Les Douches la galerie présente l’exposition « Aaron Siskind : L’épure photographique ». Aaron Siskind (1903-1991) est un professeur, photographe juif américain qui a évolué du réalisme documentaire et humaniste au mouvement expressionniste abstrait. Membre de la Photo League new-yorkaise, il a estompé la ligne séparant la photographie de la peinture. Et a accordé une grande attention aux détails.
« L’oeuvre d’Aaron Siskind (1903-1991) ne peut se réduire à un genre photographique. A côté d’une carrière exceptionnelle d’enseignant qui a marqué plusieurs générations de photographes, cette grande figure de l’histoire de la photographie américaine n’a cessé de surprendre. Entre une vision très documentaire avec la Photo League et une recherche beaucoup plus plastique liée aux peintres expressionnistes abstraits, sa pratique photographique a embrassé différents styles et bousculé bien des préjugés ».
Les Douches la galerie présente « une quarantaine de photographies liées à ses expérimentations, à son attention aux choses minuscules, aux formes précaires, aux bribes de langage issues des vestiges du temps. Une trajectoire pour le moins unique avec une œuvre qui reste aujourd’hui encore, d’une très grande modernité ».
Aaron Siskind naît en 1903 à New York dans une famille nombreuse d’immigrants russes juifs.
Il gagne sa vie comme professeur d’anglais dans une école newyorkaise pendant 25 ans.
Il épouse Sidonie Glatter, surnommée Sonia, fille d’immigrés juifs, qui souffrira d’une maladie mentale, a devra être hospitalisée. Ce qui désintégrera leur mariage. En 1945, Aaron Siskind sollicitera l’annulation de cette union.
Dans les années 1930, Aaron Siskind débute comme photographe documentaire social pour la New York Photo League, qui forme des photographes devenus célèbres : Margaret Bourke-White, Berenice Abbott... En 1936, Aaron Siskind y crée et dirige un groupe de photographes documentaristes socialement engagés, le Feature Group. Ce groupe de dix photographes effectue des reportages documentaires sur la classe ouvrière, la vie urbaine : Portrait of a Tenement (1937), Dead End: The Bowery (1937–38), Park Avenue North and South (1937), The Most Crowded Block in the World (1939), Harlem Document (1936-1940). Aaron Siskind explore la « photographie prolétarienne » en s’intéressant aux habitants pauvres de Harlem ainsi qu’à l’architecture de leur habitat et de leur quartier. Il produit des séries d’images empreintes de conscience sociale.
Dans les années 1940, Aaron Siskind se rapproche des membres de la New York School of Abstract Expressionism et poursuit ses recherches en résonance avec l’expressionnisme abstrait, avec les œuvres de Jackson Pollock, Mark Rothko ou Franz Kline. Il se lie d'amitié avec ces deux derniers, Robert Motherwell, Adolph Gottlieb, Barnett Newman, and Willem de Kooning.
Lors d’un séjour à Martha’s Vineyard, Siskind commence à photographier en gros plan des objets.
Ses œuvres sont exposées à la Charles Egan Gallery au côté de celles d’artistes peintres de l’expressionnisme abstrait.
1950. Siskind rencontre le photographe novateur Harry Callahan (1912-1999) alors que tous deux enseignent l’été au Black Mountain College.
Harry Callahan le convainc de le rejoindre à l’IIT Institute of Design à Chicago – Aaron Siskind y enseigne la photographie de 1951 à 1971 -, fondé par le peintre et photographe hongrois László Moholy-Nagy et dénommé le New Bauhaus.
1951 : le MoMa de New York présente « Abstraction in Photography », exposition collective avec notamment trois œuvres d’Aaron Siskind.
En 1971, Aaron Siskind suit Harry Callaghan pour enseigner à la Rhode Island School of Design.
Tous deux prennent leur retraite dans les années 1970.
Aaron Siskind est membre fondateur de la Society for Photographic Education et co-rédacteur en chef du magazine littéraire et photographique Choice.
