Dans Chasser les juifs pour régner, Juliette Sibon analyse les expulsions des Juifs de France, un royaume aux limites géographiques variables, à la lumière de la volonté de rois Capétiens et Valois d’affermir sur tout le territoire un pouvoir centralisé, et contesté. Le "bénéfice est surtout et d'abord politique" : légiférer sur les Juifs afin de montrer sa puissance royale sur "ses Juifs". L’antijudaïsme chrétien ne semble donc pas avoir été la motivation principale des expulsions, « instruments de gouvernement ». Les 17 et 18 janvier 2019, le mahJ organise le colloque ouvert au public "Le Judaïsme : une tache aveugle dans le récit national ?"
Alors que, depuis l’Intifada II, la France spolie ses Juifs – Dr Lionel Krief, Eva Tanger, etc. -, et les expulse symboliquement de la Nation – « Juifs de France », « communauté juive de France » -, l’étude des expulsions des Juifs de France au Moyen-âge, notamment dans le cadre de l’édification de l’Etat moderne, revêt un intérêt particulier.
Deux livres d’historiens ont récemment abordé cette thématique.
En 2004, la collection Nouvelle Gallia Judaïca avait publié L’Expulsion des Juifs de France 1394, ouvrage dirigé par Gilbert Dahan (Ed. du Cerf). « En 1394, le roi de France Charles VI décide d’expulser de son royaume les juifs qui y demeurent encore. La grande expulsion avait été celle de Philippe le Bel, en 1306. Au rythme des réadmissions et des exils, les communautés juives de France ne connaissent plus au XIVe siècle la vie religieuse et intellectuelle intense qui avait été la leur jusqu’au XIIIe siècle – du moins dans le nord, puisque dans le midi, malgré toutes les difficultés, la vie continue. Mais le XIVe siècle est le siècle de tous les dangers pour les juifs : accusations d’empoisonnement de puits, de collusion avec les lépreux, de propagation de la peste lors de la grande épidémie de 1348. Les différentes contributions de ce volume donnent une description des communautés pendant ce siècle noir et s’efforcent de comprendre les raisons de cette expulsion (motifs économiques, idéologiques, politiques ?), puis retracent les chemins de ce douloureux exil. Il constitue le seul travail d’ensemble consacré à cet événement, capital pour les communautés juives de France mais également révélateur des tensions dans le royaume de France ».
Lors des XIXe Rendez-vous de l’Histoire à Blois (6-9 octobre 2016) ayant pour thème Partir – une allusion aux migrants ? -, une table-ronde a évoqué le 6 octobre 2016 la thématique Expulser les minorités pour régner : juifs, protestants, musulmans et construction de l’État moderne (France, Espagne, XIVe-XVIIIe siècles). « L’approche comparée des expulsions des minorités juive, protestante et musulmane de France et d’Espagne (XIVe-XVIIe siècles) ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’histoire des minorités dans un contexte de construction de l’« État moderne » ». Une rencontre modérée par Mathias Dreyfuss, responsable du service éducatif du MAHJ et historien, et réunissant Juliette Sibon, Patrick Cabanel, directeur d’études à l’EPHE et auteur du Dictionnaire biographique des protestants français (éditions de Paris), Isabelle Poutrin, Maître de conférences HDR en histoire moderne à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne. Quand même, la minorité juive en Espagne n’est pas comparable à celle musulmane liée à l’occupant de la péninsule ibérique durant des siècles…
« Vecteur de puissance publique »
Maître de conférences d’histoire médiévale à l’université d’Albi, Juliette Sibon « a réalisé et soutenu sa thèse de doctorat consacrée aux juifs de Marseille au XIVe siècle à l’université de Paris X-Nanterre, sous la direction d’Henri Bresc ». Elle dirige la Nouvelle Gallia judaica. Son dernier livre, Chasser les juifs pour régner, a été publié en septembre 2016 par les éditions Perrin. La minuscule à "juifs" indique que l'historienne désigne les fidèles de la religion juive.
« De Philippe Auguste (en 1182) à Louis XII (en 1501), les rois de France ont chassé puis rappelé les juifs à plusieurs reprises, semblant hésiter sur le sort qu'il fallait leur réserver dans le royaume. Les intellectuels chrétiens développaient une argumentation de plus en plus violente face au judaïsme, religion jugée fausse et inférieure, mais concevaient le maintien des juifs en chrétienté, et le pape se portait garant de leur sécurité ».
« Ces faits, pourtant au cœur de la genèse de l'État moderne au Moyen Âge, demeurent largement méconnus et sont souvent laissés de côté par les médiévistes. Retrouver le fil des événements, cerner la volonté politique des décideurs au-delà de leur détestation personnelle des juifs et de l'antijudaïsme dominant dans la société chrétienne, saisir le point de vue des intellectuels et le sentiment des sujets chrétiens, tenter de comprendre comment les victimes réagissaient et, finalement, inscrire l'histoire particulière des juifs dans l'histoire générale du royaume de France au temps des derniers Capétiens et des premiers Valois, telles sont les ambitions de ce livre ».
Quelles motivations ont présidé aux ordonnances royales d’expulsion des Juifs ? Antijudaïsme par volonté de « purifier » la chrétienté latine ou recherche de boucs-émissaires lors de crises graves ? Raison financière – renflouer le Trésor royal en évitant des impôts - ? Un motif inspirant aussi à leur rappel.
Juliette Sibon montre que la présence des Juifs en Europe médiévale chrétienne avait été théorisée, expliquée et justifiée par l'Eglise, que la « question des Juifs », notamment leur expulsion, permettait au roi d’imposer son pouvoir contesté sur tout le territoire, d’affirmer une centralisation monarchique et sa bureaucratie face à des « grands seigneurs du royaume, qu’ils fussent laïcs ou ecclésiastiques », et d’autoriser des immixtions dans des « segments de vie politique », parfois génératrices de droits. Une instrumentalisation politique, dont l’antijudaïsme ne semble pas avoir été l’élément dominant ou décisif.
Le coût financier des spoliations pour le roi - mobilisation lourde pour la mise en vigueur des ordonnances royales - expliquerait ses réticences à y recourir. Selon l'historienne médiéviste, le coût de certaines expulsions serait souvent l'équivalent du montant de l'impôt payé par les juifs sans recours à des fonctionnaires royaux.
