Franco-allemande-néerlandaise, Germaine Krull (1897-1985) était une photographe de la « Nouvelle Vision », portraitiste photojournaliste et photographe de guerre (Deuxième Guerre mondiale, Indochine). Surnommée la « Walkyrie de fer » ou « Walkyrie de la pellicule », mue par une quête spirituelle, elle a illustré des livres de Georges Simenon ou articles de Colette, tout en parcourant le monde. Durant les Rencontres de la Photographie d’Arles (1er juillet-22 septembre 2019), le Cloître Saint-Trophime accueille l’exposition « Germaine Krull et Jacques Remy, un voyage, Marseille-Rio 1941 ».
1917. Après avoir étudié la photographie, elle ouvre à Munich son studio.
Elle assiste à la Révolution des Spartakistes, puis se rend dans la Russie bolchevique avec son ami Samuel Levit, chef du Parti communiste allemand (KPD). Là, elle est emprisonnée, puis libérée. Elle retourne à Berlin et souffre du typhus.
Elle se rend aux Pays-Bas, où elle rencontre Joris Ivens et photographie les témoignages industriels de la modernité économique.
A Paris, vers 1926, elle se lie d’amitié avec Sonia Delaunay, Robert Delaunay, Eli Lotar, André Malraux, Colette, Jean Cocteau, André Gide, et ses photographies sont publiées par le magazine VU.
Avec le photographe Eli Lotar, elle participe à l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR). Ses œuvres sont montrées au Premier salon indépendant de la photographie (mars 1928), dénommé aussi le Salon de l’escalier. Son portfolio Métal révèle un regard curieux et ses compositions audacieuses.
Vers 1935-1940, Germaine Krull vit et travaille à Monte-Carlo.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, elle rejoint la République du Congo. Nommé directrice du service photographique de la France Libre, elle suit l’avancée des troupes de la France Libre et photographie le Débarquement de Provence, la bataille d’Alger ainsi que la libération du camp de Vaihingen-sur-l’Enz (land de Bade-Wurtemberg), camp de travail spécialisé dans la production d’armements.
Après la Libération, elle couvre la guerre d’Indochine en 1946, puis dirige un hôtel à Bangkok, et collabore avec André Malraux à un projet littéraire sur l’art bouddhique.
Convertie au bouddhisme, célébrée dans des expositions, notamment en 1967 au Palais de Chaillot, elle vit en Inde jusqu’en 1983.Affaiblie par la maladie, elle rentre en Allemagne où elle décède en 1985.
« Modernité photographique »
« A Berlin, elle fait la connaissance d'un jeune cinéaste hollandais, Joris Ivens, qu'elle suit à Amsterdam en 1925. La découverte du port, de son univers dominé par les constructions métalliques, des grues et des machines lui inspirera des photographies d'installations industrielles qui seront réunies par la suite dans son ouvrage Métal ».
« En France depuis 1926, Germaine Krull expose ses photographies intitulées Fers au Salon d'automne et publie Métal en 1927. Cet ouvrage, résolument moderniste et volontiers provocant, est considéré comme le véritable manifeste de la «modernité qui se situe dans le lignée du livre de Moholy-Nagy « Fotografy Malerei in Film », publié deux ans plus tôt.» Il se présente sous la forme d'un recueil de 64 planches accompagné d'un texte de Florent Fels. Désormais soutenue par des artistes comme Robert et Sonia Delaunay, la carrière de photographe de Germaine Krull est lancée ».
« Elle « participe au «Salon de l'escalier» à Paris, « Fotografie der Gegenwart » à Essen, «Film und Foto» à Stuttgart en 1929, « Das Lichtbild » à Munich en 1930, ainsi qu'à l'Exposition internationale de la photographie à Bruxelles en 1932. Ses photographies sont publiées dans tous les magazines, de Vu ou Marianne, à des publications d'avant-garde comme Bifur ou Variétés. Pierre Mac Orlan lui consacre même le premier volume de la collection « Les Photographes nouveaux », publié aux éditions Gallimard en 1931 ».
« Pendant la guerre, Germaine Krull part diriger le service photographique de la France libre à Brazzaville avant de suivre le général de Lattre et ta campagne de la 1ère armée française. On la retrouve ensuite à Bangkok, où elle collabore à une agence photographique puis remet en état et dirige le célèbre hôtel Oriental. En 1967, André Malraux la sollicite pour illustrer un ouvrage sur l'art bouddhique ; une exposition de ses photographies de Thaïlande est organisée à la Cinémathèque ».
Germaine Krull « repart vivre en Inde dans une communauté tibétaine. Elle rentre en Europe deux ans avant sa mort à Wetzlar en 1985 ».
