Le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Île-de-France présente au Plateau l’exposition monographique d’Elad Lassry de photographies et de sculptures. Disposant des clichés mis en abyme, cet artiste israélien poursuit sa réflexion artistique sur la représentation, l’« objet-image » à l’ère de la dématérialisation.
C’est la première exposition en France d’Elad Lassry.
Elad Lassry est né à Tel Aviv en 1977. Il a étudié aux Etats-Unis.
Il réside et crée ses oeuvres, intégrant des photos vintages dans des créations contemporaines intrigantes - clichés, films, sculptures -, à Los Angeles (Etats-Unis).
Son travail a été présenté en Amérique, en Asie et en Europe : Vancouver Art Gallery, Elad Lassry, commissariat Jeff Wall, Vancouver (2017) ; Galerie Francesca Pia, Hans-Peter Feldmann / Elad Lassry, Zurich (2017) ; David Kordansky Gallery, Elad Lassry, Los Angeles (2015) ; Museum Boijmans Van Beuningen, Sensory Spaces 3, Rotterdam (2014) ; 303 Gallery, Elad Lassry, New York (2013) ; The Kitchen, New York (2012) ; PAC, Milan (2012) ; Rat Hole Gallery, Tokyo (2012) ; the Contemporary Art Museum, St. Louis, MO (2010) ; Kunsthalle Zurich, Suisse (2010) et Whitney Museum of American Art, New York (2009).
Elad Lassry a participé à des manifestations collectives : 54e Biennale de Venise ; Deutsche Börse Photography Prize, The Photographers’ Gallery, Londres (2011) ; The Anxiety of Photography, Aspen Art Museum, Aspen, CO (2011) ; Sculpture Center, New York; New Photography 2010, Museum of Modern Art, New York (2010) et Younger Than Jesus, New Museum, New York (2009). Il est représenté par la galerie Francesca Pia à Zurich, la galerie White Cube à Londres, la galerie 303 à New York et la galerie Massimo De Carlo à Milan.
« Mêlant photographie, film et sculpture, son travail interroge la relation entre objet et représentation ». Il s'inscrit dans la « Pictures Generation » qui emprunte des images de médias populaires pour les insérer, mettre en scène dans des cadres différents. Ce qui crée un décalage, un sentiment de réalité étrange à partir d'une réalité passée.
Depuis 2007, l’artiste « élabore une banque d’images qu’il désigne communément comme « unités ». Les « premières unités d’Elad Lassry se présentaient comme des « sculptures qui se trouvaient être des images» (interview Mark Godfrey avec Elad Lassry dans Frieze, novembre 2011) et qui accordaient autant d’importance au statut « objet » de l’image qu’à l’image elle-même ».
« Évoquant des figures clés de l’histoire de l’art et multipliant les sujets, ces unités prenaient la forme d’objets-images hermétiques à la fois familiers et étrangement contemporains, en même temps « irritants et séduisants ». (Beatrix Ruf, dans son introduction à l’exposition monographique de l’artiste en 2010).
Au Plateau, Elad Lassry « présente une nouvelle série de photographies et de sculptures. L’artiste semble remettre en cause les codes iconographiques établis pour aller vers un espace modulable où chaque photographie rappelle invariablement une autre image, rejouant à l’infini la fonction et le sens des objets. Mettant en scène des thèmes aussi divers qu’une séance de photos de mode, un magasin de vente en gros de poissons et coraux pour aquariums ou une expérience de photographie moderniste en chambre noire, les photographies d’Elad Lassry sont réalisées au moyen d’une technologie quasi obsolète (format 8’’ x 10’’). L’artiste met en parallèle le phénomène contemporain de dématérialisation de l’image, générateur d’angoisse, où l’image est dépouillée de ses qualités physiques et devient omniprésente sous forme de données, et la technologie analogique pour amener le spectateur à se poser la question : Que voyons-nous ? Et comment le voyons-nous ? »
« Depuis plus de dix ans, Elad Lassry développe un travail surprenant et essentiel où photographie, film, sculpture, installation à dimension scénographique voire performance s’entrecroisent pour faire émerger autant d’images pour le moins déconcertantes. Le fait d’être déconcerté peut pourtant paraître assez paradoxal : en tout premier lieu, les œuvres d’Elad Lassry se distinguent et s’affirment par une forme d’évidence, par une présence incontestable et leur matérialité semble à tout niveau exacerbée comme pour ne laisser aucune place au doute quant à leur inscription dans le réel », a écrit Xavier Franceschi, commissaire de l’exposition.