L'auteur analyse les expulsions et rappels de juifs en les insérant dans les contextes politiques et économiques français et européens, en évoquant les Croisades, donc le lien avec la Terre Sainte, et religieux : aspirations messianiques des juifs et chrétiens dans un Moyen-âge à forte piété.
En 1182, Philippe Auguste expulse les juifs - au plus, vraisemblablement quelques centaines - de son domaine. En 1198, il les rappelle et crée le "produit des juifs" dans la fiscalité. Pourquoi ce rappel ? Pour des raisons économiques car les juifs paient l'impôt au roi ? Le profit est surtout politique. Le roi est obsédé par étendre puissance publique au-delà de son domaine royal. Il veut imposer aux autres que les juifs n'appartiennent qu'à lui. Légiférer sur les juifs n'est pas tant une nécessité religieuse - le judaïsme est considéré comme une superstition, et non une religion -, même si le discours religieux se construit progressivement, qu'une réponse dictée par des raisons pragmatiques par des rois avides de puissance, de pouvoir, d’argent. Le christianisme a théorisé la présence des juifs en chrétienté. Pour Saint-Augustin, c'est le peuple contemporain du Christ, et leur présence renforce la vérité du christianisme : les chrétiens sont le nouveau peuple élu, et la présence des juifs est justifiée ainsi.
Au XIIIe siècle, les juifs sont au nombre de quelques milliers sur 20 millions d'habitants. Au nord du royaume, ils sont proches du monde ashkénaze, et au sud tournés vers le monde ibérique. Au-delà de différences, ils sont liés par des points communs : ils sont plus ou moins éclairés, se réfèrent au judaïsme, respectent la cacheroute, étudient la Torah et le Talmud arrivé en Occident au VIIIe siècle. Les juifs réfléchissent à l'évolution de leur pensée.
Au XIIIe siècle, le Talmud révèle des tensions entre juifs et chrétiens, notamment sous le pape Grégoire IX. Au XIIe siècle, les chrétiens découvrent le Talmud qui, pour eux est une "fabula", un mensonge. Le judaïsme est une religion considérée comme inférieure au christianisme, mais crainte pour des raisons positives car les juifs sont de fins polémistes, les rabbins excellent dans des débats car leurs argumentations se révèlent solides face à des chrétiens moins armés spirituellement. Pour l'église, le Talmud révèle l'abandon des juifs par Dieu, et les juifs doivent être punis comme hérétiques à leur propre foi.
Le pouvoir sacré s'appuie sur la reconnaissance divine ou de l'Eglise. Les deux pouvoirs sont imbriqués.
Mère de Saint-Louis, la reine Blanche de Castille a pris la défense des juifs selon une source hébraïque : lors du procès du Talmud, un rabbin montre que quand Nicolas Donin, contradicteur juif converti au christianisme, insulte les juifs, la reine Blanche de Castille se pose en arbitre, intime de ne pas rire, de respecter la parole du rabbin.
Un massacre de juifs est commis sous le roi Saint-Louis. Louis IX est alors captif en Egypte. Sous la régence de sa mère Blanche de Castille, surviennent une agitation sociale, la première croisade des Pastoureaux en 1251... Ces pauvres gens quittent la Picardie pour rejoindre la Terre sainte. Sur leur trajet, ils attaquent des clercs et les juifs à Bourges, ouvrent l'armoire sacrée de la synagogue, piétinent les livres, et Blanche de Castille demande l'arrestation des Pastoureaux qui seront condamnés.
Les juifs expulsés sont privés de leurs biens mobiliers et immobiliers, ainsi que de leurs créances. Les "captures des biens des juifs" sont revendus au profit de la Couronne.
Des ordonnances de rappel des juifs leur confèrent des avantages.
La réflexion de Juliette Sibon s'achève dans ce livre en 1501, date du dernier édit d'expulsion des Juifs du comté de Provence rattaché à la France. L'idée adressée aux historiens modernistes ? Cette période étudiée s'avère le moment où se perfectionne un levier de gouvernement via l'expulsion des juifs.
Cahorsins et Lombards constituent des catégories administratives. Ils sont autorités à prêter de l'argent avec intérêt, l'usure. Louis IX les a expulsés, mais n'a pas expulsé les juifs. Il s'agit d'évincer des prêteurs pour mieux contrôler la circulation des capitaux dans le royaume. Les rois et penseurs chrétiens dès le XIIe siècle pensent le prêt à intérêt. L'Eglise tente de contrôler l'usure, de lui donner une éthique, une morale, en fixant des taux jugés raisonnables.
Juliette Sibon a écrit non un martyrologe, mais un livre en nuances, reconnaissant les violences subies par les Juifs, mais esquissant le portrait de « victimes juives non passives », de juifs « rejetés, mais disputés et convoités ». On peut regretter que les aspects humains et financiers y soient minorés.
« Les commissaires préposés « à la besogne des juifs » procèdent plusieurs années durant à l’inventaire et à la vente à l’encan des terres, des vignes, ouvroirs et demeures des juifs au profit du roi. Ainsi adjuge-t-on pour 200 livres leur cimetière à Mantes-la-Jolie (stèles au musée de l’hôtel-Dieu) et pour 140 livres leur escole petite d’Orléans. Le roi gratifie son charretier d’une synagogue de la rue de l’Attacherie et les religieuses de Saint-Louis de Poissy du cimetière des juifs à Paris. Il recouvre à son profit les créances juives rappelant au besoin pour un temps certains créanciers en leur promettant un cinquième des sommes récupérées avec leur aide. Au gain en numéraire – 40 775 livres pour la seule sénéchaussée de Toulouse au 3 décembre 1307 – s’ajoute une embellie monétaire, la réévaluation de la monnaie décrétée grâce aux fonds entrés au Trésor du Louvre du fait des spoliations. Les historiens Robert Chazan et William Chester Jordan estiment le total de la recette entre 200 000 et 1 000 000 de livres », a écrit Gérard Nahon, directeur d’études émérite, École pratique des hautes études, section des sciences religieuses, sur l'expulsion de 1306.
Tous les mystères ne sont pas levés par ce livre. La vision politique, si elle se conjugue avec une histoire des courants spirituels animant les mondes juif et chrétien, omet de décrire ces Juifs. Combien de Juifs lors de l'expulsion ordonnée par le roi Philippe le Bel le 22 juillet 1306 ? Pourquoi les Juifs ont-ils tant tenu à revenir dans les lieux dont ils avaient été expulsés ? Par amour de la « douce France » ? Pour retisser des liens commerciaux et élargir les champs géographiques d'activités économiques ? Juliette Sibon invite donc d’autres historiens à défricher ces champs d’études en étudiant les archives. Mais celles-ci sont lacunaires, et parfois contradictoires.