« Un destin de photographe »
En 2015, le Jeu de Paume a proposé l’exposition « Germaine Krull (1897–1985). Un destin de photographe », dont le commissariat était assuré par Michel Frizot, historien de la photographie.
« Il y a une vingtaine d’années, le rôle fondamental joué par les femmes photographes de cette époque a timidement commencé à être mis en avant, grâce au travail effectué par des conservateurs et des collectionneurs pionniers qui ont exhumé archives et publications. Ainsi des expositions collectives regroupant des « femmes photographes » ont-elles vu le jour, offrant une vision alternative de l’histoire que seuls quelques-uns ont brillamment osé proposer. À partir de ces précédents prônant généreusement l’existence d’autres histoires – et d’autres protagonistes – de la photographie, il nous est apparu que la responsabilité des historiens, des conservateurs et des institutions muséales actuels était bien de continuer à réécrire ces histoires en multipliant les perspectives, en favorisant les recherches minutieuses et croisées qui analysent, documentent et éclairent l’apport individuel de chacune de ces femmes, un apport aussi polymorphe et varié que celui de leurs collègues masculins. C’est dans cette optique qu’une partie de la programmation du Jeu de Paume, ces dernières années, s’est attachée à promouvoir le travail de recherche, de conservation et d’édition autour de l’œuvre de femmes photographes au singulier. Ces expositions et publications ont pour objectif l’analyse approfondie de cas particuliers à la lumière des préoccupations contemporaines liées aux études biographiques, esthétiques, politiques, de genre, d’économie de production ou de stratégies de diffusion, entre autres. En somme, il s’agit de donner sens à une oeuvre individuelle, en la situant dans son contexte mais aussi en la récupérant pour le présent et l’avenir, et en évitant des expositions collectives sous l’égide d’une raison de genre – féminin –, qui fut sans nul doute nécessaire en son temps mais dont la poursuite serait aujourd’hui pour le moins redondant et oiseux », a analysé Marta Gili, Directrice du Jeu de Paume, Paris.
Et Marta Gili de poursuivre : "Le cas de Germaine Krull illustre cette volonté, ainsi que le révèlent le présent livre et l’admirable travail de recherche et de sélection de photographies et de publications effectué par Michel Frizot, commissaire de cette exposition. Comme il l’écrit lui-même, bien que Germaine Krull ait joui d’une relative reconnaissance à partir des années 1990, grâce, entre autres, au brillant travail de Christian Bouqueret à Paris et à la rétrospective organisée par le Folkwang Museum à Essen, personne n’avait encore entrepris de recherches approfondies sur une oeuvre publiée aussi bien dans des revues que dans des livres. C’est donc en suivant cet axe, colonne vertébrale de l’exposition et du livre qui l’accompagne, que Michel Frizot mène une réflexion autour de l’« économie de la photographie », de son utilisation et de sa diffusion ».
Et Marta Gili de poursuivre : "Le cas de Germaine Krull illustre cette volonté, ainsi que le révèlent le présent livre et l’admirable travail de recherche et de sélection de photographies et de publications effectué par Michel Frizot, commissaire de cette exposition. Comme il l’écrit lui-même, bien que Germaine Krull ait joui d’une relative reconnaissance à partir des années 1990, grâce, entre autres, au brillant travail de Christian Bouqueret à Paris et à la rétrospective organisée par le Folkwang Museum à Essen, personne n’avait encore entrepris de recherches approfondies sur une oeuvre publiée aussi bien dans des revues que dans des livres. C’est donc en suivant cet axe, colonne vertébrale de l’exposition et du livre qui l’accompagne, que Michel Frizot mène une réflexion autour de l’« économie de la photographie », de son utilisation et de sa diffusion ».
L’exposition du Jeu de Paume revisitait « l’oeuvre de Krull sur de nouvelles bases, à partir de collections récemment disponibles, afin de rendre compte de l’équilibre entre une vision artistique moderniste et une fonction médiatique, illustrative et documentaire novatrice. Selon ses propres termes, qui ouvrent paradoxalement son livre Études de nu (1930) : « Le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter. »
« Si Germaine Krull est l’une des femmes photographes les plus célèbres, son oeuvre reste peu étudiée au regard de celle de ses contemporains Man Ray, László Moholy-Nagy ou André Kertész. Peu d’expositions lui ont été consacrées : en 1967, une première évocation au musée du Cinéma à Paris ; en 1977, au Rheinisches Landesmuseum Bonn et en 1988, au musée Réattu à Arles, ainsi que la rétrospective de 1999, montée à partir de ses archives déposées au Folkwang Museum d’Essen ».
