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lundi 21 décembre 2020

Doris Lessing (1919-2013)

Doris Lessing (1919-2013) est une femme de lettres britannique auteure d'une vingtaine de romans, aux genres variés, à l'inspiration souvent autobiographique - Vaincue par la brousse (1950), Le Carnet d'or (1962), Descente aux enfers (1971), Shikasta (1981) -, et militante féministe, marxiste, anticolonialiste et anti-apartheid. Elle a été distinguée par le Prix Nobel de Littérature en 2007. Dans le cadre d’« Invitation au Voyage » (Stadt Land Kunst), Arte montre sur son site Internet « Doris Lessing, une jeunesse africaine » (Doris Lessings afrikanische Jugend), et diffusera le 22 décembre 2020, « Doris Lessing à Londres » (Doris Lessings London).

Raymond Aron (1905-1983) 
« ENS : L'école de l’engagement à Paris » par Antoine de Gaudemar et Mathilde Damoisel
Archives de la vie littéraire sous l'Occupation 

Doris Tayler (1919-2013) est née à Kermanshah (Iran). Dans Alfred et Emily, elle raconte l'histoire de la rencontre entre son père, gravement blessé lors de la Première Guerre mondiale, et sa mère infirmière.

En 1925, la famille Tayler se rend en Rhodésie du Sud (alors colonie britannique) en espérant s'enrichir par la culture du maïs, du tabac et des céréales, puis dans la recherche d'or. Les conditions de vie s'avèrent éprouvantes : climat dur, malaria, dysenterie...

Agée de quatorze ans, Doris Tayler quitte le lycée et gagne sa vie comme jeune fille au pair, puis, à 18 ans, comme standardiste à Salisbury. Lors d'un séjour dans la ferme familiale, elle lit des oeuvres d'auteurs qui exercent une influence notable sur elle : Dickens, Scott, Stevenson, Kipling, puis Léon Tolstoï, Stendhal, Fedor Dostoïevski, Honoré de Balzac, Marcel Proust et Virginia Woolf.

En 1938, parallèlement à son activité professionnelle, elle écrit des romans et nouvelles, achetées par des magazines sud-africains.

Âgée de dix-neuf ans, elle épouse Frank Wisdom, un fonctionnaire. Le couple a deux enfants, John et Jean. 

Durant une réunion de pro-marxistes au Left Book Club, Doris Wisdon fait la connaissance de Gottfried Lessing (1914-1979), avocat allemand communiste et juif ayant fui son pays dirigés par les nazis. Elle abandonne son époux en 1943 et épouse en 1945 Gottfried Lessing. Deux ans plus tard, le couple a un fils, Peter. 

Divorcée Doris Lessing s'installe, avec son fils, à Londres en 1949, en emmenant le manuscrit de Vaincue par la brousse (The Grass is singing). Publié en 1950, ce roman relate la relation entre l'épouse d’un fermier blanc et un domestique africain. "Rhodésie, fin des années 1940. Mary, une jeune citadine blanche et indépendante, épouse sans désir Dick, un petit fermier. Dans cette vie rurale du veld, tout lui déplaît : l’isolement, la chaleur accablante, les tâches de la ferme, les Noirs qui travaillent pour eux. Jusqu’au jour où arrive Moïse, un domestique noir avec qui débute une relation complexe et perverse de domination, marquée par un mélange d’attirance et de répulsion. Cette tension atteint son paroxysme lorsque Mary est retrouvée assassinée dans sa véranda, Moïse s’accusant du meurtre. Portrait d’un mariage raté et de la désintégration individuelle, drame psychologique faisant exploser les clichés sur l’ère coloniale, Vaincue par la brousse, premier roman et chef-d’œuvre éblouissant de Doris Lessing, décrit avec une rare violence le climat des tensions raciales dans l’Afrique australe de l’époque." Un succès commercial. 

Suivent en 1951 Nouvelles africaines (This was the Old Chief's Country), puis  Les Enfants de la violence (The Children of Violence), cinq livres réalistes édités de 1952 à 1969, comme un « Bildungsroman » (roman d'apprentissage, de formation ou d'éducation). "Les Enfants de la violence, c’est d’abord l’histoire d’une femme en devenir, Martha, qui se cherche comme on cherche l’Afrique du Sud, un continent contre lequel viennent battre les rumeurs de la montée du nazisme, gouverné par une poignée de blancs, héritiers des traditions britanniques, face au peuple noir. Adolescente partagée entre un vague désir de conformisme et un sentiment de révolte contre ce qui l’entoure, Martha est le témoin des conflits de l’histoire, et de ceux, plus intérieurs, qui précèdent l’entrée dans le monde adulte". Le personnage principal du roman, Martha Quest, déplore les dommages induits par le système colonial sur les relations entre Africains et Européens, et les conséquences de sa chute. Les personnages juifs - avocat, commerçants - jouent un rôle déterminant dans la prise de conscience politique, libérale au sens américain du terme, de l'héroïne et sa manière de s'habiller.

En 1952, Doris Lessing devient membre du Parti communiste jusqu'en 1956 où l'intervention des chars soviétiques à Budapest (Hongrie) et les révélations sur les "crimes de Staline" durant le XXe congrès provoquent sa démission. Retreat to innocence (1956) et The Golden Notebook (1962), expriment ses espoirs déçus. "Une jeune romancière, Anna Wulf, hantée par le syndrome de la page blanche a le sentiment que sa vie s’effondre. Par peur de devenir folle, elle note ses expériences dans quatre carnets de couleurs. Mais c’est un cinquième, couleur d’or, qui sera la clé de sa guérison, de sa renaissance. "Oeuvre phare" couronnée par le Prix Médicis étranger 1976, année de sa traduction en français, Le Carnet d’or est le portrait puissant d’une femme en quête de sa propre identité, personnelle et politique." Le personnage de Molly, militante gauchiste, est inspirée d'une amie de Doris Lessing, Joan Rodker, fille du poète  et éditeur juif britannique John Rodker. Celui-ci est "un des “Whitechapel Boys” juifs - un groupe artistique/littéraire qui comprenait aussi le poète Isaac Rosenberg et le peintre David Bomberg". A Londres, Rodker "l'a exhortée à effectuer son "devoir révolutionnaire", par exemple par une pétition en faveur d'Ethel et de Julius Rosenberg (même si Doris Lessing était persuadée de leur culpabilité). L'auteure s'est inspirée, pour créer le personnage de Saul Green, d'un auteur juif américain né à Chicago et ami intime, Clancy Sigal". 

En 1956, après avoir interviewé le Premier ministre sud-rhodésien Garfield Todd et le Premier ministre fédéral Godfrey Huggins, elle est interdite de séjour dans la Fédération de Rhodésie et du Nyassaland ainsi qu'en Afrique du Sud.

Descente aux enfers (Briefing for a descent into Hell, 1971) évoque en particulier le soufisme, courant islamique étudié dans les années 1960. "Dans des circonstances étranges, un homme perd la mémoire. Tantôt Ulysse, tantôt Sinbad ou Jason, il se prend pour un marin. Recueilli dans la rue, sans qu’aucun indice permette qu’on l’identifie, il est pris en charge par une équipe de médecins. En proie au délire, il leur raconte ses expériences dans un monde inconnu, fait de contrées improbables aux habitants singuliers. Avec Descente aux enfers, l’auteur du Carnet d’or dissèque les fantasmes qui peuvent traverser l’esprit humain, elle explore les territoires inconnus du langage et du corps. Plongeant au cœur de la folie, Doris Lessing compose ce qu’elle a elle-même appelé « une science-fiction de l’espace intérieur » (space fiction).

"Dystopies futuristes, cinq romans sont regroupés sous le titre "Canopus in Argos : Archives (1979-1983)". Le critique Robert Alter les a salués comme une "combinaison de fantaisie et de moralité". Le premier volume, Shikasta, est présenté comme un récit documentaire d'une planète en danger. Dans une préface, Lessing décrit son inspiration de l'Ancien Testament, en ajoutant avec un peu de sous-entendu : "Il est possible que nous commettions une erreur lorsque nous rejetons les littératures sacrées de toutes les races et nations comme de pittoresques fossiles d'un passé révolu... Nous avons l'habitude de rejeter complètement l'Ancien Testament parce que Jéhovah, ou Jahve, ne pense pas ou ne se comporte pas comme un travailleur social." Des récits tels que la Tour de Babel, Sodome et Gomorrhe sont mis en parallèle, bien qu'avec l'ajout de vaisseaux spatiaux et d'autres accessoires de style science-fiction", a analysé Benjamin Ivry (Doris Lessing and the Jews, Forward, 18 novembre 2013).

