Né en 1967, Jonathan Littell est un journaliste, écrivain et documentariste franco-américain récipiendaire de Prix prestigieux, et suscitant parfois des polémiques et un sentiment de gêne, voire du dégoût. Arte diffusera le 22 novembre 2023 à 22 h 45 "Un écrivain dans l'enfer nazi - "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell" réalisé par Jean-Christophe Klotz.
« Paul Auster - Le jeu du hasard » par Sabine Lidl
Colette (1873-1954)
Edmond Fleg (1874-1963), chantre Juif et sioniste du judaïsme
« Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme » par Florence Mauro
« Le manuscrit sauvé du KGB. Vie et destin de Vassili Grossman » par Priscilla Pizzato
Arthur Miller (1915-2005)
George Orwell (1903-1950)
« Stefan Zweig, histoire d’un Européen » par Jean-Pierre Devillers et François Busnel
Colette (1873-1954)
Edmond Fleg (1874-1963), chantre Juif et sioniste du judaïsme
« Leone Ginzburg, un intellectuel contre le fascisme » par Florence Mauro
« Le manuscrit sauvé du KGB. Vie et destin de Vassili Grossman » par Priscilla Pizzato
Arthur Miller (1915-2005)
George Orwell (1903-1950)
« Stefan Zweig, histoire d’un Européen » par Jean-Pierre Devillers et François Busnel
Né en 1967 dans une famille juive américaine originaire de l'empire russe, de Vilnius - son père est le journaliste, correspondant de guerre et auteur de romans d'espionnage Robert Littell ; le nom patronymique familial originel est "Lidsky" -, Jonathan Littell grandit en France.
Il "a travaillé de nombreuses années comme travailleur humanitaire, puis consultant pour des ONG, dont Action contre la faim, principalement en Bosnie, en Tchétchénie, en Afghanistan et en RDC.
"Les Bienveillantes"
Son roman controversé Les Bienveillantes (Prix de l’Académie française et Prix Goncourt 2006), et son deuxième livre, "explorait en profondeur, à travers l’expérience nazie, la question de la violence institutionnelle et du meurtre de masse". « En fait, j'aurais tout aussi bien pu ne pas écrire. Après tout, ce n'est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret ; grâce à Dieu, je n'ai jamais eu besoin, comme certains de mes anciens collègues, d'écrire mes Mémoires à fin de justification, car je n'ai rien à justifier, ni dans un but lucratif, car je gagne assez bien ma vie comme ça. Je ne regrette rien : j'ai fait mon travail, voilà tout ; quant à mes histoires de famille, que je raconterai peut-être aussi, elles ne concernent que moi ; et pour le reste, vers la fin, j'ai sans doute forcé la limite, mais là je n'étais plus tout à fait moi-même, je vacillais, le monde entier basculait, je ne fus pas le seul à perdre la tête, reconnaissez-le. Malgré mes travers, et ils ont été nombreux, je suis resté de ceux qui pensent que les seules choses indispensables à la vie humaine sont l'air, le manger, le boire et l'excrétion, et la recherche de la vérité. Le reste est facultatif. » (Jonathan Littell)
Il "a travaillé de nombreuses années comme travailleur humanitaire, puis consultant pour des ONG, dont Action contre la faim, principalement en Bosnie, en Tchétchénie, en Afghanistan et en RDC.
"Les Bienveillantes"
Son roman controversé Les Bienveillantes (Prix de l’Académie française et Prix Goncourt 2006), et son deuxième livre, "explorait en profondeur, à travers l’expérience nazie, la question de la violence institutionnelle et du meurtre de masse". « En fait, j'aurais tout aussi bien pu ne pas écrire. Après tout, ce n'est pas une obligation. Depuis la guerre, je suis resté un homme discret ; grâce à Dieu, je n'ai jamais eu besoin, comme certains de mes anciens collègues, d'écrire mes Mémoires à fin de justification, car je n'ai rien à justifier, ni dans un but lucratif, car je gagne assez bien ma vie comme ça. Je ne regrette rien : j'ai fait mon travail, voilà tout ; quant à mes histoires de famille, que je raconterai peut-être aussi, elles ne concernent que moi ; et pour le reste, vers la fin, j'ai sans doute forcé la limite, mais là je n'étais plus tout à fait moi-même, je vacillais, le monde entier basculait, je ne fus pas le seul à perdre la tête, reconnaissez-le. Malgré mes travers, et ils ont été nombreux, je suis resté de ceux qui pensent que les seules choses indispensables à la vie humaine sont l'air, le manger, le boire et l'excrétion, et la recherche de la vérité. Le reste est facultatif. » (Jonathan Littell)
"Avec cette somme qui s'inscrit aussi bien sous l'égide d'Eschyle que dans la lignée de Vie et destin de Vassili Grossman ou des Damnés de Visconti, Jonathan Littell nous fait revivre les horreurs de la Seconde Guerre mondiale du côté des bourreaux, tout en nous montrant un homme comme rarement on l'avait fait : l'épopée d'un être emporté dans la traversée de lui-même et de l'Histoire."
"Les grands romans du scandale" est une série documentaire d'Arte. Il faut laisser le temps faire son œuvre. Vilipendés lors de leur parution, certains écrits accèdent au fil du temps au statut de "classique". De Madame Bovary à L'orange Mécanique, une collection pour (re)découvrir ces romans à scandales devenus chefs-d'œuvre et ces auteurs à qui la postérité a donné raison.
Arte diffusera, dans le cadre de cette série, le 22 novembre 2023 à 22 h 45 "Un écrivain dans l'enfer nazi - "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell" réalisé par Jean-Christophe Klotz.
"Un retour passionnant sur le sulfureux roman-fleuve de Jonathan Littell, prix Goncourt 2006 et immense succès, qui questionne les frontières du mal à travers le récit sans remords d'un haut gradé nazi au cœur de la Shoah".
"Frères humains, laissez-moi vous raconter comment ça s'est passé…" En 2006, Les Bienveillantes, roman-fleuve écrit en français par un presque inconnu franco-américain de 39 ans, Jonathan Littell, jette un énorme pavé dans la mare littéraire".
"Le "ça" de son incipit, c'est l'entreprise d'extermination des juifs d'Europe racontée en détail, à la première personne et sans aucun remords, mais avec une effroyable précision, par un narrateur fictif : le pervers, dépressif, cultivé et lucide Max Aue, ex-officier SS chargé au début de la Seconde Guerre mondiale de surveiller le bon déroulement de la "Solution finale" sur le front de l'Est, d'Auschwitz à la "Shoah par balles".