Et d’analyser : « Personnages, animaux, objets divers et (très) variés sont là, devant nous – l’artiste évolue sans complexe dans ces champs bien balisés que sont notamment le portrait, la nature morte : là non plus pas de doute, nous sommes en terrain connu – et si les moyens formels employés pour nous les faire apparaître peuvent sembler parfois excessifs notamment dans ses photographies, véritable quintessence du travail – intensité lumineuse, contrastes forts, couleurs vives –, c’est précisément par ce biais qu’ils s’imposent à nous avec évidence ».
Et de poursuivre : « Il semble utile de mentionner certains principes, certains dispositifs récurrents dont il use dans son travail, qui orientent de fait la perception de ce qu’il nous donne à voir. Tout d’abord, pour partir précisément de ses pièces photographiques – mais également, la plupart du temps, des projections de ses pièces filmiques –, le parti pris du format s’avère primordial. Loin de la surenchère que l’on a pu connaître où la valeur de l’oeuvre a semblé être indexée à la taille de l’image, les pièces d’Elad Lassry sont de petit format, n’excédant guère les 40 par 30 cm. Ces petits formats sont ensuite systématiquement alignés dans les expositions que réalise l’artiste : même s’ils le sont relativement à grande distance – chaque œuvre est autonome – ce mode de présentation indique une continuité, une forme de suite, de séquence entre les différentes images, dont le format quasi-identique accentue le lien. Pour autant, alors qu’Elad Lassry travaille de fait par séries qu’il se plaît à entremêler lors de ses accrochages, bien malin celui qui pourrait y déceler une quelconque narration ».
Et d’observer : « Autre trait caractéristique de son travail, les images en question se voient régulièrement prolongées par des interventions d’ordre quasi sculptural affirmant si besoin était la dimension d’objet de toute photographie. Ces interventions sont comme des prolongements de l’image photographique, elles peuvent être un travail sur le cadre même de l’image – et l’on retrouve les options plastiques bien tranchées (matières, couleurs) que l’artiste prend pour ses photographies –, ou bien une adjonction de divers objets apparaissant comme autant d’excroissances des figures représentées ».
Et de conclure : « Évidemment, dans ce champ particulier où il s’agit de relier image et objet, Elad Lassry n’est pas le premier à œuvrer. Apparaissent bien vite quelques figures tutélaires comme celles de Richard Artschwager ou de Haim Steinbach qui, entre devenir image de l’objet et devenir objet de l’image, sont allés loin dans l’abolition de la frontière entre présentation et représentation. On l’aura compris, le travail d’Elad Lassry est une interrogation permanente quant à la perception des images, quelle que soit leur nature, ce qui n’a rien d’anodin à l’heure où l’humanité, grâce aux nouvelles technologies de l’information, en produit et diffuse plusieurs milliards chaque jour.À l’occasion de son exposition au Plateau, l’artiste s’est engagé dans la production d’un ensemble de nouvelles pièces. Pour aller plus avant dans l’analyse de son travail, il semblait dès lors utile de l’interroger avec précision sur ces nouvelles œuvres qui prolongent le travail antérieur et ouvrent des voies encore inexplorées ».
La visite de presse de cette exposition a eu lieu en présence d’Elad Lassry, le 19 septembre 2018, le Jour de Kippour (le Grand Pardon), fête juive la plus importante. A l’automne 2017, lors d’un tournoi en Chine, le joueur de tennis israélien Doudi Sela a préféré arrêter son match de tennis en quart de finale car l’heure d’entrée de Yom Kippour approchait. Son frère Ofer a alors écrit : « Cette décision va coûter à Doudi des places dans son classement ATP ainsi que plusieurs dizaines de milliers de dollars. Il a abandonné la partie alors qu’elle était bien entamée en sa faveur. Je dois vous dire que Doudi n’est pas croyant et qu’il n’a même pas l’habitude de jeûner pour Kippour. Mais il a pris cette décision, seul, personne ne l’y a obligé. Il l’a prise par respect pour ce jour saint et pour le pays dont il porte fièrement le drapeau ». Ministre de la Culture et des Sports, Miri Regev a félicité ce sportif : « Vous êtes un professionnel aux résultats impressionnants en Israël et dans le monde. Ce vendredi, vous avez prouvé que vous êtes aussi un homme de valeurs qui représente, avant tout, l’Etat d’Israël. Que le Maître du monde vous bénisse et soit avec vous dans la suite de votre parcours. Je suis fière de vous et j’espère vous rencontrer en Israël ». La même année, Omri Casspi, joueur israélien de basket ball dans les Warriors, n’a pas joué lors d’un match de son équipe prestigieuse de la NBA se déroulant le Jour de Kippour. No comment… Ou plutôt, il est regrettable qu’Elad Lassry n’ait pas compris que son acte contribuait à dévaloriser le judaïsme et ses coreligionnaires.
