La galerie Denise René rive gauche
présente l’exposition éponyme de ce peintre brésilien. Né en 1928 dans une
famille Juive d’origine russe, Abraham Palatnik est un peintre et
sculpteur pionnier dans les arts technologiques, l’art (optico)cinétique et
l’art cinéchromatique (kinechromatic
art). Cet industriel et inventeur a
développé une esthétique moderne de la lumière et du mouvement, une
« peinture géométrique », et s’est intéressé au design de meubles.
« L’artiste sert à discipliner le chaos perceptif. Je
continue à croire au lien entre la perception et l’intuition. Sans elle, la
nature ne serait rien d’autre qu’un chaos », a déclaré Abraham Palatnik.
Précurseur de l’art technologique
Abraham Polotnik est
né en 1928 dans une famille juive ayant fui la Russie pour le Brésil en 1912.
A Natal, la parentèle Polotnik s’active dans le commerce et
l’industrie, produisant des meubles, du sucre, etc.
Les Polotnik font leur aliyah alors qu’Abraham a quatre
ans.
Le jeune Abraham Polotnik étudie la mécanique et la
physique tout en se spécialisant dans les moteurs à explosion, ainsi que le
dessin, la peinture et l’esthétique. Son art est alors figuratif :
(auto)portraits, paysages, etc. « Ses dessins au graphite ont une ligne
souple, fluide presque lyrique. Sur ses dessins au fusain où figurent ses
camarades de l'atelier, le trait noir est ferme, solide, réaliste, parfois à
tendance expressionniste. Sa peinture est dépouillée de tout élément superflu
ou rhétorique », écrit .
Fin 1947, Abraham Polotnik s’installe à Rio de Janeiro.
Deux faits déterminantes bouleversent sa vie : il se
lie d’amitié avec Mário Pedrosa et rend visite à son ami Mavignier, animateur
dans un atelier de peinture, au service de thérapie de rééducation de l’hôpital
psychiatrique Dom Pedro II créé en 1945 par Nise da Silveira.
Intellectuel célèbre et engagé, Pedrosa s’intéresse à l’art
des schizophrènes. Chez lui, c’est le rendez-vous des artistes et hommes
politiques. « Nous arrivions à faire fuir les politiciens avec nos
conversations sur l'art. Pedrosa parlait beaucoup de la psychologie de la forme
dans la Gestalt. Mais il ne faisait pas que parler, il écoutait beaucoup aussi.
Notre but était de comprendre la nature des processus de création ainsi que la
fonction de l'artiste. J'en suis arrivé à la conclusion que l'artiste sert à
discipliner le chaos perceptif. Je continue à croire au lien entre la
perception et l'intuition. Sans cela, la nature ne serait rien d'autre qu'un
chaos », a déclaré Palatnik à Wilson Coutinho (Jornal do Brasil, 5
décembre 1981).
A l’hôpital psychiatrique Dom Pedro II, c’est le
choc artistique – découverte de l’art de malades mentaux - ébranlant
profondément ses convictions et l’enseignement esthétique qui lui avait été prodigué
! « En découvrant la production de certains des internés, mon bel édifice
de certitudes s'est effondré. Je savais parfaitement manier les pinceaux et les
couleurs, je croyais maîtriser mes connaissances, et tout à coup, je
m'apercevais que ces personnes, qui n'avaient jamais étudié ni suivi la moindre
formation, étaient capables de produire des œuvres possédant un langage
complexe et profond », se souvient-il. Et d’ajouter : « La
cohérence était présente chez Diniz, Carlos et Emygdio ; la poésie chez Raphaël
et Isaac. Les images et le langage fusionnaient. Les principaux éléments
figuratifs et de couleur n'obéissaient dans leur composition à aucun critère
académique ; en vérité, ils étaient régis par d'autres codes reliés à de
puissantes forces provenant de l'inconscient ».
« Lumino-cinétisme »
(ciné-chromatisme)
Pendant deux ans (1949-1950), Palatnik cesse
de peindre et se consacre à la fabrication de d’appareils cinéchromatiques. Son
but : « Donner à l’art pictural le pouvoir de la lumière et du mouvement
dans le temps et dans l’espace ». « Sur un écran en plastique dressé
devant ses appareils, il projette des couleurs et des formes animées par des
moteurs électriques, qui produisent un ensemble chromatique lumineux et
rythmique ».
A la 1ère Biennale de São Paulo (1951), son
appareil cinéchromatique Azul e roxo em primeiro movimento (Bleu et
violet en premier mouvement) déconcerte, mais est distinguée par un jury
international. La critique est plutôt enthousiaste par cet appareil inspiré du
kaléidoscope et qui déploie une gamme subtile de nuances chromatiques.