Aaron Siskind réalise des reportages photographiques à Rome en 1963 et 1967, Mexico dans les années 1970 et dans les années 1980 à Providence dans le Vermont pour la Tar Series, et Route 88 près de Westport, dans le Rhode Island.
Aaron Siskind « passe insensiblement d'une photo humaniste et narrative à des compositions plus architecturales et formelles, avant finalement de sauter le pas en 1944 et de produire son premier chef-d'oeuvre - une photo de gants en plastique. Une photo de gants, cela n'a l'air de rien et pourtant, tout est dit dans ce gros plan d'un objet flasque et inerte, tout est dit de la volonté de partir du réel pour faire apparaître une autre réalité, énigmatique, graphique, éminemment picturale qui tient à la fois de la forme molle d'Arp et de la tache d'encre de Miró… photographe exposé (1947, 1948, 1949, 1951, 1954) à la Charles Egan Gallery qui présente aussi Willem de Kooning et Franz Kline, enfin et surtout, muraliste obsessionnel. Traqueur de signes, de croix, de paraphes, de lettres, d'éraflures, de béances sur les murs du monde entier, auteur d'un unique credo, « la surface plane, c'est la réalité ». Mais derrière le plan, la feuille de papier, le tirage photo, il y a toute l'épaisseur de l'humanité : depuis les premières empreintes de mains jusqu'aux graffitis baveux ou stylisés des murs de Rome, de New York ou de Mexico, Aaron Siskind déroule une internationale des signes de la présence humaine, qui trouve son écho dans la peinture gestuelle de ses amis new-yorkais. Et quand il ne se suffit plus des murs, il revient aux hommes mais alors, ce sont des hommes qui évoluent dans les airs, plongeurs depuis les pontons du lac Michigan, virgules noires et musculeuses ponctuant une page de ciel lacté, corps en forme d'accents toniques qui redisent l'obsession du trait et du dessin. Aaron Siskind aura sans doute payé cher cette monomanie, car son oeuvre passe pour répétitive, mais Gilles Mora, en lui donnant toute son ampleur, révèle sa pleine diversité et toute sa force d'impact ».
Il se concentre sur les détails dans la nature et l’architecture, saisies comme des surfaces planes afin de créer une image nouvelle, distincte du sujet originel. Il a parfois franchi la ligne séparant la photographie de la peinture.
La Fondation Aaron Siskind encourage l’excellence dans la photographie, notamment par des bourses annuelles.
« L’empreinte de Siskind fut pourtant forte et le reste : c’est lui qui fonda, avec d’autres photographes, le Center for Creative Photography, dans l’Arizona, un lieu unique au monde qui recueille les archives de photographes dont Ansel Adams, Richard Avedon, Harry Callahan... »
« As the language or vocabulary of photography has been extended, the emphasis of meaning has shifted, shifted from what the world looks like to what we feel about the world and what we want the world to mean. »
« We look at the world and see what we have learned to believe is there. We have been conditioned to expect. But, as photographers, we must learn to relax our beliefs ».
« First, and emphatically, I accept the flat plane of the picture surface as the primary frame of reference of the picture ».
« For the first time in my life subject matter, as such, had ceased to be of primary importance. Instead, I found myself involved in the relationships of these objects, so much so that these pictures turned out to be deeply moving and personal experiences ». (1945)
« The meaning of these objects exists only in their relationship with other objects, or in their isolation (which comes to the same thing, for what we feel most about an isolated object is that it has been deprived of relationship. These photographs appear to be a representation of a deep need for order… Essentially, then, these photographs are psychological in character. [This] may or may not be a good thing. But it does seem to me that this kind of picture satisfies a need ». (1945)
« When I make a photograph I want it to be an altogether new object, complete and self-contained, whose basic condition is order — (unlike the world of events and actions whose permanent condition is change and disorder) ». (1950)
« Of course, I have always been excited by the writing on the wall. I suppose it’s ever since I read the Bible and the whole business of the writing up on the wall… And because of my memory it’s rough Jewish writing. I can remember my father writing. I’ve always liked writings on the wall that become pure fantasy. It gives you sort of joy ». (1963)
Aaron Siskind naît en 1903 à New York dans une famille nombreuse d’immigrants russes juifs.
