
Au camp de concentration nazi de Buchenwald, près de Weimar (Allemagne), les prisonniers du camp de concentration veulent encore croire à la fin de la guerre et à l’écroulement du national-socialisme. Certains préparent même la libération du camp au sein » du Comité International clandestin (CIC), aux membres communistes. Un « événement inattendu vient bouleverser le quotidien : dans une valise amené par un déporté polonais Juif appelé Jankowski, des détenus découvrent un petit enfant juif » âgé de trois ans venant du ghetto de Varsovie et dont les parents sont été tués à Auschwitz. « Que faire ? La décision de le cacher pour le soustraire aux SS redonne sens à la vie des prisonniers, parcelle d’espoir dans un univers de terreur ».
Produit par la Defa, société de production de la République démocratique allemande (RDA) en 1963, « Nu parmi les loups » a été primé au Festival international du film de Moscou (1963) – Frank Beyer distingué comme Meilleur réalisateur – et de la RDA.
La réalisation de Frank Beyer « respecte l’esprit de l’œuvre, une étude nuancée de la psychologie des bourreaux et des victimes ». Quant aux acteurs, Erwin Geschonneck « donne au personnage principal de Krämer, le chef du mouvement de résistance à l’intérieur du camp, une dimension et une aura hors du commun, et Armin Mueller-Stahl campe André Höfel, déporté courageux qui protège l’enfant.
Echanges de victimes


Enfant juif polonais âgé de trois ans et demi, Stefan Zweig était le seul enfant déporté au camp de concentration de Buchenwald. Son père Zacharias Zweig était parvenu à le dissimuler dans un camp de travail polonais, puis à l’amener dans ce camp allemand où la résistance interne est dirigée par les communistes allemands… Ceux-ci avaient lutté contre les droits communs internés pour s’emparer des principaux postes de pouvoir dans l’administration du camp, « le « revier » (le dispensaire) comme les bureaux décidant des affectations et des convois où se jouaient la vie ou la mort du déporté ». « Si j’avais réussi à le protéger jusque-là, c’était un symbole de la résistance contre Hitler et à leurs yeux il méritait d’être sauvé», a expliqué le père, Zacharias Zweig, dans ses mémoires. L’organisation clandestine a substitué au nom de Stefan Zweig, inscrit sur la liste des déportés au camp d’Auschwitz un autre nom.
Depuis 1945, les sensibilités et l’historiographie ont évolué. « A l’âge des héros a succédé celui des victimes. Ce qui était un acte de résistance antifasciste est aujourd’hui vu en Allemagne comme une infamie, d’autant que celui qui partit pour la mort à la place de Stefan était un Tsigane de 16 ans, Willi Blum. Dans le nouveau mémorial du camp situé près de Weimar et édifié après la chute du Mur, son nom est flanqué du mot « Opfertausch » (« échange de victimes »), comme s’il en portait la responsabilité. Les médias se sont déchaînés ». En 2012, Stefan Zweig a poursuivi en justice à Berlin le responsable du mémorial pour que soit ôté le vocable infamant associé à son nom.


Mais « au fur et à mesure qu’Auschwitz, centre d’extermination où ce type de survie était impossible, remplaça dans l’imaginaire collectif le camp de concentration de Buchenwald comme archétype du camp nazi, cette thématique fut peu à peu oubliée. Et ce d’autant plus facilement qu’elle est profondément dérangeante car elle se focalise sur ce que Primo Levi appelait « la zone grise », celle de l’ambiguïté et du choix pour la survie dans des conditions extrêmes. « Elle brise la vision d’une société concentrationnaire homogène composée de victimes entourées de bourreaux », a observé Sonia Combe.
« L’organisation de résistance clandestine voulait maintenir les positions de pouvoir acquises et chaque groupe national visait à protéger les siens autant que faire se peut. Un choix assumé que défendit par exemple le communiste français Marcel Paul lors d’un procès dans l’immédiat après-guerre où il revendiquait « en patriote » s’être activé pour préserver le maximum de Français, y compris non communistes », dont l’avionneur français juif Marcel Dassault.
« Si nous abandonnions nos positions pour garder les mains propres, nous devenions indirectement les meurtriers de nos camarades », résumait un cadre de la résistance communiste allemande. En RDA, de retour de Moscou (Union soviétique), les dirigeants communistes se sont méfiés des anciens des camps de concentration.
A partir du milieu des années 1950, avec la déstalinisation, Berlin-Est a opté pour un autre discours. Le « symbole en fut le roman, d’abord bloqué, Nu parmi les loups, écrit par un ancien de Buchenwald, Bruno Apitz, qui racontait, en l’enjolivant beaucoup, l’histoire du petit Stefan Zweig que la résistance du camp décidait de sauver au risque de mettre l’organisation en péril. Ce fut un best-seller ». (Marc Semo, Libération, 22 janvier 2014)
Nouveau revirement dans les années 1990, avec l’ouverture des archives après la fin du mur de Berlin, la disparition du régime communiste.

Sonia Combe a déploré « cette adéquation entre le discours savant et le discours dominant postcommuniste » en Allemagne, soulignant que « l’histoire « épurée » est-allemande autour de la résistance à Buchenwald était moins contraire à la vérité historique que les mythes de l’Ouest sur l’armée et la diplomatie étrangères au génocide, qui furent dominants jusqu’aux années 90 pour la Wehrmacht et jusqu’en 2010 pour le ministère des Affaires étrangères ».
Sonia Combe "fait de Buchenwald un cas unique, oubliant que, dans d'autres camps, le Auschwitz pour Polonais notamment, comme le met en lumière le rapport Pilecki (cf. Déporté volontaire à Auschwitz, Champ Vallon, 2014), des organisations de Résistance, pas nécessairement communistes, furent confrontées aux mêmes dilemmes. Car si les résistants investissent les postes de la hiérarchie des détenus, affirmant qu'ils souhaitent organiser ces derniers pour une insurrection qui n'eut lieu nulle part, l'organisation de Résistance tend inévitablement à se préserver et à préserver d'abord les siens. La stratégie de survie des uns se solde nécessairement par la mort des autres". (L'Histoire, n°400, juin 2014)
« Nu parmi les loups » par Frank Beyer
RDA, 119 min
Sur Arte les 14 décembre à 22 h 25 et 18 décembre 2015 à 2 h 05
Auteur: Bruno Apitz
Image : Günter Marczinkowsky
Montage : Hildegard Conrad
Musique : Joachim Werzlau
Producteur/-trice : Hans Mahlich
Scénario : Bruno Apitz, Frank Beyer
Production : DEFA-Studio für Spielfilme, Gruppe "Roter Kreis"
Avec : Erwin Geschonneck, Armin Mueller-Stahl, Krystyn Wójcik, Fred Delmare, Boleslaw Plotnicki, Viktor Awdjuschko, Gerry Wolff, Peter Sturm, Bruno Apitz, Jürgen Strauch, Wolfram Handel
Visuels : © Progress/Waltraut Pathenheime
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