Il aurait été intéressant de comparer les dates, motifs et bénéfices des expulsions des Juifs avec ceux des « Lombards » et « Cahorsins », prêteurs chrétiens « professionnels » pour souligner la spécificité des expulsions des Juifs.
De précieux index, une bibliographie ainsi que des ordonnances d’expulsion et de rappel des Juifs du royaume de France closent ce livre passionnant illustré de cartes précieuses. Manque un lexique pour définir des termes, tel « captio » . Le mot « Palestine » (p. 125) s'avère erroné.
Le 27 novembre 2016, Juliette Sibon a été interviewée par Vladimir Spiro et Gérard Akoun lors de l'émission radiophonique Trente minutes pour convaincre sur Judaïques FM. Une interview rediffusée le 30 juillet 2017.
Deux livres d’historiens ont récemment abordé cette thématique.
En 2004, la collection Nouvelle Gallia Judaïca avait publié L’Expulsion des Juifs de France 1394, ouvrage dirigé par Gilbert Dahan (Ed. du Cerf). « En 1394, le roi de France Charles VI décide d’expulser de son royaume les juifs qui y demeurent encore. La grande expulsion avait été celle de Philippe le Bel, en 1306. Au rythme des réadmissions et des exils, les communautés juives de France ne connaissent plus au XIVe siècle la vie religieuse et intellectuelle intense qui avait été la leur jusqu’au XIIIe siècle – du moins dans le nord, puisque dans le midi, malgré toutes les difficultés, la vie continue. Mais le XIVe siècle est le siècle de tous les dangers pour les juifs : accusations d’empoisonnement de puits, de collusion avec les lépreux, de propagation de la peste lors de la grande épidémie de 1348. Les différentes contributions de ce volume donnent une description des communautés pendant ce siècle noir et s’efforcent de comprendre les raisons de cette expulsion (motifs économiques, idéologiques, politiques ?), puis retracent les chemins de ce douloureux exil. Il constitue le seul travail d’ensemble consacré à cet événement, capital pour les communautés juives de France mais également révélateur des tensions dans le royaume de France ».
Lors des XIXe Rendez-vous de l’Histoire à Blois (6-9 octobre 2016) ayant pour thème Partir – une allusion aux migrants ? -, une table-ronde a évoqué le 6 octobre 2016 la thématique Expulser les minorités pour régner : juifs, protestants, musulmans et construction de l’État moderne (France, Espagne, XIVe-XVIIIe siècles). « L’approche comparée des expulsions des minorités juive, protestante et musulmane de France et d’Espagne (XIVe-XVIIe siècles) ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur l’histoire des minorités dans un contexte de construction de l’« État moderne » ». Une rencontre modérée par Mathias Dreyfuss, responsable du service éducatif du MAHJ et historien, et réunissant Juliette Sibon, Patrick Cabanel, directeur d’études à l’EPHE et auteur du Dictionnaire biographique des protestants français (éditions de Paris), Isabelle Poutrin, Maître de conférences HDR en histoire moderne à l’université Paris-Est Créteil Val-de-Marne. Quand même, la minorité juive en Espagne n’est pas comparable à celle musulmane liée à l’occupant de la péninsule ibérique durant des siècles…
Maître de conférences d’histoire médiévale à l’université d’Albi, Juliette Sibon « a réalisé et soutenu sa thèse de doctorat consacrée aux juifs de Marseille au XIVe siècle à l’université de Paris X-Nanterre, sous la direction d’Henri Bresc ». Elle dirige la Nouvelle Gallia judaica. Son dernier livre, Chasser les juifs pour régner, a été publié en septembre 2016 par les éditions Perrin. La minuscule à "juifs" indique que l'historienne désigne les fidèles de la religion juive.
« De Philippe Auguste (en 1182) à Louis XII (en 1501), les rois de France ont chassé puis rappelé les juifs à plusieurs reprises, semblant hésiter sur le sort qu'il fallait leur réserver dans le royaume. Les intellectuels chrétiens développaient une argumentation de plus en plus violente face au judaïsme, religion jugée fausse et inférieure, mais concevaient le maintien des juifs en chrétienté, et le pape se portait garant de leur sécurité ».
« Ces faits, pourtant au cœur de la genèse de l'État moderne au Moyen Âge, demeurent largement méconnus et sont souvent laissés de côté par les médiévistes. Retrouver le fil des événements, cerner la volonté politique des décideurs au-delà de leur détestation personnelle des juifs et de l'antijudaïsme dominant dans la société chrétienne, saisir le point de vue des intellectuels et le sentiment des sujets chrétiens, tenter de comprendre comment les victimes réagissaient et, finalement, inscrire l'histoire particulière des juifs dans l'histoire générale du royaume de France au temps des derniers Capétiens et des premiers Valois, telles sont les ambitions de ce livre ».
Quelles motivations ont présidé aux ordonnances royales d’expulsion des Juifs ? Antijudaïsme par volonté de « purifier » la chrétienté latine ou recherche de boucs-émissaires lors de crises graves ? Raison financière – renflouer le Trésor royal en évitant des impôts - ? Un motif inspirant aussi à leur rappel.
Juliette Sibon montre que la présence des Juifs en Europe médiévale chrétienne avait été théorisée, expliquée et justifiée par l'Eglise, que la « question des Juifs », notamment leur expulsion, permettait au roi d’imposer son pouvoir contesté sur tout le territoire, d’affirmer une centralisation monarchique et sa bureaucratie face à des « grands seigneurs du royaume, qu’ils fussent laïcs ou ecclésiastiques », et d’autoriser des immixtions dans des « segments de vie politique », parfois génératrices de droits. Une instrumentalisation politique, dont l’antijudaïsme ne semble pas avoir été l’élément dominant ou décisif.
Le coût financier des spoliations pour le roi - mobilisation lourde pour la mise en vigueur des ordonnances royales - expliquerait ses réticences à y recourir. Selon l'historienne médiéviste, le coût de certaines expulsions serait souvent l'équivalent du montant de l'impôt payé par les juifs sans recours à des fonctionnaires royaux.
