’une Europe dévastée, la Suisse est intacte. Seule, sa réputation a souffert. Mais très vite, elle renoue avec son prestige d’antan. Les honteuses compromissions avec le IIIème Reich sont oubliées. »
Des romanciers et réalisateurs ont évoqué le sort des Juifs en Suisse ou tentant de s'y réfugier durant la Deuxième Guerre mondiale. "
La barque est pleine" (
Das Boot ist voll) est un film austro-germano-suisse réalisé par Markus Imhoof (1981) avec Tina Engel, Hans Diehl et Martin Walz. «
Un Juif pour exemple » (2016) est un film bouleversant réalisé par Jacob Berger, avec Bruno Ganz, André Wilms. La libre adaptation du roman éponyme de Jacques Chessex (2009) relatant l’assassinat antisémite d’Arthur Bloch, marchand de bétail bernois sexagénaire, commis par des Nazis le 16 avril 1942 à Payerne, en Suisse.
« Il faudra attendre 2002 pour que les archives des banques et des grandes entreprises révèlent la manière dont elle a favorisé, intentionnellement ou non, la puissance nazie ».
« Les Suisses débattent, s’excusent, dédommagent les victimes puis referment définitivement leurs archives, estimant avoir soldé les comptes du passé. La Suisse avait pendant la guerre oubliée la vertu, elle célèbre désormais les vertus de l’oubli. » N'oublions pas le rôle majeur d'organisations juives et d'administrations américaines contraignant des
banques et
assureurs à rendre leur argent à des ayants-droit de leurs clients juifs tués lors de la Shoah. Et la révélation récente des
ramifications en Suisse des réseaux liés à la
spoliations des collectionneurs et galeristes juifs français sous l'Occupation.
« Avec le temps, les travaux des chercheurs révèlent une réalité souvent plus nuancée que les idées communément admises ».
"Le XXe siècle révisé"
"Avec six nouveaux volets, la collection documentaire Les coulisses de l'histoire continue à questionner les mythologies de notre mémoire collective. Entretien avec son directeur éditorial, l’historien Olivier Wieviorka. Propos recueillis par Raphaël Badache". Quel objectif poursuivez-vous avec ces six nouveaux épisodes ?
Olivier Wieviorka : Il s'agit de continuer à revisiter le XXe siècle en questionnant les idées reçues et les omissions. Par exemple, l'un des documentaires est consacré à Jean-Paul II, que l'on présente comme un ami des libertés. Oui, le pape a incontestablement œuvré pour l'affranchissement des pays de l'Est. Mais l'on connaît moins son inertie face aux dictatures en Amérique latine. Avez-vous déniché des archives inédites ?
Très souvent, et certaines s’avèrent saisissantes, notamment dans l’épisode sur la décolonisation britannique. L'idée communément admise est que si la France a mal décolonisé, le Royaume-Uni, qui n'a connu ni la guerre d'Algérie ni celle d'Indochine, s'en est bien mieux sorti. La réalité se révèle autrement plus complexe. On le découvre à travers l’entreprise de répression des Mau Mau au Kenya ou la folie militariste à Aden, au Yémen, dont nous montrons des images absolument incroyables.
Le premier volet est consacré à la dénazification. Pourquoi ?
Nous avons dans l’idée que l’Allemagne a affronté courageusement son passé après 1945. Or le ménage n'a pas été fait. Ni à l'Est, où le parti communiste a accueilli nombre d'anciens nazis, malgré de grands procès ; ni à l'Ouest, où les anciennes élites du IIIe Reich ont composé jusqu'à 77 % des personnels des ministères de la Défense et de l'Économie. En réalité, la dénazification ne pouvait être qu'extrêmement compliquée à mener car le nazisme avait intoxiqué toute une génération – celle, pour aller vite, née au début des années 1920. Il aurait fallu une purge d'une ampleur inimaginable.
Est-ce que le procès de Nuremberg, finalement, n'a pas été un moyen d'expédier le processus ?