L’exposition du Jeu de Paume s’attachait « principalement à la période parisienne 1926-1935, et plus précisément encore aux années d’activité intense de 1928 à 1933, en mettant en relation plus de 130 tirages d’époque avec les publications photographiques, que ce soit dans les magazines ou les livres où Germaine Krull joue un rôle unique et de premier plan. Cette présentation permet d’apprécier la continuité et les constantes de son travail, tout en mettant en valeur ses innovations esthétiques. Beaucoup d’images singulières et représentatives de son foisonnement créatif sont ainsi à découvrir, dans leur contexte originel ».
« Née en Pologne, de parents allemands, elle a une enfance chaotique au gré des déplacements et des impérities de son père ingénieur, vivant brièvement à Paris en 1906. Après des études dans une école de photographie à Munich, Germaine Krull se trouve mêlée en 1919 aux aléas politiques de l’Allemagne et participe activement aux mouvements bolcheviques, jusqu’à se retrouver en mauvaise posture à Moscou. Brièvement photographe de nus féminins, où elle se distingue par sa liberté de ton et de sujet, elle découvre aux Pays-Bas, en 1925, les architectures et engins mécaniques des ports, qui la conduisent, suite à son installation à Paris en 1926, à éditer le portfolio Métal qui lui apporte la renommée et l’intègre immédiatement aux mouvements d’avant-garde de la Nouvelle Vision photographique. C’est ce qui lui permet d’être retenue alors pour participer en 1928 au lancement du magazine photographique VU, où s’élabore, avec André Kertész et Eli Lotar, une forme de “reportage” qui lui convient particulièrement, car elle y trouve une liberté d’expression, de prise de vue sans tabous et de proximité avec le sujet, grâce à son appareil “petit format” 6 x 9 cm, l’Icarette ».
« Germaine Krull est une des photographes les plus connues de l’histoire de la photographie, pour sa participation aux avant-gardes des années 1920-1940, et l’une des femmes-photographes les plus célèbres. La publication de son portfolio Métal en 1928, sa présence à l’exposition « Film und Foto » en 1929 sont les événements le plus souvent rappelés, qui l’inscrivent de fait comme l’une des égéries de la « modernité » photographique. Et pourtant l’œuvre de Krull est l’une des moins étudiées, à la différence de celle de Man Ray, Moholy-Nagy ou Kertész. Cela tient à une carrière courte et chaotique – une vingtaine d’années actives en France, avec un climax d’à peine cinq ans, puis les quarante dernières années en Asie, où les liens avec le milieu photographique sont presque rompus –, et aussi à la dispersion de ses tirages, comme à l’absence d’un fonds d’archives complet et bien identifié. Peu d’expositions ont eu lieu : les deux premières, succinctes, en 1977 (Rheinisches Landesmuseum, Bonn) et 1988 (par Christian Bouqueret, musée Réattu, Arles), et la rétrospective de 1999, montée à partir de ses archives déposées au Folkwang Museum d’Essen (présentée à Munich, San Francisco, Rotterdam, Paris) dont le catalogue développe la biographie autour des notions d’« avant-garde » et de « modernité".
"Il s’agit aujourd’hui de rendre compte de l’œuvre éclatée d’une femme-photographe politiquement ancrée à gauche, énergique, engagée, voyageuse, dont l’engagement photographique est à l’opposé d’une revendication esthétique, artistique ou interprétative du type Bauhaus ou surréalisme. Selon ses propres termes, « le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter » (ce propos ouvre paradoxalement son livre Études de nu, en 1930). Il est essentiel de montrer que Germaine Krull travaille constamment en vue de la publication de ses photographies : on sait l’importance du magazine VU lancé en 1928, auquel elle participe dès le début (280 photographies reproduites dans VU), et qui lui permet d’élaborer, avec Kertész et Lotar, cette forme du « reportage » qui lui convient tellement. Mais afin de vivre de ses photographies, elle participe à de nombreuses autres publications, comme les magazines Jazz (76 photographies sur 17 numéros), Variétés, Paris-Magazine, Art et Médecine, Voilà, L’Art vivant, La France à table, etc. Et surtout, fait notoire, elle innove par la publication de livres photographiques ou portfolios dont elle est l’unique auteur : Métal (1928) 100 x Paris (1929), Études de nu (1930), Le Valois (1930), La Route Paris-Biarritz (1931), Marseille (1935)" sur un texte d'André Suarès, "ainsi que le premier photo-roman avec Simenon, La Folle d’Itteville (1931) : ces publications à elles seules regroupent près de 500 photos. Ses images illustrent d’autre part de nombreux autres livres, notamment sur Paris (Paris, 1928 ; Visages de Paris, 1930 ; Paris under 4 Arstider, 1930 ; La Route de Paris Méditerranée, 1931). L’œuvre de Krull est donc profondément liée à l’apparition de formes innovantes du reportage et de l’illustration photographique autour de 1930 ; ce qui n’exclut pas de participer avec les mêmes images à des expositions où la photographie est reconnue comme une activité artistique autonome".