Et Benjamin Ivry de conclure : "Tout au long de sa longue vie, Lessing a entretenu une bonhomie géniale envers les Juifs, déclarant à l'Associated Press en 2006 que lorsque la féministe juive américaine Betty Friedan lui a rendu visite à Londres, Lessing a trouvé qu'elle était "une bonne mère juive, nous nous entendions comme tout". Elle avait un point de vue plus mitigé sur Allen Ginsberg et ses amis du Beat Poet, qu'elle trouvait "extrêmement sympathiques, mais ce n'est pas comme ça qu'ils voulaient être vus... ils n'étaient pas aussi effrayants et choquants qu'ils le voulaient". C'était surtout des gens de la classe moyenne qui essayaient d'être ennuyeux". Lessing a ennuyé de nombreux lecteurs au cours de sa carrière, y compris des universitaires du Moyen-Orient, lorsque son livre non fictionnel "The Wind Blows Away Our Words : a Firsthand Account of the Afghan Resistance", a affirmé que les Pachtounes, le principal groupe ethnique afghan, sont "vraiment juifs". Suivant les légendes selon lesquelles les Pachtounes descendent à l'origine des dix tribus perdues d'Israël, ce qui expliquerait pourquoi certains noms et coutumes pachtounes font écho à des noms juifs, Lessing a peut-être placé le pouvoir du mythe et du récit au-dessus de la stricte vérité documentaire ; c'était là un autre exemple de son imagination romanesque ardente, qui accueillait les Juifs partout où elle les trouvait."

En 1983 et 1984, pour prouver la difficulté de jeunes auteurs à être publiés, elle a adressé sous le nom de Jane Somers, à son éditeur, deux romans : Journal d'une voisine (Diary of a Good Neighbour) et Si la vieillesse pouvait (If the Old Could). Refusés !

"Parmi les grands romanciers contemporains, Doris Lessing est l'un de ceux qui ont su le mieux rester à l'écoute de notre époque et des problèmes sociopolitiques de celle-ci. Avec La Terroriste (1985), elle met en scène de nouveaux « enfants de la violence », non plus révolutionnaires cyniques de l'Afrique australe, mais apprentis sorciers paumés, squattant une vieille maison de la banlieue londonienne. Doris Lessing établit le constat d'échec d'une jeunesse déboussolée, généreuse dans ses motivations mais embrigadée dans le pire, faute d'une authentique raison de vivre. Le terroriste « amateur » est ici le symptôme d'une maladie de la civilisation moderne, de l'injustice sociale, des aberrations de la politique, du vide métaphysique. Malicieusement, Doris Lessing a construit toute l'action de son livre autour du portrait en pied d'un personnage féminin, Alice, aussi peu fait pour le terrorisme qu'une bonne sœur pour le mariage. Alice, qui ne cesse de bouffer du bourgeois, l'insulte aux lèvres, est en vérité une jeune femme passionnée et tendre, une maîtresse de maison modèle. Son amateurisme et celui de son groupe déboucheront pourtant, après de nombreux rebondissements et péripéties, sur la violence et la tragédie. La Terroriste : un roman puissant et mouvementé, au comique volontiers grinçant."

Le Cinquième Enfant (The Fifth Child, 1988) évoque la violence enfantine dans une famille.

En 1982, 1988 et 1991, Lessing est retournée en Rhodésie du Sud, devenue le Zimbabwe. Elle y rencontre son frère avant que celui-ci ne s'installe en Afrique du Sud. En 1995, elle observe les dégâts de la politique du Président Robert Mugabe. En 1995, cette septuagénaire se rend en Afrique du Sud où vivent sa fille et ses petits-enfants. Au début des années 2000, elle a critiqué vivement le régime de Mugabe. Ce qui l'a rendue « indésirable » au Zimbabwe.