L'auteur analyse les expulsions et rappels de juifs en les insérant dans les contextes politiques et économiques français et européens, en évoquant les Croisades, donc le lien avec la Terre Sainte, et religieux : aspirations messianiques des juifs et chrétiens dans un Moyen-âge à forte piété.
En 1182, Philippe Auguste expulse les juifs - au plus, vraisemblablement quelques centaines - de son domaine. En 1198, il les rappelle et crée le "produit des juifs" dans la fiscalité. Pourquoi ce rappel ? Pour des raisons économiques car les juifs paient l'impôt au roi ? Le profit est surtout politique. Le roi est obsédé par étendre puissance publique au-delà de son domaine royal. Il veut imposer aux autres que les juifs n'appartiennent qu'à lui. Légiférer sur les juifs n'est pas tant une nécessité religieuse - le judaïsme est considéré comme une superstition, et non une religion -, même si le discours religieux se construit progressivement, qu'une réponse dictée par des raisons pragmatiques par des rois avides de puissance, de pouvoir, d’argent. Le christianisme a théorisé la présence des juifs en chrétienté. Pour Saint-Augustin, c'est le peuple contemporain du Christ, et leur présence renforce la vérité du christianisme : les chrétiens sont le nouveau peuple élu, et la présence des juifs est justifiée ainsi.
Au XIIIe siècle, les juifs sont au nombre de quelques milliers sur 20 millions d'habitants. Au nord du royaume, ils sont proches du monde ashkénaze, et au sud tournés vers le monde ibérique. Au-delà de différences, ils sont liés par des points communs : ils sont plus ou moins éclairés, se réfèrent au judaïsme, respectent la cacheroute, étudient la Torah et le Talmud arrivé en Occident au VIIIe siècle. Les juifs réfléchissent à l'évolution de leur pensée.
Au XIIIe siècle, le Talmud révèle des tensions entre juifs et chrétiens, notamment sous le pape Grégoire IX. Au XIIe siècle, les chrétiens découvrent le Talmud qui, pour eux est une "fabula", un mensonge. Le judaïsme est une religion considérée comme inférieure au christianisme, mais crainte pour des raisons positives car les juifs sont de fins polémistes, les rabbins excellent dans des débats car leurs argumentations se révèlent solides face à des chrétiens moins armés spirituellement. Pour l'église, le Talmud révèle l'abandon des juifs par Dieu, et les juifs doivent être punis comme hérétiques à leur propre foi.
Le pouvoir sacré s'appuie sur la reconnaissance divine ou de l'Eglise. Les deux pouvoirs sont imbriqués.
Mère de Saint-Louis, la reine Blanche de Castille a pris la défense des juifs selon une source hébraïque : lors du procès du Talmud, un rabbin montre que quand Nicolas Donin, contradicteur juif converti au christianisme, insulte les juifs, la reine Blanche de Castille se pose en arbitre, intime de ne pas rire, de respecter la parole du rabbin.
Un massacre de juifs est commis sous le roi Saint-Louis. Louis IX est alors captif en Egypte. Sous la régence de sa mère Blanche de Castille, surviennent une agitation sociale, la première croisade des Pastoureaux en 1251... Ces pauvres gens quittent la Picardie pour rejoindre la Terre sainte. Sur leur trajet, ils attaquent des clercs et les juifs à Bourges, ouvrent l'armoire sacrée de la synagogue, piétinent les livres, et Blanche de Castille demande l'arrestation des Pastoureaux qui seront condamnés.
Les juifs expulsés sont privés de leurs biens mobiliers et immobiliers, ainsi que de leurs créances. Les "captures des biens des juifs" sont revendus au profit de la Couronne.
Des ordonnances de rappel des juifs leur confèrent des avantages.
La réflexion de Juliette Sibon s'achève dans ce livre en 1501, date du dernier édit d'expulsion des Juifs du comté de Provence rattaché à la France. L'idée adressée aux historiens modernistes ? Cette période étudiée s'avère le moment où se perfectionne un levier de gouvernement via l'expulsion des juifs.
Cahorsins et Lombards constituent des catégories administratives. Ils sont autorités à prêter de l'argent avec intérêt, l'usure. Louis IX les a expulsés, mais n'a pas expulsé les juifs. Il s'agit d'évincer des prêteurs pour mieux contrôler la circulation des capitaux dans le royaume. Les rois et penseurs chrétiens dès le XIIe siècle pensent le prêt à intérêt. L'Eglise tente de contrôler l'usure, de lui donner une éthique, une morale, en fixant des taux jugés raisonnables.
Juliette Sibon a écrit non un martyrologe, mais un livre en nuances, reconnaissant les violences subies par les Juifs, mais esquissant le portrait de « victimes juives non passives », de juifs « rejetés, mais disputés et convoités ». On peut regretter que les aspects humains et financiers y soient minorés.
« Les commissaires préposés « à la besogne des juifs » procèdent plusieurs années durant à l’inventaire et à la vente à l’encan des terres, des vignes, ouvroirs et demeures des juifs au profit du roi. Ainsi adjuge-t-on pour 200 livres leur cimetière à Mantes-la-Jolie (stèles au musée de l’hôtel-Dieu) et pour 140 livres leur escole petite d’Orléans. Le roi gratifie son charretier d’une synagogue de la rue de l’Attacherie et les religieuses de Saint-Louis de Poissy du cimetière des juifs à Paris. Il recouvre à son profit les créances juives rappelant au besoin pour un temps certains créanciers en leur promettant un cinquième des sommes récupérées avec leur aide. Au gain en numéraire – 40 775 livres pour la seule sénéchaussée de Toulouse au 3 décembre 1307 – s’ajoute une embellie monétaire, la réévaluation de la monnaie décrétée grâce aux fonds entrés au Trésor du Louvre du fait des spoliations. Les historiens Robert Chazan et William Chester Jordan estiment le total de la recette entre 200 000 et 1 000 000 de livres », a écrit Gérard Nahon, directeur d’études émérite, École pratique des hautes études, section des sciences religieuses, sur l'expulsion de 1306.
Tous les mystères ne sont pas levés par ce livre. La vision politique, si elle se conjugue avec une histoire des courants spirituels animant les mondes juif et chrétien, omet de décrire ces Juifs. Combien de Juifs lors de l'expulsion ordonnée par le roi Philippe le Bel le 22 juillet 1306 ? Pourquoi les Juifs ont-ils tant tenu à revenir dans les lieux dont ils avaient été expulsés ? Par amour de la « douce France » ? Pour retisser des liens commerciaux et élargir les champs géographiques d'activités économiques ? Juliette Sibon invite donc d’autres historiens à défricher ces champs d’études en étudiant les archives. Mais celles-ci sont lacunaires, et parfois contradictoires.