"L’exposition « Germaine Krull » proposait une nouvelle lecture de son œuvre en rééquilibrant une vision artistique intégrée à l’avant-garde et une fonction médiatique et illustrative (de laquelle se nourrissent aussi les mouvements modernes comme le surréalisme ou le constructivisme). Le parcours proposé par l’exposition concerne principalement la période de pleine activité photographique 1926-1933, en évoquant aussi son travail au service de la France Libre, jusqu’en 1945 et la période ultérieure, lorsqu’elle vit en Asie. L’exposition est constituée d’environ 130 tirages d’époque, et de nombreux extraits de livres et magazines rendant compte des intentions et des imaginaires de la photographe ».
« La présentation chronologique s’articule autour des thèmes propres à Germaine Krull, qui sont aussi symptomatiques de son rôle moderniste :
- l’architecture métallique,
- le nu féminin,
- les vues urbaines et le trafic automobile, notamment à Paris et Marseille, qui exploitent les principes de déconstruction de l’espace de la Nouvelle Vision,
- les « documents de la vie sociale » : les clochards, la zone, les halles, les bals, les métiers, etc.
- la femme et la condition féminine (ouvrières de Paris, nombreux portraits),
- la route, l’un des ses thèmes récurrents de reportage (avec certaines photographies prises depuis la fenêtre du véhicule) ».
« Cette présentation permettait d’apprécier la continuité et les constantes du travail de Germaine Krull, son rôle dans l’épanouissement des formes photographiques, tout en mettant en valeur ses innovations esthétiques et l’indépendance de ses conceptions photographiques, dans un esprit d’émancipation et avec une volonté de partage immédiat par les publications ».
Ces « publications regroupent près de cinq cents photos. Ses photographies illustrent d’autres livres collectifs importants, notamment sur Paris : Paris, 1928 ; Visages de Paris, 1930 ; Paris under 4 Arstider, 1930 ; La Route Paris-Méditerranée, 1931. Ses images sont souvent déconcertantes, atypiques, et dénuées de toute standardisation ».
« L’engagement photographique de cette femme politiquement ancrée à gauche, énergique, adepte des voyages, est à l’opposé d’une revendication esthétique, artistique ou interprétative, comme celles du Bauhaus ou du surréalisme. Engagée dans la France libre en 1941, elle y est aussi très active, participe à la Bataille d’Alsace (elle en fait un livre) et part ensuite pour l’Asie, avant de devenir directrice de l’Hôtel Oriental à Bangkok qui devient un établissement renommé. Puis, convertie au bouddhisme, elle se met au service des Tibétains exilés en Inde, près de Dehra-Dun ».
« Mais, pendant toutes ces années, elle a produit des milliers de photographies de sites et de monuments bouddhiques, notamment dans la perspective de l’illustration d’un ouvrage de son ami André Malraux ».
« Jusqu’à la fin de sa vie, elle publie des livres d’une conception originale : Ballets de Monte-Carlo (1937) ; Uma Cidade Antiga do Brasil ; Ouro Preto (1943) ; Chieng Mai (c. 1960) ; Tibetans in India (1968) ».
Les « reportages de Krull s’attachent d’abord à certains caractères de la vie parisienne, celle des bas-fonds et des petites gens, des quartiers populaires ou de la “Zone” ; les clochards qui font son succès dans VU, les halles et les marchés, les fêtes foraines, vantés par Francis Carco et Pierre Mac Orlan (son plus ardent soutien). L’exposition explore également certaines constances distinctives de ses goûts et de ses attachements : l’engouement pour l’automobile et pour le voyage par la route, l’attention aux comportements féminins, de l’écrivaine à l’ouvrière, la fascination pour les mains, et l’esprit libre et fantasque auquel elle cède à toute occasion, sans pour autant appartenir à quelque chapelle ».
« En 1923-1924, Germaine Krull est associée au photographe Kurt Hübschmann à Berlin, elle réalise surtout des compositions de nus féminins, comptant en particulier sa jeune sœur Berthe, et les deux séries montrant deux « amies ». Installée à Paris en 1926 comme photographe de mode, elle est essentiellement au service de l’atelier de Sonia Delaunay »
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Reportages et magazines
« Le grand apport de Krull se situe dans le reportage, dont elle est une pionnière dès 1928. Son terrain de prédilection est la culture populaire parisienne, ses bas-fonds, la Zone et les petites gens, les fêtes foraines et marchés aux puces, les bars, la rue".
"Son reportage sur les clochards dans VU fait sensation".
"Elle voyage également pour VU en Bretagne (marins, cérémonies) et dans le Midi. Son approche est très libre, recherchant davantage le contact et la proximité avec le sujet (grâce à son Icarette format 6 x 9 cm) plutôt que la belle image bien cadrée ».