Réponses d’Elad Lassry à Xavier Franceschi
« J’ai repris les choses là où je les avais laissées. Je crois que tu m’as contacté après avoir vu des sculptures que j’ai réalisées l’année dernière. Ces sculptures prolongent en fait un corpus d’œuvres commencé en 2015 pour une exposition à Los Angeles dans laquelle je présentais des sortes d’éléments porteurs, des structures qui, paradoxalement, étaient à la fois solides et creuses, denses et pleines, et dont on pourrait dire qu’elles ressemblaient à plusieurs choses : des paniers, des haltères de type « kettlebell », des navires rouliers, etc. Je les avais installées d’une manière linéaire et interconnectée qui sous-entendait un système – et elles formaient effectivement un système. Le travail que j’ai conçu pour l’exposition au Plateau creuse le même filon. Actuellement, je suis en train de chercher – avec un certain plaisir et, je l’espère, du succès – différentes méthodes pour créer de l’ordre et du sens à propos de ce passage entre tridimensionnalité et planéité, et vice versa » a répondu Elad Lassry à Xavier Franceschi.
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Par rapport à cette précédente série de « paniers », ces nouvelles pièces semblent beaucoup plus abstraites. Pourtant, tu utilises des objets réels. Un vrai compresseur (même s’il s est découpé), de vrais coussins. Et le compresseur contient des objets réels. Comment expliques-tu cet étrange paradoxe ?
EL « J’ai utilisé des vieux compresseurs d’air pour créer des contenants, les coussins faisant en quelque sorte office de couvercles. Ce qui m’a toujours importé dans mon travail, c’est de trouver des moyens d’activer la réflexion par un simple geste, un geste qui s’établit comme étant « non-négociable », et qui apparaît comme une décision définitive. Cela me permet de partager mes idées avec plus de clarté, tout en limitant les interprétations personnelles. Là encore, j’espère approfondir une idée que j’ai déjà abordée, celle des « paniers », comme tu les appelles. À cette différence près que, dans ce cas, les conteneurs sont visiblement vides. On peut les percer du regard grâce à des incisions sur leurs côtés. Par ailleurs, ce qu’ils contiennent, qui fait office de couvercle, est aussi une sorte d’élément domestique qui n’est pas sans rappeler un coussin de canapé. L’inutilité, si tu veux, du système imaginaire que je propose nous engage non seulement à percevoir une sorte d’écho de la vie moderne et domestique mais aussi en même temps à en douter fortement, ou à en concevoir les limites ».
Les sculptures en tapis gris empilés « font presque fonction de stations, dans le sens où elles interfèrent par rapport à une sorte d’oscillation entre planéité et tridimensionnalité. Je veux parler de la tension qui me semble exister et qui est inhérente à l’acte de regarder, entre la stabilité de l’image comprimée et l’expérience de l’objet ».
« J’évoquais les qualités d’objet de l’image et vice versa, c’est-à-dire l’effondrement de la tridimensionnalité de l’objet. À titre d’exemple, je citerais mes sculptures de berceaux et de cadres de chaises. Leur positionnement contre un mur ou dans un coin en face de l’entrée de la galerie crée souvent une illusion d’optique par laquelle leur épaisseur semble s’enfoncer dans le mur ; elles vont alors jusqu’à évoquer une frise. Alternativement, on peut y voir une limitation purement physique, comme pour les empilements de moquette : quelque chose se met en travers de votre chemin lorsque votre regard tombe sur les images sur le mur ».
« Je me souviens que lors de l’évaluation de mon exposition de thèse, qui avait été vivement discutée et critiquée par mes collègues étudiants, nous avions opéré un rapprochement entre deux photographies : à droite, le portrait d’une famille aux cheveux blonds ; à gauche, une constellation abstraite d’air, de réflecteurs et d’étagères. Ou pour le dire de manière plus générale : une abstraction associée à un portrait de famille. Je me souviens avoir soutenu que les deux images étaient identiques. Bien évidemment, je disais cela de manière un peu provocatrice. Mais à vrai dire, j’étais intimement convaincu que c’était bien le cas. Il me semblait qu’elles contenaient des informations similaires – à commencer par les cheveux jaunes, leur surface – et qu’à bien des égards, c’était là tout ce que la photographie était capable de signifier. Je mentionne cette anecdote parce qu’elle me semble liée à ta question ».
« Je rechigne à accepter les conventions visuelles. Non pas par volonté de rébellion ou pour problématiser à tout prix, mais je considère vraiment que c’est la meilleure position à adopter lorsque l’on travaille avec ce support – un support qui, il ne faut pas l’oublier, est historiquement empreint de doutes ; il suffit de penser aux procès autour des photographies de fantômes ou de fées, aux photographies de guerre iconiques qui se sont avérées fabriquées de toutes pièces ou manipulées, ou simplement à ce que l’on peut faire aujourd’hui avec Photoshop. En somme, j’opère dans un domaine qui a été investi par l’incapacité à générer du sens, ainsi qu’à capturer des éléments de notre constitution biologique ou de notre psychologie. Un autre aspect qui m’intéresse beaucoup concerne la manière plutôt amusante dont le monde de l’art discute et se réapproprie sans cesse la photographie. D’une part, il y a le phénomène de la photographie commerciale bien exécutée en tant que genre photographique étrangement « noble ». Il se peut que dans ce contexte, le savoir-faire fasse effet de légitimation. Je repense à un voyage à New York quand j’avais une vingtaine d’années, au cours duquel une femme dont je venais de faire la connaissance m’a « introduit » dans ce qu’elle appelait un « vernissage VIP » à Chelsea. Il y avait un vigile à l’entrée de la galerie et un homme qui avait la liste des invités. À l’intérieur il y avait une série de photographies de mode, toutes en noir et blanc, de modèles occidentaux et de quelques animaux, des images parfaitement lisses, disponibles à l’acquisition dans toutes sortes de formats. Je me souviens de ma nouvelle amie me disant: « Il m’a promis un tirage. » Ce mot, prononcé sur le même ton que celui qu’elle avait employé, j’allais l’entendre maintes fois au cours des dix années qui ont suivi – de la bouche de mes modèles. En effet, lorsque je proposais à quelqu’un de le photographier pour une oeuvre, la personne me demandait souvent : « Est-ce que je recevrai un tirage ? ». Je n’ai jamais pensé que ma pratique consistait à faire des « tirages », ou alors je me rendais compte – et cela est intimement lié à certains aspects de ma pratique – que c’était là encore un autre élément de cette fracture dans la manière de regarder l’image. Dans l’exemple de l’exposition à Chelsea, ces photographies de mode réalisées sur commande étaient synonymes de photographie experte, voire de maîtrise. Qu’elles fussent vides de sens n’importait guère, puisqu’elles étaient considérées sous l’angle de qualités pour ainsi dire pré-modernes, avant l’art conceptuel. Détachées des mutations culturelles récentes. Elles étaient autre chose : elles étaient, comme je l’appris, de bonnes photographies ».
« J’ai appelé « unités » les photos que j’ai exposées au fil des ans pour éviter de leur donner des noms qui m’auraient détourné de mon projet. Je ne m’intéressais pas à elles en tant que photographies. Je ne voulais pas faire de photos intéressantes ou belles, non pas parce que c’est une activité frivole, mais parce que ce n’est pas cela qui m’incite à photographier. En fait, j’ai souvent dit que je préférais ne pas prendre de photos si une exposition n’en requérait pas. Revenons donc à la terminologie. Dans la mesure où j’envisageais mon travail sous cet angle – où la photographie était autant un objet qu’une image et où mes modèles devaient avoir une apparence indéterminée, être d’origine incertaine, voire, dans certains cas, « orphelins », venus de nulle part et de partout – j’ai décidé de les considérer comme des « unités ». Ce sont des unités parce qu’elles sont des blocs, parce qu’elles sont une monnaie d’échange, parce qu’elles sont vidées de leur substance mais saturées. Présentes et absentes à la fois. Constituent elles une banque de données ? Oui, dans le sens où il y a une femme et un homme, un chien et un chat, une pomme et une orange… Je dirais que je travaille de manière similaire sur le plan philosophique : les photographies ne m’intéressent toujours pas en tant que telles, mais en tant qu’autre chose. Bien que je ne sache pas exactement quelle est cette chose. »
« J’oscille entre industries réelles et inventées par le biais de leurs protagonistes – qui ne sont jamais tout à fait reconnaissables, puisque mon intérêt ne porte pas sur la célébrité, mais sur les aspects et les stratégies d’inclusion. Je ne parle pas de l’inclusion au sens politique, mais systémique. Certains systèmes fonctionnent, d’autres ne fonctionnent pas ; certains systèmes ont infiltré la culture populaire, d’autres restent un peu en marge des choses. Donc, la possibilité que certains sujets apportent un contexte additionnel est très pertinente pour ce que je fais, tout comme l’incertitude entourant l’origine de l’image. Dès lors qu’une image est « portée » par une entité commerciale, certains changements s’opèrent, du moins en termes de réception ».