Il aurait été intéressant de comparer les dates, motifs et bénéfices des expulsions des Juifs avec ceux des « Lombards » et « Cahorsins », prêteurs chrétiens « professionnels » pour souligner la spécificité des expulsions des Juifs.
De précieux index, une bibliographie ainsi que des ordonnances d’expulsion et de rappel des Juifs du royaume de France closent ce livre passionnant illustré de cartes précieuses. Manque un lexique pour définir des termes, tel « captio » . Le mot « Palestine » (p. 125) s'avère erroné.
Le 27 novembre 2016, Juliette Sibon a été interviewée par Vladimir Spiro et Gérard Akoun lors de l'émission radiophonique Trente minutes pour convaincre sur Judaïques FM. Une interview rediffusée le 30 juillet 2017.
Dans le cadre du Cycle de conférences 2016/2017 sur l’Histoire des Juifs en Europe de l'Empire Romain au XXe siècle, le 21 novembre 2016, à 18 h 45, à l’EHESS, elle évoqua Les juifs dans le royaume de France au Moyen-âge (X-XVes siècles). Une conférence organisée par l’Association des Historiens pour la promotion et la diffusion de la connaissance historique.
Le MAHJ (musée d’art et d’histoire du Judaïsme) proposa le 8 janvier 2017, de 15 h 30 à 17 h, la rencontre L’expulsion des juifs de France à l’époque médiévale. « À l’occasion de la publication de Chasser les juifs pour régner. Les expulsions par les rois de France au Moyen Âge (Perrin, 2016), de Juliette Sibon, université d’Albi, en présence de l’auteure, avec la participation de Pierre Savy, université Paris-Est, et Didier Le Fur, docteur en histoire, auteur de la biographie Louis XII, un autre César (Perrin, 2010) », et Pierre Savy, université Paris Est. "Au Moyen Âge, de Philippe Auguste (1182) à Louis XII (1501), les rois de France ont chassé puis rappelé les juifs à plusieurs reprises, semblant hésiter sur le sort à leur réserver. Ces événements, encore méconnus et souvent laissés de côté par les médiévistes, sont pourtant au cœur de la genèse de l’État moderne. L’auteure s’attache à retrouver leur fil, à cerner la volonté politique des décideurs au-delà de l’antijudaïsme dominant en chrétienté, à saisir le point de vue des intellectuels, le sentiment des sujets chrétiens et les réactions des victimes juives, et, finalement, à inscrire l’histoire des juifs dans l’histoire générale du royaume de France."
Les 17 et 18 janvier 2019, le mahJ organisa le colloque ouvert au public "Le Judaïsme : une tache aveugle dans le récit national ?" En partenariat avec la Nouvelle Gallia judaica, avec le soutien de la DILCRAH, le colloque est placé sous la direction de Paul Salmona, directeur du mahJ et Claire Soussen, université du Littoral et Nouvelle Gallia judaica.
"À travers la musique, la littérature ou le cinéma, le programme de l'Auditorium offre un prolongement des domaines abordés dans le musée et les expositions. Depuis le début du XIXe siècle, malgré une abondante production historiographique, le judaïsme comme fait de civilisation reste à certains égards, en France, une « tache aveugle » dans le récit national comme dans la mise en valeur de son patrimoine monumental ou muséographique. En effet, si de nombreux chercheurs – historiens, archéologues, linguistes, sociologues, conservateurs, érudits, collectionneurs, amateurs… – se sont attachés à la mise au jour comme à l’étude des vestiges et des documents qui éclairent la connaissance de la présence juive sur le territoire de la France actuelle de l’Antiquité à nos jours, très peu de synthèses et moins encore de manuels scolaires ou universitaires mentionnent cette présence comme un trait significatif de l’histoire de notre pays, ou évoquent ses moments marquants, qu’ils soient tragiques (persécutions, autodafés, spoliations, expulsions…) ou favorables (autorisations de résidence et de culte, émancipation, intégration, sauvetage…). De même, un important patrimoine monumental (juiveries médiévales, synagogues désaffectées, cimetières…) est mal entretenu et mal mis en valeur, lorsqu’il n’est pas en totale déshérence. Enfin, la présence juive est absente de la plupart des musées, hormis quelques remarquables exceptions (musée Alsacien à Strasbourg, musée Lorrain à Nancy, musée Basque à Bayonne, musée Judéo-Comtadin à Cavaillon, musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris)."
"Le fait est d’autant plus paradoxal que, dans une première séquence chronologique, cette présence dure près de quinze siècles, de la romanisation de la Narbonnaise au premier siècle avant notre ère jusqu’aux expulsions médiévales ; il l’est aussi parce que la France à la différence de l’Angleterre ou de l’Espagne, malgré le bannissement de 1394 dont la validité perdure jusqu’à la Révolution, accueille à nouveau des communautés juives à partir du XVIe siècle sur la côte Aquitaine et en Lorraine ; il l’est également car la Révolution, pionnière en cela, émancipe les juifs en 1791 et parce que la nation leur offre, au XIXe siècle, des possibilités d’intégration sans équivalent en Europe ; il l’est enfin parce que, au tournant du siècle, l’affaire Dreyfus joue un rôle majeur dans l’histoire politique de la IIIe République, contribuant à la séparation des Églises et de l’État, sans pour autant entraîner la prohibition d’un antisémitisme politique particulièrement virulent qui culminera, à Constantine en 1934, par un pogrom meurtrier, aujourd’hui presqu’oublié. Sans évoquer la politique antijuive du gouvernement de Vichy et la Shoah qui sont, de fait, les seuls événements véritablement intégrés au récit national."
"À la différence, par exemple, de l’historiographie espagnole qui, depuis le XIXe siècle, considère la présence juive comme une donnée fondamentale de l’histoire de la société ibérique médiévale, et qui appréhende l’expulsion de 1492 puis la persécution des Marranes comme une perte majeure pour la civilisation hispanique, l’« histoire de France » fait presque toujours l’impasse sur la présence juive, sur sa spécificité dans l’histoire européenne comme sur son apport particulier à l’identité de la France. À l’occasion des vingt ans du musée d’art et d’histoire du Judaïsme, ce colloque se propose d’analyser les ressorts de cette « tache aveugle » et de faire le point sur les moyens de mieux intégrer la présence des juifs dans l’histoire générale de la France – en dehors de toute logique communautariste –, dans son enseignement scolaire et universitaire, dans la politique patrimoniale (archéologie, muséographie, protection des monuments historiques…) ainsi que, plus généralement, dans le « récit national ».