La volonté de créer une justice internationale a été réelle. Mais il est clair également que ce procès a permis aux Allemands ordinaires d'éviter leur examen de conscience. Juger les figures du nazisme, châtier les responsables les plus éminents, c'est aussi une manière d'exonérer les masses, les suiveurs, les subalternes. C’est la génération de leurs enfants, sur fond de 1968, qui est parvenue à faire bouger les lignes, en questionnant les actes de ses aînés.
Le deuxième documentaire nous plonge dans la Suisse de la Seconde Guerre mondiale. Quel en est le fil directeur ?
Nous avons souhaité poser la question de la neutralité dans une telle période. La Suisse, officiellement neutre, a en fait favorisé les puissances de l'Axe. En continuant à commercer avec le IIIe Reich, en menant d'importantes opérations financières et bancaires à son profit, elle a soutenu l'effort de guerre allemand. Parallèlement, le pays a joué un rôle majeur dans l'aide humanitaire, notamment pour les prisonniers de guerre, à travers le comité international de la Croix-Rouge. Son président, le Suisse Max Huber, incarnait toute cette ambivalence : il était également un industriel de l'armement.
On découvre des images ahurissantes d'une Suisse où la vie semble douce…
Non seulement la Suisse a su tirer profit économiquement de sa neutralité, mais elle a traversé cette guerre tel un paradis au cœur d'une Europe dévastée, comme le montrent des archives du 1er janvier 1942, où les ambassadeurs du monde entier se retrouvent à Berne, ou celles d'un match de football opposant l'équipe helvète à celle d’Allemagne."
« Si durant la Seconde Guerre mondiale, la
Suisse a observé une neutralité absolue, refusant jusqu’au bout de s’engager dans l’un ou l’autre camp, elle n’a pas moins échappé au piège des compromissions. C’est précisément ce que lui ont tout de suite reproché les Américains, choqués que les Helvètes refusent de choisir entre les démocrates et les totalitaires. »
« D’autant que si la
Confédération fut, à la lettre, parfaitement neutre, elle n’en a pas moins, dans les faits, favorisé l’effort de guerre allemand en permettant à Hitler de bénéficier massivement des facilités bancaires et financières pour lesquelles elle n’a pas d’égal. »
« Après avoir visionné les Actualités cinématographiques suisses, les films institutionnels et des films amateurs de la période, j’ai pu constater le soin avec lequel les
Suisses ont occulté cette réalité très dérangeante. Pour des centaines d’heures consacrées à magnifier ses institutions, ses paysages, son industrie de pointe, ou l’activité de la
Croix-Rouge, il n’existe pas 30 secondes d’images relatives aux banques suisses, à leurs administrateurs ou à leurs coffre-forts, qui sont pourtant le cœur battant du pays, ce qui lui permet littéralement d’exister et d’être si prospère. Un peu comme si on évoquait la Côte d’Azur sans montrer ses plages ou l’Arabie Saoudite sans son pétrole. Tout l’art de ce documentaire a consisté à contourner cette difficulté initiale pour parvenir à restituer « l’expérience de guerre » si particulière de ce très singulier pays. »
Voix commentaire : Mohamed Rouabhi
Directeur éditorial : Olivier Wieviorka
Directeur artistique : David Korn-Brzoza
Conseillère historique : Irène Herrmann
Cinétévé : Fabienne Servan Schreiber, Lucie Pastor
Unité Société et culture Arte : Fabrice Puchault
Programme Histoire Arte : Anne Grolleron
Avec la participation de Viasat World Limited, de la ViewCom – VRT, de la RTBF - Unité Documentaires - Marc Bouvier, de Al Arabiya Channel, de Madman Entertainment
Avec le soutien de la PROCIREP – Société des Producteurs
Et de l’ANGOA et du Centre national du cinéma et de l’image animée
Sur Arte le 5 janvier 2021 à 21 h 45
Disponible du 29/12/2020 au 05/03/2021
Visuels :
Défilé avec drapeau suisse
© Archives Federales Suisses
Sports d' hiver
© Archives Federales Suisses
© Archives Federales Suisses
© Archives Federales Suisses
Sandrine
RépondreSupprimerLe documentaire de Philippe Saada est précis, concis mais avec de nombreuses archives: un excellent travail...
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