Arte diffusera le 15 octobre 2016 « Schtonk ! » par Helmut Dietl (1992). Une « satire mordante à partir d'un fait divers journalistique : le scoop raté du magazine allemand Stern sur les « Carnets d'Adolf Hitler » (Hitler-Tagebücher), qui n'étaient qu'un faux ». Un scandale qui a montré le vif intérêt du public pour Hitler.
« Enfant, Fritz Knobel sait déjà exploiter la crédulité des autres pour faire des affaires qui vont rapidement devenir florissantes. Jeune garçon, il place auprès de sa clientèle des « souvenirs » du Führer qu'il a fabriqués lui-même. Plus tard, devenu marchand d'art et antiquaire, il étend ses activités à la peinture de tableaux de maître. Mais son plus grand coup, il le réussit le jour où il cède à Hermann Willié, reporter un peu écervelé du magazine HH-Press, les fameux Carnets d'Adolf Hitler. Chacun flaire l'affaire de sa vie et la machine s'emballe... »
« L'interjection Schtonk ! est tirée du film Le Dictateur de Chaplin, mot pseudo-germanique désignant quelque chose ou quelqu'un à interdire, voire à éradiquer ».
Le sous-titre de Schtonk est Le film qui accompagne le livre du Führer (Der Film zum Buch vom Führer).
En 1992, Schtonk! a reçu trois Prix Lola, dans les catégories Meilleur film, Meilleur acteur (Götz George), Meilleur réalisateur (Helmut Dietl) - lors de la Cérémonie de remise des Deutscher Filmpreis.
Faux
Le « scénario de ce film est inspiré de l'histoire vraie d'un certain Konrad Kujau, qui avait commencé, au début des années 1970, à vendre en RFA (République fédérale d’Allemagne) des objets de l'époque nazie qu'il allait chercher » en RDA (République démocratique allemande). Il avait été ainsi repéré par la police. « Peintre, il représentait aussi ses clients dans des scènes de guerre. Plus tard », pour augmenter ses bénéfices, il « a décidé de contrefaire des écrits de dignitaires nazis ». Il crée des tableaux, poèmes et lettres qu’il attribue à Hitler, puis se lance « dans sa plus ambitieuse opération : ces fameux Carnets d'Adolf Hitler (Hitler-Tagebücher), rédigés à partir de 1976 et acquis dans des conditions rocambolesques » par Gerd Heidemann, reporter du Stern, journaliste fasciné par le nazisme, « en vue d'une publication en 1983 ». Heidemann a détourné, pour lui, une partie de l’argent destiné à l’achat de ces faux.
Composé d’une soixantaine de carnets, ce « Journal » a été acquis pour plus de 9,3 millions de Deutsche Marks par Stern (Etoile, en allemand), magazine populaire de RFA, qui en a négocié chèrement les droits de reproduction avec plusieurs médias internationaux : Newsweek, groupe Murdoch, Paris-Match, Grupo Zeta, Panorama, etc.
Le 25 avril 1983, pendant la conférence de presse de lancement de cette publication, divers historiens, dont deux avaient assuré que ces carnets étaient authentiques, ont publiquement douté de cette authenticité. Selon Peter Koch, rédacteur en chef de Stern, cette découverte va contraindre les historiens à une nouvelle vision du IIIe Reich.
Le contenu des 62 « Carnets » ? Hitler y raconterait sa vie quotidienne de 1932 à 1945.
Les seuls examens sérieux de l’écriture et des feuilles de papier pour vérifier l’authenticité de ces Carnets ont été effectués après cette conférence de presse.
Cette publication suscite de nombreuses questions d’historiens, de journalistes. Ainsi, les initiales de ces Carnets sont « FH » (Führer Hitler), au lieu de « AH » (Adolf Hitler).
Malgré la polémique, le Stern publie des extraits de ces Carnets dans son édition du 28 avril 1983. Le public se précipite pour acheter le numéro tiré à 1,8 million d’exemplaires.
Paris Match consacre sa couverture à ces Carnets.