"Il ne s’agit pas de rendre compte des nombreuses recherches historiques sur le judaïsme en France, mais de s’interroger sur le hiatus entre un abondant corpus universitaire et les représentations communes. Il en va non seulement de l’appréhension de la juste place des juifs dans l’histoire de France, mais aussi de la représentation que se font les Français de leurs origines et de la genèse de leur nation."
Programme
Jeudi 17 janvier 2019
> 9 h : Ouverture
par Dominique Schnapper, École des hautes études en sciences sociales, présidente du mahJ
> 9 h 30 : Introduction
par Paul Salmona, mahJ
I – Genèse d’un « silence »
> 10 h : « W… ou La Disparition (des juifs de France) »
par Sylvie Anne Goldberg, Ecole des hautes études en Sciences sociales
> 10 h 30 : « Un silence hérité des Grandes Chroniques de France ? »
par Claire Soussen, université du Littoral et Nouvelle Gallia judaica
> 11 h : « Les Hébreux et les juifs d’Espagne, modèles d’identification des huguenots après l’abolition de l’édit de Nantes »
par Patrick Cabanel, École pratique des hautes études
> 11 h 30 : Pause
II – Les juifs de France dans l’historiographie et dans l’édition : une place « à part » ?
> 12 h : « Le judaïsme médiéval dans la collection L’Histoire de France aux éditions Belin (2009-2014), sous la direction de Joël Cornette »
avec Florian Mazel, université de Rennes 2 (Féodalités 888-1180) et Boris Bove, université Paris-VIII (La France de la guerre de Cent Ans 1328-1453), en discussion avec Anaïs Kien, « La Fabrique de l’histoire », France Culture
> 14 h 30 : « Les juifs dans l’œuvre de Jules Michelet »
par Perrine Simon-Nahum, CNRS-Ecole normale supérieure
> 15 h : « La “cécité” de Marc Bloch »
par Peter Schöttler, CNRS-Institut d’histoire du temps présent
> 15 h 30 : « L’entreprise des Lieux de mémoire »
avec Pierre Nora, en discussion avec Emmanuel Laurentin, « La Fabrique de l’histoire », France Culture
> 16 h 30 : pause
> 17 h : « L’histoire des juifs dans les manuels scolaires »
Table ronde avec André Kaspi, professeur émérite à l’université de Paris I ; Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire et géographie ; Alexandre Bande, professeur de classes préparatoires au lycée Janson de Sailly ;
animée par Anaïs Kien
> 18 h : Débat
Vendredi 18 janvier 2019
III – Limites et progrès d’un dévoilement
> 9 h 30 : « Des juifs hors du récit national ? La construction des sources de l’histoire des Juifs en France, une entreprise incertaine »
par Matthias Dreyfuss, Chercheur rattaché au Centre de recherches historiques-EHESS
> 10 h : « Étudier l’histoire des juifs et du judaïsme à l’Université »
par Danièle Sansy, université Le Havre-Normandie
> 10 h 30 : « Montrer sans dire : les images muettes de la Shoah dans Nuit et Brouillard d’Alain Resnais et Jean Cayrol »
par Sylvie Lindeperg, université Panthéon-Sorbonne
> 11 h : pause
> 11 h 30 : « Premières écritures universitaires de la persécution des juifs de France : historiens d’outre Atlantique »
par Annette Wieviorka, CNRS
> 12 h : « Le tournant mémoriel des années 1970 autour de l’histoire française de l’antisémitisme. Un témoignage et une analyse »
par Pascal Ory, université Paris I
> 12 h 30 : « L’engagement des jeunes juifs dans Mai 68 : un aspect peu évoqué dans l’historiographie »
par Florence Johsua, université de Paris X
IV – Perspectives et mises en valeur patrimoniales
> 14 h 30 : « Un champ émergent dans l’archéologie française »
par Paul Salmona, mahJ
> 15 h : « Pour une étude systématique de l’urbanisme des juiveries médiévales : l’entreprise des dictionnaires régionaux »
par Danielle Iancu-Agou, CNRS
> 15 h 30 : « La place du judaïsme dans les musées de France »
par Claire Decomps, mahJ
> 16 h : pause
> 16 h 30 : « La mise en valeur des juiveries médiévales »
Table ronde avec Pascal Ory ; Nadia Naudeix, musées de Cavaillon ; Mylène Lert, musées de Saint-Paul-Trois-Châteaux ; Jacques-Sylvain Klein, association La Maison sublime de Rouen ; Jean-Pierre Lambert, Société d’histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine
> 17 h 30 : Conclusion
par Philippe Joutard, historien, professeur émérite à l’université de Provence, recteur d’académie honoraire
En écho avec le colloque, France Culture consacre l’émission « La Fabrique de l’Histoire » au thème « Présence et absence des Juifs dans le récit national » :
Lundi 7 janvier à 9 h 10
« La construction de la nation moderne »
avec Dominique Schnapper, directrice d'études à l’EHESS et présidente du mahJ,
auteur notamment de La citoyenneté à l'épreuve : la démocratie et les Juifs (Gallimard, 2018).
Mardi 8 janvier à 9 h 10
« Juifs et protestants de France au XVIIIe siècle, une histoire d’émancipation »
Avec Rita Hermon-Belot, directrice d'études à l'EHESS,
auteur notamment de L'émancipation des juifs en France (PUF, 1999), et Patrick Cabanel , directeur d'études à l'École pratique des hautes études, auteur de Nous devions le faire, nous l'avons fait, c'est tout : Cévennes l'histoire d'une terre de refuge, 1940-1944, Alcide, 2018) , de Le protestantisme français, la belle histoire : XVIe-XXIe siècle (Alcide, 2017), et de Juifs et protestants en France – Les affinités électives XVI-XXIe siècle (Fayard, 2004).
Mercredi 9 janvier à 9 h 10
« Archéologie du Judaïsme en France »
Avec Danièle Iancu-Agou, directrice de recherche émérite au CNRS, auteur récemment de Régine-Catherine et Bonet de Lattes : biographie croisée, 1460-1530 : Draguignan, Aix-en-Provence, Rome (Cerf, 2017), Max Polonovski, conservateur émérite du Patrimoine, et Philippe Blanchard, archéologue à l’INRAP.