Il gagne sa vie comme professeur d’anglais dans une école newyorkaise pendant 25 ans.
Il épouse Sidonie Glatter, surnommée Sonia, fille d’immigrés juifs, qui souffrira d’une maladie mentale, a devra être hospitalisée. Ce qui désintégrera leur mariage. En 1945, Aaron Siskind sollicitera l’annulation de cette union.
Dans les années 1930, Aaron Siskind débute comme photographe documentaire social pour la New York Photo League, qui forme des photographes devenus célèbres : Margaret Bourke-White, Berenice Abbott... En 1936, Aaron Siskind y crée et dirige un groupe de photographes documentaristes socialement engagés, le Feature Group. Ce groupe de dix photographes effectue des reportages documentaires sur la classe ouvrière, la vie urbaine : Portrait of a Tenement (1937), Dead End: The Bowery (1937–38), Park Avenue North and South (1937), The Most Crowded Block in the World (1939), Harlem Document (1936-1940). Aaron Siskind explore la « photographie prolétarienne » en s’intéressant aux habitants pauvres de Harlem ainsi qu’à l’architecture de leur habitat et de leur quartier. Il produit des séries d’images empreintes de conscience sociale.
Dans les années 1940, Aaron Siskind se rapproche des membres de la New York School of Abstract Expressionism et poursuit ses recherches en résonance avec l’expressionnisme abstrait, avec les œuvres de Jackson Pollock, Mark Rothko ou Franz Kline. Il se lie d'amitié avec ces deux derniers, Robert Motherwell, Adolph Gottlieb, Barnett Newman, and Willem de Kooning.
Lors d’un séjour à Martha’s Vineyard, Siskind commence à photographier en gros plan des objets.
Ses œuvres sont exposées à la Charles Egan Gallery au côté de celles d’artistes peintres de l’expressionnisme abstrait.
1950. Siskind rencontre le photographe novateur Harry Callahan (1912-1999) alors que tous deux enseignent l’été au Black Mountain College.
Harry Callahan le convainc de le rejoindre à l’IIT Institute of Design à Chicago – Aaron Siskind y enseigne la photographie de 1951 à 1971 -, fondé par le peintre et photographe hongrois László Moholy-Nagy et dénommé le New Bauhaus.
1951 : le MoMa de New York présente « Abstraction in Photography », exposition collective avec notamment trois œuvres d’Aaron Siskind.
En 1971, Aaron Siskind suit Harry Callaghan pour enseigner à la Rhode Island School of Design.
Tous deux prennent leur retraite dans les années 1970.
Aaron Siskind est membre fondateur de la Society for Photographic Education et co-rédacteur en chef du magazine littéraire et photographique Choice.
Aaron Siskind réalise des reportages photographiques à Rome en 1963 et 1967, Mexico dans les années 1970 et dans les années 1980 à Providence dans le Vermont pour la Tar Series, et Route 88 près de Westport, dans le Rhode Island.