1928 : « Mes fers » et VU
« Elle fait connaître ses « fers », des photographies de grues, de ponts, de silos, réalisées depuis 1925 dans les ports néerlandais, des cadrages saisissants déconnectés d’une vision réaliste, qui font d’elle une photographe « d’avant-garde ».
« Elle est ainsi contactée par le fondateur du nouveau magazine VU, lancé en mars 1928, pour réaliser des reportages modernistes, d’un nouveau genre, en particulier sur la tour Eiffel, puis sur les clochards. Parallèlement, son portfolio Métal fait grande impression dans les milieux de la photographie moderne ».
L’auto, la route
« Germaine Krull aime l’automobile, la vitesse et la mécanique. A Paris, elle photographie à foison le trafic, au plus près des véhicules, ou les avenues à l’aplomb d’un lieu élevé".
"Après une commande de Peugeot pour la 201 en 1929, elle reçoit une automobile en paiement. Elle montre un engouement peu commun pour le voyage par la route et photographie les sites entrevus, parfois depuis le siège de sa voiture, mettant la photographie au service d’une reconnaissance du plaisir et de la découverte, qui se concrétise par l’édition d’un nouveau livre photographique La Route Paris-Biarritz (1931) et sa participation à La Route de Paris à la Méditerranée (1931) ».
Femmes
« Les années 1920 voient l’émergence de nombreuses femmes-photographes ce qui implique pour certaines d’entre elles, un positionnement particulier dans l’exercice du métier. Germaine Krull s’intéresse aux femmes-artistes comme Colette, Berthe Bovy qui joue La Voix humaine de Cocteau, la chanteuse Damia, mais aussi aux femmes anonymes que sont les ouvrières de Paris qu’elle approche pour un reportage dans VU en 1932. Elle a toujours pratiqué le nu féminin dans un sens moderniste, concrétisé par le portfolio études de nu (1930). L’illustration photographique d’un roman de Simenon, La Folle d’Itteville (1931), qui est en soi une grande nouveauté, lui offre à travers Mrs Hubbell un modèle énigmatique en situation ».
Paris, Paris
« La grande ville, un thème récurrent pour le cinéma d’avant-garde, est un ensemble d’opportunités inégalées pour une photographe déterminée qui recherche la nouveauté : les grands magasins et les mannequins de vitrines, les effets lumineux de la nuit, les quais de Seine. Krull publie, en 1929, un livre de cent photographies, 100 x Paris, et participe à Paris de von Bucovich (1928), Visages de Paris de Warnod (1930), et Paris de Hallman (1930), premières manifestations du « livre de photographies » dont Krull est une adepte des plus ardentes ».
La guerre
« En 1940, Germaine Krull part pour le Brésil afin de se mettre au service de la France libre".
"Elle est envoyée en 1942 à Brazzaville, pour fonder un service de propagande photographique, et voyage dans l’Afrique équatoriale française".
"En 1943, elle rejoint Alger en tant que reporter, puis les troupes de De Lattre, elle débarque dans le Midi et remonte en Alsace où elle participe à la bataille d’Alsace dont elle fait un petit livre en 1945 ».
Ma collection de mains
« J’avais commencé une collection de mains, la chose la plus étonnante d’un être humain » écrit Germaine Krull à propos de sa rencontre avec Colette".
"Elle est fascinée par les mains, qui sont toutefois un thème récurrent des années 1920, mais elle le fait avec fantaisie et invention, parfois dans des situations inattendues : Cocteau, la main devant les yeux ou devant la bouche ».
L'Asie
« Reporter en Indochine et en Asie du Sud-Est en 1946, Germaine Krull se fixe bientôt à Bangkok, devient gérante de l’Hôtel Oriental, dont elle fait un établissement de grande renommée".
"Adepte du bouddhisme, elle photographie le patrimoine des temples et de la statuaire en Thaïlande et Birmanie, puis ayant quitté son hôtel en 1966, elle prend fait et cause pour les Tibétains en exil et se met à leur service, y compris par le livre photographique (Tibetans in India, 1968) ».
Esprit fantasque
« Affranchie des conventions dans tous les domaines » selon Joris Ivens, Germaine Krull aime centrer son esprit sur « le côté visuel des choses » et s’évader de l’impératif documentaire du reportage ».
Elle « met en évidence le détail secret que les gens n’aperçoivent pas toujours », « elle en exagère souvent l’aspect tragique et fantastique » (Mac Orlan)".
"Y compris dans ses nus et ses portraits, qui sont atypiques, elle ose des cadrages, des détails, des situations, des jeux d’ombre, des fantaisies qui sollicitent l’imagination et provoquent l’étonnement ».