Doris Lessing "a rapidement pris conscience de l'antisémitisme soviétique, comme elle l'a fait remarquer dans un discours prononcé en 1992 à l'université Rutgers, repris plus tard dans "Our Country, Our Culture" : The Politics of Political Correctness" (Notre pays, notre culture : la politique du politiquement correct) :
"Nous n'avions pas à nous identifier à l'Union soviétique, avec ses quelque soixante-dix années de hachage logique, de rhétorique idiote, de brutalité, de camps de concentration, de pogroms contre les Juifs. Encore et toujours, l'échec. Et, de notre point de vue, le plus important, les mille façons de défendre l'échec. Je pense que l'histoire de l'Europe aurait été très différente. Le socialisme ne serait plus aussi discrédité et, surtout, notre esprit ne prendrait pas automatiquement l'habitude du "capitalisme ou du socialisme".
Nous devons apprendre à surveiller nos esprits, notre comportement. Nous devons repenser notre façon de penser. C'est le moment, je pense, des définitions".
En 2001, lors d'une conférence au Festival du Livre d'Édimbourg, elle a fustigé les féministes qui l'avaient pourtant louée : des « femmes devenues horribles avec les hommes. Après avoir fait une révolution, beaucoup de femmes se sont fourvoyées, n'ont en fait rien compris. Par dogmatisme. Par absence d'analyse historique. Par renoncement à la pensée. Par manque dramatique d'humour ».

Une soixantaine de romans, nouvelles, pièces de théâtre, poèmes, essais, récits autobiographiques et témoignages... En 2007, le Prix Nobel de littérature est attribué à l’écrivain anglais Doris Lessing, « la conteuse épique de l’expérience féminine, qui avec scepticisme, ardeur et une force visionnaire scrute une civilisation divisée ». En raison de sa santé fragile et de son grand âge, la récipiendaire adresse une vidéo dans laquelle elle a remercié le jury et qualifié les sociétés modernes de « championnes de l'ironie et du cynisme. »

Sur les attentats du 11 septembre 2001, elle a déclaré au journal El Pais (21 octobre 2007) : « Ça a été terrible, mais si on se repasse l'histoire de l'IRA, ce qui est arrivé aux États-Unis n'a pas été aussi terrible que ça... Certains Américains penseront que je suis folle. Beaucoup de personnes sont mortes, deux édifices prestigieux sont tombés, mais ce ne fut pas si terrible, ni si extraordinaire comme ils le pensent ». L'IRA est l'Irish Republican Army, l'Armée républicaine irlandaise.

Doris Lessing a ajouté : "Tony Blair a été un désastre pour la Grande-Bretagne et nous l'avons supporté de nombreuses années. Je l'ai dit dès qu'il a été élu: c'est un petit 'showman' qui va nous mettre dans des problèmes et il l'a fait. Pour ce qui est de Bush, c'est une calamité mondiale. Tout le monde est las de cet homme. Ou bien il est stupide ou bien il est très malin. Il faut savoir qu'il est membre d'une classe sociale qui bénéficie beaucoup des guerres". (sic)

« Doris Lessing, une jeunesse africaine »
Arte diffuse sur son site Internet, dans le cadre d’« Invitation au Voyage » (Stadt Land Kunst), « Doris Lessing, une jeunesse africaine » (Doris Lessings afrikanische Jugend). 

« Avec son bush à perte de vue, ses ciels immenses et sa terre chauffée par le soleil, le Zimbabwe est le pays d’accueil de l’écrivaine Doris Lessing ». 

« Arrivée enfant, au début du XXème siècle, elle y reste 25 ans et dénonce avec force le régime ségrégationniste ». 

« Ce sera, pour elle, le fondement de sa détestation de toute forme de domination et de son militantisme ».

« À Londres, libre comme Doris Lessing »
Arte diffusera le 22 décembre 2020, dans le cadre d’« Invitation au voyage » (Stadt Land Kunst) réalisé par Fabrice Michelin, « Doris Lessing à Londres » (Doris Lessings London ; London, frei wie Doris Lessing).

Linda Lorin nous emmène à la découverte de notre patrimoine artistique, culturel et naturel. Dans ce numéro : À Londres, libre comme Doris Lessing - Au Japon, le thé maître de cérémonie - À Majorque, plus dure sera la fuite.

« Avec ses demeures victoriennes colorées et ses boutiques cossues, Nothing Hill est aujourd’hui l’un des quartiers les plus courus de Londres ». 

« Quand Doris Lessing emménage à Notting Hill en 1949, c’est encore un quartier londonien populaire, désolé, marqué par la lutte des classes. » 

« Arrivée de Rhodésie, la jeune écrivaine découvre une société fracturée par la lutte des classes ». 

« Féministe, engagée à gauche, la jeune écrivaine y devient très vite une auteure en vue, majeure ».


France, 2019, 14 min
Disponible sur Arte du 28/02/2019 au 28/02/2021

France, 2020, 14 min
Sur Arte le 22 décembre 2020 à 17 h 10
Disponible du 24/04/2020 au 13/04/2022

Les citations sur le film sont d'Arte.

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