"Avec ces quelque neuf cents pages aussi difficilement soutenables que brillamment écrites et historiquement fondées, Jonathan Littell – fils de l'auteur américain de romans d'espionnage Robert Littell – a voulu sonder la nature humaine du mal et nous obliger à regarder en nous-mêmes ce "frère" dont nous ne voulons à aucun prix : un bourreau ordinaire au cœur du génocide nazi".
"Couronné du Goncourt et du Prix de l'Académie française, son livre, publié chez Gallimard, devient un best-seller immédiat, à la fois porté aux nues et conspué".
"En troublant les frontières entre fiction et réalité pour proposer un regard jusqu’alors tabou sur la Shoah, son auteur, qui se refuse en outre à toute apparition publique, exploite-t-il une fascination ambiguë pour l'horreur ou parvient-il à restituer par la littérature une vérité que l'histoire n'a pu raconter qu'à demi ?"
"Jean-Christophe Klotz (Nuremberg – Des images pour l'histoire) revient sur les débats passionnés suscités à sa sortie par le roman et son extraordinaire succès pour éclairer les questions sans réponse qu'il continue de nous adresser".
"Comment parler aujourd'hui du "ça" d'un slogan auquel il est de plus en plus difficile de croire ("Plus jamais ça"), alors que les derniers témoins de la barbarie nazie ont disparu ? Où se situent les limites de l’art en général et de la littérature en particulier quand ils traitent d'un sujet comme le génocide ?"
"Son film met en parallèle des archives tournées au cours de l'offensive nazie à l'Est, qui montrent le plus souvent la vie quotidienne des officiers et des soldats au fil de leur avancée, mais aussi de fugaces visions des massacres, avec des images contemporaines des lieux, des extraits du livre et des conversations avec différents analystes du livre : l'historien Pierre Nora, la spécialiste des récits littéraires de la Shoah Aurélie Barjonet, l'essayiste Rony Brauman, l'écrivain américain Daniel Mendelsohn, auteur des Disparus…"
"Il entraîne ainsi le spectateur dans la fabrique et la trajectoire de ce livre hors norme, qui a su toucher un point névralgique de notre culture commune pour interroger notre humanité".
Cet écrivain et journaliste franco-américain "a depuis prolongé ce questionnement à travers des essais tels que Le sec et l’humide. Une brève incursion en territoire fasciste (2008) et de nombreux reportages pour Le Monde et la revue XXI, durant la guerre de Géorgie d’abord puis en RDC, au Sud-Soudan, et à Ciudad Juarez (Mexique)". « Quelques précisions. Ce texte a été écrit en 2002, alors que je menais des recherches en vue d'un autre livre, depuis publié. Il est né de la rencontre entre les thèses d'un chercheur allemand brillant et insaisissable – Theweleit – et un texte d'un fasciste belge où celui-ci, par le jeu des images et de la langue, laisse lire la structure même de sa pensée. Le fait qu'il écrivait en français m'a permis de tenter une analyse plus approfondie de certaines intuitions ; de mener une vérification expérimentale d'une certaine théorie du fascisme, celle proposée par Klaus Theweleit. Celle-ci, on pourra le voir, porte sa part de vérité, comme la portent d'autres lignes de pensée que j'ai pu explorer par ailleurs, avenues, défrichages, culs-de-sacs, ou brusques plongées dans le noir que cette théorie croise sans jamais les recouper. Car l'objet est tel que quelle que soit la rigueur avec laquelle on le cerne, toujours par un autre côté il échappe ; toujours ses profondeurs, mises à nu, se doubleront d'autres profondeurs insoupçonnées, et repliées sur elles-mêmes, parfois, pour ne former qu'une surface lisse, morne, banale, mais toujours prête à de nouveau crever sous les pieds de celui qui s'y aventure » (Jonathan Littell).
Le 29 mai 2008, le quotidien israélien Haaretz a publié l'article "The Executioner's Song" (La chanson du bourreau, ndt) à partir d'une interview de Jonathan Littell. L'auteur quarantenaire a déclaré : "In general I am much less interested in victims than I am in perpetrators. That's because they are the ones who are doing something and changing the reality. It's very easy to understand the victim: Something terrible happens to him and he reacts accordingly. But in terms of trying to understand something, there is nothing to examine. The perpetrator is more complicated to understand, along with the apparatus that activates him. By means of the attempt to give a voice to the perpetrator, lessons can be learned that will affect the way we look at the world today... The question I'm interested in is the question of state violence, mass societal violence, as opposed to individual criminal violence. The German case is the most extreme case of societal violence, so this is the most interesting. The focus is on the destruction of Jews because that is what they did... I am from a generation that was very marked by Vietnam. I was a very small boy but it was in the living room every goddamned day - much more than the Holocaust and Israel or anything else. We saw it on TV every day for my entire childhood. My childhood terror was that I would be drafted and sent to Vietnam and made to kill women and children who hadn't done anything to me. As a child there was always the possibility of being a potential perpetrator".
Si Jonathan Littell ne se définit pas comme Juif, il pense que son père se considère plus comme Juif que lui : "I never went to synagogue regularly. In fact, I think I have been in more churches than synagogues. For me, Judaism is more a historical background. My father says you are a Jew because the people who want to murder you define you as such. Well, if someone wants to slit my throat because I am a Jew he is a raving idiot - that will not turn me into a Jew."
La Shoah ? "My reading of what you call 'Holocaust' is also less Jewish and Judeo-centric than that of my father. I think that what happened was far broader than a narrow issue of 'Germans killing Jews.' The English word 'holocaust' is certainly the wrong term to describe what happened. It is a religious term, rife with non-historical meaning. I don't think the word 'shoah' is any better. It's a controversy among historians. Raul Hilberg described it as 'the destruction of European Jewry,' but he encountered criticism because that was also the Nazi terminology. Ulrich Herbert calls it the 'National-Socialist extermination policy,' and I find that a far more accurate description because it also includes the extermination of the homosexuals, the Gypsies, the disabled and other minorities. "Indeed, according to Littell, the "National-Socialist extermination policy" was "only one of the several big genocides that have happened in human history."
Et Jonathan Littell de préciser : "I personally understand the arguments for the exceptionality of the Holocaust, but I don't agree with them. The basic argument is that the Nazis wanted to kill all the Jews, but I don't see the difference between that and an extermination policy that was aimed - and implemented on a large scale - at groups such as the peasants in the Soviet Union or in Cambodia. Every genocide is exceptional." Littell says that one of his aims is to show "how it happened." But he also wants to show that it is not just a problem between Germans and Jews. "If you reduce it to that, then everyone else can say, why should we care about it? That's what I find dangerous in the whole Jewish centeredness of the commemoration. It leaves many other victims outside the equation... I think the extermination of the Jews is a universal problem, I think it concerns everyone. Beyond that, I think that today the issue is being used for political purposes in Israel." There was one event that "shocked me horribly," he relates. "I went to Birkenau and spent a couple of days there for the research. One day I was up in the tower over the entrance. Just then a few buses of Israeli kids - around 16, I think, schoolkids - arrived. I watched the whole thing and it was amazing. First they entered under the arch at the camp entrance. Then they unfold these huge Israeli flags. They march down to the end, where the gas chambers were, and stay there for three minutes - the teacher probably explained something about the place. Then they march back, waving their flags, and fold them again under the arch. The boys start smoking cigarettes and slapping the girls' asses, and then they leave. That ceremony has nothing to do with what actually happened in Auschwitz. It is more like, you know, 'Listen up, young future Israeli soldiers, this is why you are going to fight.' It is political, a mechanism. It has no connection to what actually happened. The Holocaust, I think, is being exploited politically, in a way that the Nazi extermination policy against other groups - Russians, homosexuals, Gypsies - is not."
Sur Israël, Jonathan Littell a indiqué : "Asked whether he thinks the Holocaust shapes Israeli actions today, he replies: "On the one hand, Israel is a country that underwent a serious trauma, and the Holocaust made it dramatically paranoid. But then there is also greed and land-grabbing and all that shit. That's just inexcusable. I'm sorry, but this cannot be excused by traumas that occurred 60 years ago." He acknowledges that "there is clearly a raw nerve of fear," but adds immediately, "which I don't have. I don't feel fear. Bizarrely, Israel, which was created to be a safe haven for Jews, has become the most dangerous place in the world for the Jews. And has made it more dangerous to be a Jew in other countries, too." Littell says Israel uses the Holocaust to justify "inexcusable" acts, by which he means the situation in the territories, and he likens the actions of the Israel Defense Forces to the behavior of the Nazis in the period before they came to power"... There is nothing like genocide in the territories, but they are doing absolutely atrocious things. If the government would let the soldiers do worse things, they would. Everyone says, 'Look how the Germans dealt with the Jews even before the Holocaust: cutting the beards, humiliating them in public, forcing them to clean the street.' That kind of stuff happens in the territories every day. Every goddamn day. And now they have this whole generation of mad Russians who don't care about anything and are very right-wing." Most of what Littell knows about ongoing events in Israel comes mainly from "Red Cross worker types" with whom he is in contact. He last visited Israel, he says when asked, when he was eleven... I think the Israelis should take a better look at themselves. When they read a book like my book they shouldn't just look at the Jewish side of things. More pragmatically, what's important is to reach a certain level of understanding and apply it to what is happening now and maybe use that to correct things. Sitting around talking with historians about what happened 60 years ago is not very interesting if you don't apply it to what's happening today... Like how what the Americans are doing in Iraq is unacceptable. I'm not talking about the war but about torture and things like Abu Ghraib. Understanding the Germans of 60 years ago may make you feel that you're not that far from it, as Americans or as Israelis. So maybe it will be possible to enforce our social mechanisms to prevent our societies, at least, from going completely off the wall... I think the Israelis, instead of beating their breast, should take a long, hard look at what they are doing now. I am not saying that present-day Israeli society is comparable to Nazi society in World War II, but it is definitely one of the most crazed Western societies".
"Début 2012, il passe trois semaines dans la ville assiégée de Homs, au cœur des quartiers opposés au régime syrien, en Syrie, et en tire une série de cinq reportages pour Le Monde, avant de publier ses notes sous le titre Carnets de Homs (2012). « Ceci est un document, pas un écrit. Il s'agit de la transcription, la plus fidèle possible, de deux carnets de notes que j'ai tenus lors d'un voyage clandestin en Syrie, en janvier de cette année. Ces carnets devaient au départ servir de base pour les articles que j'ai rédigés en rentrant. Mais peu à peu, entre les longues périodes d'attente ou de désœuvrement, les plages de temps ménagées, lors des conversations, par la traduction, et une certaine fébrilité qui tend à vouloir transformer dans l'instant le vécu en texte, ils ont pris de l'ampleur. C'est ce qui rend possible leur publication. Ce qui la justifie est tout autre : le fait qu'ils rendent compte d'un moment bref et déjà disparu, quasiment sans témoins extérieurs, les derniers jours du soulèvement d'une partie de la ville de Homs contre le régime de Bachar al-Assad, juste avant qu'il ne soit écrasé dans un bain de sang qui, au moment où j'écris ces lignes, dure encore.» (Jonathan Littell) "C'est, on le sent page après page, un texte écrit dans des conditions extrêmes, où les protagonistes, à chaque instant, jouent leur vie. Constituant un document tout à fait unique, véritable enquête sur le terrain, ces carnets témoignent de la vie quotidienne du peuple en révolte de la ville de Homs, de la résistance des déserteurs de l'Armée syrienne libre, et des atrocités commises par les forces gouvernementales."
Jonathan Littell "est aussi depuis longtemps fasciné par l’image, et en 2011 a publié Triptyque, trois études sur Francis Bacon, où il étudie l’oeuvre du peintre anglais à la lumière des grands maîtres l’ayant influencé, de la peinture byzantine, et de l’histoire de la photographie." «Francis Bacon était un homme désespérément lucide, qui vivait avec une conscience aiguë de la futilité des entreprises humaines, de la fragilité de la chair. "Le simple fait d'être né est une chose très féroce", affirmait-il ; mais la peinture, pour lui, n'était pas une protestation contre quoi que ce soit, c'était juste une façon de passer les jours, la meilleure qui soit, la plus fascinante, une façon aussi, plus secrètement bien qu'exposée aux regards de tous, de se délester de ses fantômes les plus intimes. La peinture était une façon de donner une forme matérielle à l'immense absence de sens affectant la vie, une absence de sens qui sans cette activité quotidienne aurait fini par le submerger et le noyer. "L'important pour un peintre, c'est de peindre et rien d'autre", disait-il peu de temps avant de mourir.» Jonathan Littell.
