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vendredi 3 mars 2017

A table ! La Normandie des gastronomes XVIIe-XXe siècles


Le Musée de Normandie  présente l’exposition A table ! La Normandie des gastronomes XVIIe-XXe siècles. L’évolution de la gastronomie et de l’ordonnancement des tables à l’époque moderne et contemporaine en France, avec un Focus sur l’influence de la Normandie.
« Beurre d'Isigny, huîtres de Courseulles, andouille de Vire, tripes à la mode de Caen, canard de Rouen... Le musée de Normandie propose une exposition qui met l'eau à la bouche ! » Il est dommage que l’exposition omette la présence juive en Normandie, ancienne comme en témoigne la Maison Sublime  à Rouen, et plus récente à Deauville.

« Terre agricole et maritime par excellence, la région normande, située près de Paris, a pleinement contribué à l’épanouissement de la gastronomie française. »

« A Paris comme en région, les productions normandes sont présentes sur la table du gourmet où des recettes éprouvées, un couvert raffiné, un service soigné contribuent activement à la réussite d’un bon repas ».

« À mesure que l’art du gourmet se précise et que le tourisme se développe au début du XXe siècle, la diversité des provinces est soulignée. Chaque région est invitée à participer à cet élément majeur de la culture nationale, le « repas gastronomique des Français », inscrit au patrimoine culturel immatériel en 2010 par l’Unesco ».

Cette exposition rappelle « ce que la Normandie a su offrir aux gourmands !… À consommer sans modération ! »

Elle s’articule autour de six thèmes : l’invention de la cuisine moderne, la salle à manger, théâtre de l’art culinaire, le gastronome et le cuisinier, homme de goût et artiste culinaire, la Normandie, un garde-manger de rêve, la gastronomie française a-t-elle modelé le paysage normand ? et « À la normande ! » 

L'invention de la cuisine moderne 
« En 1651, la parution du Cuisinier François du Sieur de la Varenne est un événement dans l’histoire de l’alimentation. C'est le premier livre de cuisine à afficher une rupture avec la cuisine médiévale et à donner les notes gustatives qui sont encore les nôtres aujourd'hui. Il annonce la grande cuisine française, qui va marquer de son empreinte les repas des élites européennes pendant des siècles ».

La « consommation d'épices diminue fortement, au profit d'herbes aromatiques cultivées localement (persil, ciboulette thym et laurier) et le mélange sucré-salé disparaît ; le sucre se consomme désormais uniquement à la fin du repas, au dessert. Cela n'est pas sans incidence sur les manières d'accommoder et cuire les aliments. La nouvelle cuisine française est une cuisine d'imprégnation – et non une cuisine de mélanges – destinée à retrouver et exhausser le goût des aliments. Dans le souci de respecter le goût de l’aliment, simplicité et naturel deviennent les maîtres mots. Attaché aux productions locales, le XVIIe siècle est aussi le grand siècle des légumes ; l'homme de goût se délecte de nourritures végétales et peu nourrissantes comme la laitue, les petits pois primeurs, le melon, les asperges et les artichauts, et laisse les nourritures roboratives aux classes populaires ».

La « saveur et la texture de l’assaisonnement évoluent également : moins acide (le verjus perd progressivement de son intérêt) et plus gras, grâce à l’introduction du beurre. Le beurre est la grande nouveauté de la cette nouvelle cuisine française ! Considéré comme une graisse barbare depuis l'Antiquité, il n'était pas utilisé dans la cuisine aristocratique médiévale. Au XVIIe siècle, on assiste à une véritable reconversion d’une denrée paysanne ; le beurre devient la base incontournable de la cuisine française, et ce jusqu'à aujourd'hui ».

La salle à manger, théâtre de l’art culinaire 
« Jusqu’au XVIIIe siècle, des tables à tréteaux étaient dressées le temps du repas dans des pièces polyfonctionnelles. Au XIXe siècle, la table est fixe ; le buffet remplace le dressoir médiéval ; un petit meuble appelé « servant muet » accueille les couverts de rechange... »

Le « service « à la française » (plats variés disposés sur la table au même moment, sans circuler entre les convives) est remplacé par le service « à la russe » qui consiste à servir chaque plat l’un après l’autre ».

