mardi 24 mai 2016

« Décor » d’Adel Abdessemed


Autour du 500e anniversaire du retable d’Issenheim, le musée Unterlinden de Colmar présente l’œuvre « Décor » d’Adel Abdessemed, composée de quatre Christ, en regard de la Crucifixion de Grünewald qui les a inspirés. Achetés par François Pinault, riche homme d’affaires français et collectionneur d’art moderne et contemporain, quatre Christ constituent cette œuvre expressive, en fil de fer barbelé, présentée pour la première fois au public. Le parallèle par Frédérique Goerig-Hergott entre ces Christ et les prisonniers de Guantánamo choque. La Bourse du Commerce aux Halles accueillera une partie de la collection d’œuvres d'art de François Pinault. En 2023, le Mémorial de la Shoah a accueilli Mon enfantune sculpture et une série de dessins d’Adel Abdessemed.


Chef d’œuvre de la collection du musée d’Unterlinden de Colmar, le retable d’Issenheim, haut de trois mètres, est composé de panneaux peints s’articulant autour d’une caisse centrale constituée de sculptures. Ses créateurs ? Deux maîtres allemands du gothique tardif, le peintre Matthias Grünewald, pour les panneaux peints (1512-1516), et Nicolas de Haguenau, pour la partie sculptée antérieure (autour de 1490).

Le retable d'Issenheim est destiné au couvent des Antonins à Issenheim, au sud de Colmar (Haut-Rhin), où il décore le maître-autel de l’église.

Pour ses 500 ans, le musée d’Unterlinden a placé en face du retable qui l’a inspirée, l'œuvre Décor de l'artiste Adel Abdessemed.

Né à Constantine (Algérie), cet artiste controversé est formé à l’Ecole des Beaux-arts d’Alger, puis de celle de Lyon. En 2009, la galerie David Zwirner à New York présente son exposition Rio. Ses créations sont présentes dans les collections publiques, notamment au Centre Georges Pompidou qui lui consacre une exposition (3 octobre 2012-7janvier 2013), au musée d’Art moderne (MAM) de la Ville de Paris, dirigé depuis 2006 par Fabrice Hergott, et au musée d’Israël à Jérusalem. Un « catalogue raisonné de son œuvre paraitra en 2013, fruit de la collaboration entre la galerie David Zwirner, Pier Luigi Tazzi et Steidl Verlag ».

Créée aux Etats-Unis, exposée pour la première fois en Europe, cette œuvre est constituée de quatre Christ grandeur nature en fils de fer barbelé, Décor est apposée contre un mur latéral de la chapelle en pierres. Ce matériau brut, dur, source potentiel de blessures est tordu, noué pour former le corps du Christ crucifié, souffrant, mourant.

Dans le catalogue l’ouvrage publié aux éditions Xavier Barral,  Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice (Art moderne et contemporain) au musée d’Unterlinden, écrit :
« La scène de la Crucifixion peinte par Grünewald présente le moment précis de la mort du Christ, dans cet univers bouleversé par les ténèbres qui ont envahi la terre en pleine journée. (…) Sensible aux représentations symboliques et à toute forme de langage universel, Adel Abdessemed ne pouvait figurer ce cri autrement que par l’essence même de la cruauté et de l’oppression : le fil de Fer barbelé coupant comme des lames de rasoir, ordinairement utilisé pour la défense militaire des frontières ou dans le camp de Guantánamo ».
Préfacé par François Pinault, ce catalogue est coécrit par l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon, Eric de Chassey et Giovanni Careri. Qu’en pensent-ils ?

Ce parallèle avec Guantánamo, camp américain de détention de "combattants illégaux" arrêtés lors de la guerre contre le terrorisme islamiste, semble pour le moins choquant. D'autant plus en ce triste onzième anniversaire des quatre attentats islamistes aux Etats-Unis, dont contre les Twin Towers. Les barbelés me font penser  d'abord à ceux des camps nazis de concentration et d’extermination. A Gitmo, qui serait selon cette conservatrice le Christ ? L’artiste et la conservatrice n’ont pas répondu à ma demande d’interview sur ce parallèle.

Le 28 avril 2012, Le Monde a publié l’article A Comar, François Pinault « crucifie » Nicolas Sarkozy. Cet ami de l'ex-Président de la République Jacques Chirac a déclaré : « Ce n'est pas le passé qui nous domine, mais les images du passé… Dans le contexte actuel, c'est important, les choses sont rarement une coïncidence. C'est une façon de me révolter contre les gens qui ne savent pas pour qui ils votent. Qu'ils viennent ici devant les Christ... Présomption de légitime défense, c'est comme au Far West, il faut dégainer le premier ! [le Président de la République et candidat à l'élection présidentielle Nicolas Sarkozy] perd les pédales. Les gens proches de lui pensent qu'il pourrait encore gagner. Il est cuit ! C'est comme dans le bunker de 1945 ».Encore des parallèles choquants.

En 2013, des conservateurs ont examiné le retable d'Issenheim afin d'établir la cartographie des dommages de ce chef d'oeuvre médiéval en vue de sa restauration, et Histoire a diffusé, le 25 mai 2013, un documentaire sur un retable.

La Bourse du Commerce aux Halles accueillera une partie de la collection d’œuvres d'art de François Pinault. "Propriété de la Chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Paris-Ile-de-France avec laquelle la Ville a procédé à un échange foncier, la Bourse du Commerce va être concédée pour 50 ans à la Fondation Pinault moyennant une redevance. La fondation financera les travaux nécessaires à la transformation de l'édifice et assurera les dépenses de fonctionnement du nouveau musée". Ce musée ouvrira ses portes au public à l'automne 2018.
 

Jusqu’au 16 septembre 2012
1 rue d'Unterlinden. 68000 Colmar
Tél. +33 (0)3 89 20 15 50
Tous les jours de 9 h à 18 h  

Visuels :
Adel Abdessemed
Décor, 2011-2012
Razor wire (fil de fer barbelé)
Four elements, each:
88 x 68 1/2 x 16 inches
223.5 x 174 x 40.6 cm
Courtesy of Adel Abdessemed and David Zwirner Gallery
 Collection François Pinault Foundation

Retable d’Issenheim,
1512-1516
Technique mixte (tempera et huile) sur panneaux constitués d’étroites planches de tilleul assemblées à joints vifs
Maître-autel de l’église de la commanderie des Antonins d’Issenheim
Présent dans les collections du musée dès sa création
© Musée Unterlinden, Colmar
Musée Unterlinden, Colmar
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Cet article a été publié les 11 septembre et 23 décembre 2012 lors de l'exposition Je suis innocent d'Adel Abdessemed au Centre Pompidou, et 24 mai 2013

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