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lundi 20 décembre 2021

« Magda Goebbels, la première dame du IIIe Reich » d’Antoine Vitkine

LCP rediffusera le 20 décembre 2021 « Magda Goebbels, la première dame du IIIe Reich », documentaire d’Antoine Vitkine. Non reconnue par son père biologique, Magda Goebbels (1901-1945) est élevée par le mari juif de sa mère. Après une histoire d’amour avec Victor Haïm Arlosoroff, un Juif allemand dont elle partagea le sionisme, cette femme belle, intelligente, ambitieuse épouse en 1921 le riche quadragénaire et actionnaire de BMW Günther Quandt, dont elle divorce en 1929. Nazie, elle se marie avec Joseph Goebbels, sert la propagande nazie, et en 1945 se terre dans le bunker d’Hitler où elle tue ses six enfants puis se suicide.
« Le 1er mai 1945, dans le bunker souterrain d’Adolf Hitler à Berlin, Magda Goebbels (1901-1945) empoisonne ses six enfants ».

« Avant de se donner la mort avec son mari, elle justifie son geste dans une lettre » à son fils ainé Harald Quandt (1922-1967), né de son premier mariage et luttant dans la Luftwaffe : « La vie dans le monde qui vient après le Führer et le national-socialisme ne vaut plus la peine d’être vécue, c’est pourquoi j’ai aussi pris les enfants. Ils sont trop bien pour cette vie à venir ».

Identités multiples
Maria Magdalena Behrend est née d’une mère vingtenaire employée de maison et d’Oskar Ritschel, ingénieur qui ne la reconnaît pas. Une situation scandaleuse à l’époque.

Ses parents se marient en 1904, puis divorcent. Mais Oskar Ritschel contribue à l’éducation de sa fille.

Maria Magdalena Behrend est envoyée dans un pensionnat catholique en Belgique.

Sa mère épouse Richard Friedländer, riche commerçant juif qui l’élève et lui donne son nom. Magda Friedländer poursuit sa scolarité dans un pensionnat de la bourgeoise allemande.

Après une histoire d’amour avec Victor (ou Viktor) Arlosoroff (1899-1933), sioniste juif allemand dont elle partage l’enthousiasme pour le projet sioniste – elle apprend l’hébreu, porte l’étoile juive -, cette jeune fille épouse en 1921 Günther Quandt (1881-1954), quadragénaire fortuné et veuf, après que son père biologique l’ait reconnue. Harald nait de leur union.

Magda Quandt doit veiller sur une famille agrandie par l’accueil des deux enfants du premier mariage de son époux, et les trois enfants d’un associé de son époux.

S’ennuyant dans sa vie, délaissée par son époux, isolée face à sa belle-famille, elle renoue sa relation avec Viktor Arlosoroff à Berlin de 1928 à 1932.

En 1929, le couple divorce. Autre fait rare dans cette haute bourgeoise.

Militante bourgeoise nazie dès 1930 au sein du Parti national-socialiste des travailleurs allemands (Nationalsozialistische Deutsche Arbeiterpartei, NSDAP), Magda Quandt rencontre Joseph Goebbels, Gauleiter de Berlin, dont elle devient la collaboratrice, puis l’épouse en 1931.

Opposée au Lebensborn, Magda Goebbels trouve dans « le nazisme une famille politique de substitution », et gomme le pan juif de son passé : son beau-père juif est interné dans un camp, et son ancien amant Viktor Arlozoroff assassiné à Tel Aviv.

Quand Joseph Goebbels est nommé ministre de la Propagande du régime nazi, Magda Goebbels assure le rôle de « Première Dame » du IIIe Reich en assistant, en bonne place, à des cérémonies et en participant à des visites d’Etat. La propagande nazie la loue en « plus grande mère du Reich ».

Fascinée par Hitler, elle accepte de représenter la mère aryenne de famille nombreuse aimante, dévouée, idéalisée par le IIIe Reich qui lui décerne la « Croix de mère » remise par Hitler. « Son quotidien, filmé et mis en scène, fait régulièrement l’objet de séances de projection dans les cinémas allemands ; elle est érigée au rang de symbole ». Instrumentalisés à leur insu par la propagande nazie, ses six enfants portent un prénom débutant par « H » : Helga (1932-1945), Hildegard (1934-1945), Helmut (1935-1945), Holdine (1937-1945), Hedwig (1938-1945) et Heidrun (1940-1945).