Les « verres sont désormais disposés sur la table devant chaque convive, et non sous la garde des valets. Et comme pour le reste des arts de la table au XIXe siècle, leur essor est immodéré. Viennent parfaire la mise en scène : assiettes montées garnies de fruits et pâtisseries disposées sur la table dès le début du repas, vases de fleurs, flambeaux, porte-menus... »

Au « restaurant comme dans les demeures privées, les préparations variées sont servies par une vaisselle spécialisée. Au XIXe siècle, la table accueille de nouveaux ustensiles : les pelles à petits fours ou à glace ; la pince à sucre ; le tire-moelle ; le couteau à poisson, à beurre ; la fourchette à huîtres… La bourgeoisie projette dans les domaines de la table, sa démesure, son triomphe ». 

Le gastronome et le cuisinier, homme de goût et artiste culinaire 
La « pratique sophistiquée de la table est dans un premier temps réservée à une élite. Cependant la Révolution française ouvre de plus larges perspectives à ce qu’on appelle désormais la gastronomie. Les cuisiniers des maisons aristocratiques ouvrent des restaurants où l’on assouvit sa gourmandise et non plus seulement sa faim ».

La « dégustation de mets recherchés semble désormais accessible à tous ceux qui souhaitent s’initier à l’art de manger. Pour les guider, Alexandre-Balthazar Grimod de la Reynière invente la critique gastronomique. Les gourmets se réunissent à la manière de la Société épicurienne de Rouen ou du Gigot de Caen où poésies et chansons animent de joyeux repas. La culpabilité morale y est remplacée par le prestige social d’un savoir-vivre qui valorise le goût et la connaissance des bons mets ».

Les « premiers grands noms de la cuisine officient à la fois dans les maisons princières et comme chefs de restaurant. Ces cuisiniers français, sous les feux de la rampe, codifient leurs pratiques. Cuisinier de Talleyrand et des têtes couronnées européennes, Antonin Carême (1783-1833) publie six ouvrages à partir de 1815. Ses pièces montées et ses buffets monumentaux manifestent son désir de compter parmi les artistes de son temps, notamment des architectes. Le créateur de la toque a influencé tous les praticiens de son siècle ».

Son « disciple, Urbain Dubois (1818-1910) a été chef de cuisine du roi de Prusse et de grands restaurants. Il transmet son expérience notamment à travers La Cuisine classique en 1856. Elève de Carême et, comme lui pâtissier et chef cuisinier, Jules Gouffé (1807-1877) édite plusieurs ouvrages dont Le livre de cuisine en 1867 ».

Ces « chefs créent une cuisine ornementale reconnue par les élites étrangères. La suprématie de la cuisine française, qui jouissait d’une excellente réputation dès le XVIIe siècle, est confirmée au XIXe siècle ». 

La Normandie, un « garde-manger de rêve » 
La « géographie de la région est généreuse : plaines fertiles, prairies, littoral et rivières poissonneux, etc. Proche de Paris, la Normandie participe plus que d’autres à l’approvisionnement de la capitale où s’élabore une haute cuisine nationale ».

« L’élevage du porc a permis la naissance de spécialités charcutières : le jambon fumé du Cotentin, l’andouillette de Rouen ou de Saint-Saëns, le sang cuit d’Alençon, la courraye de Valognes et autres boudins, les terrines de lapin et bien sûr l’andouille de Vire qui a tôt été invitée à paraître parmi les hors d’oeuvre des meilleures tables ».

Dans « Le Ménagier de Paris édité au XIVe siècle, l’andouille est citée parmi les produits que les bonnes épouses doivent savoir préparer. La particularité de l’andouille de Vire est d’être uniquement composée de boyaux de porc : panse, menu et chaudin (petit et gros intestin). Appréciée des ruraux comme des citadins, elle jouit tôt d’une belle réputation. À la fin du XVIIIe siècle, à Paris, son prix est supérieur à l’andouille de Troyes. Sa notoriété s’accentue au début du XXe siècle et participe toujours aujourd’hui de l’identité culturelle de Vire ».