Aaron Siskind « passe insensiblement d'une photo humaniste et narrative à des compositions plus architecturales et formelles, avant finalement de sauter le pas en 1944 et de produire son premier chef-d'oeuvre - une photo de gants en plastique. Une photo de gants, cela n'a l'air de rien et pourtant, tout est dit dans ce gros plan d'un objet flasque et inerte, tout est dit de la volonté de partir du réel pour faire apparaître une autre réalité, énigmatique, graphique, éminemment picturale qui tient à la fois de la forme molle d'Arp et de la tache d'encre de Miró… photographe exposé (1947, 1948, 1949, 1951, 1954) à la Charles Egan Gallery qui présente aussi Willem de Kooning et Franz Kline, enfin et surtout, muraliste obsessionnel. Traqueur de signes, de croix, de paraphes, de lettres, d'éraflures, de béances sur les murs du monde entier, auteur d'un unique credo, « la surface plane, c'est la réalité ». Mais derrière le plan, la feuille de papier, le tirage photo, il y a toute l'épaisseur de l'humanité : depuis les premières empreintes de mains jusqu'aux graffitis baveux ou stylisés des murs de Rome, de New York ou de Mexico, Aaron Siskind déroule une internationale des signes de la présence humaine, qui trouve son écho dans la peinture gestuelle de ses amis new-yorkais. Et quand il ne se suffit plus des murs, il revient aux hommes mais alors, ce sont des hommes qui évoluent dans les airs, plongeurs depuis les pontons du lac Michigan, virgules noires et musculeuses ponctuant une page de ciel lacté, corps en forme d'accents toniques qui redisent l'obsession du trait et du dessin. Aaron Siskind aura sans doute payé cher cette monomanie, car son oeuvre passe pour répétitive, mais Gilles Mora, en lui donnant toute son ampleur, révèle sa pleine diversité et toute sa force d'impact ».
Il se concentre sur les détails dans la nature et l’architecture, saisies comme des surfaces planes afin de créer une image nouvelle, distincte du sujet originel. Il a parfois franchi la ligne séparant la photographie de la peinture.
« L’empreinte de Siskind fut pourtant forte et le reste : c’est lui qui fonda, avec d’autres photographes, le Center for Creative Photography, dans l’Arizona, un lieu unique au monde qui recueille les archives de photographes dont Ansel Adams, Richard Avedon, Harry Callahan... »
En 2015, le Pavillon populaire de Montpellier a présenté la rétrospective d’Aaron Siskind « Une autre réalité photographique », dont Gilles Mora était le commissaire de l’exposition montrant l’évolution du réalisme documentaire à l’abstraction quasi-picturale : « Il y a eu une surévaluation de la “street photography” en France, où on a mis seulement en avant des gens comme Garry Winogrand [auquel le Jeu de paume consacrait en 2015 une exposition]. Alors qu’au même moment il existait une démarche expérimentale, plus métaphorique, dans la photo américaine ».
Et Gilles Mora, historien de la photographie, de préciser : au fil des décennies, Aaron Siskind a créé « un langage photographique nouveau toujours en deux dimensions. Son image photographique est frontale et décontextualise les objets. Il évacue toute présence humaine en partant du principe que ce sont les traces qu'il va trouver sur les murs, les graffiti qui sont la manifestation de l'humain... La réalité de Siskind est une construction fabriquée ».
Citations d’Aaron Siskind
« We look at the world and see what we have learned to believe is there. We have been conditioned to expect. But, as photographers, we must learn to relax our beliefs ».
« First, and emphatically, I accept the flat plane of the picture surface as the primary frame of reference of the picture ».
« For the first time in my life subject matter, as such, had ceased to be of primary importance. Instead, I found myself involved in the relationships of these objects, so much so that these pictures turned out to be deeply moving and personal experiences ». (1945)
« The meaning of these objects exists only in their relationship with other objects, or in their isolation (which comes to the same thing, for what we feel most about an isolated object is that it has been deprived of relationship. These photographs appear to be a representation of a deep need for order… Essentially, then, these photographs are psychological in character. [This] may or may not be a good thing. But it does seem to me that this kind of picture satisfies a need ». (1945)
« When I make a photograph I want it to be an altogether new object, complete and self-contained, whose basic condition is order — (unlike the world of events and actions whose permanent condition is change and disorder) ». (1950)
« Of course, I have always been excited by the writing on the wall. I suppose it’s ever since I read the Bible and the whole business of the writing up on the wall… And because of my memory it’s rough Jewish writing. I can remember my father writing. I’ve always liked writings on the wall that become pure fantasy. It gives you sort of joy ». (1963)
« 4 décembre 1903 :
Naissance d’Aaron Siskind à New York.
