Dans le cadre du Mois
de la Photo à Paris 2012, le musée Bourdelle a présenté l’exposition éponyme. De
Daguerre à l’ère numérique, l’histoire de la photographie dans le lieu « où
s'opère la magie de la fabrication d'une image ». Les « coulisses de
la fabrication des tirages, les processus d'élaboration des photographies ainsi
que leurs usages esthétiques et sociaux ». Le Petit Palais présente l'exposition Dans l’atelier. L’artiste photographié d’Ingres à Jeff Koons.
Du daguerréotype de 1839 aux photos contemporaines, environ
cinquante œuvres, provenant des collections de la Ville de Paris et de musées, illustrent un
procédé ou une période majeure de l’histoire de la photographie.
Une exposition démystifiant une aventure artistique et
industrielle mythique, liée aux découvertes chimiques, brossant les divers
actes créatifs du temps de la prise de vue jusqu’à l’obscurité du laboratoire
lors du tirage.
L’image argentique originelle
résulte d’un savoir-faire artisanal. Elle est « étroitement liée aux sciences expérimentales, aux
applications pratiques des découvertes de la chimie et de la physique qui s’apparentent
parfois à l’art de la cuisine ».
Le daguerréotype
Le daguerréotype est « un positif direct, obtenu par
l’impression d’une plaque de cuivre recouverte d’une fine feuille d’argent,
sensibilisée à la lumière par les vapeurs d’iode ». Vers 1845, les
praticiens recourent à des substances à base de brome et de chlore pour diminuer
le temps d’exposition qui exigeait auparavant plusieurs minutes. « L’image
latente formée dans la chambre noire est développée aux vapeurs de mercure,
hautement toxiques. L’amalgame de mercure et d’argent formant l’image est alors
fixé, d’abord au sel de cuisine lorsque Daguerre invente le procédé en 1839,
puis au thiosulfate de sodium » dès 1841. Introduite par Hippolyte Fizeau
en 1840, la pratique du virage à l’or se révèle déterminante afin de renforcer « la
stabilité de cette image particulièrement fragile ».
Le négatif sur
papier, le tirage sur papier salé et sur papier albuminé
Dès 1841, au
daguerréotype – objet unique– sont préférés divers « modes
de production des images fondés sur le système négatif-positif : négatifs sur
papier, négatifs à l’albumine, au collodion, puis à la gélatine… »
Président de la Société française de photographie (1855-1868),
Victor Regnault est un de ceux qui promeuvent en France le négatif sur papier, procédé
de l’Anglais William Henry Fox Talbot. Ancêtres du « calotype », les « dessins
photogéniques » sont « préparés au chlorure d’argent – sel très peu
sensible – et exigent donc des temps d’exposition très longs. Breveté en 1841, le
calotype, donne de meilleurs résultats lors de la prise de vue à la chambre
noire, grâce à une préparation du papier dans un mélange d’iodure d’argent –
sel très sensible – et de gallo-nitrate d’argent. Après exposition, l’image
latente est développée dans une solution de gallo-nitrate d’argent qui lui
donne une tonalité noire chaude, puis fixée, lavée et encaustiquée (parfois
huilée) pour augmenter la transparence de la feuille en vue du tirage.
Historiquement les calotypes sont tirés sur papiers salés ».
A l’époque des premiers ateliers photographiques
professionnels en France, Charles Marville débute en utilisant « le couple
négatif sur papier et papier salé ». Puis, il se spécialise dans le « négatif
sur verre au collodion et le tirage sur papier albuminé », dont la
résolution est meilleure. En 1847, Abel Niépce de Saint-Victor invente le
procédé négatif sur plaque de verre albuminée. En 1850, Louis-Désiré
Blanquart-Evrard introduit les tirages sur papiers albuminés. Ce mode de tirage
est le plus fréquent jusqu’à la fin du XIXe siècle. Le « papier albuminé
est un procédé à noircissement direct dont la brillance et la finesse
permettent de reproduire fidèlement les détails des négatifs sur verre ».
En 1854, Disdéri dirige un atelier professionnel réputé, et
popularise le genre du portrait. Pour diminuer les coûts de production, il « impose
les petits formats grâce à des appareils dotés de plusieurs objectifs qui
offrent autant de vues sur un seul négatif au collodion. Le tirage choisi par
le client est ensuite monté sur des cartes commerciales portant le nom et la
raison sociale du photographe ». Le « processus de tirage par noircissement
direct à la lumière » nécessite « temps d’exposition long qui les réserve
au contact. Le format du tirage est alors identique à celui du négatif. Le
format « carte de visite », soit 6 x 9 cm , est le plus populaire. Il se décline plus
tard en « carte album » (13 x 18
cm ), « boudoir » (13 x 22 cm ), « promenade » (9 x 20 cm ) ou encore «
mignonnette » (4 x 8 cm )
pour les plus utilisés ».
En 1851, l’apparition des « négatifs au collodion
humide réduit le temps de prise de vue de deux à soixante secondes, en fonction
de la qualité de la lumière. Fournissant une image d’excellente qualité,
adaptée à la photographie documentaire, le collodion présente néanmoins
l’inconvénient de devenir imperméable à l’état sec. Il doit donc être utilisé
encore humide », pour que le photographe puisse traiter ensuite les
images. Jean-Marie Taupenot, professeur
de chimie au Prytanée militaire de La Flèche, invente en 1855 un procédé
négatif sec, au collodion albuminé. La « recherche de substances aptes à
ralentir la dessiccation du collodion dans le but de retarder la prise de vue
après sensibilisation de la plaque entraîne toute une série d’expérimentations
photographiques à base de produits hygroscopiques ». Précieux pour la
photographie de reportage, le procédé Taupenot un rencontre un succès relatif car
sa sensibilité est bien plus faible que celle des plaques au collodion humide.
Avec les « progrès de la chimie photographique
apparaissent de 1871 à 1880 de nouvelles émulsions de plus en plus sensibles
qui ouvrent la voie à la photographie instantanée ». Ces émulsions «
sèches » au gélatino-bromure d’argent correspondent au début de la photographie
industrielle. L’avantage de la gélatine hautement hygroscopique : elle
peut « absorber les solutions, même à l’état sec ». Le photographe
prépare les plaques avant la prise de vue ; les plaques sont développées
et fixées ensuite, dans le laboratoire. La fabrication des émulsions à la
gélatine induit l’essor d’une production industrielle de masse, et de nombreuses
entreprises dont certaines atteindront une dimension internationale au XXe
siècle.
L’atelier d’Eugène
Atget, rue Campagne Première, laisse augurer les débuts de la photographie
instantanée du XXe siècle.
La photographie stéréoscopique est « contemporaine du
daguerréotype. La vision du relief, d’abord obtenue à partir de deux prises de
vue séparées et légèrement décalées, sera également produite par une seule
chambre à partir des années 1850. Montées côte à côte afin d’être regardées
dans un viseur spécial – le stéréoscope –, ces images font l’objet d’un
commerce fructueux. Elles restent prisées des amateurs jusqu’à une date très
avancée du XXe siècle, notamment dans le réseau des « stéreo clubs ».
A la fin du XIXe
siècle, les émulsions
instantanées participent au développement de la photographie d’amateur
et de celle scientifique, notamment judiciaire – photographies d’identité, des
lieux du crime, etc. - ou médicale. Dans le service photographique de l’hôpital
de la Salpêtrière, le physiologiste Étienne Jules Marey secondé par d’Albert
Londe, recourt à la photographie instantanée comme outil de recherche
scientifique. Pour ses études sur le mouvement des ailes du canard, Marey
utilise dès 1882 un « fusil photographique » breveté en 1899. D’une dizaine de
secondes dans les années 1871-1872, Les temps de pose atteignent 1/100e
de seconde vers 1890. « Aux obturateurs manuels succèdent des obturateurs
mécaniques avec déclenchement électrique. Les performances des appareils
chronophotographiques, équipés de neuf à douze objectifs, permettent
d’instaurer un dispositif d’enregistrement séquentiel des images qui trouve son
prolongement dans l’invention du cinéma par les frères Lumière en 1895 ».
Jusqu’aux années
1880, « alors que les supports, encore peu sensibles, obligent à
faire appel à des dispositifs particuliers pour raccourcir les temps de pose,
c’est la lumière naturelle qui préside à l’orientation de l’atelier ».
D’abord « réservée à l’intimité de l’atelier, la prise
de vue va se déplacer vers l’extérieur grâce à l’application de procédés industriels
qui prolongent dans le temps la sensibilité des supports ».
A la fin du XIXe siècle,
l’apparition des émulsions instantanées
contribue au développement de la photographie d’amateur et de celle scientifique,
notamment judiciaire – photographies d’identité, des lieux du crime, etc. - ou
médicale.
La plaque autochrome
Au XIXe siècle, une image en couleurs résulte d’un
coloriage manuel une photographie monochrome. Brevetée en 1904 par les frères
Lumière, la plaque autochrome permet de commercialiser les premières
photographies en couleur. L’exposition présente une des premières plaques. La « plaque
de verre est enduite d’une couche de particules de fécule de pomme de terre
colorée en bleu, vert et rouge — de la poudre de charbon noire recouvrant les
interstices ; on coule ensuite une émulsion photographique, sensible à toutes
les couleurs du spectre. L’exposition se fait du côté du support en verre, les
grains colorés faisant office de filtre. Une fois blanchie et développée, la
plaque donne par inversion un positif direct fait pour être vu par projection.
C’est en 1907 que commence la production commerciale du procédé autochrome ».
La « chambre
noire »
Le terme de « chambre noire » vient de camera obscura et
« renvoie à l’appareil photographique dont l’objectif laisse pénétrer les
rayons lumineux destinés à produire l’image inversée du sujet sur une paroi
faisant office d’écran ». La « seconde acception du terme — illustrée
par l’autoportrait de Brassaï présenté dans l’exposition — désigne le
laboratoire photographique, dédié au traitement des négatifs et aux opérations
de tirage. Tant que les images ne sont pas fixées, le laboratoire doit rester
dans l’obscurité et éclairé par une lumière inactinique, de couleur rouge, afin
de ne pas voiler les surfaces sensibles ».
La photographie crée sa propre syntaxe, ses « sujets
imposés » tel l’autoportrait, etc.
Parallèlement, les usages commerciaux et professionnels se
diversifient grâce à la conception et la fabrication d’équipements plus légers et
de plus en plus petits.
L’Autoportrait au Leica d’Ilse Bing « symbolise
la révolution technique des années 1930. Révolution induite par la combinaison
d’appareils légers, de petit format et de négatifs sur films suffisamment
sensibles pour obtenir au tirage de meilleurs rapports d’agrandissement. Le
Leica imprime son style à toute une génération de photographes et doit son
succès à son excellence technique, fruit d’une collaboration entre Oskar
Barnack, son inventeur et Ernst Leitz, fabricant des objectifs. Très vite, les
temps de pose peuvent diminuer jusqu’à 1/500e de seconde selon les modèles.
Utilisateur quasi militant du Leica, Henri Cartier-Bresson usera des libertés
qu’il offre lors de la réalisation de reportages – voir sans être vu, saisir
les sujets sur le vif ». Dès l'arrivée au pouvoir des Nazis en 1933, Ernst Leitz organise des "trains de la liberté" afin de permettre à ses employés Juifs, à leurs familles et amis, de fuir l'Allemagne dirigée par Hitler. Une opération qui s'achève en 1939.
La presse devra beaucoup à la photographie dans la
modification des paginations, dans la conception des Unes, dans l’accroche du lecteur,
dans l’ouverture au monde, dans la connaissance, bientôt quasi-simultanée avec
le téléphone et les autres technologies de l’information, des évènements sur le
globe, fixe pour l’éternité, ou la quasi-éternité, personnes et faits, etc.
La photographie de mode renouvelle le genre du portrait,
souvent en s’inspirant des créations du studio Harcourt. Elle est largement
tributaire de l’éclairage au magnésium, tel qu’il est aussi utilisé dans le
cinéma. Le studio de prise de vue est agencé autour du matériel d’éclairage :
aux verrières s’ajoutent les fonds clairs, les miroirs, les réflecteurs ou les
parasoleils… Quoique soumis à des impératifs commerciaux, les magazines de mode
offrent cependant aux photographes indépendants l’occasion d’imposer une vision
particulière.
Le Polaroid SX-70 est « un appareil à développement
instantané : le négatif et les couches réceptrices contenues dans un seul «
sandwich » fournissent rapidement une image unique qui, après traitement
chimique incorporé à l’appareil, apparaît directement positive. Si le Polaroid
noir et blanc est largement utilisé par les photographes de rue en raison de
l’accès immédiat à l’image positive qu’il propose au passant, les artistes
explorent surtout sa version couleur ».
Du tirage analogique
à la photographique numérique
Dans la seconde moitié du XXe siècle, s’ouvrent des
boutiques de photographes, consacrées également à la prise de vue, à la
réalisation de portraits d’identité ou à la reproduction d’images pour les
particuliers.
Dès les années 1960, la multiplication des laboratoires
pour amateurs ou professionnels est liée à deux évolutions techniques majeures
: « les nouveaux supports en papier plastique qui permettent d’effectuer
des tirages plus vite et à moindre coût ; l’essor de la photographie en couleur
à développement chromogène, décliné tantôt en diapositives tantôt en systèmes négatifs
positifs ».
Dès les années 1990,
« l’avènement du numérique
transforme progressivement l’atelier du photographe en un simple bureau d’où
l’ordinateur a chassé la chimie ».
La « mort annoncée de la photographie par voie «
humide » traditionnelle provoque très vite un regain d’intérêt pour la matière
historique des images et la richesse des processus de fabrication du passé ».
La conversion de photographies analogiques sur un fichier
informatique s’effectue avec des outils tels que scanners ou dos numériques.
Les prises de vue numériques peuvent par ailleurs être tirées sur procédés
argentiques par l’intermédiaire d’un agrandisseur numérique.
Ces bouleversements techniques créent de « nouvelles
hybridations artistiques ».
Jusqu’au 10 février 2013
18, rue Antoine-Bourdelle, 75015 Paris
Tél. : 01 49 54 73 73
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h
Visuels :
Affiche
JEAN-LOUP SIEFF (1933-2000)
Autoportrait pour mes vingt ans, Vevey, Suisse
Tirage gélatino-argentique, vers 1986.
D’après un négatif gélatino-argentique 6 x 6 cm , 1954.
Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris © Estate Jeanloup
Sieff
Attribué à MAURICE BUCQUET
(1860-1921)
Photographe sur une
échelle, place de la Concorde, Paris 8e
Positif sur verre au gélatino-bromure
d’argent, plaque pour projection, vers 1900.
© Musée Carnavalet - Histoire
de Paris/Roger-Viollet
STANISLAS RATEL et MARIE-CHARLES-ISIDORE CHOISELAT
(1824-1904) et (1815-1858)
Portrait du daguerréotypiste Choiselat dans
son laboratoire.
Daguerréotype, 1843-1845.
© Musée Carnavalet/Roger-Viollet
ANDRÉ
ADOLPHE EUGÈNE DISDÉRI (1819-1889)
Disdéri
dans son atelier regardant des photographies sur « cartes de visite »
Tirage
sur papier albuminé, vers 1865.
D’après
un négatif sur verre au collodion humide, vers 1865.
© Musée
Carnavalet – Histoire de Paris/Roger-Viollet
ÉTIENNE JULES MAREY (1830-1904)
Photochronographe ouvert
montrant le disque éclaireur
percé de 10 fenêtres. Planche
n° 7 de l’album Station physiologique : travaux exécutés pendant l’année
1886-1887.
Tirage sur papier albuminé,
1886-1887.
D’après un négatif sur verre au
gélatino-bromure d’argent, 1886-1887.
© Bibliothèque de l’Hôtel de
Ville, Paris/Roger-Viollet
NADAR (FÉLIX TOURNACHON dit) et NADAR JEUNE (ADRIEN TOURNACHON dit), (1820-1910) et (1825-1903)
Pierrot photographe, portrait du mime
Charles Deburau
Tirage sur papier salé viré à l’or avec une couche
protectrice, 1854.D’après un négatif sur verre au collodion humide,
1854.
© Musée Carnavalet/Roger-Viollet
AUGUSTE LUMIÈRE et LOUIS
LUMIÈRE
(1862-1954) et (1864-1948)
Coin du laboratoire de
Monsieur Louis Lumière à Lyon
Autochrome, 1902-1905.
© Société Française de
Photographie, Paris
ANONYME
François Kollar avec sa
chambre en bois à soufflet
Tirage au gélatino-bromure d’argent,
vers 1932. D’après un négatif au gélatino-bromure d’argent, vers 1932.
© Bibliothèque Forney,
Paris/Roger-Viollet
ILSE BING (1899-1998)
Autoportrait au Leica
Tirage au gélatino-bromure d’argent, 1986.
D’après un négatif gélatino-argentique sur support souple,
1931.
© Musée Carnavalet – Histoire de Paris/ Roger-Viollet
Articles
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Les citations proviennent du dossier de presse. Cet article a été publié le 8 février 2013.
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