"Wrong Elements"
"Du 23 au 27 juin 2019, ARTE bouscula sa grille pour accueillir la quatrième édition du festival du documentaire, entièrement dédié aux grands documentaires : onze coproductions ARTE signées par des réalisateurs de renom, pour la plupart sorties en salles ou primées dans les grands festivals internationaux. Le documentaire, dans toute sa diversité formelle, son foisonnement de sujets, son inventivité, fait partie de l’essence d’ARTE. C’est le genre emblématique de l’ouverture au monde, qui est en même temps agrandissement de l’univers de chacun. À la fois en prise avec le réel tout en le transfigurant, à travers un regard esthétique et singulier, il donne à voir l’invisible, l’autre, le différent, l’inédit. C’est l’ambition de ce festival que de valoriser toute la palette de ce genre puissant auquel ARTE est particulièrement attachée. ARTE présente à l’antenne des films particulièrement marquants qui, chacun à leur façon, nous dévoilent ce que l’on ne voit pas d’ordinaire ou plus. De Visages Villages d’Agnès Varda et JR primé à Cannes en 2017 et dans de nombreux festivals, à Les tombeaux sans noms de Rithy Panh, sélectionné entre autres à la Mostra de Venise en 2018, en passant par Wrong Elements de Jonathan Littel sélectionné à Cannes en 2016, ou bien encore" « Gaza, la vie » par Garry Keane.
Arte diffusa le 26 juin 2019 « Wrong Elements » film de Jonathan Littell présenté hors compétition au Festival de Cannes 2016. « D'ex-enfants-soldats témoignent des atrocités qu'ils ont vécues ou commises et de leur difficile retour à la vie normale. Signée Jonathan Littell, une plongée vertigineuse dans un Ouganda ravagé par la guerre civile. »
"Dans le nord de l'Ouganda, en 1989, Joseph Kony, combattant mystique de la tribu Acholi, fonde la Lord's Resistance Army (LRA). Spécificité de ce mouvement rebelle, baptisé Armée de résistance du Seigneur : sa conduite par le chrétien illuminé Joseph Kony, désireux d’instituer en Ouganda une théocratie fondée sur le Décalogue biblique, sa politique d’enlèvement d’enfants sur une large échelle (on estime leur nombre à 60 000 en vingt-cinq ans de conflit), ses razzias sanglantes combinant massacres sadiques et pillages (100 000 morts, 2 millions de déplacés)."
« Au sein du bush, il forme une armée rebelle d'enfants-soldats. Les jeunes filles sont violées par les chefs de guerre. Sur 60 000 adolescents capturés, moins de la moitié survivent à cette jungle où, entre famine et terreur, ils apprennent à tuer ».
"Aujourd’hui chassé de la frontière ougandaise, le mouvement se réduit à quelques centaines d’individus, le fugitif Joseph Kony étant poursuivi par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Reste les enfants – filles violées, garçons contraints de tuer – devenus adultes, rentrés au pays pour ceux qui ne sont pas morts au combat, et amnistiés." (Le Monde, 28 mars 2017)
"Si, les jugeant moins bourreaux que victimes, le gouvernement a amnistié ces rescapés de l’enfer, dont certains avaient passé plus de dix ans dans le bush avant de s’enfuir, les jeunes, aujourd’hui âgés d’une vingtaine d’années, peinent parfois à retrouver une place au sein de la société - «mauvais éléments» d’autant plus difficiles à réhabiliter qu’ils sont souvent amenés à côtoyer les proches de ceux qu’ils avaient massacrés." (Libération, 20 juin 2019)
"Geofrey ne peut pas revenir dans sa région natale, il a été reconnu par un survivant d’un massacre, et a échappé de peu à des représailles. Mais à Gulu (dans le Nord du pays, ndlr), où il réside désormais, personne ne l’embête. En général, les repentis de la LRA sont acceptés par la société. Mais certains leur reprochent de toucher des allocations d’asistance ou d’éducation auxquelles les Ougandais qui n’ont pas été enlevés n’ont pas droit - Geofrey a ainsi obtenu une bourse d’études qui lui a permis d'aller à l’université. Les mêmes reprochent au gouvernement de mieux traiter les anciens de la LRA que leurs victimes, qui ont dû croupir des années dans des camps de réfugiés. La situation est plus difficile pour les ex-« épouses de guerre », souvent sexuellement traumatisées, avec tous les problèmes psychiques que cela pose. Dans leur immense majorité, les filles enlevées par la LRA sont sorties du bush avec des enfants. Il faut savoir que la société acholie est clanique: l’accès aux terres est déterminé par le clan du père. Conséquence: si tu n’a pas de père, tu n’a pas de clan; et si tu n’a pas de clan, tu n’as pas de terres. Or, l'immense majorité des gamins nés dans le bush, ne sont pas reconnus par le clan paternel. Et ils sont souvent rejetés par le clan maternel et/ou le nouveau mari de la père. Se greffe là dessus un problème de croyance: nombre d’Ougandais considèrent que les gamins qui sortent du bush sont contaminés par un mauvais esprit: ils porteraient malheur, et pourraient contaminer les enfants « sains » du clan. Ils sont victimes d’une stigmatisation totale, sans aucun moyen financier pour les aider. On parle quand même de 5000 enfants", a expliqué Jonathan Littel à Télérama (23 mars 2017).
« Geofrey, Mike et Nighty, ancienne "maîtresse" de Joseph Kony, en sont revenus. Ce passé commun les a soudés, d'autant que, malgré l'amnistie qu'elle leur accorde, la société ougandaise peine à réintégrer ces "mauvais éléments", ces inclassables, à la fois bourreaux et victimes. »
L'expression "mauvais éléments" a été énoncée par Alice Lakwena : « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments ». "Cette phrase d’Alice Lakwena en début de film explique le titre et donne l’ambiance : le discours guerrier fait appel à la pureté et à la croyance. Alice Lakwena se disait possédée par un esprit, entrait en transe et l’on notait ce qu’elle disait pour connaître les désidératas de l’esprit… En fait, cette jeune femme, originaire de Gulu (nord de l’Ouganda), se nommait Alice Auma et obéissait aux ordres d’un esprit chrétien nommé Lakwena dont elle était le médium".