1915-1926 :
Scolarité et études à New York. Siskind obtient une licence de lettres.
1926-1947 :
Professeur de lettres dans l’enseignement public new-yorkais.
1929 :
Il reçoit son premier appareil photo.
1935-1935 :
Il rejoint la New York Film and Photo League.
1936-1941 :
Il participe activement à la New York Photo League, qui vient d’être réorganisée. Au sein de cette institution politiquement subversive, il crée le Feature Group, une unité de production documentaire. Seul, ou avec son groupe, Siskind produit des séries photographiques autour de la crise économique qui frappe New York, dont le fameux Harlem Document, modèle de la photographie documentaire, dont Siskind est le premier véritable théoricien.
1943-1944 :
Siskind réalise de plus en plus de photographies symboliques et abstraites, à partir d’objets abandonnés ou trouvés sur l’île de Martha’s Vineyard et à Gloucester, dans le Massachussets. Parallèlement, il se consacre de plus en plus, depuis 1936, à la photographie architecturale, qu’il considère comme le vrai prolongement de son engagement documentaire.
1945 :
Publie le texte “The Drama of Objects” (“La dramaturgie des objets”) dans la revue Minicam Photography.
Il noue des liens de plus en plus étroits avec les artistes de la New York School, et en particulier les
peintres de l’Expressionnisme abstrait, qui reconnaissent une parenté entre leurs oeuvres et les nouvelles images prises par Siskind.
1947-1951 :
Siskind enseigne la photographie au Trenton Junior College, à Trenton (New Jersey).
1947-1951 :
Il est le seul photographe à exposer régulièrement à la Charles Egan Gallery de New York. Elaine de Kooning écrit “ The Photographs of Aaron Siskind”, introduction à une exposition de Siskind à la galerie, en 1951.
1950 :
Siskind enseigne en compagnie d’Harry Callahan au Black Mountain College en Caroline du Nord, crée par le peintre Josef Albers.
1951-1971 :
À l’invitation d’Harry Callahan, Siskind rejoint l’équipe de l’Institute of Design de Chicago, fondé en 1937 par le créateur du Bauhaus, Laszlo Moholy-Nagy. Siskind y enseigne la photographie jusqu’en 1959, année où il devient directeur du département de photographie. Il participe avec ses étudiants à des projets majeurs, dont le relevé architectural, le « Louis Sullivan Project ». Visite la Grèce et Rome.
1959 :
Horizon Press publie son premier livre: Aaron Siskind, Photographs.
1965 :
À l’occasion de la première rétrospective qui lui est consacrée, la Georges Eastman House de Rochester publie son deuxième livre, Aaron Siskind: Photographer.
1966 :
Il reçoit la bourse de la John Simon Guggenheim Foundation.
1971 :
Il reçoit le titre de Honorary Doctor of Arts par le Columbia College de Chicago.
1971-1976 :
Il enseigne la photographie à la Rhode Island School of Design.
1971-1991 :
Sa réputation est établie. Il continue à faire des photographies, et voyage beaucoup (Amérique centrale, Amérique du Sud, Europe).
1984 :
Il crée l’Aaron Siskind Foundation, chargée de gérer sa collection de photographies anciennes et de soutenir la photographie contemporaine.
8 février 1991 :
Aaron Siskind meurt à Providence (Rhode Island) à l’âge de 87 ans ».