Jeudi 10 janvier à 9 h 10
« Des nouvelles de l’affaire Dreyfus »
Documentaire d’Anaïs Kien, réalisé par Séverine Cassar
Avec : Marie Aynié, Vincent Duclert, Pierre Birnbaum, Perrine Simon-Nahum, Pierre Gervais
Le MAHJ (musée d’art et d’histoire du Judaïsme) proposa le 8 janvier 2017, de 15 h 30 à 17 h, la rencontre L’expulsion des juifs de France à l’époque médiévale. « À l’occasion de la publication de Chasser les juifs pour régner. Les expulsions par les rois de France au Moyen Âge (Perrin, 2016), de Juliette Sibon, université d’Albi, en présence de l’auteure, avec la participation de Pierre Savy, université Paris-Est, et Didier Le Fur, docteur en histoire, auteur de la biographie Louis XII, un autre César (Perrin, 2010) », et Pierre Savy, université Paris Est. "Au Moyen Âge, de Philippe Auguste (1182) à Louis XII (1501), les rois de France ont chassé puis rappelé les juifs à plusieurs reprises, semblant hésiter sur le sort à leur réserver. Ces événements, encore méconnus et souvent laissés de côté par les médiévistes, sont pourtant au cœur de la genèse de l’État moderne. L’auteure s’attache à retrouver leur fil, à cerner la volonté politique des décideurs au-delà de l’antijudaïsme dominant en chrétienté, à saisir le point de vue des intellectuels, le sentiment des sujets chrétiens et les réactions des victimes juives, et, finalement, à inscrire l’histoire des juifs dans l’histoire générale du royaume de France."
Les 17 et 18 janvier 2019, le mahJ organisa le colloque ouvert au public "Le Judaïsme : une tache aveugle dans le récit national ?" En partenariat avec la Nouvelle Gallia judaica, avec le soutien de la DILCRAH, le colloque est placé sous la direction de Paul Salmona, directeur du mahJ et Claire Soussen, université du Littoral et Nouvelle Gallia judaica.
"À travers la musique, la littérature ou le cinéma, le programme de l'Auditorium offre un prolongement des domaines abordés dans le musée et les expositions. Depuis le début du XIXe siècle, malgré une abondante production historiographique, le judaïsme comme fait de civilisation reste à certains égards, en France, une « tache aveugle » dans le récit national comme dans la mise en valeur de son patrimoine monumental ou muséographique. En effet, si de nombreux chercheurs – historiens, archéologues, linguistes, sociologues, conservateurs, érudits, collectionneurs, amateurs… – se sont attachés à la mise au jour comme à l’étude des vestiges et des documents qui éclairent la connaissance de la présence juive sur le territoire de la France actuelle de l’Antiquité à nos jours, très peu de synthèses et moins encore de manuels scolaires ou universitaires mentionnent cette présence comme un trait significatif de l’histoire de notre pays, ou évoquent ses moments marquants, qu’ils soient tragiques (persécutions, autodafés, spoliations, expulsions…) ou favorables (autorisations de résidence et de culte, émancipation, intégration, sauvetage…). De même, un important patrimoine monumental (juiveries médiévales, synagogues désaffectées, cimetières…) est mal entretenu et mal mis en valeur, lorsqu’il n’est pas en totale déshérence. Enfin, la présence juive est absente de la plupart des musées, hormis quelques remarquables exceptions (musée Alsacien à Strasbourg, musée Lorrain à Nancy, musée Basque à Bayonne, musée Judéo-Comtadin à Cavaillon, musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris)."
"Le fait est d’autant plus paradoxal que, dans une première séquence chronologique, cette présence dure près de quinze siècles, de la romanisation de la Narbonnaise au premier siècle avant notre ère jusqu’aux expulsions médiévales ; il l’est aussi parce que la France à la différence de l’Angleterre ou de l’Espagne, malgré le bannissement de 1394 dont la validité perdure jusqu’à la Révolution, accueille à nouveau des communautés juives à partir du XVIe siècle sur la côte Aquitaine et en Lorraine ; il l’est également car la Révolution, pionnière en cela, émancipe les juifs en 1791 et parce que la nation leur offre, au XIXe siècle, des possibilités d’intégration sans équivalent en Europe ; il l’est enfin parce que, au tournant du siècle, l’affaire Dreyfus joue un rôle majeur dans l’histoire politique de la IIIe République, contribuant à la séparation des Églises et de l’État, sans pour autant entraîner la prohibition d’un antisémitisme politique particulièrement virulent qui culminera, à Constantine en 1934, par un pogrom meurtrier, aujourd’hui presqu’oublié. Sans évoquer la politique antijuive du gouvernement de Vichy et la Shoah qui sont, de fait, les seuls événements véritablement intégrés au récit national."
"À la différence, par exemple, de l’historiographie espagnole qui, depuis le XIXe siècle, considère la présence juive comme une donnée fondamentale de l’histoire de la société ibérique médiévale, et qui appréhende l’expulsion de 1492 puis la persécution des Marranes comme une perte majeure pour la civilisation hispanique, l’« histoire de France » fait presque toujours l’impasse sur la présence juive, sur sa spécificité dans l’histoire européenne comme sur son apport particulier à l’identité de la France. À l’occasion des vingt ans du musée d’art et d’histoire du Judaïsme, ce colloque se propose d’analyser les ressorts de cette « tache aveugle » et de faire le point sur les moyens de mieux intégrer la présence des juifs dans l’histoire générale de la France – en dehors de toute logique communautariste –, dans son enseignement scolaire et universitaire, dans la politique patrimoniale (archéologie, muséographie, protection des monuments historiques…) ainsi que, plus généralement, dans le « récit national ».
"Il ne s’agit pas de rendre compte des nombreuses recherches historiques sur le judaïsme en France, mais de s’interroger sur le hiatus entre un abondant corpus universitaire et les représentations communes. Il en va non seulement de l’appréhension de la juste place des juifs dans l’histoire de France, mais aussi de la représentation que se font les Français de leurs origines et de la genèse de leur nation."