"Le 6 août 1986, « Lakwena » lui « demande » d’arrêter ses guérisons et d’entamer une guerre contre le mal. Elle s’est mise à lever en pays Acholi une « armée du St Esprit » (Holy Spirit Army). C’est peu après le coup d’Etat de Yoweri Museveni de janvier 1986, encore au pouvoir aujourd’hui. Cette armée devait renverser son régime. Il s’agissait d’un mouvement moral et religieux qui, pour s’opposer à la militarisation des rapports sociaux à l’œuvre dans le pays, en empruntait les codes et la discipline. S’appuyant sur la supercherie et adoptant les pires méthodes militaristes, cette rébellion, qui a même menacé le pouvoir central, ne peut être soutenue ni admise mais elle doit être comprise comme une réaction civique au néocolonialisme international et aux répressions nationales. Pourquoi une telle intervention spirituelle dans la politique ? Les Indépendances africaines ont laissé la place à des formes de pouvoir presque partout destinées à perpétuer l’emprise des grandes puissances sur le Continent. Destinées à favoriser un développement que la colonisation avait lourdement hypothéqué, l’aide économique et l’assistance technique ont servi à rétablir une tutelle politique qui perdure encore. Les répressions et corruptions afférentes ont créé un vide rendant impossible l’exercice d’une pratique politique locale où les populations pourraient exprimer leurs problèmes et chercher des solutions collectives. La sorcellerie et la divination ou bien l’adhésion à des leaders tribalistes et à des sectes ont souvent rempli ce vide. Dans ce cadre, l’armée a eu pour fonction de déstructurer les populations rurales pour imposer l’ordre central et isoler les mouvements d’insurrection qui se militarisent pour résister. En Ouganda, ces populations n’ont, depuis la révolution de palais de Milton Obote en 1969, connu que des régimes autoritaires dont la violence culmina avec la dictature d’Idi Amin Dada (1971-78), lequel supprima tous les partis. C’est en pays Acholi qu’Idi Amin avait recruté le gros de ses troupes, qui retournèrent chez elles à la chute du régime, se livrant à de catastrophiques exactions. Face à cette violence, la sorcellerie se développa... Malgré les cinq millions de dollars de récompense offerts par Washington et les avions espions américains, Joseph Kony court toujours, avec quelques 200 irréductibles qui poursuivent leurs sévices, se finançant depuis 2014 par la vente de défenses d’éléphants tués en RDC". (Africultures, 17 mai 2016)
« Enlevé à l'âge de 10 ans, Dominic Ongwen, féroce commandant de la LRA, est livré aux forces de l'Union africaine, alors qu'il s'attendait à être gracié ». Son procès s’est ouvert le 6 décembre 2016 devant la Cour pénale internationale (CPI). "Cet ancien commandant de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) est accusé de « crimes contre l’humanité » et de « crimes de guerre », commis entre 2002 et 2005 dans le nord de l’Ouganda. Mais, dès les premières minutes de son procès, l’ex-milicien s’est présenté en victime devant ses juges, plaidant « non coupable »
L'expression "mauvais éléments" a été énoncée par Alice Lakwena : « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments ». "Cette phrase d’Alice Lakwena en début de film explique le titre et donne l’ambiance : le discours guerrier fait appel à la pureté et à la croyance. Alice Lakwena se disait possédée par un esprit, entrait en transe et l’on notait ce qu’elle disait pour connaître les désidératas de l’esprit… En fait, cette jeune femme, originaire de Gulu (nord de l’Ouganda), se nommait Alice Auma et obéissait aux ordres d’un esprit chrétien nommé Lakwena dont elle était le médium".
"Le 6 août 1986, « Lakwena » lui « demande » d’arrêter ses guérisons et d’entamer une guerre contre le mal. Elle s’est mise à lever en pays Acholi une « armée du St Esprit » (Holy Spirit Army). C’est peu après le coup d’Etat de Yoweri Museveni de janvier 1986, encore au pouvoir aujourd’hui. Cette armée devait renverser son régime. Il s’agissait d’un mouvement moral et religieux qui, pour s’opposer à la militarisation des rapports sociaux à l’œuvre dans le pays, en empruntait les codes et la discipline. S’appuyant sur la supercherie et adoptant les pires méthodes militaristes, cette rébellion, qui a même menacé le pouvoir central, ne peut être soutenue ni admise mais elle doit être comprise comme une réaction civique au néocolonialisme international et aux répressions nationales. Pourquoi une telle intervention spirituelle dans la politique ? Les Indépendances africaines ont laissé la place à des formes de pouvoir presque partout destinées à perpétuer l’emprise des grandes puissances sur le Continent. Destinées à favoriser un développement que la colonisation avait lourdement hypothéqué, l’aide économique et l’assistance technique ont servi à rétablir une tutelle politique qui perdure encore. Les répressions et corruptions afférentes ont créé un vide rendant impossible l’exercice d’une pratique politique locale où les populations pourraient exprimer leurs problèmes et chercher des solutions collectives. La sorcellerie et la divination ou bien l’adhésion à des leaders tribalistes et à des sectes ont souvent rempli ce vide. Dans ce cadre, l’armée a eu pour fonction de déstructurer les populations rurales pour imposer l’ordre central et isoler les mouvements d’insurrection qui se militarisent pour résister. En Ouganda, ces populations n’ont, depuis la révolution de palais de Milton Obote en 1969, connu que des régimes autoritaires dont la violence culmina avec la dictature d’Idi Amin Dada (1971-78), lequel supprima tous les partis. C’est en pays Acholi qu’Idi Amin avait recruté le gros de ses troupes, qui retournèrent chez elles à la chute du régime, se livrant à de catastrophiques exactions. Face à cette violence, la sorcellerie se développa... Malgré les cinq millions de dollars de récompense offerts par Washington et les avions espions américains, Joseph Kony court toujours, avec quelques 200 irréductibles qui poursuivent leurs sévices, se finançant depuis 2014 par la vente de défenses d’éléphants tués en RDC". (Africultures, 17 mai 2016)
« Au hasard des discussions et rencontres, le documentaire suit ces jeunes gens qui s'efforcent d'aller de l'avant, et n'en acceptent pas moins ce retour sur leur passé, pour que leurs proches sachent "comment le bush leur a gâché la vie", dira Nighty ».
« Dix ans après "Les bienveillantes", Jonathan Littell sonde à nouveau le versant humain de la barbarie et réussit magistralement son premier film. Un documentaire coup de poing, par Jonathan Littell, prix Goncourt en 2006 pour Les bienveillantes ».