« Aucune de ces séries n’a à voir avec la mode. Les bottes sont des négatifs de photographies de grand format des années cinquante réalisées pour le compte d’un grand magasin. Les négatifs sont utilitaires, un moyen d’organiser, d’archiver et de vendre des produits. Ils représentent cet aspect de l’image lié à l’utilité et à l’industrialisation, et ici ils sont associés à un autre exemple de photographie fonctionnelle, qui illustre une race, un type, une espèce donnée – en d’autres termes, un inventaire. Je voulais marier ces différents exemples dans une approche très différente, que l’on associe généralement à l’expression et à l’expérimentation ».
« Il y a une dualité, si ce n’est une véritable tension, entre les deux manières dont l’image est traitée. La surface de certaines de ces oeuvres est perturbée davantage encore par des interventions délibérément simplistes. D’autres formes jaillissent de leur surface, créant une nouvelle image. L’espace de représentation est littéralement perturbé – en partie bloqué ou recouvert, en partie saillant là où il était auparavant plat ».
« Pour être honnête, je ne vois pas de correspondances. J’irais même jusqu’à dire que je vois des collisions. Je soupçonne, de la manière dont la question est posée, que tu y vois des métaphores, n’est-ce pas ? Je suis terrifié par les métaphores quand il en va de mon travail. Pour reprendre ton exemple, permets-moi de commencer par l’image encadrée : il s’agit d’une planche contact, imprimée sur fibre, d’un négatif 35 mm découpé dans un rouleau de pellicule de 36 images. Pour moi, ces deux décisions rattachent la pièce à une industrie, à une histoire et à une certaine forme de conversion, celle qui mène du vocabulaire visuel associé au tirage argentique analogique au négatif 35 mm, voire à l’événement désormais historique de sa démocratisation, il y a de cela des décennies, avec l’introduction de l’appareil photo compact. L’image du saumon a été collée à même le tirage photographique ».
« Prélevée dans une publication existante, comme on le devine sans peine, elle est de nature simple et utilitaire, renvoyant à la capacité de la photographie à classer, archiver, etc. Dans les cas d’usage utilitaire, les éléments visuels ont une importance moindre. Enfin, la boule en acier inoxydable découpée en tranches « détourne » l’espace photographique en s’insérant dans celui-ci. Comme si elle avait été jetée sur la photo, elle traverse le verre du cadre, le tirage et enfin l’acrylique du cadre. Je vois cela comme une invitation à reconsidérer l’espace de représentation, où l’aspect tridimensionnel participe au blocage d’une partie du tableau, évoquant ainsi à nouveau sa composition et son espace ».
« Le film Untitled (Eggs, Eyes) a été réalisé à l’origine pour une exposition à The Kitchen à New York et a ensuite été présenté au Guggenheim. Il alterne entre deux scènes entièrement tournées en mode « table top » dans un studio. Il s’agit de deux plans fixes tournés en 16 mm. Dans l’une des scènes, deux groupes d’œufs disposés dans différentes directions sont ordonnés puis secoués ; dans l’autre, on voit un écran rouge Kodachrome dans lequel ont été pratiquées trois ouvertures semblables à des yeux humains, mais disposant d’obturateurs fractionnés, de sorte qu’elles s’ouvrent et se referment comme si elles essayaient de voir et de donner à voir en même temps. Dans le dernier plan de coupe, on voit des blocs colorés assemblés en gratte-ciel façon skyline de grande métropole ; l’ensemble, filmé par derrière, tournoie. Ce travail renvoie aux premiers films expérimentaux et à la mécanique du mouvement, notamment par la manière dont s’ouvrent les fentes : on devine le mécanisme primitif derrière le mouvement brusque. La même chose vaut pour le mouvement des oeufs, qui rappelle les soubresauts d’une machine à laver. En même temps, je pensais à l’horreur des films scientifiques, ou plus précisément des premiers films scientifiques : autoritaires et neutres, indifférents à toutes les autres expériences filmiques, ils ne sont pas sans rappeler la production étatique de films d’information publique ».
Du 20 septembre au 9 décembre 2018
Le Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Île-de-France
22, rue des Alouettes. 75019 Paris. France
Tél. : + 33 (1) 76 21 13 41
Du mercredi au dimanche de 14 h à 19 h. Entrée libre. Nocturne tous les 1ers mercredis du mois, jusqu’à 21 h
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