Aaron Siskind, par James Rhem
(Traduction de l'anglais par Jean-Yves Cotté. Collection 55, Phaidon, 2003)
« Grâce à son talent et à son influence, à son art et à son enseignement, Aaron Siskind est une figure de la photographie américaine du XXe siècle. Sa production photographique, abondante, variée et profondément créative, est le fruit d'une carrière commencée au début des années 1930 et achevée à la mort du photographe en 1991. Elle est à l'origine d'une vision inédite, qui a finalement aboli toute frontière supposée entre la photographie et la peinture des années 1940 et 1950. Il fut souvent comparé à des peintres abstraits tels Willem de Kooning, Barnett Newman ou Franz Kline, dont il fut l'ami. Il s'avère en effet que ses photographies et leurs oeuvres se sont considérablement influencées. Siskind ne se réfère que très peu au sujet, préférant s'attacher aux détails et aux fragments visuels, en explorant le mouvement et la forme. Aussi appartient-il indiscutablement à la famille des expressionnistes abstraits. (…)
Siskind naît le 4 décembre 1903 à New York dans une famille d'immigrants russes juifs. (…) Trouvant sa vie de famille peu passionnante, il passe une bonne partie de sa jeunesse à traîner dans les rues, réagissant à la stimulation sociale et intellectuelle qu'il y trouve. Si les mots sont son premier mode d'expression, son attachement à la beauté, à la découverte et à l'expression le définit dès le début comme artiste.
Les idéaux socialistes de justice et d'égalité le séduisent, comme ceux que clament les orateurs des rues depuis leurs tribunes improvisées sur Upper Broadway. À douze ans, il possède sa propre tribune et attire un public régulier. (…)
Lors de son premier mariage, il reçoit en cadeau un appareil photo. Il l'étrenne pendant son voyage de noces aux Bermudes et découvre le plaisir de la photographie. (…) En 1932, il achète un appareil plus perfectionné et adhère à la Film and Photo League de New York, l’un des plus influents des nombreux clubs photographiques américains.(…) Les habitudes de travail qu’il développe avec la photographie documentaire (être attentif au moindre détail et photographier d'un point de vue unique) ne le quitteront jamais. « Je suis resté très fidèle à ma formation documentaire », se souvient-il dans un entretien de 1963. Autrement dit, il a conservé « une foi inébranlable dans la chose elle-même ». Quelle que soit l'énergie métaphorique ou symbolique que dégagent ses images, les objets — rochers ou peinture écaillée par exemple — restent des éléments identifiables du monde réel. (…)
Durant l'été 1943, dans le village de pêcheurs de Gloucester, en Nouvelle-Angleterre, il a ce qu'il appelle « une expérience picturale », une révélation qui change à jamais la nature de son travail. Au lieu de travailler à partir d'un programme, comme il le faisait pour ses sujets documentaires, il se consacre à un projet dont il avait pressenti l'importance : laisser parler les objets, avec leur propre langage. (…) Afin de mettre en pratique cette nouvelle démarche, il commence à travailler sans la moindre idée préconçue, pour ne pas avoir à l'oublier par la suite. Il s’astreint alors à une routine de travail immuable, sans rapport avec ce qu’il doit photographier. Chaque matin, il part avec un film de douze poses, suffisant pour réaliser six images, deux photographies pour chaque. Il travaille dans un très petit secteur, se limitant à un simple quai ou à un pâté de maisons.
Quand il tire ses photographies cet hiver-là, il découvre quelque chose d'inattendu. Dans un entretien de 1963, il se souvient : « Pour le dire de façon un peu emphatique, ce fut pour moi, en quelque sorte […] une révélation. Je fis quelques images, et ces images me révélèrent une signification, une façon de faire une image […] dont je n'avais jamais rêvé auparavant. Eh bien, quand cela vous arrive, vous n'avez plus qu'à continuer ! […] Je n'ai jamais forcé la photographie, c'est la photographie, en un sens, qui m'a guidé. »
Siskind voit comment il peut définitivement basculer de la sphère descriptive à celle des idées abstraites.