En s'intéressant à trois d'entre eux, Jonathan Littell délaisse "la perspective historique pour mettre le facteur humain au cœur de son récit. Certains le regretteront, tant il est vrai que les conditions politiques, ethniques et sociologiques de l’apparition d’un Joseph Kony, réduit ici à un lointain et mystérieux symbole frénétique, auraient été passionnantes à mettre en lumière. Du moins le titre et l’incipit du film - « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments » – reprennent-ils un propos de la « prophétesse » rebelle Alice Auma Lakwena, fondatrice d’un Mouvement du Saint-Esprit dont les membres attaquaient les troupes de Museveni le corps oint de beurre de karité. Défaite, elle a vu Kony prendre sa suite. Ainsi, l’horizon d’apparition de cette rébellion se trouve-t-il assigné dans l’ethnie acholi, communauté foulée aux pieds par l’Empire britannique, réduite à la misère, puis devenue sous le régime d’Amin Dada le vivier de l’armée régulière. Ces jeunes soldats humiliés par leur défaite contre Museveni, symbole des ethnies méridionales dominantes, embrassent à leur retour dans le Nord un néochristianisme syncrétique et apocalyptique et mettent à feu et à sang leur propre communauté." (Le Monde, 28 mars 2017)
"Mais ce n’est pas vraiment ce film-là qui a intéressé Jonathan Littell. C’est celui de la responsabilité des hommes dans le mal qu’ils commettent, et plus précisément la difficulté à l’établir dans un cas aussi épineux que celui des enfants-soldats, dont le cerveau a été lavé par leurs ravisseurs. Voilà pourquoi faire la connaissance de Geoffrey, Mike et Nighty est une expérience qui confine au vertige moral. Ces garçons et cette fille ont été kidnappés adolescents. Les garçons ont massacré à leur tour des civils pour survivre, Nighty a été promise à Kony, qui lui a fait un enfant. Ils refont tous, à l’initiative du réalisateur, le voyage vers la savane soudanaise. Les souvenirs remontent. Leur frayeur, la ruine de leur enfance, leur culpabilité, tout cela est palpable. La grandeur du film consiste dans la neutralité « bienveillante » qu’adopte à leur égard le réalisateur. A rebours de l’Américain Joshua Oppenheimer, qui montrait la pure monstruosité des bourreaux indonésiens dans le chef-d’œuvre The Act of Killing (2012), Jonathan Littell nous montre, quant à lui, l’humanité de bourreaux saisis dans leur condition de victimes. De sorte que ce qu’on exige de toute œuvre, son universalité, se trouve pris ici dans une troublante contradiction, tant son sujet est singulier. C’est d’ailleurs ainsi que Littell s’intéresse au Mal : ni dans sa monstruosité, ni dans sa banalité, mais dans sa singularité." (Le Monde, 28 mars 2017)
En s'intéressant à trois d'entre eux, Jonathan Littell délaisse "la perspective historique pour mettre le facteur humain au cœur de son récit. Certains le regretteront, tant il est vrai que les conditions politiques, ethniques et sociologiques de l’apparition d’un Joseph Kony, réduit ici à un lointain et mystérieux symbole frénétique, auraient été passionnantes à mettre en lumière. Du moins le titre et l’incipit du film - « La guerre doit débarrasser la société de tous ses mauvais éléments » – reprennent-ils un propos de la « prophétesse » rebelle Alice Auma Lakwena, fondatrice d’un Mouvement du Saint-Esprit dont les membres attaquaient les troupes de Museveni le corps oint de beurre de karité. Défaite, elle a vu Kony prendre sa suite. Ainsi, l’horizon d’apparition de cette rébellion se trouve-t-il assigné dans l’ethnie acholi, communauté foulée aux pieds par l’Empire britannique, réduite à la misère, puis devenue sous le régime d’Amin Dada le vivier de l’armée régulière. Ces jeunes soldats humiliés par leur défaite contre Museveni, symbole des ethnies méridionales dominantes, embrassent à leur retour dans le Nord un néochristianisme syncrétique et apocalyptique et mettent à feu et à sang leur propre communauté." (Le Monde, 28 mars 2017)
"Mais ce n’est pas vraiment ce film-là qui a intéressé Jonathan Littell. C’est celui de la responsabilité des hommes dans le mal qu’ils commettent, et plus précisément la difficulté à l’établir dans un cas aussi épineux que celui des enfants-soldats, dont le cerveau a été lavé par leurs ravisseurs. Voilà pourquoi faire la connaissance de Geoffrey, Mike et Nighty est une expérience qui confine au vertige moral. Ces garçons et cette fille ont été kidnappés adolescents. Les garçons ont massacré à leur tour des civils pour survivre, Nighty a été promise à Kony, qui lui a fait un enfant. Ils refont tous, à l’initiative du réalisateur, le voyage vers la savane soudanaise. Les souvenirs remontent. Leur frayeur, la ruine de leur enfance, leur culpabilité, tout cela est palpable. La grandeur du film consiste dans la neutralité « bienveillante » qu’adopte à leur égard le réalisateur. A rebours de l’Américain Joshua Oppenheimer, qui montrait la pure monstruosité des bourreaux indonésiens dans le chef-d’œuvre The Act of Killing (2012), Jonathan Littell nous montre, quant à lui, l’humanité de bourreaux saisis dans leur condition de victimes. De sorte que ce qu’on exige de toute œuvre, son universalité, se trouve pris ici dans une troublante contradiction, tant son sujet est singulier. C’est d’ailleurs ainsi que Littell s’intéresse au Mal : ni dans sa monstruosité, ni dans sa banalité, mais dans sa singularité." (Le Monde, 28 mars 2017)
« S'attardant sur cette guerre civile sans fin – Joseph Kony court toujours –, le film suit la traque des derniers rebelles, tandis qu'une séquence dévoile la frontière poreuse séparant les innocents des coupables ».
« Une immersion vertigineuse dans la zone grise où s'enchevêtrent bien et mal ».
Curieusement, Jonathan Littell n'a pas filmé les enfants-soldats enrégimentés par l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas (Abu Mazen) et par le Hamas dans la bande de Gaza, et Arte ne diffuse aucun documentaire sur les enfants-soldats palestiniens.