En 1936, le couple Goebbels s’installe dans une villa sur Schwanenwerder, presqu’île du Wannsee, ayant appartenu à des Juifs allemands expropriés. Il l’agrandit avec un terrain appartenant à un propriétaire juif allemand spolié.

Le couple Goebbels traverse des crises en raison des infidélités de Joseph Goebbels, notamment avec l’actrice tchèque Lída Baarová. Pour préserver ses intérêts, Magda Goebbels intercède en 1938 auprès des dirigeants nazis, dont Hitler, et n’hésite pas à recourir au chantage.

Quant à Günther Quandt, il adhère tôt au parti nazi et contribue à l'effort de guerre de l'Allemagne nazie.

Magda Goebbels a connaissance de la Shoah, mais continue sa vie mondaine nazie. Elle participe à l’effort de guerre nazie : elle accueille des soldats, travaille à Telefunken, etc.

En 1945, elle est affectée par des dépressions nerveuses.

Le 22 avril 1945, elle s’installe, en famille, dans le bunker berlinois de Hitler.

La veille de son suicide, Hitler la décore du symbole d’or du Parti nazi. Magda Goebbels en tire une grande fierté et un bonheur à la hauteur de son fanatisme.

Le 30 avril 1945, Hitler et Eva Braun se suicident dans le bunker.

Le 1er mai 1945, Magda Goebbels habille de vêtements blancs ses enfants, leur administre un somnifère, puis une ampoule de cyanure dans la bouche.

Le soir, Joseph et Magda Goebbles se suicident. Leurs cadavres sont brûlés par des SS.

Le documentaire « se demande comment Magda Goebbels, jeune femme émancipée, élevée par un beau-père juif », Richard Friedländer, est-elle devenue cette fanatique-là, « en est-elle venue à commettre ce geste effroyable ? Portrait d'une bourgeoise ambitieuse devenue nazie fanatique.

« Au fil d’une enquête historique mêlant témoignages des proches et interviews de spécialistes » - l’historien Fabrice d’Almeida, l’ethnopsychiatre Tobie Nathan -, « s’appuyant sur des images d’archives exceptionnelles, le documentariste Antoine Vitkine, auteur de « Mein Kampf, c’était écrit », nous fait entrer dans l’intimité de celle qui fut la véritable première dame du IIIe Reich ». Il fait allusion à la « radicalisation djihadiste et à la montée de l’extrême-droite ».

La petite-fille de Magda Goebbels s’est convertie au judaïsme.