Programme
Jeudi 17 janvier 2019
> 9 h : Ouverture
par Dominique Schnapper, École des hautes études en sciences sociales, présidente du mahJ
> 9 h 30 : Introduction
par Paul Salmona, mahJ
I – Genèse d’un « silence »
> 10 h : « W… ou La Disparition (des juifs de France) »
par Sylvie Anne Goldberg, Ecole des hautes études en Sciences sociales
> 10 h 30 : « Un silence hérité des Grandes Chroniques de France ? »
par Claire Soussen, université du Littoral et Nouvelle Gallia judaica
> 11 h : « Les Hébreux et les juifs d’Espagne, modèles d’identification des huguenots après l’abolition de l’édit de Nantes »
par Patrick Cabanel, École pratique des hautes études
> 11 h 30 : Pause
II – Les juifs de France dans l’historiographie et dans l’édition : une place « à part » ?
> 12 h : « Le judaïsme médiéval dans la collection L’Histoire de France aux éditions Belin (2009-2014), sous la direction de Joël Cornette »
avec Florian Mazel, université de Rennes 2 (Féodalités 888-1180) et Boris Bove, université Paris-VIII (La France de la guerre de Cent Ans 1328-1453), en discussion avec Anaïs Kien, « La Fabrique de l’histoire », France Culture
> 14 h 30 : « Les juifs dans l’œuvre de Jules Michelet »
par Perrine Simon-Nahum, CNRS-Ecole normale supérieure
> 15 h : « La “cécité” de Marc Bloch »
par Peter Schöttler, CNRS-Institut d’histoire du temps présent
> 15 h 30 : « L’entreprise des Lieux de mémoire »
avec Pierre Nora, en discussion avec Emmanuel Laurentin, « La Fabrique de l’histoire », France Culture
> 16 h 30 : pause
> 17 h : « L’histoire des juifs dans les manuels scolaires »
Table ronde avec André Kaspi, professeur émérite à l’université de Paris I ; Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’Association des professeurs d’histoire et géographie ; Alexandre Bande, professeur de classes préparatoires au lycée Janson de Sailly ;
animée par Anaïs Kien
> 18 h : Débat
Vendredi 18 janvier 2019
III – Limites et progrès d’un dévoilement
> 9 h 30 : « Des juifs hors du récit national ? La construction des sources de l’histoire des Juifs en France, une entreprise incertaine »
par Matthias Dreyfuss, Chercheur rattaché au Centre de recherches historiques-EHESS
> 10 h : « Étudier l’histoire des juifs et du judaïsme à l’Université »
par Danièle Sansy, université Le Havre-Normandie
> 10 h 30 : « Montrer sans dire : les images muettes de la Shoah dans Nuit et Brouillard d’Alain Resnais et Jean Cayrol »
par Sylvie Lindeperg, université Panthéon-Sorbonne
> 11 h : pause
> 11 h 30 : « Premières écritures universitaires de la persécution des juifs de France : historiens d’outre Atlantique »
par Annette Wieviorka, CNRS
> 12 h : « Le tournant mémoriel des années 1970 autour de l’histoire française de l’antisémitisme. Un témoignage et une analyse »
par Pascal Ory, université Paris I
> 12 h 30 : « L’engagement des jeunes juifs dans Mai 68 : un aspect peu évoqué dans l’historiographie »
par Florence Johsua, université de Paris X
IV – Perspectives et mises en valeur patrimoniales
> 14 h 30 : « Un champ émergent dans l’archéologie française »
par Paul Salmona, mahJ
> 15 h : « Pour une étude systématique de l’urbanisme des juiveries médiévales : l’entreprise des dictionnaires régionaux »
par Danielle Iancu-Agou, CNRS
> 15 h 30 : « La place du judaïsme dans les musées de France »
par Claire Decomps, mahJ
> 16 h : pause
> 16 h 30 : « La mise en valeur des juiveries médiévales »
Table ronde avec Pascal Ory ; Nadia Naudeix, musées de Cavaillon ; Mylène Lert, musées de Saint-Paul-Trois-Châteaux ; Jacques-Sylvain Klein, association La Maison sublime de Rouen ; Jean-Pierre Lambert, Société d’histoire des Israélites d’Alsace et de Lorraine
> 17 h 30 : Conclusion
par Philippe Joutard, historien, professeur émérite à l’université de Provence, recteur d’académie honoraire
En écho avec le colloque, France Culture consacre l’émission « La Fabrique de l’Histoire » au thème « Présence et absence des Juifs dans le récit national » :
Lundi 7 janvier à 9 h 10
« La construction de la nation moderne »
avec Dominique Schnapper, directrice d'études à l’EHESS et présidente du mahJ,
auteur notamment de La citoyenneté à l'épreuve : la démocratie et les Juifs (Gallimard, 2018).
Mardi 8 janvier à 9 h 10
« Juifs et protestants de France au XVIIIe siècle, une histoire d’émancipation »
Avec Rita Hermon-Belot, directrice d'études à l'EHESS,
auteur notamment de L'émancipation des juifs en France (PUF, 1999), et Patrick Cabanel , directeur d'études à l'École pratique des hautes études, auteur de Nous devions le faire, nous l'avons fait, c'est tout : Cévennes l'histoire d'une terre de refuge, 1940-1944, Alcide, 2018) , de Le protestantisme français, la belle histoire : XVIe-XXIe siècle (Alcide, 2017), et de Juifs et protestants en France – Les affinités électives XVI-XXIe siècle (Fayard, 2004).
Mercredi 9 janvier à 9 h 10
« Archéologie du Judaïsme en France »
Avec Danièle Iancu-Agou, directrice de recherche émérite au CNRS, auteur récemment de Régine-Catherine et Bonet de Lattes : biographie croisée, 1460-1530 : Draguignan, Aix-en-Provence, Rome (Cerf, 2017), Max Polonovski, conservateur émérite du Patrimoine, et Philippe Blanchard, archéologue à l’INRAP.
Jeudi 10 janvier à 9 h 10
« Des nouvelles de l’affaire Dreyfus »
Documentaire d’Anaïs Kien, réalisé par Séverine Cassar
Avec : Marie Aynié, Vincent Duclert, Pierre Birnbaum, Perrine Simon-Nahum, Pierre Gervais
Juliette Sibon, Chasser les juifs pour régner. Editions Perrin, 2016. 304 pages. ISBN : 9782262036683. 21,50 €
Visuel :
Miniature de l'expulsion des juifs par Philippe Auguste. Bruxelles, Bibliothèque royale
Visuel :
Miniature de l'expulsion des juifs par Philippe Auguste. Bruxelles, Bibliothèque royale
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