"Pourquoi, donc, la LRA ? C’est qu’il se joue là, à mon sens, quelque chose d’essentiel : la façon même dont on peut penser la notion de « bourreau », de « tueur », de « crime ». Que devient le concept de faute, de responsabilité, quand l’exécutant, enlevé enfant, devient, à l’intérieur du seul système de référence qu’on lui laisse, un tueur volontaire ? Pour la génération d’enfants élevés par Daesh, la question sera la même, pour longtemps, tout comme elle l’a été autrefois pour les enfants élevés par le régime nazi, stalinien, maoïste ou khmer ; ce n’est pas, on le voit, un problème africain, loin de là.
Pourquoi alors le cinéma, plutôt qu’un autre livre ? Parce que dans un film, et surtout avec le dispositif mis en oeuvre ici, ce sont les anciens LRA eux-mêmes, et non pas quelqu’un de l’extérieur, moi ou un autre, qui travaillent la question, et amènent des fragments de réponse, leur réponse en tous cas.
Et ces réponses viennent avec tous les moyens qu’offre l’image en mouvement et le son : non seulement la parole, forcément limitée, mais les gestes, les intonations, les hésitations, les regards. La vérité que le film les amène à livrer, c’est la vérité autant de leur corps que de leur parole.
D’où la nécessité d’une forme très construite, très travaillée. Belle, comme on dit, mais pas pour le pur plaisir esthétique : pour rendre au plus près les émotions des personnages, et toute la richesse et la densité de l’environnement dans lequel ils ont grandi et souffert. La ville, lieu du retour à la vie ordinaire ; le village, d’où ils ont pour la plupart été enlevés, et où la plupart de leurs crimes ont été commis ; et le bush où ils ont si longtemps vécu, savane ou jungle, véhiculant tant de peurs, tant d’angoisses, tant de fantasmes. Le choix du cadre 4/3 suit cette logique, mettant les paysages en scène comme des tableaux, recréant le sentiment d’enfermement que donne une vision bornée par un mur d’arbres ou de hautes herbes, et nous attirant tout contre les visages des personnages et les sentiments qui les traversent.
Bien sûr, dira-t-on, il aurait pu s’agir d’une fiction. Et il est vrai que j’ai déjà approché ces questions par la fiction. Mais ici ça ne marcherait pas. Les fictions d’Occidentaux sur l’Afrique, au cinéma, d’aussi près qu’ils tentent de coller au réel de là-bas, ne peuvent jamais se défaire d’une étrange distance, une paroi de verre qui rappelle toujours un peu le zoo. Alors que dans le documentaire, non seulement c’est d’un côté la vérité des sujets qui est mise en jeu, et non pas celle du cinéaste, mais en outre son regard — forcément extérieur — peut être pleinement assumé par la mise en scène, pour former une partie intégrante du dispositif.
Bien sûr il y a un risque. Le risque que le dispositif ne fonctionne pas comme on l’imaginait, ou bien que ce que livrent, finalement, ceux qui parlent, soit loin de ce que l’on cherchait. Le risque que le film dépasse l’idée préalable qu’on en a eue. Mais c’est aussi cela, la beauté et la magie du documentaire. On va chercher, on sait ce qu’on cherche, mais on ne sait pas toujours ce qu’on va trouver. Comme toujours dans le bush."
Curieusement, Jonathan Littell n'a pas filmé les enfants-soldats enrégimentés par l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas (Abu Mazen) et par le Hamas dans la bande de Gaza, et Arte ne diffuse aucun documentaire sur les enfants-soldats palestiniens.
NOTE D’INTENTION DE JONATHAN LITTELL
Pourquoi alors le cinéma, plutôt qu’un autre livre ? Parce que dans un film, et surtout avec le dispositif mis en oeuvre ici, ce sont les anciens LRA eux-mêmes, et non pas quelqu’un de l’extérieur, moi ou un autre, qui travaillent la question, et amènent des fragments de réponse, leur réponse en tous cas.
Et ces réponses viennent avec tous les moyens qu’offre l’image en mouvement et le son : non seulement la parole, forcément limitée, mais les gestes, les intonations, les hésitations, les regards. La vérité que le film les amène à livrer, c’est la vérité autant de leur corps que de leur parole.
D’où la nécessité d’une forme très construite, très travaillée. Belle, comme on dit, mais pas pour le pur plaisir esthétique : pour rendre au plus près les émotions des personnages, et toute la richesse et la densité de l’environnement dans lequel ils ont grandi et souffert. La ville, lieu du retour à la vie ordinaire ; le village, d’où ils ont pour la plupart été enlevés, et où la plupart de leurs crimes ont été commis ; et le bush où ils ont si longtemps vécu, savane ou jungle, véhiculant tant de peurs, tant d’angoisses, tant de fantasmes. Le choix du cadre 4/3 suit cette logique, mettant les paysages en scène comme des tableaux, recréant le sentiment d’enfermement que donne une vision bornée par un mur d’arbres ou de hautes herbes, et nous attirant tout contre les visages des personnages et les sentiments qui les traversent.
Bien sûr, dira-t-on, il aurait pu s’agir d’une fiction. Et il est vrai que j’ai déjà approché ces questions par la fiction. Mais ici ça ne marcherait pas. Les fictions d’Occidentaux sur l’Afrique, au cinéma, d’aussi près qu’ils tentent de coller au réel de là-bas, ne peuvent jamais se défaire d’une étrange distance, une paroi de verre qui rappelle toujours un peu le zoo. Alors que dans le documentaire, non seulement c’est d’un côté la vérité des sujets qui est mise en jeu, et non pas celle du cinéaste, mais en outre son regard — forcément extérieur — peut être pleinement assumé par la mise en scène, pour former une partie intégrante du dispositif.
Bien sûr il y a un risque. Le risque que le dispositif ne fonctionne pas comme on l’imaginait, ou bien que ce que livrent, finalement, ceux qui parlent, soit loin de ce que l’on cherchait. Le risque que le film dépasse l’idée préalable qu’on en a eue. Mais c’est aussi cela, la beauté et la magie du documentaire. On va chercher, on sait ce qu’on cherche, mais on ne sait pas toujours ce qu’on va trouver. Comme toujours dans le bush."
"La Lord’s Resistance Army, « L’Armée de résistance du Seigneur » ou LRA, est une rébellion ougandaise contre le gouvernement de Yoweri Musevini, président de l’Ouganda depuis 1986. En 1989, après la défaite par l’armée ougandaise d’une première rébellion mystique dirigée par Alice Lakwena, possédée par des esprits, un jeune Acholi du Nord du pays, Joseph Kony, se vit confier par les esprits de Lakwena la tâche de continuer le combat. Mais Kony, peu suivi par une population lasse de la guerre, passa rapidement à une stratégie radicale : éviter autant que possible le combat direct, et s’en prendre aux civils — le terrorisme à l’état pur, au sens étymologique du terme. Paradoxalement, la cible principale de la LRA fut le peuple même que Kony prétendait protéger, les Acholis, qui se retrouvèrent pris en tenaille entre les rebelles et l’armée.