« Pour les poissons et fruits de mer, Paris dépend des ports de la Manche. Les barbues, turbots, bars, soles et huîtres ont orné les meilleures tables pendant des siècles. Ils ont éclipsé les poissons d’eau douce pourtant également prisés : truites, brochets, anguilles… »

Au début du XXe siècle, les « guides invitent les voyageurs à découvrir sur place les matelotes normande, dieppoise et fécampoise, les maquereaux au vin blanc, les harengs de Dieppe, l’alose (poisson de rivière) farcie, rôtie ou à la crème, les truites grillées à la crème de Pont-Audemer ou façon fritures de la Vire.... »

Les « richesses du littoral fournissent aussi bouquets, homards, langoustines, moules, coques, crabes, tourteaux…. Et la coquille Saint-Jacques ? Absente des grands livres de cuisine jusqu'au XIXe siècle, elle n'est devenue un mets de choix qu'à partir du XXe siècle et de la conquête des cuisines régionales ». 

La « gastronomie française a-t-elle modelé le paysage normand ? »
« Derrière l'image stéréotypée de vaches normandes paissant sous les pommiers, se cache un phénomène étonnant. Sous la pression de la demande en produits laitiers et en viande, les Normands ont converti les labours en herbages, valorisant une même surface de plusieurs manières, à la fois pour le beurre, la viande et le cidre ! »

En 1930, Curnonsky « rappelle un phénomène qui débute au XVIIe siècle : « La cuisine méridionale emploie l’huile d’olive, la cuisine languedocienne, la graisse animale. Dans les autres régions de France, le beurre est roi. En dehors des cuisines régionales proprement dites, il est la base de notre cuisine bourgeoise qui n’a point d’égale au monde. Pour les gastronomes, pour tous ceux qui gardent le culte de la bonne chère, la préexcellence du beurre, du bon, du vrai beurre de France, n’en continue pas moins de s’imposer comme un dogme ! »

À partir du XVe siècle, le « commerce des beurres normands gagne en importance, à tel point qu’au XVIIIe siècle, il alimente Paris à la hauteur de 55% pour le beurre frais et de près de 90% pour le beurre salé. Les beurres dits de Gournay (Pays de Bray) et d’Isigny (Bessin) atteignent les plus hauts prix ».

La Normandie « est un pays d’élevage et d’embouche. Dans les herbages du Pays d’Auge surtout, les bœufs engraissent avant d’être dirigés vers les abattoirs de Paris où, en 1804, Grimod acclame l’arrivée des « énormes bœufs du Cotentin et d’Auvergne chargés d’une graisse succulente. Heureux Parisiens ! S’il faut en croire les voyageurs les plus gourmands, vous mangez le bœuf le plus délectable de l’univers ».

Le » succès des tripes à la mode de Caen tient à ces échanges commerciaux et à l'installation dans le quartier des Halles d'une triperie normande par Alexandre Pharamond. Fort de son succès, Pharamond installe en 1832 un restaurant rue de la Grande Truanderie à Paris. Ce plat populaire n'a jamais fait partie des plats gastronomiques. Mais au début du XXe siècle, l'avènement du régionalisme en cuisine hisse certaines recettes au rang de monuments culinaires ».

« Parmi elles comptent plusieurs fromages normands. À partir des années 1870, l’expansion du transport ferroviaire soutient l’engouement pour les fromages dits « frais ». Aux côtés des traditionnels livarot, pont-l'évêque et neufchâtel, la région propose aussi le petit-suisse créé par Charles Gervais dans une ferme du Pays de Bray. Mais c’est le camembert qui se hisse au début du XXe siècle à la première place. Le brie, sacré « roi des fromages », est détrôné par le camembert, à la fois produit régional et gloire nationale ». 