Le terme cinéchromatique est forgé par Pedrosa. Dans un
article publié par Tribuna da Imprensa (1951), Pedrosa évoque le
« dynamisme plastique chromatique » de Palatnik qui a substitué la
lumière artificielle à la gouache et a conçu « l’authentique art du
futur ».
En 1959, avec une vingtaine d’appareils cinéchromatiques
fabriqués, dont l’un présenté au Musée d’art moderne de Rio de Janeiro en 1960,
Palatnik s’est imposé dans cette nouvelle voie artistique.
Remarqué à la Biennale de Venise (1964) pour sa
« machine à peindre », Abraham Palatnik est
invité à exposer en Europe, aux Etats-Unis et en Israël ; il est l’un des
artistes de l’exposition collective sur l’art cinétique Mouvement 2 à la Galerie Denise René dans une présentation de Jean
Cassou. Une exposition itinérante présentée aussi au Musée d’art moderne de
Tel-Aviv.
En 1966, la Kunst-Licht-Kunst, exposition d’art
cinétique au Musée d'Art de la ville d'Eindhoven (Allemagne), sélectionne des œuvres
d’Abraham Palatnik. Dans le catalogue de l’exposition, Frank Popper évoque les
« mobiles lumineux » de Palatnik en soulignant le caractère poétique
de ses recherches.
Parallèlement à ses « appareils », cet artiste
brésilien primé effectue des « recherches sur de nouveaux supports et
matériaux, tant dans le domaine de ce qu'on pourrait appeler la peinture de
caractère abstrait et géométrique, que dans celui du design de meubles ».
Des œuvres exposées notamment dans les expositions du Groupe Frente au Musée
d’art moderne de Rio de Janeiro (1955).
De plus, après six mois de recherches, Abraham Palatnik
invente en 1952 une machine coupant la dure coque de la noix du palmier
babassou sans altérer la saveur de l’amande qu’elle contient. Ce qui permet
d’éviter une huile rendue amère par la violence des coups portés sur cette
coque d’une noix essentielle à l’activité agricole du Nord-est brésilien. Cet
inventeur conçoit dans la firme de son père une solution « économique et
moins polluante pour l'emballage d'une poudre destinée aux plombages
dentaires ».
Cet artiste s’intéresse aussi aux « possibilités
esthétiques des champs magnétiques » invitant le spectateur à participer
de manière ludique.
En 1964, il « crée les premiers " objets
cinétiques ", qui sont constitués de tiges ou de fils métalliques
comportant à leurs extrémités des plaques et des disques de bois de couleurs
variées, actionnés lentement et silencieusement par des moteurs ou des
électroaimants ». Un art dont les précurseurs se nomment Gabo et Calder.
Ondes de couleurs
Abraham Palatnik évolue en créant aussi des « séries
de progressions ou reliefs progressifs, qui sont chacune identifiées par un
matériau spécifique » : le bois dans les années 1950, le carton, le
polyester dans les années 1970, les cordes sur toiles dans les années 1980, et
le mélange de plâtre et de colle dans les années 1990. La galerie Denise René
présente ses Jacaranda, « réalisés à partir de chutes de marqueterie de bois, ses «
reliefs progressifs » en carton, ou la série des W, peintures les plus récentes
de lʼartiste. Son œuvre interpelle sans cesse les sens à travers des couleurs
ondulatoires, des lamelles de matériaux superposés et des axes verticaux
dynamiques qui créent des effets cinétiques ».
« Pour inventer quelque chose, il faut posséder un
comportement anticonformiste. Je pense que les industries devraient inviter des
plasticiens, parce qu'ils possèdent un potentiel perceptif capable de résoudre
d'innombrables problèmes… Je continue à parier sur l'intuition, bien que mon
travail exige toujours des calculs mathématiques », a déclaré Abraham Palatnik à Wilson Coutinho (Jornal
do Brasil, 5 décembre 1981).
Jusqu’au 2 juin 2012
196,
boulevard saint germain. 75007 Paris
Tél. : 01 42 22 77 57
Du mardi au samedi de 10 h à 13 h
et de 14 h à 19 h
Visuels : © Galerie Denise René
Affiche
W-310
2009
25,5 x 49,4
Carton
1970
66 x 47,5 cm rose gris
Jocaranda
1972
31,7 x 27,3 cm
W-29 bleu
2004
82,5 x 96 cm
Les citations sans mention sont de Frederico Morais,
traduites du portugais par Catherine Tresgots. Texte publié en portugais dans Abraham
Palatnik : Retrospectiva, exposition organisé en 1999 au ITAU Cultural, Sao
Paulo, Brésil. pp. 9-19.
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