Durant les Rencontres de la Photographie d’Arles (1er juillet-22 septembre 2019), le Cloître Saint-Trophime accueille l’exposition « Germaine Krull et Jacques Remy, un voyage, Marseille-Rio 1941 ». Les commissaires de l’exposition sont Adrien Bosc et Olivier Assayas.
« André Breton, Jacqueline Lamba, Claude Lévi-Strauss, Victor Serge, Wifredo Lam, Anna Seghers… ce sont quelques-uns des passagers du Capitaine-Paul-Lemerle, dont Adrien Bosc reconstitue dans son roman Capitaine la traversée de Marseille à Fort de France en 1941. À bord, on croise également Germaine Krull, la grande photographe allemande en partance pour les Amériques, ainsi qu’un jeune cinéaste, futur scénariste, Rémy Assayas, dit Jacques Rémy » (1911-1981).Né dans une famille juive à Constantinople, alors dans l'Empire ottoman, Rémy Assayas a grandi à Salonique et en Italie. Durant la Deuxième Guerre mondiale, réfugié en Amérique du Sud, cet assistant réalisateur pour Léonide Moguy et Richard Pottier dans les années 1930 réalise deux films durant son exil : au Chili, Le Moulin des Andes sur un scénario de Jules Supervielle, et en Argentine, El gran secreto, remake du Conflit de Léonide Moguy.
« Dans Capitaine, Adrien Bosc reconstitue cette traversée de Marseille à Fort-de-France en 1941, la vie sur le bateau de ceux qui fuyaient la France vichyste et leur arrivée en Martinique, parqués dans une ancienne léproserie, le Lazaret. »
« À la fin de son livre, Adrien Bosc évoque sa rencontre avec Olivier Assayas, son fils, qui lui ouvre l’album des photographies de Germaine Krull prises durant le voyage, et qui viennent, avec émotion, mettre en image son travail de romancier ».
« Cette importante série de photographies retrouvées en vrac dans un tiroir de la maison de campagne familiale, identifiées par Olivier Assayas qui en a reconstitué la genèse, les a triées et classées ».
« Leurs recherches parallèles viennent alors se compléter et Un voyage, Marseille-Rio 1941 en est l’aboutissement. Et le prolongement, puisque le trajet, pour Germaine Krull et Jacques Rémy, se poursuit jusqu’à Rio, avec escale en Guyane Française, où Germaine Krull photographie les bagnards libérés et la vie indigène autour du fleuve ».
« Un voyage accompagne une exposition de ces photographies et textes inédits aux Rencontres de la photographie d’Arles 2019 ».
« Un voyage, Marseille-Rio 1941 regroupe l’ensemble de ces photographies, pour la plupart inédites, exposées en regard de récits écrits sur le vif par nos deux voyageurs ».
CITATIONS
« Photographier, c’est un métier. Un métier d’artisan. Un métier qu’on apprend, qu’on fait plus ou moins bien, comme tous les métiers. De l’art, il y en a dans tous les métiers bien faits, puisque l’art est un choix. La première science du photographe, c’est de savoir regarder. »
Germaine Krull, préface à Etudes de nu, A. Calavas, 1930.
« Le photographe est un témoin. Le témoin de son époque. Le vrai photographe, c’est le témoin de tous les jours, c’est le reporter. »
Germaine Krull, préface à Etudes de nu, A. Calavas, 1930.
«Nous sommes vous et moi les plus grands photographes de notre temps, moi dans le genre primitif, vous dans le moderne. »
Man Ray
« Vous êtes un miroir reformant. Vous et la chambre noire obtenez un monde neuf, un monde qui a traversé des mécanismes et une âme. »
Jean Cocteau, Lettre à Germaine Krull, 1930, publiée dans Le Courrier Littéraire.
« Le mystère social aime à maquiller ses parures. La photographie remet l’homme à sa place dans le décor. Cette place n’est pas celle d’un dieu créateur, mais d’un dieu mélancolique victime de ses créations. »
Pierre Mac Orlan dans Les Annales politiques et littéraires n° 2370, 15 novembre 1930, p. 454-457.
« La photographie, celle de Krull par exemple (…) comme un détail, une chanson définitive et profonde, une couleur, une parole, un cri dont le rayonnement est à peu près illimité. »
Pierre Mac Orlan, Germaine Krull, NRF, Gallimard, 1931.
Pierre Mac Orlan, Germaine Krull, NRF, Gallimard, 1931.
« Germaine Krull ne crée pas des anecdotes faciles, mais elle met en évidence le détail secret que les gens n’aperçoivent pas toujours. »
Pierre Mac Orlan, Germaine Krull, NRF, Gallimard, 1931.
« Germaine était une force et cette force était désordonnée. Elle se voulait libre, affranchie des conventions dans tous les domaines »
Joris Ivens
« Germaine Krull braquant son appareil vers le ciel, a photographié la tour Eiffel de bas en haut, et la tour Eiffel s’est cassée la gueule. Elle a été restituée comme un pont suspendu à la renverse, comme un poignard enfoncé dans les nuages. Depuis ce jour-là, les photographes sont partis à la découverte du monde ».
René Zuber
« Germaine Krull est une artiste intelligente. Cela peut vous semblez un compliment bien fade, une de ces épithètes banalisées par l’usage qui s’amuse parfois à vider les mots de leur sens. (…) Germaine Krull est photographe comme Jean Cocteau est poète. Tout l’intéresse, mais elle rapporte tout à elle, c’est-à-dire à la photographie. »
Pierre Mac Orlan
REPERES BIOGRAPHIQUES
"1897
Naissance à Wilda-Poznan, en territoire allemand, devenu polonais en 1919.
1903-1912
La famille voyage beaucoup, au gré des installations du père, ingénieur, instable et impécunieux : Bosnie, Paris (1906) où naît sa jeune soeur Berthe, Slovénie, Bavière, puis fixation à Munich avec sa mère qui tient une pension.
1912-1915
Vie très libre à la pension, elle subit un premier avortement ; ses parents divorcent.
1915-1917
étudie dans une école de photographie, Lehr- und Versuchsanstalt für Fotografie, Chemigraphie, Lichtdruck und Gravüre à Munich.
1917
Mort de son père.
1917-1919
S’installe à Schwabing (Munich), fréquente artistes, écrivains, et le penseur politique Kurt Eisner, qui devient en novembre 1918 premier ministre de la République libre de Bavière ; elle devient amie de Max Horckheimer et Fritz Pollock.
1918
Participation à la publication d’un recueil de nus féminins (héliogravures), Der Akt, Einhorn-Verlag.
1919
Assassinat de Kurt Eisner, le 21 février. Elle participe à la République des Soviets. Germaine Krull est très active avec Tobias Axelrod, envoyé de Moscou, et Kurt Adler (Samuel Levit).
Démarche à Budapest auprès de la République des Conseils.
1920
Bannie de Munich, elle est à Berlin en mars, avec Kurt Adler.
1921-1922
Krull est à Saint-Petersbourg puis Moscou avec Adler pour assister au Congrès de la IIIe Internationale. Elle entend le discours de Lénine.
Le lendemain, arrêtée et emprisonnée à la Loubianka ; simulacre d’exécution. Trahie par Adler, finalement libérée, malade du typhus, elle rentre à Berlin début 1922.
1922
Se lie avec Hans Basler, rencontré à Moscou, qui lui permet de s’associer avec le couple Hübschmann pour tenir un studio de photographie à Berlin.
1923-1924
Nombreuses études de nus féminins dont sa sœur Berthe (portfolio Spuk), une série à connotation lesbienne (collection Dietmar Siegert) et une série plus clairement érotique « Les amies » (collection Ehrens).
1923
Rencontre à Berlin Joris Ivens, néerlandais, fils d’un commerçant de fournitures et matériels photographiques.
1924
Séjour chez les parents de Joris Ivens.
1925
Elle liquide l’atelier de Berlin et s’installe à Amsterdam avec Joris. Commence sans doute à photographier les installations portuaires, grues et silos. Bref séjour à Paris avec son amie Else.
1926
Voyage à Paris et, attirée par la ville où elle vécut enfant vingt ans plus tôt, décide de s’y installer.
Elle ouvre un studio de photographie de mode, financé par la famille Ivens, en association avec Luigi Diaz. Elle travaille pour Sonia Delaunay. Le peintre Robert Delaunay s’intéresse à ses « fers ».
1927
Rencontre Eli Lotar, avec qui elle vit deux ans. Lotar devient lui-même photographe et s’intéresse au cinéma.
Afin d’acquérir la nationalité néerlandaise, mariage « blanc » avec Joris Ivens. Celui-ci, devenu cinéaste d’avant-garde, filme Le Pont (Rotterdam).
1928
Lancement, le 28 mars, du magazine d’actualités photographiques VU, dirigé par Lucien Vogel, qui a connu les « fers » de Germaine Krull. Elle est sollicitée pour des commandes de reportages modernistes, de même que Kertész et Lotar. En mai, elle participe au Premier salon indépendant de la photographie (« Salon de l’escalier »), première manifestation de photographie moderne, avec Man Ray, Kertész et Outerbridge.
1928
Parution de son portfolio Métal, vues d’architectures métalliques, dont la tour Eiffel, qui fait d’elle la photographe d’avant-garde la plus en vue à Paris. Participation au livre Paris de Mario von Bucovich, publié à Berlin.
1928-1931
Intense activité dans le reportage « moderne », tel qu’il est préconisé par VU (les clochards, octobre 1928) et sur des sujets plus libres, pour Variétés, revue belge d’esprit surréaliste. Publications dans Jazz, de Carlo Rim et L’Art Vivant de Florent Fels, l’un de ses meilleurs soutiens. Elle se fait une spécialité du Paris populaire, des fêtes foraines, marchés, bistrots, bals, spectacles, de la Zone et du Paris de la nuit. Fréquente et photographie écrivains et artistes : Colette, Cocteau, Malraux...
Voyages en Bretagne, en Lorraine et dans le Sud.
1929
Participation à la grande manifestation de la Nouvelle Vision photographique internationale « Film und Foto » (FiFo) à Stuttgart. Publication de son livre 100 x Paris, Verlag der Reihe, Berlin. Publicité pour la Peugeot 201, et intérêt grandissant pour l’automobile, passion de « la route ».
1930
Vit avec Philippe Lamour, qui édite Grand’ Route.
Publication de Le Valois, illustrations de Germaine Krull. Portfolio Etudes de nu, participation à Visages de Paris d’André Warnod.
1931
Publie avec l’éditeur Jacques Haumont, son amant, La Route Paris-Biarritz et La Folle d’Itteville illustrant un roman de Simenon. Parution de Germaine Krull par Pierre Mac Orlan chez Gallimard. Participation à La Route de Paris à la Méditerranée.
1932
Illustration de La Chatte de Colette pour l’hebdomadaire Marianne. Publication dans VU des reportages « Les ouvrières de Paris » sur des textes d’Emmanuel Berl.
1934
Rédige les mémoires de sa jeunesse perturbée, Chien fou qu’elle essaye ensuite de publier, sans succès.
1935
Presque sans travail depuis deux ans, part s’installer sur la Côte d’Azur, et rentre au service du Casino de Monte-Carlo. Publication du livre Marseille.
1937
Livre Les Ballets de Monte-Carlo. Photomontages muraux pour l’Exposition universelle de Paris.
1940
Embarque à Marseille pour rejoindre Rio de Janeiro, afin de se mettre au service de la France libre.
1942-1943
Dirige un service de photographie de la France libre à Brazzaville. Reportages de propagande sur les activités productives en Afrique équatoriale française.
1943
Livre Ouro Preto.
1944
Elle rejoint Alger, photographie De Gaulle.
Affectée comme reporter au « débarquement Sud », par l’Italie et la côte d’Azur, dans les troupes de De Lattre. Participe à la bataille d’Alsace.
1945
Photographie en mars la libération du camp de Vaihingen. Publie La Bataille d’Alsace chez Jacques Haumont.
1946
Toujours reporter, elle part pour l’Asie du Sud-Est, et finit par devenir co-gérante de l’Hôtel Oriental de Bangkok, qu'elle va transformer en un grand hôtel international.
1960
Entreprend divers voyages, notamment en France. Retrouve notamment la famille Malraux.
Photographie des milliers de monuments et statues en Thaïlande, Birmanie, dans les années 1960.
1962
Contrat pour l’illustration d’un ouvrage de Malraux sur l’Indochine dans la série Univers des Formes, qui ne paraîtra pas.
1964
Publie Bangkok, Siam’s City of Angels avec Dorothea Melchers.
1966
Vend ses parts de l’Hôtel Oriental, revient momentanément à Paris. Tales from Siam, avec Dorothea Melchers.
1967
Exposition à la Cinémathèque française – musée du Cinéma à Paris, organisée par Henri Langlois.
1968
S’installe près de Dehradun, en Inde, et se met au service des Tibétains en exil, plus particulièrement la communauté de Sakya Trizin. Publie Tibetans in India.
1976
Dicte ses mémoires, Click entre deux guerres.
1977
Exposition en Allemagne, Rheinisches Landesmuseum Bonn.
1981
Achève la rédaction de son autobiographie La Vie mène la danse.
1983
Revient chez sa sœur Berthe en Allemagne.
1985
Décès à Wetzlar, le 30 juillet."
12 rue du Cloître. 13200 Arles
Tél. : 04 90 49 59 05
De 10 h à 19 h
Visuels :
UN VOYAGE, MARSEILLE-RIO 1941
Germaine Krull, Les enfants passent la ligne, fête de Neptune sur le Capitaine-Paul-Lemerle, l’assesseur guide un des enfants.
Photographie de groupe au Lazaret, avril 1941. A gauche assis, Jacques Rémy, au centre Germaine Krull, à droite assis dans un transatlantique, Victor Serge. Photographie prise sans doute par Vlady Serge.
A lire sur ce blog :
Les citations sont extraites des dossiers de presse.
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