Mes « documentaires ont en commun de se confronter à la question du mal, d’une manière ou d’une autre, en portant l’attention sur le rôle des individus. Je crois beaucoup au poids des intentions. Je m’attache d’abord aux trajectoires personnelles, aux raisons psychologiques, aux idées qui conduisent des individus – dictateurs ou autres – à faire tel ou tel choix, au moins autant qu’aux contextes dans lesquels ils se trouvent. J’ai abordé la figure de Magda Goebbels dans cet esprit-là... Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la femme de Joseph Goebbels ? » 
« Contrairement à son mari, elle n’est pas une actrice majeure de l’Histoire. En ce sens, sa trajectoire, proprement tragique, a quelque chose de révélateur. Certes, elle adhère totalement au nazisme et participe entièrement de ce régime, mais elle n’est pas une figure politique décisionnaire. D’une certaine manière, Magda Goebbels est l’Allemagne – c’est-à-dire l’Allemagne ordinaire –, embarquée petit à petit dans une dérive criminelle de grande ampleur qui va en plus la conduire, elle, au meurtre de ses six enfants. Comprendre son parcours permet d’éclairer l’histoire du nazisme et de s’interroger sur les mécanismes qui conduisent un individu à épouser une idéologie totalitaire et criminelle. Cette question trouve évidemment des échos aujourd’hui, et c’est cela qui a motivé mon intérêt : il y a, dans l’attrait de Magda Goebbels pour «l’aventure politique» proposée par le nazisme, dans ses fractures identitaires qui la conduit à chercher dans le nazisme une famille politique de substitution, dans sa froide détermination quand elle commet son crime final et dans son fanatisme, quelque chose qui n’est pas sans nous rappeler le djihadisme. Enfin, Magda Goebbels, c’est aussi une membre d’une élite allemande éclairée qui en vient, par conviction – mais aussi par ambition – à rallier un parti fasciste et raciste alors en pleine ascension vers le pouvoir. Cette dimension également a des résonances qui vont au-delà de la période nazie. «Éclairer l’histoire »: cela passet-il par le fait d’adopter un point de vue féminin ? » 
« Il y avait cette volonté-là, en effet : s’intéresser à la place des femmes dans le régime nazi, mais aussi mettre en lumière le rôle historique joué par Magda Goebbels, l’extirper d’un relatif oubli de l’histoire, par rapport à la maîtresse d’Hitler, Eva Braun. Si cette dernière a fait l’objet de nombreux documentaires et si, dans l’imaginaire collectif, elle incarne la figure féminine par excellence du III e Reich, elle était en fait inconnue des Allemands de l’époque. La vraie «première dame» était bel et bien Magda Goebbels, ne serait-ce que par la façon dont le régime l’a mise en scène et utilisée. Femme d’ambition participant pleinement à l’arrivée au pouvoir des nazis, Magda Goebbels va finalement être reléguée, en quelques années, à son seul rôle d’épouse et de mère… » 
« Son parcours montre bien que ce système politique en plus d’être raciste et criminel, était aussi profondément misogyne. Les femmes n’avaient pas voix au chapitre. Cela ajoute au caractère tragique, à l’ironie cruelle, de son destin. Elle s’est compromise en espérant un rôle éminent et elle fut ramenée, par Hitler dont elle était pourtant très proche, à sa condition de femme, de génitrice d’enfants pour le Reich. C’est la raison pour laquelle j’ai pris le parti de l’appeler parfois simplement « Magda », non pas tant pour créer une proximité – imaginerait-on un documentaire qui parlerait par exemple « d’Adolf »? – mais pour la détacher de la figure de son mari Joseph Goebbels, de son statut de «femme de…» Le sujet de ce film n’est pas madame Goebbels mais, pleinement, Magda. Qui avant de s’appeler Goebbels porta trois autres noms... »
« Ces images issues de la propagande constituent une sorte de monde parallèle. Elles dévoilent la vie familiale de Magda Goebbels idéale et bucolique, comme une vitrine du nazisme, tandis qu’autour, les pires crimes étaient commis. Il fallait déjouer ces archives, ne se laisser piéger ni par leur contenu ni par leur beauté cinématographique. Ce jeu de montage parallèle permettait, il me semble, de respecter un effet de réel ».
« Je voulais essayer de comprendre le parcours de Magda Goebbels sous différents angles, pour lui donner du sens – c’est-à-dire tout à la fois l’inscrire dans une perspective historique mais aussi lui donner une signification, une résonance actuelle. D’où le choix de faire appel à des historiens français et allemands spécialistes du IIIeReich, mais aussi de proposer à deux penseurs issus d’autres disciplines de se pencher sur le « cas Magda ». En plus d’être psychiatre, Tobie Nathan est aussi l’auteur de Qui a tué Arlozoroff ? (Grasset, 2010), roman consacré à l’amant juif de Magda Goebbels; il était tout désigné pour apporter son éclairage ». « Quant à Gérald Bronner, sociologue spécialiste de l’extrémisme et de la radicalisation, il a notamment écrit une enquête passionnante intitulée La Pensée extrême (Denoël, 2009), dont le sous-titre pourrait s’appliquer à Magda Goebbels : Comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques ».
« La conviction, l’idéologie, restent centrales, j’en suis persuadé, mais l’endoctrinement n’intervient que dans un second temps –une fois que la bascule a opéré. Ce qui m’a intéressé ici, avec Magda Goebbels, c’est justement le premier temps, le temps du « devenir »: comment estce qu’une femme aisée et moderne, parfaitement insérée socialement, issue d’un milieu cosmopolite, est attirée par le nazisme? Quels sont les ressorts de ce basculement? De quelle histoire individuelle, psychique et collective est-elle le produit ? »
« En travaillant sur Magda Goebbels, j’ai été frappé par une similarité. Pour le documentaire que vous citez, j’avais notamment enquêté en Finlande. Ce pays est une démocratie stable, dont le système politique fonctionne très bien, qui ne connaît ni crise économique majeure ni flux migratoires à même de créer un sentiment d’insécurité identitaire. Autrement dit, le pays ne possède aucune des variables que l’on associe d’ordinaire à la montée de l’extrême droite. Pourtant, le vote populiste existe. Et, pour justifier leur adhésion, plusieurs électeurs rencontrés me disaient: «Le système marche trop bien, on s’ennuie…» Ça a fait «tilt» lorsque j’ai lu que la mère de Magda Goebbels disait de sa fille, comme explication à son basculement vers le nazisme: «Elle s’ennuyait, craignait de devenir une jeune dame inutile et frivole.» L’historien Johann Chapoutot parle aussi de son engagement comme « une manière de tromper la morosité» de la société de consommation. Tout ça est très actuel quand on y pense : cette insoutenable légèreté de l’être démocratique, en somme, qui conduit certains à chercher des aventures politiques radicales, exaltantes et violentes ».


« On peut dire qu’il s’agit d’un suicide mélancolique et d’un suicide politique. Politique, car elle fait une déclaration politique en laissant une lettre, des documents où elle écrit : «Je ne veux pas laisser mes enfants dans un monde qui n’est pas nazi. » En même temps, elle dit sauver ses enfants en les emmenant avec elle… Donc, c’est aussi un suicide mélancolique. Selon moi, Magda, à la fin de sa vie, est très atteinte psychologiquement. La situation empire; la détresse devient totale; il n’y a aucune issue. Cela sonne la faillite de son projet de vie. Au fond, elle est cohérente ; c’est un suicide cohérent. Mais on peut aller au-delà, s’intéresser à la mise en scène du suicide et encore plus à celle du meurtre des enfants. Elle les habille en blanc. C’est très important, elle veut signifier qu’ils sont purs, qu’ils s’en vont purs. Et là, cela ressemble quelque peu à des suicides sectaires avec le rituel de la prière avant la mort ». 
« Un élément en particulier a attiré mon attention. Magda est une immigrée. Elle est une orpheline de père, puisque le père ne l’a pas reconnue. Elle change trois fois de nom, ce qui révèle un problème de filiation. Ensuite, on la place en pension en Belgique, où, encore une fois, on lui donne un nouveau nom. Le changement de langue, de milieu, de perception du monde est extrêmement important. Les gens qui éprouvent cela considèrent que le monde est contingent: il s’est transformé une fois, il peut se transformer encore. C’est, je pense, un élément fondamental puisque cette expérience et cette appréhension du monde poussent à chercher quelque chose de solide à quoi se raccrocher. C’est peut-être ce que Magda a éprouvé à l’égard de l’idéologie nazie. Elle s’est dit : « Je ne savais pas ce que je cherchais, mais c’était ça, en fait. » 


58 min
Musique originale : Julien Deguines
Conseiller historique : Fabrice D’Almeida
Avec la voix de Christian Gonon, de la Comédie-Française. 
Production : Compagnie des Phares et Balises
Productrice : Anne Labro. Responsable de programmes : Julie Grivaux Directrice de l’Unité documentaire et magazines culturels : Catherine Alvaresse 1 h 05
Sur France 2 le 21 mars 2018 à 0 h 25
Sur LCP le 20 décembre 2021 à 19 h 33
Visuels : © DR

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Les citations sont extraites du dossier de presse. Cet article a été publié le 19 mars 2018.

2 commentaires:

  1. Désolé Madame, j'attendais bien plus de ce film sur Magda Goebbels. Parce qu'après avoir mené un an de recherches sur ce personnage narcissique, cela aurait intéressant pour moi d'apprendre quelque chose d'autre que la version de Joseph Goebbels. Mais cela va m'encourager à me battre davantage pour que ma version publiée au même moment se vende ! Bien sincèrement.

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    1. Bonjour.
      C'est dommage que vous n'indiquiez ni votre nom ni le titre de votre ouvrage.
      Nous aurions pu dialoguer sur les divergences entre le documentariste et vous.
      Cordialement,
      Véronique Chemla

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