Il découvre dans ce qu'il fait, cadrer des objets organiques à l'intérieur de fortes compositions géométriques, le reflet d'une dualité fondamentale qu'il cherche à comprendre depuis longtemps. « Dans ces photos, vous avez l'objet, mais vous avez dans l'objet, ou superposé à lui, une chose que j'appellerais l’image », qui contient mon idée. Le tout présent en une seule et même fois. Il y a un conflit, une tension.
L’objet est là et cependant ce n'est pas un objet. C'est quelque chose d'autre. Il y a une signification qui est en partie celle de l'objet mais qui est surtout celle que je lui donne. »
On a dit de la photographie qu'elle était le résultat inéluctable de la longue quête des arts visuels pour parvenir à la perspective tridimensionnelle, point singulier des deux dimensions d’une image plane. Non sans ironie, Siskind découvre que son évolution en tant qu'artiste exige qu'il renonce à cette caractéristique.
Dans l’ « espace rigide et plat » de l'image plane, sans perspective, tel qu'il le décrit dans The Drama of Objects, il peut représenter son « besoin profond d'ordre » . Ici, les objets « ne peuvent se réfugier dans la profondeur de la perspective. Les quatre angles du [cadre] rectangulaire sont des limites absolues. Il n'y a que le théâtre des objets, et vous, en train de regarder. »
À partir de 1945, ses photographies n'ont plus de rapport avec son travail documentaire, se rapprochant davantage de la peinture que de la photographie. Intervenant dans le cours d'histoire de la photographie à Columbia College à Chicago en 1982, il se souvient que, « pendant longtemps [Garry] Winogrand circulait en disant : « Siskind n'est pas un photographe, c'est autre chose » ». Avec un petit rire, il ajoute : « Il ne le fait plus. » Dans l'entretien filmé de 1985, considérant sa place dans l'histoire de la photographie, il affirme « Dans l'histoire de la photographie, [les années 1930 et 1940] sont une période où les gens insistaient sur la sociologie, la psychologie et ce genre de choses mais, avant, il y avait eu une période où les images étaient des métaphores, des symboles ». Il ne se voit pas lui-même comme révolutionnaire : « Tout simplement, j'ai apporté quelques éléments d'un passé d'avant-garde. »
Du 27 octobre au 22 décembre 2018
A Les Douches la Galerie
5, rue Legouvé. 75010 Paris
Tél. : +33 (0)9 54 66 68 85
Du mercredi au samedi, de 14 h à 19 h et sur rendez-vous
Visuels :
Aaron Siskind
Gloucester 3, 1945
Tirage gélatino-argentique postérieur
Dimensions de l'image : 24,7 x 32 cm
Dimensions du tirage : 28 x 35 cm
© Aaron Siskind / Courtesy Les Douches la
Galerie, Paris
N° Inv. AS1712003
Aaron Siskind
Feet 119, 1957
Tirage gélatino-argentique postérieur
Dimensions de l'image : 27 x 34 cm
Dimensions du tirage : 27 x 34 cm
© Aaron Siskind / Courtesy Les Douches la
Galerie, Paris
N° Inv. AS1805005
Aaron Siskind
Arequipa 94, 1979
Tirage gélatino-argentique postérieur
Dimensions de l'image : 24,7 x 24,8 cm
Dimensions du tirage : 28 x 35 cm
© Aaron Siskind / Courtesy Les Douches la
Galerie, Paris
N° Inv. AS1805011
Aaron Siskind
Martha's Vineyard 111, 1954
Tirage gélatino-argentique postérieur
Dimensions de l'image : 24,5 x 32,6 cm
Dimensions du tirage : 28 x 35 cm
© Aaron Siskind / Courtesy Les Douches la
Galerie, Paris
N° Inv. AS1805017
Aaron Siskind
Puruchuco 39, 1979
Tirage gélatino-argentique postérieur
Dimensions de l'image : 23,7 x 24,7 cm
Dimensions du tirage : 28 x 35 cm
© Aaron Siskind / Courtesy Les Douches la
Galerie, Paris
N° Inv. AS1805020
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