Peintre-graveur, auteur d’une douzaine de recueils de poèmes et romans ainsi que du livret d’un oratorio, illustratrice, Anne Rothschild est responsable du service pédagogique au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ) à Paris. En 2002, le Comptoir des écritures a présenté l’exposition Vanishing lines, lignes d’horizons : trente œuvres récentes sur papier, six gravures et le livre - Du désert au fleuve, poèmes et aquavives - de Anne Rothschild sur sa judéité. Le style onirique mêlait l’ivrit et la Bible, en des tons ocres, jaune-oranger, noir et de Terre. Un travail ouvert, sophistiqué - encre, crayon, pastel, acrylique, marouflages -, fin et profond, tenant du figuratif et de l’abstraction.
« Depuis longtemps écriture et image se sont mêlés pour devenir les visages d’une même quête. Que j’écrive, que je grave ou que je peigne, j’ai le sentiment de poursuivre un voyage initiatique à travers des strates que structurent parfois des bribes d’écritures, témoins d’une mémoire ancienne survivant en moi. Peut-être parce que je suis une femme, toutes les métaphores qui me viennent à l’esprit sont celles d’une enfantement. De ce formidable corps à corps, naissent peu à peu des formes, des signes », explique Anne Rothschild.
L’ivrit comme trame
Anne Rothschild est née à New York en 1943 dans une famille d’origine allemande assimilée. Son père Juif a longtemps séjourné en Chine.
Formée à l’Ecole des Beaux-arts, Anne Rothschild a longtemps enseigné les arts plastiques et l’histoire de l’Art dans des écoles publiques de Genève (Suisse).
Auteur de douze romans et recueils de poèmes dont Les Palais du désir (Empreintes, 2004) et L’Enfance égarée (Caractères, 2013), illustratrice, elle s’est aussi illustrée dans l’écriture du livret d’un oratorio. Sans oublier la gravure, car elle aime se battre avec un matériau et se laisser inspirée par lui.
Cette artiste s’est d’abord orientée vers la sculpture. Ses artistes admirés : Giacometti, Brancusi et Rothko.
Puis, elle a privilégié la peinture. Elle expose en France, Israël, Suisse, Pologne et Belgique.
Puis, elle a privilégié la peinture. Elle expose en France, Israël, Suisse, Pologne et Belgique.
Après avoir vécu un an à Jérusalem, elle s’est installée depuis 1984 à Paris.
Elle a grandi entre, à la frontière de plusieurs mondes, et a parcouru un chemin spirituel vers le judaïsme jusqu’à sa conversion à cette religion.
De sa mémoire léguée, Anne Rothschild n’a pas toute les clés. Aussi, prise-t-elle la transmission et répare-t-elle ce qui ne lui a pas été transmis.
De son séjour en Chine, elle a ramené beaucoup d’objets. Son intérêt pour ce pays s’est accru lors du décès de son père en 1999. Sa série a débuté quand une amie lui a rapporté du papier de fabrication familiale de Chine. Cette artiste est inspirée par la chaîne qui lui a amené ces papiers confectionnés à partir de plantes et aux grains imparfaits et suggestifs. Leur gamme chromatique ? Couleur ivoire ou ocre, couleur de terre de sienne, couleur d’ombre.
Depuis longtemps, « j’avais été frappée par des correspondances entre certains écrits mystiques juifs et ceux des peintres chinois. Tous deux parlent de l’importance du vide, distinct du néant, des canaux d’énergie qui circulent entre différents plans. Sans doute, au travers de ces analogies, se nouait un lien entre une enfance bercée par une Chine mythique, où avaient vécu mes parents, et l’héritage de ma judéité », explique Anne Rothschild.
Au Comptoir des écritures, deux rouleaux horizontaux (1999) et vingt-deux papiers (2000-2002), dont la série inspirée du désert de Judée, sont traversés de forces très puissantes : le vent découvre sous le sable des dunes des lettres, mots, phrases en hébreu, de tailles différentes, peints ou collés, et les transporte. Il modèle un paysage spirituel en révélant sa judéité, et témoigne des tentatives de la peintre pour retrouver une mémoire juive, partiellement transmise.
Gaze beige, papier plus ou moins déroulé, feuille d’or, collage de texte en hébreu soit sur la gaze soit sur le papier, lettres hébraïques, fils de châles de prière... La technique d’Anne Rothschild mêle aussi encres, pastels, un peu d’acrylique et des collages, et bien sûr les pinceaux.
Les marouflages ? Ils concourent au caractère onirique, à évoquer une rêverie, une conscience qui émerge. Comme plusieurs strates de savoir qu’on entrevoit, qui se dérobe à la vue, pour réapparaître sous un autre angle. L’impression de volutes de lettres, de savoir, de légèreté et de densité.
Anne Rothschild a retenu les couleurs de terre chaudes, traversés de filets de blanc, noir, oranger. Les couleurs sont plus marquées dans Mère de sable.
En lien avec la tradition juive, cette peintre évite la figuration humaine, le visage.
Marouflage de papier coréen sur papier chinois (mûrier), Retraite d’hiver, un paravent d’or est animé puissamment. A l’image d’un magma en fusion.
Des textes hébraïques fendent une opacité ouatée Dans les pas de la brume, plus clair. Comme une conscience qui émerge peu à peu.
La série Genèse sur la création du monde se décline en sept rouleaux oblongs, verticaux à la manière chinoise. C’est d’abord le tohu-bohu, puis tout s’organise sous nos yeux. Apparaît un paysage montagneux, à l’instar des reliefs et irrégularités de texture et couleurs du papier fabriqué à la main, qui inspirent la peintre et allient légèreté et tenue : tsasho bhoutanais, washi népali et lokta népalais. Dans Genèse IV, l’eau semble descendre du ciel en cascade, suivant les anfractuosités du relief jusqu’au sol. Anne Rothschild parvient à rendre l’impression de légèreté et de force, les souffles, courants d’air, forces animées, l’importance des énergies qui traversent le vide, distinct du néant et laissant la place pour que les choses apparaissent... Des formes oniriques rendent sensible l’invisible.
Un rai ou une boule de lumière perce. Surgissent un visage flou, une main, un ventre, et, dans les gravures Elie et Jérémie (1982-1989) une silhouette s’agenouille ou part.
Six rouleaux verticaux peints, oblongs selon le style chinois, en papier de Népal ou Chine, sont enroulés aux extrêmes (1995-1999). Dessus : une gaze à la trame lâche, parfois collée, sur/sous laquelle sont apposées des feuilles d’or et fixés des fils de talliths (châles de prières juifs). Cet ensemble aérien laisse imaginer des oiseaux exotiques bleus et des volutes de savoir entrevu, caché, réapparaissant sous un autre angle...
Tsasho sombre, plus épais, Rien qu’une dune à gravir et mille autres après offre un paysage de dunes, parcouru par un vent découvrant sous le sable les textes hébraïques. Le vent transporte et révèle les mots hébreux. Les panneaux de brume de Dans les pas de la brume laissent filtrer des textes hébraïques.
Le vœu d’Anne Rothschild : une œuvre ouverte, dans laquelle les spectateurs puissent projeter leur monde, se l’approprier en continuant de créer…
Visuel :
Anne Rothschild
Genèse
Articles sur ce blog concernant :
Cet article a été publié par Actualité juive en une version plus concise.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire