Peintre, sculpteur juif, Yehouda Chaïm Kalman, dit Thomas Gleb (1912-1991) s’intéresse à la tapisserie vers 1960, innove par
l’usage du blanc dans une œuvre marquée par la spiritualité, le sacré. Le Château de Courcelles présente l'exposition « La nuit tisse nos rêves du jour ».
« J'appris la Torah. J'appris les Dix Commandements qui
devinrent, après cinquante ans de gestation, une source d'inspiration : Tu
y trouveras des traces de mes sentiers qui mènent à la source, à un
commencement », se souvenait
Thomas Gleb.
Œuvre tissée
Yehouda Chaïm Kalman est né en 1912 à Lodz, en Pologne,
dans une famille de tisserands.
Dès 1917, il fréquente le heder (חדר, «
chambre »), école élémentaire où il apprend l’hébreu et le judaïsme.
Après avoir été graveur de tampons, vendeur d’eau et de
pains, il exerce dès 1927 le métier de tisserand. Il se passionne pour la
peinture, et devient l’élève du peintre Jozef Mitler.
En 1929, à l’atelier Start à Łódź, il dessine des modèles d’après nature, se
familiarise avec la peinture à l’huile.
En 1932, il s’installe à Paris, gagne sa vie en retouchant
des portraits photographiques, décorant des soldats de plomb, etc. Il adopte
comme nom d’artiste, Thomas Gleb.
En 1935, il organise sa première exposition, avec le
photographe Wladyslaw Sławny, dans son atelier parisien. Il part à Amsterdam
voir une exposition sur Rembrandt, réalise des décors et costumes de théâtre
après sa rencontre avec le metteur en scène Fernand Piette à Bruxelles.
A Paris, il réalise 17 décors pour le théâtre, et participe
au Salon d’Automne en 1938.
En 1939, il épouse à Paris Malka Tetelbaum, dite Maria,
rencontrée en 1935. lors de la Seconde Guerre mondiale, et s’engage
dans l’armée française parmi les volontaires étrangers. Son atelier est pillé
par les Allemands.
Démobilisé en 1940, Thomas Gleb poursuit son combat dans
le groupe de résistance Juive « Solidarité » et illustre des tracts.
En 1943, il se réfugie à Grenoble avec son épouse et leur
fille Yolanda née en 1941. Il expose à la galerie Répellin sous son nom de
résistant, Raymond Thomas. Il fait la connaissance de Farcy, conservateur de
musée, et d’Emile Gilioli, sculpteur.
En 1944, arrêté par la Gestapo, il est déporté en Allemagne.
Il s’échappe du train le menant en Allemagne et se cache dans les Vosges
jusqu’à la Libération. Son atelier à Grenoble est pillé. Restée en Pologne, sa
famille meurt dans le ghetto de Łódź.
En 1945, nait Jean, fils de Thomas Gleb. Primé, celui-ci
rencontre Fernand Léger en 1949, le poète François Dodat, Jean Cassou.
En 1950, Thomas Gleb se fixe à Varsovie. Là, il
se distingue comme une figure majeure de la scène artistique polonaise. Sa
fille Yolanda décède accidentellement. Thomas Gleb crée en une veine artistique
réaliste : Cycle du Coq (1950-1955), Cycle du cirque jusqu’en 1957.
En 1957, fuyant le raidissement du régime communiste, Thomas Gleb
retourne en France, et participe à l’exposition Dessins des artistes juifs
contemporains au Musée d’Art juif de Paris. Il rencontre Chagall, et se
lie d’amitié avec Waldemar Georges et Kahnweiler. Il expose à la Biennale de
Paris.
Il s’intéresse alors aux douze tribus d’Israël,
réunit la documentation sur ce thème et débute, de 1958 à 1959, des peintures
sur ce sujet biblique.
Fondateur du Musée national d’art moderne, Jean Cassou
remarque ces œuvres picturales exposées en 1959, et y « voit des cartons
pour des tapisseries. Avant d’exécuter une tapisserie, l’artiste crée un carton,
qui est l'ébauche en dimensions réelles de la future tapisserie. Ce support
donne des indications précises aux liciers qui réalisent la tapisserie ».
Jean Cassou s’active pour que Thomas Gleb obtienne
une bourse et un séjour au centre culturel de l’abbaye de Royaumont. Ainsi
débute l’œuvre tissée de cet artiste.
L’État lui « commande alors un carton de tapisserie
sur le thème des douze tribus d’Israël ». Thomas Gleb « réalisera
plusieurs cartons par tribu mais seuls quatre seront tissés : Joseph ou la
résistance du roc, Lévi, Tribu Benjamin et une autre version de Benjamin
(tissée par l’atelier d’Yvette Cauquil Prince,
atelier du Marais à Paris en 1967) ».
En 1963, il expose à Tel Aviv (Israël), aux Pays-Bas, en
Suède, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, au musée d’Art moderne de la
Ville de Paris, en Yougoslavie…
En 1965 Pierre Carton, qui dirige l’atelier de tapisseries
de l’école des Beaux-Arts, propose à ses élèves de tisser d’après des maquettes
de Gleb.
Thomas Gleb « fréquente les ateliers de tissage des
manufactures nationales où il rencontre le lissier Pierre Daquin
avec lequel il engage une collaboration et une réflexion sur un nouveau langage
pour la tapisserie (ce qui deviendra le mouvement international de la «
Nouvelle tapisserie ») ». Il collabore avec l’atelier de Saint-Cyr :
Pierre Daquin et Thomas Gleb crée les tapisseries Blanc sur Blanc. Ils collaborent aussi pour le cycle sur Les Tables de la Loi, qui associe
papiers déchirés, toiles et dessins. Pierre Daquin « va consacrer son
talent de licier interprète au service de l’œuvre de Gleb et mettre au point un
véritable langage technique et plastique. On peut admirer le magnifique rythme
des points simples, doubles ou triples qui traduisent l’épaisseur de la matière
peinte, mais aussi augmentent l’impression de « révélation » des grandes fentes
noires verticales ».
L’artiste continue son travail sur les douze tribus d’Israël
pendant les années 1960 et réalise plusieurs œuvres sur papier dont le MAHJ montre
une sélection.
Dès 1966, Thomas Gleb « entame un travail
d’interprétation tissée de son œuvre avec l’atelier de l’école des Beaux-arts
d’Angers, puis avec l’Atelier de Tapisseries d’Angers (ATA). Les liens se
renouent avec cette ville, lorsqu’en 1987 une grande exposition monographique
lui est consacrée au musée Jean Lurçat ».
En 1970, l’architecte Jean Willerval lui commande La Joie, tapisserie pour le siège social
de la société Pernod Ricard (Créteil).
« Autour des années 70 Thomas Gleb développe le
tissage de ses tapisseries blanches, la première connue est Shabatt (1969)
et présente déjà toute la dynamique de ses futurs tissages avec une matière et
une technique assurée qui le place au premier rang des artistes qui produisent
des tapisseries sans les tisser… Jusqu’à aujourd’hui, dans la tapisserie, il
est l’un des très rares artistes où ses tissages, en chaîne apparente ou en
double contexture, sont d’une justesse incontestable, ce n’est pas qu’un
procédé c’est une nécessité, la fonction vitale du plasticien qui unie le sens
et la forme », écrit Yves Sabourin, commissaire de l’exposition au musée
d’Anger, inspecteur de la création artistique au ministère de la Culture.
Thomas Gleb participe aux expositions organisées par le
ministère des Affaires étrangères en Afrique, au Moyen-Orient – Arabie
saoudite, Surie, Jordanie, Koweit, Emirats arabes unis, Turquie – et au
Pakistan. Il est distingué par le Grand Prix national de tapisserie.
En 1989, Thomas Gleb s’installe avec sa femme Maria à
Angers, invités par la municipalité à laquelle il donne en 1990 une trentaine
de ses œuvres tissées et sculptées. Il y meurt en 1991.
Pour le centenaire de sa naissance, trois hommages ont été rendus au peintre et sculpteur Juif Yehouda Chaïm Kalman, dit Thomas Gleb (1912-1991) par le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme - Autour des douze tribus d’Israël –, par le Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine à Angers Sacré blanc ! et par le musée du Hiéron En signe de vie : Georges Jeanclos, Thomas Gleb et Max Wechsler.
Pour le centenaire de sa naissance, trois hommages ont été rendus au peintre et sculpteur Juif Yehouda Chaïm Kalman, dit Thomas Gleb (1912-1991) par le Musée d'art et d'histoire du Judaïsme - Autour des douze tribus d’Israël –, par le Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine à Angers Sacré blanc ! et par le musée du Hiéron En signe de vie : Georges Jeanclos, Thomas Gleb et Max Wechsler.
Le Musée Jean-Lurçat et de la tapisserie contemporaine
consacra plusieurs salles d’expositions permanentes à une rétrospective de cet
artiste, à la suite des dons de Jean Kalman, fils de l’artiste, d’archives, de dessins,
peintures, sculptures, carton de tapisserie, céramique, etc. de son père.
En 2012, ce musée lui rendit hommage en exposant ses œuvres
et celle d’une cinquantaine d’artistes sur le thème du blanc et du sacré. Une
partie de ce dialogue entre œuvres passées et contemporaines a aussi été
présenté au Passage de Retz (21
mars-29 avril 2012).
Le « blanc comme moyen d’expression dans le textile,
est la « matière colorée » qui permet de donner à l’œuvre tissée de Thomas Gleb
cette forme d’intemporalité qui s’unit dans la tradition mais aussi dans la
modernité avec beaucoup d’aisance. Le sacré et l’Homme s’unissent au blanc pour
exprimer non pas la neutralité ou le vide, mais au contraire, l’autonomie et la
liberté. Le questionnement des plasticiens invités s’inscrit dans le même
espace de création, celui d’une forme de pureté où le blanc n’est pas
monochrome. Certaines pièces de l’exposition nous rappellent cependant que le
blanc se tâche parfois du rouge de la violence humaine… Modernité par la couleur mais aussi par la
variété des supports utilisés : la broderie, la céramique, la dentelle, le
dessin, l’installation, l’ornement, la photo, la peinture, la sculpture, la
tapisserie, le tissage et le vêtement ».
Le musée du Hiéron montrait,
« dans la salle Sous le signe de la croix, Le Signe de Thomas Gleb. Cette œuvre monumentale – une grande croix
incisée dans le mur en forme de Y –, fut réalisée en 1979 pour l’ancien Carmel
de Niort… Dans ce lieu de prière datant du XIXe siècle, Gleb propose
d’intervenir sur l’autel, de placer entre la sacristie et la chapelle une porte
transparente destinée à recevoir le tabernacle dans laquelle il insère des
éléments sculptés formant les lettres du nom de Yahvé. Il pose, à proximité,
une croix d'une hauteur de 3,70
mètres en forme de Y – de l’initiale du nom de Dieu,
Yahvé, et du nom du Christ, Yeshoua, Jésus – incisée dans le mur et badigeonnée
de couleur rouge sang comme une blessure. Cette œuvre fut perçue par l’une des
moniales comme une “œuvre de réconciliation“ ouvrant un espace de dialogue
entre judaïsme et christianisme ». En 2010, à l’initiative de sa
conservatrice Dominique Dendraël, le musée du Hiéron et la Ville de
Paray-le-Monial ont sauvegardé cette œuvre menacée par un programme immobilier,
et l’ont présentée au public dans les collections permanentes du musée. éSont
également présentés, donnés au musée par la famille de l’artiste : un diptyque
daté de 1968 qui présente déjà à gauche une incision, sorte de cicatrice, et à
droite, le yod, au nom de Dieu, les
deux parties de l’œuvre formant une fraction de pain, ainsi qu’un livre
d'artiste, Le Mystérieux, comprenant
des signes hébraïques qui présentent les différents noms de Dieu ».
En 2012, la famille de Yehouda Chaïm Kalman, dit Thomas Gleb,
ses amis, le musée Jean Lurçat et de la tapisserie contemporaine d’Angers et
le centre de recherche Thomas Gleb, le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme (MAHJ)
présentaient un choix d’œuvres graphiques autour du cycle des douze tribus
d’Israël.
Le Musée d'art moderne de la Ville de Paris (MAM) a présenté l'exposition Decorum avec des œuvres notamment de Thomas Gleb.
En 2017, la Bibliothèque polonaise de Paris a rendu hommage à cet artiste par l'exposition "J'ai mis le jour dans la nuit". "Veilleur à l’instar du coq qu’il affectionne tant, gardien du désert dont le Pays est silence, grand témoin d’une époque bouleversée qui ne l’a pas épargné, mais aussi sourcier, infatigable découvreur de sentiers nouveaux, tel apparaît aujourd’hui Thomas Gleb". "La Société historique et littéraire polonaise et le Centre Thomas Gleb éditent un catalogue de ses œuvres".
Le Château de Courcelles présente l'exposition « La nuit tisse nos rêves du jour ». « Il s’agit pour moi de matérialiser l’immatériel. Les choses nous parlent, nous regardent. Il s’agit de les comprendre, les déchiffrer, matérialiser l’esprit de la chose. Pour cela, pénétrer au cœur de la chose en se débarrassant de son aspect extérieur autant que possible, le découvrant ainsi. Ensuite, chercher le langage approprié pour l’exprimer. Exprimer quoi ? Exprimer l’idée de la chose et non refaire ou reconstituer la chose, l’extérieur », expliquait Gleb.
Le Musée d'art moderne de la Ville de Paris (MAM) a présenté l'exposition Decorum avec des œuvres notamment de Thomas Gleb.
En 2017, la Bibliothèque polonaise de Paris a rendu hommage à cet artiste par l'exposition "J'ai mis le jour dans la nuit". "Veilleur à l’instar du coq qu’il affectionne tant, gardien du désert dont le Pays est silence, grand témoin d’une époque bouleversée qui ne l’a pas épargné, mais aussi sourcier, infatigable découvreur de sentiers nouveaux, tel apparaît aujourd’hui Thomas Gleb". "La Société historique et littéraire polonaise et le Centre Thomas Gleb éditent un catalogue de ses œuvres".
"Débordante, inclassable dans le paysage artistique de son siècle qu’il a voulu étreindre jusqu’à ses plus violentes ténèbres, son oeuvre foisonnante d’une immense diversité de formes, de styles, de matières est encore largement méconnue du grand public. Elle atteste d’une liberté de création toujours en éveil car toute matière lui est bonne : pierre, papier, bronze, toile, laine ou bois l’enchantent. Dessins, peintures, sculptures, architectures, pafilages (ou jeux de papiers déchirés) et tapisseries, toute forme lui est propice à « saisir le dedans des choses » et son regard, puisant dans la nuit le commencement du jour, transforme les blessures en sources".
"La présentation de son oeuvre à la Bibliothèque Polonaise s’organise selon deux axes :
- dans une première salle est évoquée la traversée d’un siècle, l’enfance polonaise, les racines juives et les grands ancêtres, l’expérience communiste et l’invention d’un art magique jouant toujours aux portes du Merveilleux. Le propos s’attache, en quatre moments articulés autour d’une oeuvre majeure, à retracer l’évolution spectaculaire de sa « manière » : du réalisme trapu des premières figures aux épures silencieuses et denses des dernières années en passant par une explosion musicale des couleurs.
- une deuxième salle voudrait plutôt laisser sonner le chant innombrable des matières utilisées : toile, bois, papier, pierre ou laine. Elle rassemble peintures, pafilages, livres d’artiste et petits objets sculptés saisis dans le mystère de leur fabrique, dans l’enchantement de leur naissance : « A travers une misérable semelle usée, un petit caillou, une plume perdue d’un oiseau, un clou tordu et rouillé, à travers toutes ces choses sans valeur, j’exprime plus qu’à travers des mots. » (Correspondance inédite)"
Le "parcours s’achève avec la tapisserie de l’Aimée, éblouissante dans sa simplicité, rencontre amoureuse avec la laine, danse avec la lumière".
CITATIONS
« Ne vois-tu pas que ces signes s’ouvrent à nous comme des espoirs et qu’ils portent en eux la vie comme l’homme son âme ? Ne vois-tu pas que ces signes se lèvent et nous regardent à travers l’oubli, le temps aveugle et le devenir » (correspondance inédite).
« Mon désir est d’aller aux sources des choses. De là l’oeuvre est baignée dans l’aurore du commencement. » (Correspondance inédite)
Decorum
Du 11 octobre 2013 au 9 février 2014
Au Musée d'art moderne de la Ville de Paris
Tél. : 01 53 67 40 00
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Le jeudi jusqu'à 22
Jusqu’au 7 octobre 2012
Du 11 octobre 2013 au 9 février 2014
Au Musée d'art moderne de la Ville de Paris
Tél. : 01 53 67 40 00
Du mardi au dimanche de 10 h à 18 h. Le jeudi jusqu'à 22
Jusqu’au 7 octobre 2012
Hôtel de Saint-Aignan
Chambre du Duc, dans le parcours des collections permanentes
71, rue du Temple. 75003 Paris
Téléphone
: (33) 1 53 01 86 60
Jusqu’au 18 novembre 2012
4, boulevard Arago. 49100 Angers
Tél. : 00 33 (0)2 41 24 18
48
Du mardi au dimanche de 10 h à 12
h et de 14 h à 18 h
Jusqu’au 30 décembre 2012
13, rue de la Paix. 71600 Paray-le-Monial
Tél. : 03 85 81 79 72
Tous les jours (sauf lundi) de 10 h à 12 h et de 14 h à 18 h
Visuels :
Thomas Gleb
Années 1970,
cliché Jean
Dieuzaide,
Fonds archives
Gleb, Angers
Thomas Gleb
Issakar, 1964
© DR
Thomas Gleb
Trace orange
167 x 200 1968
Acrylique et enduit sur toile
Coll.musées d’Angers
© Musées d’Angers,
photo. Pierre David
Thomas Gleb
Aménagement
dans la chapelle des Carmélites de Niort (dont Le Signe), milieu des
années 1980
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Cet article a été publié le 7 octobre 2012, puis le 6 février 2014.
Cet article a été publié le 7 octobre 2012, puis le 6 février 2014.
Les extraits proviennent des dossiers de presse.
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