« À la normande » ! 
La « scène gastronomique est d’abord celle des restaurants où s’élabore une cuisine combinant plusieurs registres : cuisine savante et luxueuse, cuisine bourgeoise traditionnelle et économique, cuisine régionale utilisant les produits locaux… Le célèbre critique Curnonsky dit avec humour en 1921 que c'est à Paris que l'on déguste la meilleure cuisine normande : « Depuis les huîtres de Courseulles jusqu'aux sablés de Bayeux, rien ne reste sur place. Et même les honnêtes demoiselles de Cherbourg ont des velléités de s'expatrier et d'aller se montrer dans les grands restaurants parisiens. Si vous voulez goûter la vraie cuisine normande, il vous faut aller manger des tripes chez Jouanne ou chez Pharamond, des soles à la Tour d'Argent ».

La « valorisation des cuisines régionales commence en effet au début du XXe siècle sous l’effet de l’essor du tourisme et de la prise de conscience des notables de l’originalité de la cuisine locale. À partir de 1914, le Guide Michelin intègre des recommandations gourmandes : poulet vallée d'Auge, canard au sang, sole fécampoise. Certaines recettes ont été "codifiées" par les restaurants dès la fin du XIXe siècle ».

Les « cuisiniers se sentent libres de puiser leur inspiration en province, à l’étranger, de pasticher des recettes, d’en inventer de nouvelles. Carême est peut-être le premier à transcrire des recettes estampillées « normandes ». Turbot, barbue, cabillaud, maquereau …. sont proposés « à la normande », dont la réalisation tourne autour d’une préparation à base de moules, d’huîtres et de crevettes ».

« Aussi surprenant que cela puisse paraître aujourd'hui, les premiers chefs n'utilisent pas de crème dans leurs recettes à la normande. La sauce est réalisée à base de sauce dite allemande (bouillon de volaille réduit et lié avec des jaunes d’œufs). La crème reste d'ailleurs peu utilisée dans les préparations culinaires au XIXe siècle ».

« C’est au siècle suivant, en pleine apogée du régionalisme en cuisine, que les recettes dites « à la normande » se transforment. En 1928, Austin de Croze mouille son roux avec du cidre (jamais utilisé jusque-là en cuisine) et ajoute de la crème ». 


Du 11 novembre 2016 au 5 mars 2017
Château - 14000 Caen
Tel : 02 31 30 47 60 
Du mercredi au dimanche 
En semaine de 9 h 30 à 12 h 30, et de 14 h à 18 h. Le week-end de 11 h à 18 h 
Gratuit pour tous, le premier dimanche de chaque mois 

Visuels
Affiche
Denis Pierre Bergeret (Villeparisis, 1846 – Paris, 1910),
Le cuisinier embarrassé, huile sur toile,
80x57 cm, musée des Beaux-arts de Bernay

Couvert individuel composé d’une fourchette à deux dents et d’un couteau, manche en ivoire, lame en acier et virole en argent, XVIIe siècle, 23 cm, Musée de Vire Normandie

Pellerin et Cie (Epinal), Grand théâtre nouveau : salle à manger, gravure sur bois colorée au pochoir, fin XIXe siècle, 40 x 55 cm, Marseille, musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée

Maison italienne en nougat sur rocher, planche chromolithographique d’après la peinture à l’huile d’E. Ronjat in Jules Gouffé, Le Livre de pâtisserie, éditions Hachette, 1873, Bibliothèques-Mediathèques de Metz

Guillaume Fouace (Réville, 1837 - Paris, 1895), Nature morte au homard et à la soupière, huile sur toile, 59 x 81,3 cm, musée Thomas Henry, Cherbourg-en-Cotentin

Spécialité de Beurres Supérieurs d’Isigny, vers 1870, affiche, 56 x 38 cm, J. Lepelletier à Carentan près d’Isigny, musée de Normandie, Caen

Biscuiterie-Caennaise, Desserts-Normands, R. Aubert, affiche, 22,8 x 22,4 cm, archives départementales du Calvados

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Les citations sont extraites du dossier de presse.

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