Massacres et mutilations sélectives devinrent la « marque de fabrique » de la LRA, et surtout les enlèvements d’adolescents, souvent pratiqués en masse dans les écoles ou les internats, pour recruter des nouveaux soldats et des « épouses ».
À partir de 1994, avec le soutien de Khartoum, la LRA implanta des bases au Sud Soudan, et servit à l’armée soudanaise de force supplétive dans sa lutte contre la guérilla séparatiste du SPLA. Mais en 2002, l’opération Iron Fist, une offensive massive des forces armées ougandaises (UPDF), les délogea et les força à se replier au-delà du Nil, jusqu’en République Démocratique du Congo.
À partir de 2005, sous inculpation de la CPI (Cour Pénale Internationale) pour crimes contre l’humanité, Kony parvint à y établir de nouvelles bases, au sein de l’immense parc naturel de la Garamba. Néanmoins, affaibli par son retrait du Soudan, Kony s’engagea dans un processus de paix, qui traîna durant presque deux ans. Était-il de bonne foi ? Beaucoup en doutent. Néanmoins, après d’âpres négociations, un accord de paix final fut approuvé par le gouvernement ougandais, comprenant parmi d’autres clauses une amnistie presque totale pour les combattants LRA, sauf ceux sous mandat de la CPI. La paix semblait à portée de main ; mais Kony ne se présenta pas à la cérémonie de signature, fixée pour le 10 avril 2008. Les tractations pour le pousser à signer durèrent encore huit mois, sans succès. Or, Musevini n’avait pas attendu un refus définitif pour préparer une autre option : mi-décembre, les UPDF lançaient une nouvelle offensive pour résoudre par la force le problème de la LRA.
L’opération, déclenchée prématurément un jour de brouillard, échoua, et la LRA se dispersa à travers le nord du Congo. À son habitude, Kony riposta contre la population, que les militaires avaient entièrement négligé de protéger. Le jour de Noël 2008, la LRA organisa une série de massacres synchronisés dans trois bourgades du Haut Uélé, tuant plus de 865 civils en quelques jours, la plupart à coups de gourdins ou de haches. Kony lui-même, avec ses principaux lieutenants, traversa la RDC et passa en République Centrafricaine. Mais d’autres groupes LRA restèrent au Congo, dirigés par un de ses commandants les plus brutaux, Dominic Ongwen, qui répéta à la Noël 2009 les massacres de l’année précédente. Ni les FARDC (Forces Armées de la République Démocratique du Congo), mal entraînés et équipés, ni les casques bleus des Nations Unies, cantonnés dans leurs bases et limités par leur mandat, ne pouvaient grand chose pour protéger la population, qui abandonna en masse ses villages pour se regrouper dans les bourgades un peu plus sécurisées. Néanmoins, la pression constante des squads mobiles des UPDF, appuyés à partir de 2011 par une centaine de soldats des Forces spéciales américaines, parvint lentement à repousser les LRA vers le nord, jusqu’aux confins de la RCA, du Darfour et du Tchad. Depuis 2013, Kony s’est réfugié dans l’enclave de Kafia Kingi, une zone contestée à la frontière du Soudan et de la RCA. Une demi-douzaine de fois, les UPDF ont tenté de l’y surprendre ; à chaque fois, il a réussi à fuir au Darfour, sous protection Nord-Soudanaise. À partir de 2014, Kony a commencé à renvoyer ses hommes en RDC tuer des éléphants et rapporter leurs défenses à Kafia Kingi, d’où il les vend à des intermédiaires pour financer les restes de son mouvement.
En janvier 2015, son adjoint Dominic Ongwen, menacé de mort par Kony, se rendit aux UPDF et fut rapidement transféré à la CPI à La Haye, où son procès pour crimes de guerre est actuellement en cours. Mais malgré les avions espions américains, malgré les patrouilles incessantes dans la jungle, malgré les 5 millions de dollars de récompense offerts par Washington, Kony et ses derniers hommes sont toujours en liberté."
"Un écrivain dans l'enfer nazi - "Les Bienveillantes" de Jonathan Littell" par Jean-Christophe Klotz
France, 2023, 56 mn
Coproduction : ARTE France, Les Films du Poisson
Sur Arte le 22 novembre 2023 à 22 h 45
Sur arte.tv du 08/11/2023 au 06/05/2024
Visuels :
En 2006, la sortie du livre de Jonathan Littell Les Bienveillantes est un véritable événement qui déchire non seulement le monde littéraire, mais plus largement la communauté des intellectuels et des historiens. D' abord par son sujet et surtout la manière de le traiter, puisqu' il s' agit de la longue confession d' un bourreau SS, Max Aue, personnage fictif qui va traverser la seconde guerre mondiale en participant à l' entreprise nazie d' extermination, bien réelle celle-ci.
© Les Films du Poisson
« Wrong Elements » de Jonathan Littell
Allemagne,VEILLEUR DE NUIT - Jean-Marc Giri, ZERO ONE FILM - Thomas Kufus, WRONG MEN - Benoît Roland, avec la participation de Canal+, Bayrischer Rundfunk, Arte, RTBF (Télévison belge), VOO / Be TV, Le Pacte, Le Centre national du cinéma et de l’image animée – avance sur recette, Filmförderungsanstalt Medienboard Berlin-Brandeburg, Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 2016, 133 minutes
Sur Arte le 26 juin 2019 à 1 h 20
Visuels :
Wrong Elements
Credit : © Bénédicte Kurzen
Credit : © Veilleur de nuit/ Zero One Film/ Wrong Men
Visuels :
Wrong Elements
Credit : © Bénédicte Kurzen
Credit : © Veilleur de nuit/ Zero One Film/ Wrong Men
A lire sur ce blog :
Monde arabe/Islam
Shoah (Holocaust)
Articles in English
Les citations proviennent d'Arte et du dossier de presse du film. La carte figure dans ce dernier document. Cet article a été publié le 24 juin 2019.
Shoah (Holocaust)
Articles in English
Les citations proviennent d'Arte et du dossier de presse du film. La carte figure dans ce dernier document. Cet article a été publié le 24 juin 2019.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire