Albert Richter (1912-1940)
est l’un des plus grands coureurs cyclistes allemands de
l'entre-deux-guerres. Ce champion refusa d'incarner le modèle aryen, s’opposa à
l’utilisation du sport à des fins de propagande nazie et aida Ernst Berliner,
son entraîneur Juif victime des persécutions antisémites du régime hitlérien. Ce
qui lui coûta la vie. Un livre et un documentaire ont restitué la haute stature morale de ce champion. Le Tour de France a lieu du 26 juin au 18 juillet 2021.
« Les sirènes de l’Hakoah » de Yaron Zilberman
Pour les amoureux
de la « petite reine », la figure d'Albert Richter
est connue et source d’admiration.
Pour les autres, Albert Richter, le champion qui a dit non,
documentaire
passionnant, riche de photos et de témoignages inédits, réalisé par MichelViotte (2005), diffusé par Arte,
a restitué la stature d’un sportif exceptionnel, d’un homme attachant aux
qualités physiques et morales – fidélité en amitié, courage, rectitude morale -
remarquables.
Renate Franz, Andreas
Hupke et Bernd Hempelmann
ont également consacré une biographie « Der vergessene
Weltmeister, Das rätselhafte Schicksal des Radrennfahrers
Albert Richter » (Le
Champion du monde oublié, l’énigmatique destin du cycliste Albert Richter)
publiée aux éditions Emons (1998, rééditée en 2007 par Covadonga) à ce sportif au destin fulgurant hors du
commun.
Ce champion est aussi évoqué dans l’exposition itinérante Le sport européen à l’épreuve du nazisme. Des J.O. de Berlin aux J.O. de Londres(1936-1948)
au Mémorial de la Shoah
(Paris).
Une passion précoce
Albert Richter
est né en 1912 à Ehrenfeld, « quartier
populaire de Cologne, une ville rattachée arbitrairement à la Prusse au XIXe siècle et
dirigée par Konrad Adenauer, un homme à l’esprit indépendant ». Il grandit
au sein une famille modeste et mélomane. Le père désigne un instrument à chacun
de ses trois fils : le saxophone pour Charles, la clarinette pour Josef et
la violon pour Albert.
Passionné par le vélo dans une ville qui vibre lors des
manifestations sportives, le jeune Albert s’inscrit en cachette dans un club de
cyclisme, sport populaire.
A 15 ans, il quitte l’école pour travailler dans une
fabrique de figurines d’art et s’entraîne chaque soir, après son travail.
A 16 ans, il dispute des courses sur piste et sur route. Sa
carrière débute, fulgurante. A 19 ans, il est déjà un amateur remarqué et
prometteur : ses pointes de vitesse impressionnent. « Il dépasse les professionnels à
l’entraînement et dans les courses », rappelle Lilo Nitsche, sa nièce.
Les photos le montrent grand, blond, les yeux clairs, souriant. Ses proches
évoquent son humour, son caractère chaleureux, sympathique et calme, voire un
peu naïf, et un sportif très rigoureux dans sa pratique.
En juillet 1932, à l’âge de 20 a ns, Albert Richter gagne
le Grand Prix de Paris. Pour un photographe, il pose devant un magasin de
cycles à Cologne dont la vitrine indique : « Notre Albert Richter a gagné le Grand Prix de Paris ». Le
public le surnomme « le canon de
Ehrenfeld ».
Ernst Berliner, ancien cycliste devenu entraîneur à
Cologne, le remarque alors. « Une
relation profonde, respectueuse, fidèle se noue entre le cycliste et son
entraîneur, dépassant la différence d’âge et de religion. Berliner lui révèle dès 1932 ses talents de
coureur sur piste et de sprinter, et l’aide par ses conseils avisés à atteindre
les plus hauts sommets » : champion du monde amateur en 1932,
puis champion d’Allemagne professionnel sans discontinuité jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
« Mon père se
revoyait en Albert. C’est pourquoi il a donné le meilleur de lui-même, pour
qu’Albert soit parfait. Il n’a jamais eu de fils et cela lui manquait. Albert
était un perfectionniste. Il savait que s’il écoutait mon père, il réussirait.
Il passait du temps à la maison. Il aimait la cuisine de ma mère », se
souvient Doris Markus, fille d'Ernst Berliner.
En septembre 1932, Albert Richter gagne sa première grande
victoire lors du Championnat du monde de vitesse amateur à Rome, comme son
compatriote Mathias Engel, médaille d’or en 1927.
Janvier 1933. Hitler arrive au pouvoir et impose en
quelques mois sa dictature. Bientôt, Konrad Adenauer est destitué et banni.
Pour aider sa famille, et dans un contexte de grave crise
économique, Albert Richter devient professionnel.
Il ne se sent pas d’affinités
avec la nouvelle Allemagne qui se construit sur la haine, la violence, la fin
de la démocratie et les discriminations.
Sur les conseils de Ernst Berliner, il
s’installe à Paris. La France
est le pays où « les champions de
vitesse gagnent le mieux leur vie : la capitale compte quatre vélodromes
et des courses y sont organisées toute l’année ».
Albert Richter
« apprend le français en fréquentant
les cinémas et, après des débuts difficiles, triomphe au Vel d’Hiv, le Saint
des saints, en remportant le Prix du sprinter étranger. En quelques mois, il
devient l’idole du public qui apprécie son style fluide et puissant et le
surnomme « la 8-cylindres allemande » ».
Il passe sa vie entre Paris, Cologne où il passe quelques
semaines par an pour voir sa famille, et les circuits internationaux où il
retrouve ses amis coureurs.
De 1933 à 1939, en six ans, ce champion international de la
vitesse sur piste devient un familier des podiums internationaux, sans accéder
à la plus haute marche. Il est l’un des « trois Mousquetaires »
sprinters, avec le Français Louis Girardin, dit « Toto » et le Belge
Jef Sherens.
« La force de
caractère de s’opposer au régime »
Son aversion pour le régime hitlérien et sa résistance au
nazisme, Albert Richter les manifeste tôt : en juillet 1934, il vient de
remporter le championnat d’Allemagne de vitesse à Hanovre. Des spectateurs
enthousiasmés affluent auprès de lui. Ils font le salut nazi. Seul, Albert
Richter garde ostensiblement sa main droite sur sa cuisse et sa coude gauche posé sur l'épaule de son entraineur Ernst Berliner. Cette image est
immortalisée par un photographe et publiée à la Une d’un journal outre-rhin. « Albert ne voulait pas saluer. Il était
totalement anti-nazi. Les Nazis ont pris ça comme une gifle en pleine
figure », commente Doris Markus.
En août 1934, Albert Richter concourt
aux championnats du monde de vitesse à Leipzig en arborant l’ancien maillot
sportif décoré de l’aigle impérial, alors que tous les autres membres de
l’équipe allemande portent celui officiel à la croix gammée.
Fidèle à l’éthique sportive et à son ami juif, Albert
Richter s’oppose au dévoiement qu’opèrent les Nazis. Ces derniers assignent au
sport plusieurs missions : « restaurer le
prestige de l'Allemagne, embrigader les esprits, former une élite militaire et
préparer les Allemands à combattre ».
Cette opposition ferme, déterminée et calme aux Nazis,
Albert Richter, protégé un certain temps par sa célébrité, est amené à la
modifier sur les conseils de son entraîneur : il nuance ses propos et
effectue à contrecœur le salut nazi. La surveillance dont il fait l’objet à
partir de 1938, les pressions sur les cyclistes et la nomination d’un officier
SS à la direction de la
Fédération cycliste l’amènent à s’interroger sur son avenir
en Allemagne. Il envisage de changer de nationalité.
Interdit en 1934 d’exercer son métier en raison de sa
religion, Ernst Berliner est informé par un ami de son arrestation imminente
par la Gestapo. Il
parvient à fuir l’Allemagne avec sa femme et leur fille et rejoint en 1937 les
Pays-Bas. Albert Richter refuse un entraîneur aryen et lui demeure fidèle. Tous
deux se retrouvent dans les compétitions, notamment lors des championnats du
monde d’Amsterdam en 1938.
1er septembre 1939. Albert Richter vient de
remporter la médaille de bronze aux Championnats du monde de Milan. Pour gagner
la médaille d’or, se préparent Jef Scherens et Arie Van Vliet. Soudain, on
apprend l’invasion de la
Pologne par l’Allemagne. La compétition est interrompue.
9 décembre 1939, Albert Richter est vainqueur au Grand Prix
de Berlin. Ce francophile convaincu pressent que le conflit touchera bientôt la France , un pays qu’il aime
et qui l’adule : « Richter, pas
Hitler » crient les spectateurs du Vel d’Hiv. Cet homme refuse de combattre :
« Je ne peux pas devenir soldat. Je ne peux pas
tirer sur des Français, ce sont mes amis ! ».