La police judiciaire allemande enquête, et découvre la supercherie. Le papier de ces Carnets était postérieur à la Deuxième Guerre mondiale.
Le scandale ternit les médias ayant fait preuve d’un manquement patent aux règles de bases du journalisme, ainsi que les experts ayant apporté leur crédit à ces faux. Certains directeurs de journaux ont démissionné. L’hebdomadaire Stern a licencié Koch et Schmidt, deux rédacteurs en chef non impliqués dans cette publication. La rédaction du journal a protesté par une grève. Mais Manfred Fischer et Gerd Schulten-Hillen, qui à la direction de Gruner & Jahr, groupe de presse allemand dont l’un des fleurons est le Stern, avaient décidé de négocier les droits sur ces Carnets et d’en publier des extraits sans en informer la rédaction en chef du Stern, ont gardé leurs fonctions.
Rupert Murdoch a avancé les gains, financiers et en termes de lectorats, engrangés par le Times. Mais il a mis un terme au contrat de F. Giles, rédacteur en chef du Sunday Times.
En 1985, Kujau et Heidemann ont été condamnés à quatre ans d’emprisonnement.
Le Stern a présenté publiquement des excuses. Le nombre de ses ventes a décliné rapidement.
En 1987, à sa libération, Kujau est devenu galeriste d’art à Stuttgart. Une galerie proposant des copies de tableaux de maîtres tels Rembrandt, Monet ou Miro. Condamné pour trafic de faux permis de conduire, il est mort en 2000 d’un cancer.
En 1992, le Spiegel a révélé que la Stasi avait recruté dans les années 1950 Heidemann pour lui communiquer des informations sur les armes atomiques américaines fournies en RFA. Endetté, vivant à Hambourg, il semble convaincu de l’existence d’un journal intime de Hitler.
Lors d’une vente aux enchères en 2004, un acheteur, qui a souhaité gardé l’anonymat, a acquis un des faux Carnets pour 6 400 €. En 2013, le Stern a donné les faux Carnets en sa possession aux archives fédérales allemandes pour contribuer à l’histoire du… journalisme. Des documents accessibles à tous. Quelques exemplaires sont détenus en particulier par la Fondation Cartier à Paris et la Maison de l’Histoire à Bonn.
Les médias ont-ils tiré les leçons de ce scandale ? A l’évidence, non. Grande est la tentation de se laisser étourdir par le fumet du scoop. Seul, le respect des règles journalistiques réduit le risque de tels scandales.
Si un média enfreignait ces règles et publierait un faux, quelles en seraient les conséquences ? Pour avoir diffusé le 30 septembre 2000, le reportage controversé de Charles Enderlin, alors son correspondant à Jérusalem, et de Talal Abou Rahma, fixer à Gaza, alléguant la « mort de Mohamed al-Dura », France 2 n’a jamais été sanctionné par les autorités publiques assurant sa tutelle. Talal Abou Rahma a été primé, et la carrière de Charles Enderlin accélérée. Et en 2008, après la relaxe de Philippe Karsenty, qui avait dénoncé une « mise en scène » de ce blood libel, des dizaines de journalistes ont signé la pétition Pour Charles Enderlin publiée par le Nouvel Obs.
Et on s’étonne de la crise des médias !
« Schtonk ! » par Helmut Dietl
ARD, Allemagne, 1992, 107 min
• Image : Xaver Schwarzenberger
• Montage : Tanja Schmidbauer
• Musique : Konstantin Wecker
• Production : BAVARIA Film, WDR
• Producteur/-trice : Helmut Dietl, Günter Rohrbach
• Scénario : Helmut Dietl, Ulrich Limmer
• Avec :Götz George (Hermann Willié), Uwe Ochsenknecht (Fritz Knobel), Christiane Hörbiger (Freya von Hepp), Harald Juhnke (Pit Kummer), Dagmar Manzel (Biggi Knobel), Veronica Ferres (Martha), Hermann Lause (Kurt Glück), Ulrich Mühe (Dr. Guntram Wieland)
Sur Arte le 15 octobre 2016 à 10 h 30
Visuels : BBC, DR
Visuels : BBC, DR
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