Conscient que l’étau se resserre autour de lui dans son
pays, refusant d’espionner à l’étranger au profit de l’Allemagne nazie, Albert
Richter décide de fuir en Suisse par le train, emportant une paire de skis, son
vélo et une valise où est cachée une importante somme d’argent destinée à un
ami juif réfugié à l’étranger. Bien informés, les douaniers fouillent ses
bagages et y découvrent l’argent. Albert Richter est incarcéré.
Trois jours plus tard, la Gestapo annonce le 3
janvier le suicide du champion … par pendaison. Son cercueil est scellé et on
en interdit l’ouverture. Les Nazis salissent sa mémoire, et « condamnent au déshonneur et à l’oubli cette
idole ». La
Fédération allemande de cyclisme (DRV) diffuse alors un
communiqué : « En trafiquant des devises pour un Juif, Albert Richter a commis un terrible
crime, et le suicide était pour lui le seul geste qui lui restait à faire. Son
nom est effacé de nos rangs, de nos mémoires, à jamais ». Malgré
l’absence d’annonce du décès, « le
cimetière est noir de monde », se souvient Lilo Nitsche, nièce
du champion.
Albert Richter avait 27 ans. Le mystère demeure sur les
circonstances de sa mort. Ce documentaire suggère qu’un ami cycliste de Albert
Richter souhaitait en devenir l’entraîneur et l’aurait dénoncé pour le forcer à
se séparer de Ernst Berliner, sans soupçonner l’issue tragique de son acte.
Ernst Berliner ne s’est jamais remis de la mort de son ami.
Après-guerre, il vit aux Etats-Unis et se rend à Cologne pour persuader les
autorités de mener une enquête afin d’élucider ce mystère et de réhabiliter le
nom de son ami. Son action provoque « gêne
et colère chez les anciens sportifs ». Ernst Berliner cherche à
découvrir « les sportifs qui
travaillaient alors pour les Nazis, pour établir la vérité. Quand mon père est
revenu, ils ont été surpris de le voir vivant », se souvient sa fille.
A Cologne, un vélodrome porte le nom de ce champion.
Grâce soit rendu au documentaire de Michel Viotte de retracer
sa vie trop brève, mais admirable. « Albert Richter est resté
fidèle à ses convictions. Il ne s’est jamais renié : il a dit non,
contrairement à la majorité des Allemands à l’époque », résume Mme Franz.
Réalisé par Michel Viotte d’après une idée originale de Jean-François
Joyet
ARTE France, Gedeon Programmes avec la participation de la RTBF , TSR et Ciel Ecran, France, 2005, 52 mn
Visuels : © DR
Départ de course. Sur la droite : Albert Richter et Ernst Berliner, son manager.
Albert
Richter devant un magasin de cycles à Cologne. Sur la vitrine est inscrit : «
Notre Albert Richter a gagné la
Grand Prix de Paris ».
Les citations sont extraites de ce documentaire.
Articles sur ce blog concernant :
Mon article avait été publié en 2005 par Guysen en une version plus courte et sous le pseudonyme de Ray Archeld. Il a été publié sur ce blog le :
- 15 avril 2012 à l'occasion de l'exposition Des JO de Berlin aux JO de Londres (1936-1948) au Mémorial de la Shoah (Paris) ;
- 2 juillet 2015. Le Tour de France a eu lieu du 4 au 26 juillet 2015 ;
- 5 juillet 2016. Le Tour de France a eu lieu du 2 au 24 juillet 2016 ;
-20 juillet 2017. Le Tour de France a eu lieu du 1er au 23 juillet 2017 ;
- 26 juillet 2018.
- 15 avril 2012 à l'occasion de l'exposition Des JO de Berlin aux JO de Londres (1936-1948) au Mémorial de la Shoah (Paris) ;
- 2 juillet 2015. Le Tour de France a eu lieu du 4 au 26 juillet 2015 ;
- 5 juillet 2016. Le Tour de France a eu lieu du 2 au 24 juillet 2016 ;
-20 juillet 2017. Le Tour de France a eu lieu du 1er au 23 juillet 2017 ;
- 26 juillet 2018.
- 18 juillet 2019. Le Tour de France a eu lieu du 6 au 28 juillet 2019 ;
- 18 septembre 2020. Le Tour de France a lieu du 29 août-20 septembre 2020.
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